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23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 07:44

A propos de la nouvelle liaison Lyon - Turin

 

Il y a le projet d'aéroport de Notre Dame des Landes, il y a ces grands stades que les métropoles veulent construire, il y a toutes ces infrastructures de prestige, musées, palais des congrès, complexes sportifs, réseaux de transport, médiathèques ... qui nous renvoient à l'image que nous avons bien voulu donner d'un monde toujours plus riche, avec à disposition beaucoup de moyens financiers et matériels tant au niveau de la collectivité qu'au niveau de chaque particulier capable d'accepter aisément des impôts croissants pour financer les dépenses initiales comme les coûts de fonctionnement. Tous ces projets sont construits sur l'hypothèse d'une société en claire croissance économique, basés qu'ils sont sur toujours plus de transports à effectuer, plus de tourisme pratiqué, plus de ressources affectées à des moments récréatifs, plus de temps à gagner pour aller toujours plus vite.

C'est juste oublier qu'entre la redistribution en cours liée à la mondialisation de l'économie et les coûts engendrés par la rencontre brutale que nous vivons avec les limites de la planète (1), la croissance a déserté l'Occident : nous sommes en croissance zéro depuis 6 ans et les Etats-providence sont en déficit, pour ne pas dire en faillite, incapables qu'ils sont ou de rembourser leurs dettes ou même pour certains de seulement les contenir.

Comment alors se réjouir que la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin (2) soit enfin sur les rails ? Voici encore un projet coûteux, 26 milliards d'euros de coût total du projet, selon une estimation de la Cour des comptes (3); et qui repose sur des extrapolations de trafic irréalistes, toutes basées sur l'idée que les échanges entre la France et l'Italie doivent fortement s'accroître (4), tournant le dos à toutes les réflexions engagées autour de la nécessaire relocalisation de pans entiers de nos appareils productifs si nous souhaitons relever les défis d'une transition écologique indispensable à la préservation du monde que nous connaissons. Il est vrai que ce projet pharaonique ferait gagner quelques heures sur le trajet ; est-ce si important quand le slow commence à être réhabilité ?

  Que signifie cette liaison Lyon-Torino ? Quel sens ont tous ces investissements publics de prestige ? Comment ne pas voir qu'il s'agit avec ces réalisations à la fois d'affirmer une confiance en le retour prochain de la croissance (dont l'absence actuelle est perçue comme une panne momentanée), et en attendant, de soutenir le secteur des travaux publics comme celui des médiateurs culturels qui peuplent les musées, les palais des congrès, les médiathèques et autres salles de spectacle ? Comment ne pas voir derrière les beaux discours justifiant ces chantiers qu'il s'agit en fait d'entretenir à grand frais l'hypertrophie des mondes du béton et de la mobilité, du sport-spectacle et de la culture de masse, (au sens économique : des bulles, mais sans charme!) au détriment de ce qui devrait faire l'essentiel de nos vies ?

Il y a dans tous ces projets l'entêtement d'un monde qui n'a pas vu le monde changer. Et qui pour se prolonger un peu met en péril les quelques marges de manœuvre dont nous disposons encore pour aller vers un futur plus équilibré et plus serein, enfin respectueux de la planète qui nous supporte et nous fait vivre. Difficile alors de ne pas voir dans la révolte qui court en France aujourd'hui l'exigence d'un retour à des projets modestes, en phase avec les moyens limités qui sont les nôtres (5) et avec ce qu'on devine des investissements matériels et humains à engager pour changer sérieusement de modèle.

Soyons réalistes et concrets, ne laissons pas le vieux monde nous étouffer ! 

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1 : Ces coûts ne sont pas toujours aisés à appréhender mais ils sont là et bien là ; du renchérissement du coût des matières premières (effet de rareté, coûts croissants d'extraction) aux coûts générés par les diverses pollutions (par exemple, dans une Terre bien plus vaste, le réchauffement climatique, comme la dégradation des océans ou des terres, serait plus dilué), qui se traduisent en accidents coûteux, par une baisse de rendement des terres agricoles, et par des états de santé dégradés générateurs d'inconfort et de dépenses de santé croissantes.

2 : "La ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin enfin sur les rails" , par Richard Heuzé in Le Figaro du 20/11/2013.

3 : "Lyon-Turin, piège à grande vitesse" , par Mathieu Martiniere, publié le 10/09/2013 in Slate.fr

4 : La non-réalisation de cette nouvelle ligne n'empêcherait pas le transfert d'une partie du trafic routier vers le train et les infrastructures actuelles ; voir les critiques exprimées par Daniel Ibanez, in "Lyon-Turin: les opposants demandent des innovations sur les trains de fret" par Michel DEPROST, publié le 19.11.2013, Enviscope.  

5 : La période pré-électorale qui s'ouvre, juste avant les prochaines élections municipales, pourrait être l'occasion de s'interroger sur des politiques d'investissement offrant bien des services aux administrés mais très coûteuses en ressources. Là aussi la décroissance peut être désirable. Demain des maires cost-killers ?

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commentaires

T
Merci pour cet article, merci aussi pour tous ces liens qui renseignent sur le sujet et l'on voit bien comment le lobbying, la course au profit et la courte vue règnent sans répit sur les hommes<br /> politiques.<br /> Je suis moins optimiste que vous sur la révolte actuelle qui parait surtout une défense des droits acquis quand le désir d'une autre vie , plus modeste reste bien marginal.
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