Par Gilles Lacan
L’écologie peine en France à disposer d’une représentation politique. Ce n’est pas le succès des partis traditionnels qui l’empêche de s’imposer mais plutôt l’idée largement répandue selon laquelle les questions liées à l’environnement ne constituent pas un critère majeur de choix politique.
Le principal parti écologiste, les Verts, devenu EELV, partage lui-même cette vision restrictive. Il se positionne de manière récurrente comme un parti de gauche et a obtenu son meilleur résultat en 2009, lors des élections européennes, en axant sa campagne sur une problématique plus européiste qu’écologiste. Ayant renoncé à faire de la défense de l’environnement le déterminant en dernière instance de leur projet, les Verts qualifient d’environnementalistes ceux qui continuent à le faire.
D’autres facteurs contribuent au manque de visibilité politique de l’écologie : le jacobinisme, d’abord, qui tend à occulter tout ce qui n’a pas un caractère national, au détriment pour celle-ci des nombreuses expériences menées sur le terrain, mais aussi le scrutin majoritaire, qui incite les petites formations à conclure des alliances inégalitaires avec les partis traditionnels.
Certes, la prise de conscience des idées écologistes progresse dans l’opinion. Mais il serait illusoire d’en déduire que « l’histoire nous donnera raison ». La pensée politique n’est pas indexée sur l’état physique de la planète : les dérèglements environnementaux et démographiques qui s’accumulent n’assigneront pas nécessairement à l’écologie le rôle de référence incontournable. Il est plus raisonnable de penser que les problèmes liés à la survie matérielle, à la sécurité physique ou aux conflits identitaires vont prendre le dessus.
En réalité, même s’il s’agit d’une conclusion contre-intuitive, difficile à admettre, le temps travaille contre nous. Cela ne veut pas dire qu’il faille baisser les bras, mais cela impose de repenser notre agenda aussi bien que les formes de notre intervention en fonction de cette contrainte.
S’agissant du réchauffement climatique, par exemple, les stratégies d’adaptation à la hausse des températures et à ses effets, devenus inéluctables, doivent occuper une place de plus en plus grande à côté de celles ayant pour objet d’en retarder l’échéance et d’en limiter l’ampleur.
Plus généralement, il est sans intérêt de bâtir le projet d’une société qui n’existe pas encore dans un monde qui n’existe déjà plus, de se réfugier dans l’utopie du « buen vivir » ou de sa déclinaison française du « vivre ensemble », pour remplacer l’utopie communiste qui a fait faillite au siècle dernier. Il est plus utile de préparer notre pays à l’épuisement des ressources naturelles, à la pénurie énergétique et aux grandes migrations climatiques, dans un contexte politique qui ne devrait pas se caractériser par un surcroît de convivialité.
Quant au rôle spécifique des formations politiques se réclamant de l’écologie ou de la décroissance, il doit être lui aussi reconsidéré : le schéma traditionnel d’une montée en puissance dans l’électorat pour aboutir, avec ou sans alliés, à une représentation majoritaire dans les institutions de l’Etat est à la fois irréaliste et anachronique, hérité d’une vision du XXème siècle de l’action politique.
L’écologie en France aujourd’hui, ce sont les ONG, grosses fédérations rassemblant des centaines de milliers de personnes aussi bien que lanceurs d’alerte ou associations thématiques, les collectivités locales, des plus grandes aux plus petites, la plupart rattachées au réseau des Villes et Territoires en Transition, et aussi tous ces intellectuels, écrivains, artistes, membres de la communauté scientifique, qui nous éclairent et parfois même nous montrent le chemin. L’un d’entre eux n’a-t-il pas déclaré l’an dernier que « la décélération, la déconnexion et la décroissance, surtout démographique, » étaient « les impératifs de notre temps » ?
Ce sont là les bases mêmes du programme de l'écologie politique, dans une période où le ralentissement est devenu la condition de la résilience.