Que penser d’une politique qui consiste à disséminer un peu partout dans nos bureaux et nos maisons un objet qui à la fois contient des matières dangereuses et émet une pollution d’ordre électromagnétique non négligeable jusqu’à une distance de 2 mètres ? A priori, vous vous dites que c’est un choix qui fait fi de l’écologie et du développement durable … Erreur ! Celui-ci s’inscrit dans le droit fil du Grenelle de l’environnement et a été adopté au niveau européen : il s’agit de supprimer progressivement dés 2009 les ampoules à incandescence et de les remplacer par des ampoules dites basse consommation qui intègrent du mercure. En clair, un choix de court terme a été effectué : moins d’énergie consommée tout de suite, mais du mercure un peu partout sans que soit mis en place un circuit de ramassage draconien des ampoules usagées, et des risques à long terme pour la santé humaine. Silence des écologistes. Est-ce un oubli ?
Ce silence n’est peut-être que la résultante du mépris habituel de nos élites politiques pour la technique ; regarder concrètement ce qu’implique un changement dans la vie des gens n’est pas de leur ressort : c’est à la population civile de s’adapter et d’encaisser les méfaits générés par les impensés des choix effectués en haut lieu. Comment expliquer autrement que rien ne soit prévu pour collecter de façon systématique les ampoules à mercure distribuées à millions ? Peut-on raisonnablement parier, au vu de la dangerosité du produit, sur un comportement citoyen de tous les acteurs, quand on connaît les pourcentages très mitigés constatés dans le tri des ordures ménagères ?
Il est vrai que ce silence fait suite à d’autres silences du même type. D’abord deux exemples, dans la construction. La Réglementation Thermique des bâtiments (la RT 2005, et encore plus la RT 2010) encourage les ventilations mécaniques dites double flux qui permettent de récupérer les calories présentes dans les bâtiments, donc comme pour les ampoules basse consommation, des économies d’énergie. Ce qui n’est pas dit, c’est que ces systèmes supposent à la fois une dégradation de la qualité de l’air (l’air n’aime pas les tuyaux et y perd ses ions négatifs) et une tuyauterie compliquée souvent peu accessible dans sa totalité, d’où une maintenance complète quasi impossible ce qui implique de vrais risques pour les habitants (moisissures dans les conduits, air pollué, etc.) Ici encore, le choix est dicté par la facilité et la non-prise en compte des effets à long terme, alors que d’autres solutions, plus complexes, réclamant plus d’intelligence, jouant notamment sur l’inertie des matériaux et aussi la façon d’habiter, existent.
Les nouvelles réglementations thermiques impliquent aussi le recours accru aux matériaux isolants. Mais de sérieux doutes pèsent sur l’innocuité des isolants minéraux comme la laine de verre, particulièrement utilisée en France. Sans compter que ce type de produit consomme tant d’énergie lors de sa fabrication que son rendement en est grandement compromis, certains calculs allant jusqu’à montrer que l’opération dans la durée est quasi nulle. Mais avez-vous entendu un appel solennel des écologistes à éviter ces techniques, ces produits ?
Encore un exemple ? Alors parlons de l’aide apporté par l’état qui finance la moitié du prix des poêles à bois ? Est-ce raisonnable d’encourager au nom de l’écologie un mode de production de chaleur qui génère l'émission de particules dangereuses, sans imposer dans un même mouvement l’installation de filtres à particules ? Mais pourtant nulle protestation de la part des écologistes.
Ces points sont techniques, et après tout les écologistes ne sont sans doute que des politiques comme les autres, même si on avait pu espérer que l’écologie soit porteuse d’autres valeurs et d’autres attitudes, plus proches du réel et de la vie des gens. Mais au-delà de l’explication traditionnelle pour le mépris de la technique de nos politiques, il n’est pas interdit de chercher d’autres raisons à ce silence des écologistes.
Car les exemples précités heurtent certaines croyances écologistes.
D’abord, ils remettent en cause l’idée que l’évolution vers une société à moindre empreinte écologique puisse se faire sans efforts significatifs de l’ensemble de la population. Installer des filtres à particules pour le chauffage à bois coûte cher, actuellement 1500 euros par filtre. Utiliser des produits naturels pour isoler comme la laine de bois, le chanvre ou le liège coûte cher, bien plus cher que le polystyrène et les laines minérales, et s’il faut les accompagner d’une pose précise et soigneuse pour éviter les ponts thermiques, cela implique une forte augmentation du nombre d’heures de travail dans la construction et là aussi des coûts croissants. Poser des briques de terre crue, cela renforce la capacité des maisons à stocker la chaleur en hiver et la fraîcheur en été, cela régule l’humidité et accroît le sentiment de confort, mais c’est cinq fois plus long que de poser une simple cloison. Installer un poêle de masse, c’est au minimum dix mille euros. Si on choisit de bons matériaux, sains pour la santé, si on choisit des techniques durables, on ne peut pas faire croire que la mise aux normes ‘basse consommation’ de nos habitats anciens et futurs pourra être simplement financée par les économies d’énergie générées calculées sur le prix actuel moyen de l’énergie. Cela suppose que la part dévolue au logement dans le budget des ménages va sensiblement augmenter, vraisemblablement au détriment des loisirs ou de l’habillement, la nourriture risquant là aussi de voir sa part s’accroître. Cela signifie que les politiques et notamment les écologistes doivent annoncer qu’une politique écologique va heurter nettement les habitudes actuelles de consommation. Sont-ils prêts à le faire ?
S’interroger sur la pertinence de la technologie des ampoules basse consommation, c’est aussi s’interroger sur notre croyance en la capacité rapide de la R&D de trouver des solutions économes dans un délai proche. Peut-être pouvons-nous nous rappeler les leçons de Jacques Ellul et garder un œil critique sur les propositions des scientifiques et des industriels, même si ces propositions économisent l’énergie …quitte en attendant à modifier nos habitudes. Constater la dégradation rapide des équilibres écologiques et ne pas croire en une technique ‘père Noël’ qui sait tout résoudre pour peu qu’on le veuille, c’est abandonner l’idée du Progrès, ce rêve de facilité, et pour des politiques c’est devoir dès maintenant prendre des mesures fortes. Car gouverner, c’est prévoir et non faire des paris sur des inventions à venir qui nous éviteraient de nous remettre en question. Là encore, les écologistes politiques sont-ils prêts à le faire ?
La question du contrôle social.
N’oublions pas non plus que le mouvement écologiste s’est construit dans l’ambiance libertaire des années 70, non sur un refus technique du nucléaire lié aux risques provenant de la technologie employée, mais principalement sur le refus des contraintes sociales qu’impose à la société le nucléaire. C’est-à-dire le refus d’une société incapable de supporter le désordre, le refus d’une société policière … car bien évidemment le nucléaire suppose d’être surveillé.
Alors, le mouvement écologiste d’aujourd’hui peut-il réclamer la mise en place d’un système draconien de récolte des ampoules à mercure, système qui implique nécessairement un contrôle social fort ? Coincé entre la nécessité de faire baisser la consommation électrique et ses racines libertaires, il fait l’impasse. Mais qu’il le veuille ou non, une société à moindre empreinte sur notre biotope ne pourra fonctionner qu’avec un contrôle social accru. Reparlons des déchets : si on applique le principe payeur-pollueur, la taxe d’ordures ménagères devrait être remplacée par une facturation au poids responsabilisant chaque acteur …mais à condition que certains n’aillent pas verser leurs ordures dans la campagne.
Comment alors échapper à la nécessité d’une surveillance sociale, d'un contrôle fait par la collectivité ?
Dépenser et consommer moins, être plus contrôlé. Il y a des choix difficiles à assumer, mais les taire est encore pire. A quand le débat ?