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Depuis quelques mois fleurissent dans la presse nombre d’articles retournant l’inquiétude démographique et nous mettant en garde contre un risque de dépopulation massive menaçant nos sociétés et même, à terme, l’existence de notre espèce (1).
Étrange inquiétude quand l’humanité vient encore, en 2021, de gagner plus de 80 millions de représentants, quand le seuil des 8 milliards devrait être franchi au début de l’an prochain, quand la population a été multipliée par 5 depuis 1900 et quand nous constatons que la Terre a gagné plus d’habitants au cours des seules 50 dernières années qu’au cours des 50 000 précédentes !
Plusieurs facteurs expliquent ce retournement médiatique.
Nous vivons depuis 50 ans dans un contexte de baisse du taux de croissance démographique et du taux de fécondité : 2,1 % de croissance annuelle au cours de la décennie 1960-1970, environ la moitié aujourd’hui, 5 enfants par femme en 1950 au niveau mondial, la moitié aussi, ou même un peu moins désormais. La poursuite anticipée (mais non certaine) de cette tendance fournit le cadre général de ces inquiétudes. Notons toutefois que si ces taux diminuent, comme ils s’appliquent à des populations beaucoup plus importantes, nos effectifs augmentent plus en nombre en 2022 que dans les années 1960 et que les naissances sont plus nombreuses.
Trois éléments conjoncturels renforcent ce sentiment de possible décrue démographique.
- D’une part, la publication récente de quelques études (celle de l’IHME est la plus connue) qui, si elles reprennent à peu près les mêmes anticipations que l’Onu et l’Ined pour 2050, envisagent une stabilisation plus rapide ensuite avec un pic à 9,7 milliards en 2064 suivi d’une redescente dans la seconde partie du siècle pour atteindre un peu moins de 8,8 milliards en 2100, échéance pour laquelle l’Onu prévoit 10,9 milliards d’habitants dans le cadre de son estimation moyenne. Curieusement cette projection de l'IHME correspond à peu près à la projection basse de l'ONU (voir ici l’infographie de l’IHME).
- D’autre part, l’épidémie de covid qui a légèrement augmenté la mortalité et surtout, semble avoir affecté à la baisse la fécondité dans les pays développés.
- Enfin, nous portons un regard prioritaire sur les pays les plus riches où la fécondité est généralement désormais inférieure au seuil de renouvellement, promesse à terme d’une certaine stabilisation démographique, voire d’une décrue si le processus se poursuivait (phénomènes migratoires mis à part). Ce regard n’est évidemment que très partiel, d’autres parties du monde, certains pays d’Asie et l’Afrique en premier lieu, sont toujours en pleine explosion, la baisse de la fécondité tardant à suivre l’écroulement de la mortalité infantile.
La convergence de ces facteurs conduit de nombreux éditorialistes à titrer sur ce retournement de perspective et à surfer sur des inquiétudes inverses : Qu’allons-nous devenir ? Qui va payer les retraites ? Quid d’une Terre dépeuplée ?
Ces analyses font bon marché d’éléments contraires qu’ils passent largement sous silence.
- Comme toutes les projections, celles qui envisagent une baisse de la population s’appuient sur des hypothèses plus ou moins arbitraires : ici une baisse continue de la fécondité dans la poursuite de la tendance connue ces dernières décennies. Or, rien n’est acquis en la matière. Plusieurs nations, les pays de l’Est européen, le Maghreb par exemple ont, au contraire, connu des hausses récentes de leur fécondité, montrant que la tendance n’était ni forcément durable, ni générale.
- L’épidémie de covid est évidemment trop récente pour que l’on puisse en tirer des conclusions solides en matière d’impact démographique. Rien n’indique que la baisse récente de fécondité qu’on lui attribue se prolonge. De plus, elle semble ne pas (ou peu) avoir affecté les pays où justement on a déjà le plus d’enfants par femme. En ce sens le covid pourrait accentuer l’écart déjà important entre nations selon leur niveau de développement (voir cet article ).
- L’inquiétude sur l’équilibre des comptes publics et sociaux (les retraites notamment) est surfaite. Une population en croissance n’assure pas un meilleur équilibre : Les jeunes sont dans un premier temps des charges, et le restent d’ailleurs longtemps dans un contexte de chômage endémique comme c’est le cas dans de nombreux pays. Surtout, ils sont aussi les personnes âgées de demain. Compter sur une forte natalité pour résoudre ce problème revient à entrer dans un mécanisme de pyramide de Ponzi.
- Enfin, il est très étonnant de voir des experts s’inquiéter d’une baisse de la population dans certains pays. Oui, il est fort possible que le Japon ou la Corée du Sud voient leur population diminuer, mais est-ce un mal ? Dans une nation comme le Japon, la densité de peuplement est de 330 habitants par kilomètre carré et une véritable conurbation recouvre l’essentiel de la partie non montagneuse de l’archipel, réduisant à rien le monde sauvage. Est-ce aussi un mal au niveau mondial, alors que nous connaissons un véritable effondrement de la biodiversité, au point que le concept de sixième extinction fait presque l’unanimité et que cette extinction est pour l’essentiel le fruit de l’extension continue de la présence humaine et donc de notre nombre ? Rappelons que presque toute l’histoire de l’humanité s’est déroulée dans un monde où le nombre d’habitants était de l’ordre du millième de ce qu’il est aujourd’hui et que ce nombre a assuré la durabilité de notre espèce puisqu’il lui permettait d’avoir un impact plus limité sur les écosystèmes, laissant de vastes zones à la nature.
Cette perspective d’une éventuelle stabilisation, puis peut-être d’une décrue, devrait être perçue non comme une menace, mais comme une des très rares raisons d’espérer. Souhaitons qu’elle se réalise.
(1) Ici sur Novethic, un article parmi beaucoup d’autres, mais presque tous les grands journaux ont repris les mêmes analyses.