C’est devenu une habitude d’énoncer que la transition écologique ne pourra se faire qu’en s’appuyant sur la recherche scientifique et la modernité (1) et non en se retournant vers le passé.
Cette affirmation est d’autant plus intéressante, outre qu’elle a une pertinence technique au moins partielle mais au sujet de laquelle il nous faudra revenir, qu’elle permet de rompre avec facilité avec une certaine idéologie écologique construite en partie sur des thèmes maurrasso-pétainistes.
Il y a d’abord l’idée d’une société toute entière qui aurait fauté en consommant trop et qui doit maintenant expier, à l’image de ‘l’esprit de jouissance’ dénoncé par Pétain dans un discours prononcé le 20 juin 1940 (2).
Il y a aussi la magnification d’une société enracinée dans la ruralité, avec la terre qui elle ne ment pas (3), se méfiant d’une culture urbaine ouverte au mouvement et au désordre.
Sans compter le thème récurrent d’une société souvent suspectée d’incapacité à prendre le virage nécessaire sans avoir recours à un homme providentiel autoritaire, traduisant ainsi une grande méfiance vis-à-vis des mécanismes de la démocratie élective que nous connaissons, reprenant en partie les critiques posées par Charles Maurras tout au long de son œuvre (4).
Refuser de retourner au passé, c’est aussi conjurer la vieille peur qui nous habite de se retrouver dans un monde où chaque homme est à la merci de la nature avec ses rigueurs immédiates et ses dangers, c’est refuser de se retrouver plonger dans le noir et le froid avec juste une bougie tremblotante pour s’éclairer. Et l’argument fonctionne bien depuis 40 ans, renvoyant souvent les écologistes dans les cordes … jusqu’à les amener eux aussi à ne jurer que par le progrès, la croissance verte et le développement durable. Position d’autant plus facile à prendre pour ces nouveaux politiques qu’elle leur permet de faire d’une pierre deux coups : promouvoir une transition écologique sans efforts plus facile à vendre électoralement, et s’éloigner de ces thèmes dont les relents pétainistes sont à leurs yeux d’autant plus nauséabonds que ces écolos patentés se revendiquent de gauche ou d’extrême-gauche. Et c’est d’ailleurs dans le même esprit qu’ils se refusent à tout examen de la question démographique, celle-ci sentant trop un malthusianisme insupportable à ces nouveaux thuriféraires du progrès économique social et écologique.
Alors, cette recherche scientifique au service de l’écologie ? Elle est évidemment indispensable, même si elle n’en est réellement qu’à ses débuts si on l’inscrit dans le cadre de la révolution technique mise en scène par l’Occident depuis quelques siècles.
Bien des choses peuvent se faire dans l’habitat, réduisant à la fois nos besoins en énergie tant lors de la construction que pendant l’occupation des locaux, en jouant notamment sur les biomatériaux comme sur une architecture bioclimatique limitant les pertes et améliorant notre capacité à capter simplement la chaleur du soleil.
Ou dans notre façon de produire, avec la biochimie et toutes les ressources de l’intelligence mise au service de l’économie de la production : recyclage, amélioration du rendement des moteurs, longévité accrue des produits, agrobiologie, etc.
Mais si cette recherche, fondamentale comme appliquée, est nécessaire, elle ne doit en aucun cas gommer les autres questions.
La Terre peut-elle supporter sans dommages écologiques de long terme une population humaine de 9 à 10 milliards prévue pour dans 40 ans ?
Ou un mode de production qui suppose des milliards de tonne/km pour jouer sur les disparités économiques et monétaires des différentes régions du monde ?
Ou une activité touristique intense et de long cours pratiquée aujourd’hui par un milliard d’individus ?
Ou même une organisation spatiale entre nos lieux de vie, de travail et de loisirs impliquant des déplacements de 100 km/jour par foyer ?
Croire que la solution à nos problèmes passe par la recherche, l’amélioration de l’efficience de nos systèmes, et quelques ajustements à la marge, comme évoluer du diesel à la voiture électrique, est une illusion dangereuse, retardant les mesures sérieuses qui doivent être prises pour sauver un biotope au bord du burn out.
Illusion car aucunes améliorations techniques telles que nous pouvons les envisager pour ce siècle ne nous permettront de faire vivre 10 milliards d’hommes comme vivent aujourd’hui les 30% d’américains les plus riches (5), et c’est pourtant ce que cherche une majorité des habitants de cette planète.
Illusion car cette dépendance addictive à la Recherche&Développement ne traduit que l’exacerbation de notre société technicienne décrite par Jacques Ellul, qui dans un même mouvement place l’homme au centre de tout et le rend soumis à la logique de la technique. Ce qui n’est pas pour rien dans la situation de catastrophe écologique vers laquelle nous nous dirigeons.
La solution passe, au-delà des progrès en efficience à mettre en œuvre, par une rupture de nos habitudes trop gourmandes en ressources ainsi que par une prise de recul sur les schèmes culturels qui nous animent. Et c’est là que le passé peut nous fournir des idées de solution. Car nos propres sociétés européennes étaient beaucoup plus économes jusqu’aux années 60, et étudier avec un œil neuf les solutions auxquelles elles avaient recours n’est pas inutile. Les potagers alimentaires près des habitations, elles connaissaient. La production et le commerce de proximité, elles connaissaient. L’unité spatiale entre le travail, le logement et les loisirs, elles connaissaient. La réflexion et la culture plutôt qu’une consommation abrutissante de masse, elles connaissaient.
Pourquoi ne pas s’inspirer de cette organisation-là ? Parce qu’elle nous rappelle le passé et un mode de vie moins urbain où les dépenses de logement et de nourriture étaient prépondérantes dans le budget des ménages, et que nous n’avons surtout pas envie de nous priver d’une bonne partie de tous ces nouveaux objets et services qui alimentent la croissance économique depuis un demi-siècle !
Nous n’avons cependant le choix qu’entre continuer comme aujourd’hui et voir l’état écologique de notre planète se dégrader inexorablement avec les conséquences négatives inévitables pour nos sociétés plus dépendantes que l’on croit vis à vis de la nature (6), ou opérer une rupture radicale. Rupture appuyée sur la recherche de l’efficience technique comme organisationnelle, mais rupture qui suppose aussi un changement en profondeur de nos modes de vie et l’abandon d’une consommation exagérée pour retrouver un fonctionnement plus proche de ce qu’ont connu nos grands-parents : des objets intégrants plus de valeur ajoutée et moins de produits toxiques ; avec moins de déplacements quotidiens et l’oubli des voyages lointains peu coûteux (7) ; avec des espaces urbains repensés et des métropoles en décroissance ; avec plus de maîtrise sur notre consommation quotidienne qui pourrait en partie être autoproduite (potager, cuisine à la maison, etc.) accompagnée par une réévaluation de l’économie domestique. Moins de consommation d’objets et de voyages, mais un monde moins pollué, avec une nourriture plus saine, avec une majorité de produits locaux et des loisirs plus simples, plus de culture et au total plus d’occupations à remplir, s’il faut une expression : une vita povera (8). Après tout, est-ce un monde moins attractif qu’aujourd’hui ?
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1 : Voir notamment l’argumentation développée dans l’émission C dans l’air intitulée: La fin d’un monde du 24.12.2012 par Philippe Dessertine à la 43’ et.par Gérard-François Dumont à la 59’.
2 : Discours rédigé par Emmanuel Berl, avec notamment la phrase suivante : Depuis la victoire [de 1918], l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on a servi. On a voulu épargner l'effort ; on rencontre aujourd'hui le malheur. On retrouve notamment un écho de ce thème dans le titre provocateur d’un livre d’Yves Paccalet L’humanité disparaîtra, bon débarras sous-entendant la faute et annonçant le malheur suprême.
3 : La terre ne ment pas in discours de Pétain du 25.06.1940. A noter par ailleurs que cet intérêt pour l’agriculture se retrouvait dans l'Hebdomadaire de l'agriculture et de l'artisanat, La Terre française contrôlé comme toute la presse française par le gouvernement du Maréchal Pétain et prônant entre autres choses le corporatisme agricole ; revue dans laquelle écrivait René Dumont, premier candidat écologiste à une élection présidentielle en France.
4 : C’est un thème récurrent dans la littérature écologisante d’insister sur le risque de la nécessité du recours à un régime autoritaire sinon dictatorial ; sur ce thème de l’homme providentiel, voir par exemple Jean-Marc Jancovici in C’est maintenant ! 3 ans pour sauver le monde. p.176, chapitre : Dictateur pas forcément.
Plus globalement, une réflexion sérieuse ne s’accommode pas de l’évacuation de ces 3 thèmes sous prétexte qu’ils auraient des relents maurassiens ou pétainistes. S’interroger sur la démocratie, l’urbanisation du monde ou la surconsommation sans entrave, et plus particulièrement de leurs rôles dans la crise écologique, est difficilement évitable.
5 : C’est en effet une absurdité de se caler sur l’empreinte moyenne des américains, déjà insupportable pour la planète si elle était généralisée, car le rêve consumériste est plutôt calé sur le mode de vie des américains les plus riches et oublie volontiers les américains pauvres.
6 : Sur ce thème et l’évolution négative prévisible du pouvoir d’achat dans le cadre de la poursuite d’une société de croissance, voir sur ce site l'article : Le pouvoir d'achat est-il soluble dans la croissance ?
7 : La creation de l'aeroport de Notre Dame des Landes ne peut alors representer dans ce cadre que le symbole d'un Vieux Monde qui ne comprend rien aux questions écologiques.
8 : Vita Povera : l’expression est construite en parallèle à celle d’arte povera ; ainsi la pauvreté n’est pas incompatible avec la beauté, l’énergie, la joie de vivre. Mais ce concept de vita povera est toutefois différent de celui de sobriété heureuse défendu notamment par Pierre Rabhi. Il insiste plus sur l’idée de pauvreté afin de marquer notre défiance vis-à-vis des nombreux discours écologisants qui tentent de masquer l’importance des changements et des sacrifices matériels à prévoir. Cette définition est extraite de l’article Qui a tué l’écologie politique en France ? publié sur ce blog le 27.01.2012.