C'est Maintenant ! 3 ans pour sauver le monde
Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean
Editions du Seuil, janvier 2009 : 19,5 Euros
Le ton est donné dés le titre et le clou enfoncé dés le sous titre. Non seulement le problème est sérieux, mais il y a extrême urgence. Tandis que " Le plein s’il vous plaît " était avant tout consacré à l’énergie, ce nouvel ouvrage fait la part belle à l’économie et aux solutions radicales à mettre en œuvre.
J-M Jancovici et A Grandjean souhaitent nous faire partager plusieurs messages :
- Les menaces qui planent sur notre planète sont graves et leur trouver une solution est urgent. Il reste très peu de temps pour initier les mesures qui renverseront la vapeur.
- Il y a déconnexion entre l’univers économique dont les " performances " sont mesurées par des indicateurs monétaires et les réalités physiques de notre monde. Celles-ci auront forcément le dernier mot au-delà de toutes les idéologies. Nous devons reconnecter nos activités aux possibilités de la planète. Les auteurs rappellent régulièrement que le PIB n’est qu’une mesure de flux et non d’enrichissement et que " l’argent n’achète que les hommes ". Ce monétarisme exclusif nous masque les réalités. Beaucoup d’économistes semblent hélas l’oublier.
- Il nous faut réfléchir et agir sur le long terme. La plupart de nos dirigeants travaillent aujourd’hui sur des échéances beaucoup trop courtes.
- Nous devons mettre en place rapidement un plan ambitieux monopolisant toutes les énergies comme cela a déjà été le cas pour la reconstruction européenne après la seconde guerre mondiale ou pour le projet Apollo. C’est la réussite de ces plans qui semble donner aux auteurs un peu d’optimisme. De façon générale J-M Jancovici et Alain Grandjean militent pour un renforcement du rôle de l’état, seul capable d’orienter la société vers les adaptations nécessaires. Ils nous convient à une véritable économie de guerre contre la destruction planétaire.
- Ce grand projet peut et doit se réaliser dans un cadre démocratique comme d’ailleurs l’ont été les précédents. Pour autant, cela ne suppose pas que les leaders politiques suivent aveuglement l’opinion publique et les sondages. Ils doivent au contraire savoir tenir un langage de vérité. Nombreuses sont les références à l’attitude de Charles de Gaulle ou à celle de Winston Churchill. Si nous tardons trop, la démocratie pourrait être la première victime de l’effondrement de nos sociétés, c’est l’une des raisons de l’urgence.
L’ensemble est à plusieurs reprises illustré par l’histoire romancée de l’effondrement de l’île de Pâques. Le monétarisme (le " coquillagisme ") et le symbolisme y ont pris peu à peu le pas sur les réalités matérielles. C’est là une caricature réussie du monde d’aujourd’hui. Les auteurs s’offrent un petit plaisir en imitant Galilée qui faisait défendre les différents points de vue par deux personnages. Ici nous faisons connaissance avec deux pseudo énarques : le bon qui est réaliste et l’incompétent qui croit savoir compter mais ne compte que ce qui, justement… ne compte pas : L’argent.
La connaissance qu’ont les deux auteurs de leur sujet et en particulier des ordres de grandeur donne beaucoup de force à leur argumentation. Le " démontage " des énergies renouvelables en tant que solution pour les trois ou quatre décennies à venir est imparable quoi qu’en pensent les "verts" (bois et hydroélectricité exceptés).
Concernant les méthodes et les solutions à mettre en œuvre, cet ouvrage ne cherche pas à brosser le lecteur dans le sens du poil ; encore qu’on puisse soupçonner J-M Jancovici et A Grandjean de fort bien savoir que tous leurs lecteurs ne sont pas des fans de Claude Allègre ou de Jacques Attali.
La tendance générale est martelée dés la page 67 :
" Il est grand temps de se réveiller et d’ouvrir les yeux. Nous allons devoir réduire notre consommation matérielle parce qu’elle a atteint un niveau qui n’est tout simplement pas durable. "
Tout au long de leurs propos J-M Jancovici et Alain Grandjean mettent en garde contre la croyance en un progrès qui nous autoriserait tous à être de plus en plus riches et de plus en plus consommateurs. Le progrès ne sera pas cette fée qui nous permettrait d'échapper aux contraintes liées à la finitude de la planète.
Le plan d’action qui occupe toute la fin du livre relève du bon sens et se montre cohérent. Il paraîtra sans doute révolutionnaire aux partis traditionnels.
Tous les aspects de l’organisation sociale sont à revoir, le travail, les déplacements, la formation, le logement, l’urbanisme l’attitude face à la consommation… Il nous faudra renoncer, non pas au bonheur, mais à une forme de luxe qui nous paraît aujourd’hui normale et qu’en réalité l’humanité n’a connu que très récemment (et encore, pas partout, loin de là).
Enfin les commentaires sur les compétences et le courage de nos hommes politiques sont hélas aussi sévères que justes. Pour la plupart, ces derniers n’ont pas une connaissance du problème supérieure à la moyenne. Les réactions puis les premières mesures prisent contre la crise récente l’illustrent à merveille : favoriser le l’automobile et le transport aérien était peut-être la dernière chose à faire.
Quand par bonheur, on observe malgré tout une lueur de lucidité C’est le courage ou la volonté d’agir qui fait défaut : On ne heurte pas les électeurs surtout dans un système ou par exemple on vient de réduire la durée du mandat présidentiel. Nos hommes politiques sont pour la plupart des " court-termismes " par excellence.
Deux petites réserves cependant :
La première, qui n’étonnera pas les lecteurs de ce blog, concerne le peu de place consacré à la question démographique. Si les auteurs affirment bien (p.68) que : " Même s’il est politiquement incorrect de le rappeler, l’explosion démographique est l’un des déterminants majeurs de l’accroissement de la pression de l’homme sur son environnement " Ce sont les seuls mots consacrés au problème. Deux lignes et demi sur 273 pages c’est assez peu court pour un " facteur déterminant " voir selon nous, pour le facteur déterminant. Pas un mot non plus donc sur les éventuelles solutions.
C’est d’autant plus étonnant que Jean-Marc Jancovici a souvent montré sa sensibilité à la question. Dans ses écrits comme dans ses interventions il répète à l’envie, et avec raison, que " c’est la dose qui fait le poison ". Dans " Le plein s’il vous plaît ", il rappelait (p.56) que " En fait, le miracle énergétique serait parfaitement possible si nous étions 50 millions d’hommes sur Terre ". Il n’hésite pas à présenter dans ses conférences le célèbre graphique qui montre l’évolution de nos effectifs depuis la révolution néolithique. Graphique dont la courbe effrayante tend clairement vers une asymptote verticale.
Nous ne pouvons soupçonner les auteurs d’avoir peur de dire les choses qui fâchent, c’est même leur activité préférée, mais leur ouvrage est en bonne partie consacré aux solutions, et ce point, il est vrai, n’est pas facile à traiter : Comment faire sensiblement baisser la natalité ? Par le développement disent les économistes ! En discuter ici nous entraînerait loin !
Ajoutons que le sujet démographique est encore sensible. La société est peut-être proche de comprendre le message sur la nécessité de changer son mode de vie. Elle semble plus loin de comprendre la nécessité de modifier sa démographie. Aussi, insister sur ce point aurait contribué à rendre inaudible le message de ce livre qui se veut pragmatique.
La seconde réserve, plus nuancée, porte sur la fable de L’île de Pâques. Image savoureuse, elle décrit sans doute assez bien ce qui s’est passé là-bas. Toutefois c’est une caricature du système capitaliste, Peut-on la généraliser ? On a vu en effet la société communiste qui n’était pas aussi obsédée par les questions monétaires ne pas se soucier du tout de l’environnement. On peut parier que si le modèle avait perduré quelques décennies de plus, la planète ne serait guère en meilleur état. Seule, probablement, la faible densité de son peuplement à permis à l’ex-URSS de ne pas connaître un effondrement écologique.
Admettons cependant que comme l’île de Pâques et ses statues, le communisme accordait aux symboles une grande importance. Le capitalisme et le monétarisme ne sont pas seuls en cause dans la destruction environnementale. D’autres types d’organisation en sont capables.
Enfin, une remarque qui ne constitue pas une critique mais une véritable interrogation. Tout au long du texte, les auteurs nous disent que nous devons nous mettre nos économies en adéquation avec les réelles capacités physiques de notre planète. Pour une bonne part, cela nécessite de réduire les flux et les quantités consommées, c’est le contraire de la croissance. Or ce livre ne dit pas un mot sur les théories de la décroissance. Bien entendu, il y a parmi les défenseurs de ces idéologies quelques farfelus mais on trouve aussi des travaux sérieux et remarquables. On aimerait avoir l’opinion de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean sur les analyses de quelqu’un comme Serge Latouche. De la même façon, leur critique du progrès comme solution à tous nos maux serait à rapprocher des réflexions de Jacques Ellull, de Jacques Neirynck ou d’André Lebeau qui ne sont pas évoquées. On trouve également beaucoup de proximités entre les propos d’un Antoine Waechter sur la nécessité de changer radicalement de mode de vie et ce que suggèrent nos deux auteurs.
Autres livres du ou des auteurs sur des sujets connexes, Le plein s’il vous plaît (Seuil), L’effet de Serre (Flammarion), L’avenir climatique (Seuil) et récemment : Le changement climatique expliqué à ma fille (Seuil). Voir également Le site internet Manicore.