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7 janvier 2023 6 07 /01 /janvier /2023 17:04

 

Les Écologistes et le nucléaire

Pourquoi j'accepte aujourd'hui le nucléaire

par Antoine Waechter

12 avril 1971, Fessenheim

La première manifestation contre le projet de centrale nucléaire à Fessenheim réunit 1 500 personnes à l’appel du Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin (CSFR : Jean-Jacques Rettig, président), de la fédération haut-rhinoise des associations de protection de la nature (AFRPN 68 : Antoine Waechter, président, Solange Fernex, secrétaire) ainsi que de Bürger Initiative allemands. C’est la première manifestation contre le nucléaire civil en France. 5 000 personnes manifestent une nouvelle fois en 1972. Au-delà des slogans, trois motivations mobilisent les manifestants : la peur d’une pollution radioactive, le refus d’une destruction des milieux rhénans par une industrialisation nucléarisée (Fessenheim était la première annoncée d’un ensemble de quatre centrales envisagées sur le fleuve), et la dénonciation d’un État centralisé et autocratique. En 1972, nous diffusons aux manifestants, sous le sigle de l’AFRPN, un texte affirmant qu’il serait absurde de refuser la production électronucléaire si nous ne remettons pas en cause la croissance de la consommation d’électricité de 10 % par an prévue par EDF. Nous plaçons d’entrée de jeu la modération de la consommation d’énergie au cœur du combat.

La création de la synonymie : antinucléaire = écologistes

Dans les années qui suivent, l’antinucléaire prend de l’ampleur, jusqu’à la confrontation tragique de Malville, en 1977. La mobilisation, reprise par une certaine Gauche, s’assimile à une contestation de l’État. Dans le même temps, la simplification médiatique associe les termes d’écologistes et d’antinucléaires : les antinucléaires sont nécessairement des écologistes, et ces derniers sont nécessairement opposés au nucléaire. Cette confusion d’identité va peser lourd dans la suite.

La formation d’une pensée dogmatique

J’ai combattu le nucléaire pendant trente ans, d’abord au nom d’Écologie et Survie (1973-1984), puis des Verts (1984-1994) et enfin des Écologistes-MEI (1995-2004). Je me suis rendu compte que les motivations fortes des premières années ont progressivement laissé la place à une posture idéologique. Les arguments avancés autour de moi avaient des racines de plus en plus faibles. Le refus du nucléaire est devenu une revendication d’identité politique. L’analyse rationnelle a disparu. Le fait de s’affirmer contre le nucléaire s’auto-justifie par un demi-siècle d’opposition. La position antinucléaire est aujourd’hui le dogme d’une identité d’écologiste.

Avions-nous raison de nous opposer au nucléaire ?

Oui, sans hésitation : raison de nous opposer à Fessenheim : l’Histoire nous a donné raison, et nous avons sauvé les milliers d’hectares de forêts rhénane promises au défrichement et à l’industrialisation ; raison de contester une énergie dangereuse : sous notre pression, la France a mis en place le système garantissant la sécurité de la filière le plus performant du Monde. Nous avons rempli notre rôle.

Mais, les temps ont changé

La menace climatique s’est aujourd’hui imposée comme le premier danger pour l’Humanité, exigeant de réduire de manière substantielle notre recours aux énergies fossiles. En 2004, Jean Brière, un antinucléaire lyonnais de la première heure, nous interpelle : vous devez choisir entre une menace avérée, le réchauffement climatique, et un risque potentiel, le nucléaire. La France a aujourd’hui l’un des mix énergétiques les plus vertueux au monde au regard des émissions de carbone : voulez-vous le remettre en cause ? Nous avons alors adopté une position répondant à ceux qu’effraie le climat et à ceux qui refusent le nucléaire : nous fermerons un réacteur à chaque fois que nous aurons obtenu une baisse équivalente de la consommation d’électricité. Dix-huit ans plus tard, nous sommes obligés de constater que l’électrification de la mobilité individuelle et la communication numérique font grimper la consommation et qu’à ce rythme nous ne pourrons fermer aucun réacteur. Notre société se comporte aujourd’hui comme un drogué en manque : elle est prête à tout sacrifier pour avoir son contingent de kWh : prête à sacrifier la beauté de la France, en dispersant des milliers de zones industrielles dédiées au vent dans l’espace rural ; à sacrifier les écosystèmes, en plantant des éoliennes et des parcs photovoltaïques dans les forêts ; à massacrer des espèces vulnérables (chauves-souris, grands rapaces…) ; à colorer les toitures en blanc au détriment de la cohérence esthétique de nos villages ; en enlever aux citoyens tout pouvoir de contrôle sur l’évolution de leur cadre de vie. Avec la complicité active des antinucléaires dogmatiques !

Les critiques adressées au nucléaire ne justifient pas une opposition, mais des exigences

- L’approvisionnement en combustible

Oui, l’extraction de l’uranium à ciel ouvert en Afrique a un impact environnemental et social incontestable. Remarquons que l’extraction du néodyme, indispensable aux éoliennes, à un impact encore plus douloureux en Mongolie. Et l’extraction du lithium nécessaire aux batteries de nos voitures électriques, sera une plaie béante de plus, bientôt en France.

- La gestion des déchets

Les déchets chimiques stockés dans une mine (Stocamine) du bassin potassique du Haut-Rhin, dont l’extraction est demandée par des militants et de nombreux élus, nous rappellent que le nucléaire n’a pas le monopole du problème. J’ai affirmé, voici trente ans déjà, que la formule des Scandinaves me paraît être la meilleure : enfouir définitivement les déchets les plus radioactifs dans une fosse d’un kilomètre de profondeur creusée dans le granit, une roche naturellement radioactive. Bure reste un site expérimental, qui n’héberge actuellement aucun déchet.

- L’accident possible

Deux accidents majeurs en un demi-siècle, soit une fréquence inférieure aux accidents de la chimie et aucune comparaison avec le nombre de morts des unités industrielles non nucléaires. Le nucléaire, c’est le pari de Pascal inversé : une probabilité d’occurrence infime, mais des effets considérables lorsque l’événement se produit. A Tchernobyl, l’accident met en cause le système hiérarchisé autocratique du régime communiste et une conception technique défaillante qui n’est reprise par aucun des réacteurs actuellement en service dans le monde. De cet événement, nous retenons que le nucléaire civil ne peut raisonnablement être développé que dans des pays capables de garantir la sécurité des installations, affectés d’un faible taux de corruption, et soumis au contrôle démocratique des citoyens. En d’autres termes, le nucléaire ne peut pas remplacer le charbon dans une grande partie de la planète. A Fukushima, l’accident met en cause les planificateurs, qui ont sous-estimé la puissance possible des tsunamis. À la Faute sur Mer, qui doit-on accuser : l’incapacité des maisons à résister à l’océan, ou l’irresponsabilité d’une municipalité qui a ouvert le bord de mer à l’urbanisation ? Et comme l’exprime Jean-Marc Jancovici : à Fukushima, l’attention s’est focalisée sur la centrale, qui n’a tué personne, alors que le tsunami a fait des milliers de victimes. À Fessenheim, la centrale a été fermée par précaution et surtout pour éviter une dépense exorbitante sur une centrale vieillissante. La commission en charge de la sécurité nucléaire veille, avec une rigueur sans commune mesure avec la surveillance de nos sites industriels.

La faiblesse des énergies renouvelables

Le renouvelable n’est pas une valeur morale, il n’est même pas écologiquement vertueux. Toutes les productions d’énergies ont un impact, à l’exception de celle que l’on ne consomme pas, mais certaines sont plus favorables que d’autres. Les éoliennes industrielles terrestres cumulent le plus d’inconvénients (voir « Le scandale éolien »). Le développement du photovoltaïque au détriment de la forêt est un contre-sens, et le détournement des terres agricoles au profit de la production d’énergie est un « crime » contre le bon sens. Mais, la faiblesse de la majorité des renouvelables est qu’elles sont diffuses. La centrale du Bugey (4 réacteurs de 900 MW), par exemple, est déployée dans un espace clos de 85 hectares. Un parc éolien d’une puissance installée équivalente exigerait de couvrir un territoire de 7 200 hectares par 1 800 mâts de 2 MW ! Pour une production annuelle trois fois moindre (taux de charge : 22 % pour l’éolien, 80 % pour le nucléaire). Voilà pourquoi, la contribution de l’éolien à la production française oscille, selon les jours, entre 0 (pas de vent) et 18 % (en pointe), avec une moyenne de 6,9 %.

Pragmatisme

Les centrales sont installées. Elles nous valent le mix énergétique le plus décarboné du monde. L’introduction des éoliennes dans ce mix dégrade cette performance, en sus des dégâts multiformes qu’elles occasionnent. Toute personne consciente de la menace climatique acceptera, par pragmatisme, le parc électronucléaire installé. Mais, il faut avoir conscience que seule une remise en cause de nos excès consuméristes pour atteindre la sobriété énergétique, évitera l’impasse, comme nous l’écrivions il y a déjà un demi-siècle et comme le modélisait le MIT (1972).

9 décembre 2022

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commentaires

A
merci Antoine , et bravo pour ce courage ; l 'écologie politique devra un jour ou l 'autre apparaitre dans toute sa force , cette étape nucléaire en est un jalon , continuons ensemble au MEI pour d 'autres jalons ; a bientot ,
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B
Bravo Antoine , pour ce plaidoyer courageux et parfaitement fondé. Bienvenue parmi les écologistes favorables au nucléaire propre et respectueux de l’environnement. Tu as été l’un des pionniers à la fois de l’écologie et de la lutte antinucléaire en France. Cet article marque un virage historique important et essentiel. Continue ton bon travail en faveur d’un monde meilleur et plus propre !<br /> Bien amicalement,<br /> Bruno
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T
Un texte courageux qui va à rebours des idées reçues vielles de 50 ans et qui sont effectivement devenues des idéologies. La leçon de bon sens à tirer c'est que la sobriété doit primer car aucune énergie n'est vertueuse et surtout pas les "renouvelables" . Sobriété énergétique qu'il faudrait coupler à la sobriété démographique pour qu'elle ne reste pas un doux rêve. Sommes-nous capables de sortir de nos utopies et de notre refus de décroître en toute chose?
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D
Entièrement d'accord avec votre analyse.
C
Avec ou sans nucléaire, est-il encore temps de remédier au manque de discernement qui a conduit l’humanité à proliférer au détriment de la Terre et de tout le vivant qui la peuple ?<br /> Invitation à lire le dernier article publié sur mon blog à ce sujet.
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D
Oui, il faut aussi évoquer cet aspect des choses, ainsi, entre 2000 et 2020 la population française a augmenté de presque 11 %, toutes choses égales par ailleurs, cela correspond à 5 à 6 réacteurs nucléaires, difficile d'en supprimer dans ce contexte. Diminuer la pression démographique est un élément essentiel pour diminuer la consommation et donc la pression sur la production.

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  • : Site consacré à l'écologie et à la construction d'une société durable, respectueuse de l'environnement Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal. Contact : economiedurable@laposte.net
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