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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 10:04

Si l'écologie se prétend une idée neuve, l'amour de la nature est bien plus ancien. Jean-Baptiste de Lamarck l'avait exprimé à merveille, mais les savants n'épuisent pas la connaissance du monde, les poètes aussi ont des choses à nous dire, et ils n'ont pas attendu. Ainsi au XVIème siècle, Pierre de Ronsard demandait déjà pitié pour les arbres:

 

 Ecoute, Bûcheron, arrête un peu le bras.

 Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;

 Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force

 Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?

 

 Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur

 Pour piller un butin de bien peu de valeur,

 Combien de feux, de fers, de morts et de détresses

 Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?

 

 Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !

 Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers

 Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière

 Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.

 Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,

 Enflant son flageolet à quatre trous percé,

 Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,

 Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.

 

 Tout deviendra muet, Echo sera sans voix ;

 Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,

 Dont l'ombrage incertain lentement se remue,

 Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;

 Tu perdras le silence, et haletants d'effroi

 Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.

 

 Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,

 Où premier j'accordai les langues de ma lyre,

 Où premier j'entendis les flèches résonner

 D'Apollon, qui me vint tout le cœur étonner,

 Où premier, admirant ma belle Calliope,

 Je devins amoureux de sa neuvaine trope,

 Quand sa main sur le front cent roses me jeta.

 Et de son propre lait Euterpe m'allaita.

 

 Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,

 De tableaux et de fleurs autrefois honorées.

 Maintenant le dédain des passants altérés,

 Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés,

 Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,

 Accusent tes meurtriers et leur disent injures.

 

 Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens.

 Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,

 Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ;

 Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître

 Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers

 De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !

 

 Que l'homme est malheureux qui au monde se fie !

 Ô dieux, que véritable est la philosophie,

 Qui dit que toute chose à la fin périra,

 Et qu'en changeant de forme une autre vêtira !

 

 De Tempé la vallée un jour sera montagne,

 Et la cime d'Athos une large campagne ;

 Neptune quelquefois de blé sera couvert :

 La matière demeure et la forme se perd

 

                                   Pierre de Ronsard

                                   Elégies XXIV 

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commentaires

V
Bonjour,<br /> Je viens de tomber sur ton site et plus particulièrement cet article. Dommage qu’il soit un peu tard dans tout les cas Votre site est superbe et très bien expliqué.
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T
Vous illustrez bien le désenchantement de notre monde que produisent et les activités humaines de plus en plus nombreuses et l'accaparement de tout le territoire par notre espèce , nous laissant un<br /> monde rétréci, plat, sans échappatoires...même poétiques. C'est de la forêt que viennent les mystères et les légendes qui sont fondateurs de notre culture et de( feu?) notre capacité à rêver . Nous<br /> perdons beaucoup en perdant les forêts réellement naturelles. Sur un autre registre, je viens de lire qu'il y a eu 35 suicides à l'ONF depuis 2005, ONF qui a perdu un tiers de son personnel depuis<br /> 25 ans. Nous ne prenons soin ni des arbres ni des hommes!
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D
<br /> <br /> Nous ne prenons soin de rien. Vous avez écrit le mot terriblement juste : désenchantement.<br /> <br /> <br /> <br />