Fiscalité – Diesel – Gazole – Essence – Particules fines – Cancer – Coût de l'écologie
C'est un peu une histoire de fou. L'État français s'est débrouillé au fil du temps pour encourager une solution polluante et non-efficace économiquement, qui lui coûte annuellement 7 milliards en recettes manquantes.
De quoi s'agit-il ? Du diesel bien sûr. Les particules fines qu'il dégage contribuent à l'aggravation de la pollution urbaine pour un coût que Delphine Batho, ministre de l'écologie, estime entre 20 et 30 milliards chaque année. De plus la demande déséquilibrée en gas-oil pose problème à l'industrie du raffinage et contribue à augmenter nos déficits commerciaux.
Aucun avantage écologique, pas d'intérêt économique, et pas moins de raisons éthiques qui auraient pu justifier un écart de taxation de 18 centimes par litre correspondant à une remise de 30 % des taxes pesant sur l'essence (60 centimes de taxes pour l'essence, 42 pour le gas-oil).
Et c'est bien ce rabais sur le gas-oil qui a fait basculer en trente ans le parc automobile français vers le diesel. Rabais accompagné, il faut le reconnaître par le mode de détermination du bonus-malus automobile qui favorise les petites voitures diésélisées.
Comment en est-on arrivé là ?
Il y a eu la volonté de donner un coup de pouce à des professions malmenées par le développement économique de nos dernières décennies comme les agriculteurs, les pêcheurs et les routiers qui bénéficient largement de la fiscalité allégée sur le diesel, ainsi que le rappelle la Cour des comptes dans son rapport rendu public le 1er mars 2013.
Il y a eu dans la foulée du Grenelle de l'environnement le choix de favoriser les véhicules émettant moins de CO2, oubliant de prendre en compte la totalité de l'équation écologique et donc les autres polluants. Ce choix en rappelle un autre, fait ce dernier par les Pouvoirs publics européens, celui de favoriser les ampoules basse consommation consistant à se focaliser sur les économies d'énergie et oubliant la dangereuse dissémination de mercure ainsi favorisée. Comme si les pouvoirs publics ne savaient aborder les contraintes de pollution que sous un seul angle, alors que l'écologie est d'abord une exigence qui suppose de gérer subtilement la complexité des choses (1).
Il y a eu aussi une tendance électoraliste au laisser-faire, afin de faire plaisir aux automobilistes qui trouvaient là un moyen de rouler à moindre coût; tendance peu coûteuse au début avec moins de 5 % du parc, mais qui peu à peu est devenue politiquement difficile à remettre en cause avec un parc diésélisé devenu hégémonique.
Désormais les données de la problématique sont connues et la niche fiscale en faveur du diesel ne semble plus pouvoir tenir longtemps, et ce d'autant plus que l'État manque de ressources pour lutter contre les déficits. Et sur un plan moral, comment justifier qu'on aide plus longtemps en cette période impécunieuse des personnes qui, par leurs choix technologiques essentiellement guidés par un intérêt financier personnel, contribuent plus que d'autres à la dégradation de notre environnement.
Il reste cependant une question : comment gérer l'impact de la suppression de ce rabais fiscal pour l'immense majorité des français ? Car entre-temps ceux-ci se sont habitués à un coût de déplacement automobile relativement peu élevé et ont fait des choix structurants de long terme. Non seulement quant à leur voiture dont l'espérance de fonctionnement est supérieur à dix ans, mais aussi en termes de logement : Il n'est pas rare qu'un couple parcourt une centaine de km/jour pour remplir ses obligations professionnelles, et la suppression de la niche fiscale 'diesel' lui couterait approximativement 350 euros/an pour ces seuls trajets.
On retrouve là la problématique du coût de l'écologie. Notre monde s'est construit sur des fantastiques gains de productivité mais aussi en faisant l'impasse sur les risques portées par les techniques. C'est aujourd'hui le diesel qui se révèle cancérigène. Ce sont demain bien des matériaux et des solutions employés dans nos bâtiments pour les facilités et les économies qu'ils procurent (2) qu'il faudra sans doute revoir, avec là aussi des augmentations substantielles à la clef. Ce sont aussi nos pratiques agricoles, avares en main d'œuvre mais riches en pesticides et autres produits phytosanitaires, qu'il conviendra d'évaluer; ce qui pourra là encore déboucher sur des augmentations non négligeables.
Derrière cette niche qui valait 7 milliards (3), il y a une forêt qui se cache. Le souci de l'écologie va nous coûter cher, car sa prise en compte va dissiper une bonne partie de l'énorme amélioration quantitative de notre niveau de vie qui s'est faite depuis 60 ans au moins sur des impasses techniques dangereuses pour notre santé comme sur une exploitation insoutenable dans la durée des ressources de la planète. Mais a-t-on le choix ?
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1 : Il n'est peut-être pas illégitime de penser que les errances des politiques étatiques pourront à l'avenir largement compléter les pratiques d'obsolescence programmée pour accélérer la consommation. Après avoir incité à opter pour des automobiles diesel, l'État propose de les abandonner pour revenir à l'essence. Lorsque les pouvoirs publics prendront conscience du risque des ampoules au mercure, ne vont-t-ils pas nous proposer de nous défaire de ce qu'ils nous ont encouragé à acquérir ? De même pour les radiateurs électriques tant vantés par EDF et l'État français depuis 40 ans et qu'il faudrait mettre au placard alors que ceux-ci fonctionnent pour la plupart encore parfaitement (voir note n°2). A quand une remise en cause des fenêtres double vitrage en PVC aujourd'hui subventionnées et qui risquent demain d'être considérées comme élément d'une pollution dangereuse ? Idem pour les laines de verre ! Et pour en revenir aux voitures, encourager financièrement comme l'a fait l'État français ces dernières années la mise à la casse d'automobiles âgées de huit années, catalysées et en bon état mécanique, parcourant quelques milliers de km par an, revient à jeter des produits en bon état sans tenir compte de l'énergie grise nécessaire à la fabrication de leur remplaçante ; il est à craindre que le bilan de l'opération n'ait été négatif sur le plan environnemental, sans même prendre en compte l'encouragement au gaspillage qu'a pu susciter cette politique.
2 : le recours aux radiateurs électriques est par exemple aujourd'hui remis en question pour favoriser une nouvelle politique de l'énergie, comme le dit dans une interview à Actu-environnement le 11 février 2013 Cyrille Cormier, chargé de campagne Énergie Climat à Greenpeace France : 'Dans le cadre du plan de rénovation des logements, nous appelons à la dépose des chauffages électriques, de type convecteur, rayonnant, accumulateur, etc. pour les remplacer par des moyens de production de chaleur renouvelables'. Outre la facilité d'usage de ce mode de chauffage, son abandon signifie des travaux conséquents et coûteux.
D'autre part, des matériaux comme le PVC, la laine de verre ou certaines mousses isolantes font aujourd'hui l'objet d'interrogations sur leur innocuité ; les remplacer ne serait pas sans conséquences sur les coûts de construction.
3 : Les 7 milliards sont calculés à partir d'un alignement des taxes sur celles de l'essence. On peut cependant s'interroger sur le fait qu'il serait peut-être plus juste, puisque les voitures diésélisées sont plus polluantes et qu'elles consomment moins de carburant par km parcouru, que les taxes sur le gas-oil soient clairement plus élevées. Reprendre le différentiel de 18 centimes en le plaçant à terme au-dessus des 60 centimes de taxes dues sur le litre d'essence, voilà qui pourrait constituer un axe de réflexion.