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6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 17:48

Un article de Didier Paillard et Gaëlle Leloup paru dans La Recherche (avril-juin 2023)

Depuis la découverte des glaciations au XIXe siècle se pose la question d’un éventuel retour de ces périodes froides. Si la cause des alternances glaciaire-interglaciaire était alors débattue, le caractère périodique de ces changements passés était en revanche bien établi. Aujourd’hui encore, le « retour inéluctable des glaciations » est une opinion largement répandue. Pourtant, des scientifiques soulignent que l’effet de serre dû aux émissions anthropiques de CO2 aura vraisemblablement pour conséquence d’empêcher ce phénomène.

Si l’on en sait aujourd’hui davantage sur les mécanismes du climat et des glaciations, il y a peu d’études sur la question des glaciations futures ou de la fin de l’ère Quaternaire commencée il y a 2,58 millions d’années et encore en cours.

Les rapports du GIEC se focalisent avant tout sur le XXIe siècle, et l’habitabilité de notre planète dans les siècles ou millénaires à venir n’a pas fait l’objet d’études poussées. Les seuls acteurs sociétaux intéressés par ces recherches sont aujourd’hui les agences de gestion des déchets nucléaires (en France l’ANDRA), qui doivent discuter de la sureté à très long terme – le million d’années – des sites potentiels d’enfouissement. Par ricochet, elles doivent donc discuter du climat futur et du principal déchet industriel de notre époque : le dioxyde de carbone (CO2).

Depuis toujours le climat de la Terre est influencé par les gaz à effet de serre mais aussi par le forçage astronomique. Les glaciations de l’hémisphère nord à l’ère Quaternaire sont rythmées notamment par les variations de l’obliquité (l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport au plan de l’orbite, aujourd’hui 23,4°). Ces premières glaciations produites entre 3 et 1 millions d’années, survenaient tous les 41 000 ans. Toutefois, au cours du dernier million d’années, on constate que la périodicité était de 100 000 ans. Ceci s’explique lorsque l’on introduit la notion de seuil et d’hystérésis (*) pour la dynamique des calottes : elles basculent d’un état (déglaciation) vers l’autre (glaciation) seulement lorsque le forçage astronomique franchit un seuil critique ; et réciproquement dans l’autre sens (1) Par exemple, il y a 420 000 ans, la période interglaciaire a persisté près de 30 000 ans au lieu des 10 000 habituels, car les variations astronomiques étaient trop faible pour faire basculer le système. C’est encore le cas aujourd’hui et l’interglaciaire actuel devrait naturellement persister pendant 50 000 ans à condition que le cycle du carbone ne soit pas perturbé.

Or, dès 1901 le météorologue suédois Nils Ekholm (1848-1923) avait compris que le CO2 injecté par les humains dans l’atmosphère pourrait empêcher le retour à une ère glaciaire (2) Partant alors des niveaux anthropiques actuels de CO2, combien de temps faudrait-il pour revenir à des « niveaux naturels » de CO2 atmosphérique ? Et cela sera-t-il même possible d’y revenir ?

D'énormes progrès ont été faits sur l’étude du cycle du carbone à l’échelle du siècle, mais son fonctionnement à plus long terme reste mal connu. La théorie dominante fait l’hypothèse d’un retour à cet état naturel grâce à l’érosion des roches silicatées qui constituent la majeure partie de la croûte terrestre : s’il fait plus chaud et humide, l’érosion augmente et consomme du carbone atmosphérique « acide » (CO2) pour le transformer en carbone basique (HCO3-), ce qui permet de diminuer l’acidité des océans et, au final, de précipiter du carbonate de calcium (CaCO3). Il s’agit probablement, d’ailleurs, du principal thermostat de la planète permettant de garder de l’eau liquide sur Terre depuis plus de quatre milliards d’années. Mais les flux sont très faibles, et le retour à l’équilibre ancien par ce mécanisme seul nécessiterait des centaines de milliers d’années.

Va-t-on sortir du Quaternaire ?

En outre, cette idée est avant tout théorique et ne prend pas en compte l’influence du cycle organique du carbone : En effet, une part non négligeable du carbone enfoui ou exhumé l’est sous forme organique (c’est-à-dire des molécules variées issues de la décomposition d’organismes qui peuvent à long terme devenir du pétrole, charbon ou gaz) avec une dynamique sans doute bien plus complexe qu’un simple retour à l’équilibre à travers une réaction chimique acido-basique. Ainsi, les données paléo-océanographiques montrent avant tout d’importants changement dans le rapport isotopique du carbone des carbonates (13C/12C), ce qui est le cycle de modifications majeures dans le cycle organique du carbone (3). Ces variations sont elles aussi rythmées par l’astronomie, avec un cycle de 400 000 ans correspondant aux variations de l’excentricité de l’orbite terrestre. Toutefois, le signal est dominé par des cycles de plus grande amplitude avec une pseudo-périodicité de l’ordre de 8 à 9 millions d’années, pour des raisons aujourd’hui mal comprises.

Une nouvelle hypothèse consiste à introduire de nouveau la notion de seuil et d’hystérésis, mais cette fois dans le cycle du carbone planétaire pour expliquer ces grandes oscillations. En effet, si le cycle du carbone possède plusieurs modes de fonctionnement privilégiés, les variations astronomiques peuvent occasionnellement le faire basculer d’un mode à l’autre à très basse fréquence, ce qui permettrait de mieux rendre compte de ces variations dans le passé (4) Pour le futur, cela suggère qu’il ne sera pas aisé de revenir à l’état initial si la perturbation dépasse un certain seuil.

Ces éléments nous indiquent que le retour éventuel des glaciations n’est pas pour demain : dans 50 000 ans s’il n’y avait pas de perturbation anthropique ; dans plusieurs centaines de milliers d’années si l’on fait l’hypothèse d’un écart temporaire au Quaternaire avec un « retour à la normale » reposant sur l’érosion des silicates ; dans bien plus longtemps encore s’il existe des phénomènes de seuil et d’hystérésis dans le cycle du carbone terrestre ; seuils que nous sommes peut-être en train de franchir ; et peut-être jamais dans la mesure où la fonte totale des calottes groenlandaise et antarctique nous ferait clairement sortir du cadre Quaternaire dans lequel l’humanité s’est jusqu’à présent développée.

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(*) Dans un phénomène d’hystérésis, la réponse d’un système à une variation de paramètre physique ne dépend pas uniquement de l’amplitude de cette variation mais aussi d’un effet de « mémoire » du système qui retarde la réponse.

  1. D. Paillard, Nature, 391, 378, 1998.
  2. N. Ekholm, Q. J. R. Meteorol. Soc., 27, 1, 1901.
  3. S. Boulila et al., Earth Planet. Sc. Lett., 317, 273, 2012.
  4. G. Leloup et D. Paillard, soumis à Earth Syst. Dyn., doi : 10.5194/esd-2022-46, 2022.

Article paru dans la revue la Recherche numéro 573 (avril-juin 2023), p.58 dans le cadre d’un dossier sur les paléoclimats. Merci à La Recherche de nous avoir donné son autorisation de publication. Cet article était illustré d’une photo des calottes groenlandaises en Arctique. Il est par ailleurs également disponible sur le site de La Recherche via ce lien.

Auteurs : Didier Paillard, climatologue à Paris Saclay, spécialiste de la modélisation des climats anciens et Gaëlle Leloup, climatologue à Paris Saclay, doctorante réalisant une thèse sur la modélisation des climats.

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