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21 août 2024 3 21 /08 /août /2024 10:48

 

un article de Gilles Lacan

Partons du constat que les événements majeurs pour l’avenir de l’humanité sont désormais le réchauffement climatique, causé par l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre (GES), d’une part, et l’effondrement de la biodiversité, consécutif à l’expansion géographique de l’espèce humaine, d’autre part.

Ces phénomènes sont établis et documentés par les études scientifiques, dont l’opinion dominante est qu’ils échappent progressivement à tout contrôle.

 

 

La logique économique du système s’est avérée plus forte que la volonté politique de le réformer

Les émissions de GES résultant de l’activité économique ne cessent d’augmenter à l’échelle de la planète, alors qu’il faudrait qu’elles diminuent fortement pour stabiliser la concentration de ces gaz dans l’atmosphère. Les températures vont donc continuer de progresser à due proportion – sans doute même de manière accélérée compte tenu de plusieurs points de bascule (tipping points) - pour atteindre des niveaux ayant une incidence sur la santé des populations concernées et sur la survie d’une partie d’entre elles.

Quant à l’effondrement de la biodiversité, déjà en partie réalisé, il est directement corrélé à l’accroissement du nombre des humains, à leur occupation de la totalité des territoires habitables et à la satisfaction de leurs besoins élémentaires, quel que soit par ailleurs leur niveau de richesse. Le déclin massif des populations animales est apparu au cours des années 1970, lorsque l’humanité a atteint puis dépassé le seuil des 4 milliards d’individus ; depuis il n’a fait qu’empirer. Aucune correction de cette tendance n’est envisageable sans une diminution quantitative de l’espèce humaine, qui occupe depuis des dizaines de milliers d’années le sommet de la chaîne de prédation. Rappelons qu’au sein de la classe des mammifères terrestres, l’homme et les animaux domestiques représentent aujourd’hui 96 % de la masse corporelle totale, la faune sauvage 4 %.

A cela s’ajoutent d’autres menaces directement ou indirectement liées à l’environnement comme la pénurie énergétique, consécutive à l’épuisement progressif des ressources pétrolières, ou la dégradation des sols, qui réduit la productivité des terres à l’hectare et met en péril l’alimentation des pays pauvres.

Bien sûr, aucune de ces perspectives n’a de caractère inéluctable. Divers évènements, comme celui d’un conflit mondial, peuvent en perturber le cours et précipiter l’humanité vers d’autres possibles, pas forcément meilleurs. Mais il est constant que les stratégies d’évitement du réchauffement climatique mises en œuvre depuis le sommet de Rio en 1992 ont été inopérantes, en tout cas incapables d’arrêter la poursuite d’un phénomène pourtant identifié, circonscrit et quantifié. Et ce malgré les progrès de la technologie, censée concilier croissance et environnement sur la base du concept de développement durable. La logique économique du système s’est avérée plus forte que la volonté politique de le réformer.

Anticiper les situations de stress et de pénurie pour mieux y résister le moment venu ou, comme le disait Kennedy, « réparer sa toiture lorsque le soleil brille » 

C’est dans ce cadre contraint qu’il faut envisager l’avenir d’un point de vue écologique. Les scientifiques le répètent à l’envi, l’évitement d’un dérèglement majeur du climat n’a plus désormais de réelles chances d’être atteint. De surcroît, la recherche d’un tel évitement n’a de sens qu’à l’échelle mondiale. Un pays comme la France n’a pas la dimension suffisante pour y contribuer de manière significative. Aucun grand pays ne le fait, du reste… les hommes ne sont pas des colibris. Il est dès lors plus réaliste d’essayer de s’adapter par avance aux changements majeurs qui sont annoncés.

Pour autant, un tel choix n’est pas synonyme de facilité. Il s’agit, en effet, de renforcer dès maintenant les capacités de résilience des différents territoires afin de leur permettre d’affronter les conditions qui y prévaudront par la suite. Anticiper les situations de stress et de pénurie pour mieux y résister le moment venu ou, comme le disait Kennedy, « réparer sa toiture lorsque le soleil brille ».

Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché dans l’ordre interne, les politiques de relocalisation en assurent la régulation au niveau de l’Etat, là où s’exerce la souveraineté

Dans un monde en proie aux événements climatiques extrêmes, la résilience du système pris dans son ensemble comme dans chacune de ses parties doit être prioritairement recherchée dans l’instauration d’espaces économiques autonomes. Ceux-ci sont en effet moins vulnérables qu’un espace global intégré, à la fois parce que chaque territoire est autosuffisant en ressources et parce que les territoires dans leur ensemble se trouvent mutuellement protégés des réactions en chaîne en cas de défaillances survenues dans l’un d’entre eux.

Les politiques de relocalisation matérialisent un tel projet. De surcroît, à la différence des stratégies d’évitement, elles produisent l’essentiel de leurs effets dans les espaces où elles sont appliquées. Elles se heurtent toutefois à deux obstacles. Le premier est que dans un système mondialisé, soumis au principe de la libre concurrence, un Etat ne peut pas relocaliser la production de ses biens sans recourir au protectionnisme. Le second obstacle est qu’en privilégiant, contre le marché, leur production nationale, les gouvernements prennent le contrepied d’un des principes de base du libre-échangisme, formulé par Ricardo mais combattu par Malthus : la théorie des avantages comparatifs.

Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché dans l’ordre interne, les politiques de relocalisation en assurent la régulation au niveau de l’Etat, là où s’exerce la souveraineté, dans les échanges avec le reste du monde.

En ce qui concerne la France, une relocalisation effective devrait entraîner un redéploiement de l’activité depuis le secteur des services vers ceux de l’agriculture et de l’industrie, de manière à ce que soient produits sur le territoire national les biens considérés comme stratégiques. Un tel rééquilibrage n’est pas optionnel, il conditionne le rétablissement de notre souveraineté alimentaire et industrielle.

L’offre de services aussi serait réduite, y compris en matière de santé et de soins à la personne. L’espérance de vie devrait diminuer

Il ne faut pas sous-estimer, par ailleurs, l’impact d’une politique de relocalisation sur la consommation et le niveau de vie des ménages. Les pertes de productivité devraient être lourdes, du fait notamment de la différence entre le coût du travail en France et celui pratiqué dans les pays dont nous importons les produits : le salaire mensuel minimum est de 300 € en Chine, 165 € au Vietnam, 88 € au Bangladesh, 24 € en Ethiopie. Nous devrions payer le surcoût consécutif à ce différentiel, auquel s’ajoutera par ailleurs celui causé par le renchérissement de l’énergie.

Les biens aujourd’hui importés coûteraient donc plus cher, ils seraient moins accessibles. L’offre de services aussi serait réduite, fournie par des actifs moins nombreux, tant dans le secteur public que dans la sphère marchande, y compris en matière de santé et de soins à la personne. L’espérance de vie devrait diminuer.

Il s’agirait, en réalité, d’une décroissance d’adaptation : ni vraiment subie, parce qu’organisée pour éviter l’effondrement, ni vraiment voulue, parce que fondée sur une régression par rapport à l’actuel niveau de vie.

La décroissance n’est pas une idéologie, un changement de paradigme ou d’imaginaire porté par un homme nouveau, enfin devenu bon mais qui (heureusement) n’existe pas. C’est l’organisation raisonnée, pour assurer notre propre perpétuation, d’un ralentissement durable de la production et de la consommation.

Gilles Lacan

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commentaires

T
Je suis tout à fait d'accord avec les politiques proposées dans ce texte, elles me paraissent les seules appropriées dans la situation où nous nous trouvons.<br /> Je m'interroge pourtant sur la capacité des peuples à les suivre . Nous n'accepterons jamais massivement de sacrifier aujourd'hui, la moindre part de ce que nous estimons un dû : confort, droits, pouvoir d'achat etc...pour protéger le futur.<br /> A moins d'un régime autoritaire mondialisé....<br /> Mais j'espère être trop pessimiste.
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D
Oui, l'effondrement et / ou la dictature sont deux solutions possibles. Hélas elles ne sont ni improbables ni même alternatives, nous aurons peut-être les deux, la seconde n'évitant pas forcément la première..
D
De nouveau beaucoup de lucidité dans cette analyse de Gilles Lacan. Résilience, Relocalisation et Protectionnisme, voilà trois grands axes - d'ailleurs liés- qui doivent nous guider.
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