Bien que la Terre n’ait jamais été aussi peuplée et aussi artificialisée, bien que ses autres habitants - les animaux, mais aussi les plantes, les forêts, les prairies et tout ce qui fait l’élégance de notre monde - n’aient jamais été relégués à des territoires aussi réduits, la peur de la dépopulation vient désormais côtoyer l’angoisse écologique. A en croire certains l’humanité serait presque en voie de disparition. La Chine tremble, l’Europe a peur et les autorités françaises appellent virilement au « réarmement démographique» ! Dans ce contexte, l’INED vient de publier un numéro de ses cahiers Population & Sociétés intitulé : « Baisse massive de la fécondité en 20 ans ».
Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ? Sur quoi s’appuient-elles ? Que peut-on y répondre ?
Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ?
La peur de la dépopulation repose sur la constatation de la baisse de la fécondité (le nombre d’enfants par femme) et même de la baisse de la natalité (le nombre de naissances) aussi bien dans une majorité de pays développés que, désormais, dans certains pays en voie de développement. Elle renvoie également à d’autres éléments, parfois irrationnels, liés au rapport que nous entretenons avec notre reproduction et notre descendance.
Les chiffres qui inquiètent
Quoiqu’en croissance permanente, l’humanité a franchi en matière démographique plusieurs maxima. Elle se trouve désormais de l’autre côté de ces pics et ces franchissements qui, par nature, impliquent une redescente, sont seuls retenus pour alimenter les peurs. Voici les principaux arguments chiffrés mis en avant.
Le maximum de la fécondité est largement passé
Le nombre d’enfants par femme au niveau mondial était de 5 dans les années 1950 - 1965 (plus même, en des époques antérieures, mais la très forte mortalité infantile en anéantissait les effets démographiques). Il s’établit désormais entre 2,2 et 2,3. Il a donc non seulement été divisé par plus de 2 en 70 ans, mais le seuil de renouvellement des générations (gage à terme d’une stabilité des effectifs) étant un peu supérieur à 2 enfants par femme (a), nous avons fait la majorité du chemin allant vers l’arrêt de la croissance démographique (b).
Un grand nombre de pays ou de régions du monde sont maintenant sous ce seuil de renouvellement et pas des moindres, notamment l’Europe, la Chine, le Japon… L’ensemble de l’Amérique, même au Sud, n’en est pas loin non plus. Ces tendances semblent établies.
Le maximum du taux de croissance.
Il a été atteint au cours de la décennie 1960 - 1970 où la croissance démographique annuelle oscillait entre 2 et 2,1 %. Depuis, ce taux n’a cessé de baisser, il est aujourd’hui de 1 % et, là aussi, la tendance semble durable. La stabilisation serait en vue au cours de la seconde moitié du 21ème siècle, une situation inédite depuis les temps modernes qui justifie - selon certains - la fin de toute inquiétude liée à l’explosion démographique.
Le maximum de croissance absolue.
L’humanité gagnait environ 90 millions de personnes (solde des naissances moins les décès) autour de l’année 1990. Aujourd’hui, cette croissance s’établit à 80 millions (+ 1 % donc). La baisse est réelle, même si elle reste mesurée et s’il ne s’agit bien que de la baisse de la croissance et non des effectifs.
Le rétrécissement de la base de la pyramide des âges
Dans les pays développés la pyramide des âges marque un très net rétrécissement à sa base, signe d’un vieillissement de la population qui menace les systèmes de retraite. La proportion d’actifs par rapport aux retraités étant inéluctablement amenée à se réduire dès aujourd’hui et dans les décennies à venir.
Que répondre ?
Des données juste mais…
Si ces données sont incontestables, elles alimentent à tort un vent de panique. Elles sont en effet loin de refléter la totalité de la réalité démographique du monde et d’autres éléments doivent être rappelés qui viennent non seulement amoindrir mais rendre déplacées ces inquiétudes.
Tout d’abord notons que ces multiples approches ne reflètent qu’un même phénomène : le ralentissement de la fécondité, celui-ci implique tous les autres. Voir la question sous différentes faces peut être intéressant pour l’analyse de ses conséquences mais ne saurait conduire à la multiplicité des causalités, source d’inquiétudes supplémentaires.
En second lieu soulignons ce qui s’impose face à toutes ces données : la Terre n’a jamais été aussi peuplée et cela constitue le problème écologique majeur qui conduit à l’effondrement de tous les équilibres de la biosphère. Aujourd’hui, la masse des mammifères sur la planète est constituée dans son immense majorité (96 % environ) soit des hommes soit de leur cheptel domestique. Les mammifères sauvages ont quasiment déjà disparu ! Outre la consommation d’espace (principal facteur de l’effondrement de la biodiversité), la pollution et la consommation de ressources sont des fonctions directes de la démographie malgré les inégalités encore fortes.
Rappelons quelques ordres de grandeurs :
Nous sommes désormais 1 000 fois plus nombreux qu’aux débuts du néolithique, 40 fois plus nombreux qu’à l’époque de Jésus Christ, 5 fois plus nombreux qu’à l’orée du 20ème siècle. Or ces jalons sont tout récents à l’échelle de l’histoire de notre espèce : nous vivons bien une explosion.
Si notre taux de croissance est en diminution, celui-ci reste beaucoup plus important qu’il ne l’a été tout au long du passé même proche. Ainsi en 1900, non seulement nous étions 5 fois moins nombreux mais notre taux de croissance annuel n’était que de 0,4 % soit 2,5 fois moins qu’aujourd’hui. La croissance absolue se situait donc entre 6 et 7 millions par an, elle est 12 fois plus importante en 2024 ! Sommes-nous au bord de l’extinction ? Sans doute moins que tout le reste du vivant.
Enfin les perspectives de stabilité, voire de décroissance qui effrayent tant certains s’appuient sur l’hypothèse d’une continuité de la baisse de la fécondité. Ce n’est qu’une hypothèse que rien ne permet de garantir et l’on a déjà vu (Maghreb, Europe de l’Est) des remontées plus ou moins durables de cet indice. Affirmer que la démographie mondiale sera stabilisée au cours de la seconde moitié du 21ème siècle reste un pari.
L’économie
Sur le plan économique, d’aucuns s’alarment des problèmes sociétaux et notamment de l’évolution du ratio actifs / inactifs pesant sur l’équilibre des systèmes de retraites et sur les dépenses médicales inévitablement en augmentation dans une population plus âgée.
Face à cette inéluctable évolution des charges, la solution consistant à augmenter les naissances constitue une véritable fuite en avant, les jeunes d’aujourd’hui sont les vieux de demain et les économistes n’arrêteront pas le cours du temps. Nous ne ferions en cela que repousser le problème à plus tard et sur une plus vaste échelle encore. Les difficultés d’équilibre des retraites aujourd’hui viennent d’ailleurs précisément d’une forte natalité il y a 70 ou 80 ans. On l’oublie souvent.
Rappelons aussi que, même à court terme, les jeunes constituent souvent jusqu’à leurs 25 ans, une population inactive source de dépenses pour la société. Difficile d’arguer de l’augmentation de leur nombre pour régler les problèmes budgétaires. L’explosion des budgets d’éducation le confirme. Les dépenses intérieures d’éducation (DIE) sont passées d’environ 90 milliards d’euros en 1980 à plus de 160 milliards aujourd’hui (à prix constants, référence 2021).
Un autre aspect des choses
A ces inquiétudes d’ordre économique s’ajoutent aussi des éléments irrationnels qu’expriment les termes récurrents : déclin, chute, hiver démographique, renoncement, dégradation effondrement… Tous négatifs ! Comme si la baisse de la natalité devait être vécue comme une tragédie, comme si un gouffre s’ouvrait sous nos pieds. On retrouve les antiennes qu’on croyait disparues depuis des siècles. « Un nombre élevé d’enfants est la mesure de la force vitale d’une nation.» Le terme « réarmement démographique » récemment employé par le président de la République n’est pas anodin. Sans la force vitale, on entend que le dépérissement et la mort ne sont pas loin. On tend ainsi à confondre le destin d’un pays, de l’humanité avec notre destin personnel : faire un enfant, « se reproduire », consciemment ou inconsciemment c’est continuer la vie, donc contourner, dénier notre propre condition de mortel. C’est un lumineux sentiment d’éternité. On glisse ainsi de la peur de la mort, inhérente à chaque humain conscient, à la peur de la disparition d’un peuple voire à celle de la fin de l’humanité. La nécessité de la perpétuation de l’espèce, considérée comme besoin, continue visiblement à être bien ancrée et elle surgit là et maintenant, en tant que panique collective.
L’habitude aussi : tous les humains d’aujourd’hui ont vécu dans un monde chaque année plus peuplé, la perspective d’un retournement de tendance, même très éloigné est déstabilisante. La question ne concerne pas la seule démographie, une éventuelle décroissance économique est perçue comme une anormalité et suscite la même appréhension. Nous redoutons le changement de paradigme.
Les inquiétudes sur la baisse future de nos effectifs sont largement injustifiées, elle n’est pas pour demain. Mais surtout, elle constitue au contraire une condition sine qua non du maintien des équilibres écologiques de la planète et donc de notre propre survie.
Soulignons pour tous les natalistes qui prétendent donner au plus grand nombre d’humains la possibilité de vivre sur la Terre que la plus sûre et la meilleure des solutions pour y parvenir est de laisser cette dernière habitable. La surpopulation actuelle et celle annoncée pour la fin du siècle ne le permettront pas.
Des arguments complémentaires sont développés ici et peuvent être consultés sur le site de l’association Démographie Responsable. Les ouvrages suivants évoquent aussi la question: Le défi du nombre, Moins nombreux plus heureux, Surpopulation… Mythe ou réalité ? Et ici, une sélection plus large. Des données statistiques récentes concernant l’évolution de la fécondité françaises sont également disponibles sur cette autre publication de l’INED (Cahiers Population & sociétés, mars 2024) intitulée : La France toujours une exception démographique en Europe ?
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(a) Le seuil de renouvellement n’est pas strictement égal à 2 ou 2,1 enfants par femme comme on le lit souvent. Il varie d’un pays à l’autre. Si la mortalité infantile est importante le seuil est naturellement plus élevé, une partie des jeunes n’atteignant pas eux-mêmes l’âge de la reproduction. De même, les déséquilibres du ratio hommes / femmes jouent sur le niveau de ce seuil.
(b) Il existe un décalage d’un peu plus d’une génération entre l’atteinte du seuil de renouvellement et la stabilisation effective de la population, cela est lié à la relative jeunesse de la population mondiale (âge médian 30,5 ans). Même si les gens font peu d’enfants chacun, le nombre de personnes en âge de procréer est tel que les naissances restent nombreuses et repoussent ainsi la stabilisation, l’augmentation de la durée moyenne de vie, hors même la baisse de la mortalité infantile, agit aussi en ce sens.