Un article de Daniel Martin
L’utilisation des données personnelles des smartphones pour « tracer » les personnes contaminées par le Covid-19 fait partie des outils qu’étudie le gouvernement pour lutter contre l’épidémie et préparer un déconfinement progressif le moment venu. Mais attention, n’ouvre-t-on pas une boite de Pandore ?
Concernant les mesures de confinement par « traçage ou tracking », déclarations contradictoires du Ministre de l’intérieur.
Par rapport à la mise en place dans plusieurs pays asiatiques et européens concernant l’utilisation des données personnelles des smartphones pour « tracer » les personnes contaminées par le Covid-19, le 26 mars, sur France 2, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner balayait l’hypothèse en ces termes: «Ça n’est pas notre souhait… Je crois que ce n’est pas la culture française.» Toujours sur France 2, dix jours plus tard, Le même Christophe Castaner, assure désormais que le pistage «sera retenu et soutenu par l’ensemble des Français» à condition de respecter les libertés individuelles et de lutter contre le virus…
Ce « traçage » serait-il utilisé sur la base du volontariat, comme l’avait assuré le premier ministre ? Là encore, on est dans le flou, car le discours n’est pas clair. «Je ne peux pas vous dire», a évacué le ministre de l’intérieur Castaner lundi matin sur France info, précisant que le gouvernement était en lien sur cette question avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés de France (CNIL).
Avec des déclarations contradictoires, cela pose incontestablement la question des libertés individuelles et secoue la majorité parlementaire.
Il y a des partisans du « traçage »
Dans le Figaro du 8 Avril, «En ce moment, c'est la phase de confinement où tout le monde reste chez soi, a rappelé en préambule Mounir Mahjoubi. » Là on réfléchit à l'après, dès le début du «déconfinement», donc, le député LREM est favorable à la mise en place du «contact tracing». Selon lui «Le seul objectif du traçage est de sauver des gens. Quand des patients seront testés positifs, cela leur permettra d'identifier les gens qu'ils ont croisés dans les 15 derniers jours. C'est ce qu'on appelle le contact tracing.» Mounir Mahjoubi a insisté sur le fait que «plusieurs entreprises, dont certaines en France, sont déjà en train de travailler sur ce système.» Autrement dit, pour le Député et ancien ministre Mounir Mahjoubi, afin de « sauver des vies » cet argument fort louable va servir pour passer à un palier supérieur dans l’usage dévoyé des « intelligences artificielles » au service d’une déclinaison liberticide inévitable, malgré toutes les précautions prises...
Mais il y a aussi des opposants
«Je refuse qu’on puisse restreindre la liberté d’un individu en fonction de son état de santé », considère Guillaume Chiche, député LREM des Deux-Sèvres, qui prend l’exemple des personnes séropositives. « Même si cela s’applique sur la base du volontariat, la pression morale sera telle que ça deviendra demain une règle de technologie. On ne sort pas d’une crise sanitaire pour entrer dans une crise de défiance des libertés individuelles.»
«Je serai extrêmement réservé sur ce sujet », prévient Roland Lescure, président LREM de la commission des affaires économiques, quand. Le patron de LREM, Stanislas Guerini, se dit de son côté «allant et ouvert». «Je suis favorable à ce qu’on se donne tous les outils pour pouvoir vaincre le virus, y compris les outils de traçabilité de façon encadrée et bornée dans le temps», a-t-il fait savoir, lors d’une conférence de presse virtuelle.
Le député Pierre Person, numéro deux de LREM s’insurgeait et ne déclarait-il pas, lors d’un bureau exécutif, «Venir limiter la plus fondamentale des libertés, c’est indirectement affaiblir toutes les autres » ?
En règle générale, les députés qui se situent à l’aile gauche de LREM expriment déjà leur franche hostilité et ne peuvent imaginer Emmanuel Macron, qui s’est jusqu’ici posé en champion des démocraties libérales, s’engager sur ce terrain glissant.
Est-ce que nous voulons vivre dans une société où l’État sait en permanence qui fait quoi et se trouve où ?
Avec la nouvelle révolution des « intelligences artificielles », nous sommes entrés, à partir de la fin des années 2000, dans ce que les experts du forum économique mondial de Davos dénomment 4ème révolution industrielle. Aujourd’hui, par nos téléphones portables et les réseaux sociaux d’internet on sait déjà presque tout de nous et cela ne va pas cesser, mais empirer et à bien des égards de rappeler un jour « 1984 » de Georges Orwell.
Comme l’a indiqué Didier Barthès dans un article très réaliste sur le blog Economie Durable intitulé «Coronavirus, le plus court chemin de 2020 à 1984» où il déclare notamment : « L’urgence s’est refermée comme un piège implacable sur la plus évidente et la plus simple des libertés, celle d’aller et venir sans en rendre compte, en tout anonymat. Sous le poids d’une priorité supérieure, ce socle de nos démocraties a volé en éclat en deux jours seulement, du matin d’un dimanche où l’on nous demandait d’aller voter au matin du mardi où mettre le nez dehors devenait un délit ». Et de rajouter un peu plus loin: «Demain sans doute, sauf à envisager un effondrement général des sociétés, de nouvelles technologies rendront la surveillance toujours plus facile et les manquements toujours plus aisés à repérer et sanctionner. ». Ou encore : « L’hypothèse qu’un jour chaque humain se voit implanter une puce déclinant son identité et moult renseignements n’est plus interdite, certains y adhèrent. Tous les déplacements pourront alors être surveillés, et enregistrés à jamais. Il ne sera même pas nécessaire de l’imposer, il suffira simplement de rendre impossible la vie à ceux qui n’en seront pas munis, comme il est difficile désormais de vivre sans internet, sans carte bancaire, sans portable ».
Attention : l’engrenage liberticide dans lequel nous ne cessons de mettre chaque jour un peu plus le doigt ne peut que nous absorber totalement en générant une dictature par le numérique
Si la nouvelle révolution numérique offre des avantages incontestables pour la réduction des mobilités domicile-travail, mais aussi pour d’autres actes de la vie quotidienne, y compris pour la santé, tout en s’accompagnant d’inconvénients, elle peut aussi être dévoyée progressivement vers des rivages liberticides, notamment, via certains usages, dont le « traçage » individuel. Il sera d’autant mieux accepté par la population, qu’il sera justifié au nom d’un impératif majeur que sont la santé et la vie de nos concitoyens, mais aussi par d’autres arguments.
Si actuellement le climat et la gravité de la situation écologique est passé au second plan des préoccupations mondiales, dont la question démographique qui cependant ne le fût guère et si la pollution de l’air a clairement décru dans toutes les agglomérations, certains n’hésitent pas à affirmer que la crise sanitaire que nous vivons serait un rappel de la « nature », troublée par notre mode de vie désastreux.
S’il est vrai que notre mode de vie et une croissance démographique explosive sont responsables d’une situation écologique et climatique désastreuse, l’argument de punition de la nature par le Covid-19 est-il valable et ne risque-t-il pas de cacher autre chose ?
Punis par dame « nature », nous devrions expier, expier toujours, fut-il au prix des libertés essentielles. Sans compter que certains n’hésitent pas à raccorder ce qui est en train de se passer dans le monde à cause du Covid-19 avec les théories des collapsologues, ce qui a de quoi surprendre, car le lien entre ces deux phénomènes n’est pas très réaliste. Au nom de cette punition par « dame nature », cela peut même en ces circonstances contribuer à couvrir des mesures gouvernementales parmi les plus liberticides au nom d’un bien qui punit le mal par des sanctions méritées, afin de réparer le mal que l’homme lui a fait… Ainsi les restrictions des libertés pour la bonne cause !
Incohérences et calcul politicien pour mieux imposer des mesures impossibles à annuler ultérieurement ?
Pendant que l’on ratisse les plages ou les espaces verts des communes à la recherche de la vieille dame promenant son chien, avec l’aide de drones, on sait que dans les banlieues chaudes tout réel contrôle est devenu impossible, il parait illusoire d’espérer une distance d’un mètre entre chaque individu. Deux poids deux mesures, on a l’habitude…
Peut-on imaginer que des responsables politiques s’accommoderaient aussi d’une certaine forme de « lâcheté », vis à vis de ces quartiers chauds et d’une population délinquante dans un but purement politicien ? Par exemple, pourquoi n’inciteraient-ils pas les fabricants de matériel numérique, pour que dans ces banlieues, par d’habiles opérations de marketing, ils encouragent la consommation de ces produits qui ficellent les libertés ? De la surenchère à qui possédera le Smartphone et la console de jeu « dernier cri », de même pour l’ordinateur, cela faisant boule de neige... Ainsi, à leur manière, les voyous de ces quartiers qui empoisonnent la vie des habitants vont, grâce à divers trafics, dont la drogue, et les finances qui vont avec, s’offrir du matériel « dernier cri » et devenir involontairement les auxiliaires du gouvernement, grâce au piège des dernières technologies numériques.
Dans ces banlieues, les responsables politiques n’hésitant pas à évoquer, après celui du Covid-19, l’argument de la lutte contre la délinquance, afin de permettre et justifier un « traçage » progressivement liberticide. Ces mesures, après celles du Coronavirus seraient acceptées béatement par la population, et jamais annulées.
Ailleurs, pour les plus modestes, au nom de la solidarité nationale, dès lors que le « traçage » devient une obligation, l’État n’hésitera pas à mettre directement « la main à la poche » pour doter, gratuitement ou à très faible coût, ces populations en smartphones, voire d’ordinateurs portables. Une forme d’investissement électoral !
Autre exemple d’une ordonnance qui, profitant du Covid-19, restreint des libertés en déréglementant des dispositions qui les protègent
En application de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie du Coronavirus, 25 ordonnances ont été prises par le Conseil des ministres.
La 6ème ordonnance, n° 2020-320 du 25 mars 2020, a été confirmée au JORF n° 0074 du 26 Mars 2020, texte 45, et selon cette ordonnance, quatre procédures administratives préalables en vue de l'implantation ou de la modification d'une installation de communications électroniques sont ainsi aménagées :
- suspension de l’obligation de transmission d’un dossier d’information au maire ou au président d’intercommunalité en vue de l’exploitation ou de la modification d’une installation radioélectrique.
- possibilité pour l'exploitant d'une station radioélectrique de prendre une décision d'implantation sans accord préalable de l'agence nationale des fréquences.
- réduction du délai d’instruction des demandes de permissions de voirie.
- dispense d’autorisation d’urbanisme pour les constructions, installations et aménagements nécessaires à la continuité des réseaux et services de communications électroniques ayant un caractère temporaire. » Ainsi, le gouvernement profite de la pandémie pour déréglementer la téléphonie mobile au risque de l'accroissement des problèmes sanitaires qui y sont liés (lire ici la suite).
Pour conclure
Plutôt que de culpabiliser et sanctionner, dans ces moments très difficiles, il serait plus efficace de saisir ce qui est vraiment en train de se passer dans notre pays, à savoir un soupçon généralisé sur la sincérité de la parole publique d’une part et un rejet de l’uniformisation annoncée par des règles conduisant à une dérive liberticide, sous couvert de la gravité évidente du Covid-19 d’autre part. Ces dispositions sont très éloignées de nos traditions et de notre philosophie. On peut être par ailleurs confondus devant la propension d’hommes politiques supposés démocrates célébrant les mérites de la coercition généralisée.