Un article de Denis Garnier, président de Démographie Responsable
(premier volet de l'article)
A l’occasion du Jour du dépassement qui intervient tous les ans un peu plus tôt et qui est prévu en cette année 2018 pour le 1er août, il peut paraître intéressant d’en rappeler l’origine, mais surtout d’étudier différentes manières d’en stopper l’inexorable avancée.
L’EMPREINTE ECOLOGIQUE
Il existe aujourd'hui un indicateur qui a l'avantage de faire une sorte de synthèse d’un grand nombre des impacts écologiques dus aux activités humaines : il s’agit de l’empreinte écologique, initiée par le Global Footprint Network (GFN) et popularisé en France par le WWF (1).
L’empreinte écologique individuelle est la surface nécessaire pour produire les ressources qu'un individu consomme et pour absorber les déchets qu'il génère.
Actuellement, au niveau mondial, nous utilisons en moyenne 2,9 hectares par personne (2). Le problème est que nous ne disposons que de 1,7 hectare, qui correspond à ce que la planète produit de façon renouvelable chaque année, ce qu'on appelle la biocapacité moyenne individuelle.
La question qui vient immédiatement à l'esprit est évidemment la suivante : comment est-il possible de consommer plus que ce qui est produit ?
Eh bien nous puisons tout simplement dans le capital de la Terre : par exemple nous émettons plus de CO2 que les océans et les forêts ne peuvent en absorber (l’empreinte carbone compte d’ailleurs pour plus de la moitié de l’empreinte globale) et sa concentration dans l’atmosphère participe au réchauffement, ou encore nous vidons les océans de leurs poissons, où même nous stérilisons des terres arables en les bétonnant...
Précisons une chose importante : l'empreinte globale d'un pays correspond à tout ce qui est consommé à l’intérieur du pays. On tient donc aussi compte de l’empreinte des produits importés et on enlève celle de ceux qui sont exportés.
Notons aussi que la biocapacité d’un pays peut évoluer à la hausse via des mises en culture voire l’utilisation de fertilisants, mais aussi à la baisse via l’épuisement ou l’artificialisation des sols. Au final, il faut savoir que la biocapacité des pays (et donc de la planète) n’augmente que fort peu avec le temps.
On peut tout d’abord comparer l’empreinte moyenne individuelle (et son alter ego la biocapacité) de notre pays et celle de la planète, ou plus précisément celle d’un français et celle d’un terrien.
On remarque tout de suite que la France est « au-dessus » pour les deux indicateurs : par tête, nous consommons plus que la moyenne, mais notre pays produit plus de ressources renouvelables par individu que la moyenne de la planète, et ce en partie grâce à notre situation géographique privilégiée. Notons aussi que le fait que la biocapacité de la France et l’empreinte de la planète soient toutes deux égales à 2,9 est un pur hasard.
LES RATIOS
Il se trouve que l’on peut tirer un grand parti de ces quatre nombres en les comparant entre eux de différentes manières et comprendre ainsi l’origine de toute une série d’informations qui sont souvent relayées par les médias.
Pour la France :
- La France a besoin de 1,8 fois sa superficie pour faire vivre ses habitants en effet : E(F) / E(B) = 1,8
- Si tout le monde vivait comme les français, il faudrait 3 planètes En effet : E(F) / B(P) = 3
- Le 27 juillet (208ème jour de l’année) sera le « Jour du dépassement » de la France (3) en 2018 en effet : ( B(F) / E(F) ) x 365 = 208
Pour la planète :
- L’humanité « utilise » 1,7 planète : en effet B(P) / E(P) = 1,7
- Le 1er août (213ème jour de l’année) sera le Jour du dépassement de la planète en 2018 :
( B(P) / E(P) ) x 365 = 213
Plus généralement, grâce au Global Footprint Network, nous disposons (4) dans le détail des statistiques d’empreinte et de biocapacité pour tous les pays du monde et en particulier pour la France (5). Comme on va le voir, toutes ces données permettent de produire des analyses assez poussées.
QUELS SONT LES PAYS « LES PLUS POLLUEURS » ?
Il y a deux principales façons de s’intéresser à cette question, soit au niveau global, soit au niveau individuel.
Au niveau global, on peut regarder ce que chaque pays prélève dans le capital de la planète au-delà de ce qu’il génère lui-même de façon renouvelable.
Il se trouve que la différence entre les 4 pays les plus déficitaires et les autres est telle que, pour des raisons d’échelle, on est obligé de recourir à deux diagrammes.
Même si c’est pour des raisons différentes, on notera néanmoins que les trois pays les plus peuplés de la planète, Chine (1,4 milliard d’habitants), Inde (1,35 milliard) et USA (325 millions) sont en tête. Précisons que pour la Chine, il s’agit bien de son empreinte propre, déduction faite de l’impact écologique dû à la fabrication des nombreux produits qu’elle exporte.
Ensuite, on voit qu’avec sa douzième place, la France est assez mal placée, mais on remarquera que plusieurs pays européens la précèdent (Allemagne, Royaume-Uni et Italie) et on notera aussi que nous sommes encadrés d’assez près, en amont par 3 pays (Iran, Mexique et Arabie Saoudite) et en aval par deux autres (Turquie et Egypte) dont la responsabilité écologique est rarement évoquée...
Au niveau individuel, en divisant donc l’empreinte résiduelle globale des pays par le nombre de leurs habitants, on trouve en tête quelques micro-états économiquement très florissants (Luxembourg, Qatar, Koweït, Singapour et Bahreïn), suivis par notre voisine la Belgique avec sa forte densité de population (365 hab/km²). La France, quant à elle, se retrouve en 33ème position du fait de sa densité de population modérée (118 hab/km²) et donc de sa biocapacité par tête élevée, comme indiqué plus haut. En effet, comme nous le verrons plus loin, biocapacité individuelle et densité de population fonctionnement « en sens inverse ».
COMPARAISON ENTRE PAYS
Il est évidemment possible de comparer séparément chacun des pays avec la planète, mais il est encore plus intéressant de les comparer tous entre eux en les faisant apparaitre sur un même graphique. Sur celui qui suit, on a choisi de représenter sur l’axe vertical les empreintes individuelles et, sur l’axe horizontal, les densités de population par surface bioproductives (6). Sont tracées aussi la courbe correspondant à l’autosuffisance (ou équilibre écologique) et celles de l’utilisation de ressource équivalentes à plusieurs fois le pays (2, 3, 4 et plus).
Avec des empreintes supérieures à la moyenne mondiale (2,9 ha), on trouve par exemple la France (avec son ratio de 1,8 fois sa superficie) près de la courbe de l’utilisation de « deux pays », ainsi que l’Allemagne qui utilise deux fois et demi sa superficie, puis le Royaume-Uni et l’Italie qui utilisent quatre fois leur territoire.
Avec des empreintes inférieures à la moyenne mondiale, on remarque que le Nigeria a déjà presque besoin de deux fois sa superficie, que le Bangladesh, le Burundi et Haïti sont à deux, que l’Inde est un peu au-dessus, quant à l’Algérie et l’Egypte c’est carrément quatre fois leur superficie dont elles ont besoin.
A gauche et « sous » la courbe verte d’autosuffisance on remarque la présence du Canada, de la Russie et du Brésil qui ont donc une biocapacité supérieure à leur empreinte, ce qui est évidemment positif. Par contre, pour les deux premiers pays cités, l’empreinte est très largement supérieure à l’empreinte moyenne de la planète et ils doivent impérativement faire un gros effort pour la réduire.
Les seuls pays totalement « vertueux » sur le plan écologique, à la fois pour eux-mêmes et pour la planète, se situent dans la partie verte (on peut citer par exemple le Congo et Madagascar).
On remarque enfin la place assez « à droite » de l’Inde et du Bangladesh, avec des densités de population par surface bioproductive autour de 2,5 hab/ha, qui n’est qu’une conséquence de leurs très fortes densités de population réelles (respectivement 400 et 1.100 hab/km²). Idem pour le Burundi et Haïti.
LE RETOUR A L’ÉQUILIBRE
L’intérêt de ce graphique est qu’il permet aussi de voir comment chacun des pays pourrait revenir à l’équilibre, c’est-à-dire rejoindre la courbe verte.
1) Prenons l’exemple de la France.
Il y a trois grands types de solutions : à l’intérieur de la surface verte et dans la direction des flèches obliques rouges, vers le haut ou vers le bas.
a) On peut expliciter les deux solutions extrêmes de la surface :
Sans agir sur la population, la flèche verticale vers le bas fait passer l’empreinte individuelle de 5,1 à 2,9 hectares, ce qui semble possible à moyen terme en réduisant drastiquement l’empreinte carbone (5), mais correspondra inévitablement à une économie décroissante et donc à une baisse significative de notre niveau de vie,
Sans agir sur l’empreinte, la flèche horizontale vers la gauche fait baisser la densité de population et donc la population elle-même de 64 à 36 millions, ce qui serait aussi possible, mais sur un terme encore plus long.
Evidemment, toute solution intermédiaire comprise dans la surface verte, et incluant à la fois la baisse de l’empreinte et la baisse de la population est envisageable et sans doute préférable.
b) La flèche extérieure rouge inclinée vers le haut correspond à une baisse encore plus importante de la population pour permettre une biocapacité individuelle et un niveau de vie encore supérieur.
c) La flèche extérieure rouge inclinée vers le bas correspond à une densité de population encore plus forte et donc à une biocapacité par habitant encore plus faible. Notons qu’actuellement, c’est malheureusement ce dernier scénario qui est en cours…
2) On peut ensuite prendre l’exemple de deux autres pays, un en Europe (l’Italie) et l’autre en Asie (le Bangladesh).
Dans le cas de l’Italie, la seule baisse de l’empreinte serait très importante (de 4,5 à 1,1 ha) et d’un autre côté, du fait de sa position sur la quatrième trajectoire, la solution concernant la seule baisse de la population amènerait à une division par quatre de celle-ci (de 60 à 15 millions).
Pour le Bangladesh, verticalement on aboutirait à une empreinte de 0,37 ha c’est-à-dire à un « niveau de vie » potentiellement huit fois plus faible que celui d’une France en équilibre écologique (7). Horizontalement, la baisse de la population ferait passer le Bangladesh de 160 à 90 millions et même ainsi avec un « niveau de vie » finalement quatre fois plus faible que le nôtre (0,75 vs 2,9 ha). Ces résultats peu encourageants proviennent du fait que le Bangladesh a laissé filer sa démographie et atteint un tel niveau de surpopulation que toute solution sera très difficile à trouver. Ceci étant, au vu du caractère extrême de la situation de ce type de pays, il serait souhaitable de sortir de l’aire colorée avec une solution du type flèche vers le haut (comme on le verra plus loin).
LES PROJECTIONS DE L’ONU
Tous les deux ans, l’ONU publie ses projections de population pour le milieu et la fin du siècle. L’été dernier celles-ci indiquaient 9,8 milliards d’humains pour 2050 et 11,2 milliards pour 2100.
En tenant compte du fait que la biocapacité totale de la planète était de 12,2 milliards d’hectares en 2013 et qu’à cette date nous étions 7,2 milliards, la biocapacité moyenne disponible se situait donc (comme on l’a vu) aux alentours de 1,7 hectare par personne, ce qui correspond à l’empreinte individuelle du Viêt Nam. Pour être en équilibre à cette date et en imaginant une affectation égalitaire des ressources pour tous les individus de la planète, il aurait donc fallu que nous ayons un niveau de vie comparable à celui du Viêtnam.
Pour 2050, et en faisant l’hypothèse que la biocapacité de la planète n’évolue pas, avec les 9,8 milliards d’humains annoncés, il ne nous resterait qu’une biocapacité de 1,25 hectare par personne, soit la possibilité du niveau de vie de la Tanzanie actuelle.
Enfin pour 2100, le calcul donne une biocapacité disponible de 1,1 hectare correspondant au niveau de vie du Sénégal d’aujourd’hui.
Au vu de ces quelques éléments, on voit bien que la poursuite de la croissance démographique mondiale conduirait à une baisse continue et surtout drastique du niveau de vie des pays du nord et empêcherait aussi toute hausse du niveau de vie de nombreux pays du sud.
Lien vers la suite de l'article (volet 2)