Ces derniers jours, les prix relativement élevés du baril de pétrole conjugués à la faiblesse de l’euro par rapport au dollar ont conduit à une hausse du coût des carburants.
Comme de coutume en pareil cas, radios et télévisions nous ont abreuvés des récriminations des automobilistes nous assurant que "l’essence n’a jamais été aussi chère", que "bientôt nous ne pourrons plus rouler", que "l’Etat nous prend pour des vaches à lait", que… Enfin bref, en un mot que « c’est plus possible ».
La sensibilité sur cette question est une chose connue, mais elle est d’autant plus intéressante que ces propos sont tout simplement erronés et relèvent d'une erreur de perception.
Non, l’essence n’est pas chère. Non, l’essence n’est pas plus chère qu’avant. Non, les français ne se ruinent pas plus aujourd’hui pour faire le plein que dans les temps anciens.
Si plutôt que d’exprimer le prix des carburants en euros courants ou même en euros constants, c’est-à-dire en prix défalqués de l’inflation, on se donne le mal d’exprimer ce prix en heures de travail, ce qui en traduit mieux la valeur effective, on constate que sur les 30 dernières années, l’essence est au contraire devenue meilleure marché. Il faut travailler de moins en moins longtemps pour obtenir un litre de carburant.
Evolution comparée du Smic, du prix de l'essence et de leur ratio :
Années | Smic horaire | Prix d'un litre d'essence | Nb de litres pour une heure de travail | |
1980 | 2,0 € | 0,48 € | 4,2 | |
1990 | 4,9 € | 0,80 € | 6,1 | |
2000 | 6,4 € | 1,10 € | 5,8 | |
2010 | 8,9 € | 1,25 € | 7,9 | |
2012 | 9,2 € | 1,50 € | 6,1 |
Le smic horaire a été traduit en euros avant 2002 et arrondi au décime le plus proche, les prix de l'essence sont ceux du sans plomb arrondis au centime (valeur moyenne au cours de l'année, sauf bien sûr en 2012, où il s'agit des prix courant janvier).
On voit donc que si en ce début 2012, il y a bien eu légère augmentation des prix réels des carburants, tendanciellement sur 32 ans, les prix ont largement baissés, puisque pour une même durée de travail on obtient 45 % d'essence en plus (6,1 litres en 2012 contre 4,2 litres en 1980 pour une heure de travail). On trouverait même, si l'on exceptait la période toute récente de janvier 2012, une augmentation de plus de 88 % de notre pouvoir d'achat en carburant en faisant le ratio des prix sur 30 ans de 1980 à 2010 (7,9 litres en 2010 contre 4,2 litres en 1980, toujours pour une heure). Comme par ailleurs, la consommation des voitures tend à baisser, le temps travaillé pour financer un nombre donné de kilomètres subit une décroissance plus sensible encore.
Un tel écart entre la perception et la réalité révèle certainement le poids de l'automobile dans nos sociétés; son poids symbolique et émotionnel, mais aussi son poids réel croissant dans le sens où nous en sommes de plus en plus dépendants dans notre vie privée aussi bien que professionnelle.
Cette dépendance croissante pourrait partiellement relativiser nos remaques précédentes, puisque, même si le prix au kilomètre diminue on peut imaginer que le budget essence d'une famille reste stable. Cela dépend évidemment du nombre de kilomètres parcourus. Depuis quelques années il semble que ce dernier diminue par véhicule, phénomène toutefois compensé par l'augmentation du nombre de véhicules par ménage, les deux mécanismes, d'ampleur voisine, se compensant sans doute approximativement.
Ces réflexions sur le prix de l'énergie ne relèvent pas simplement du plaisir de souligner une contradiction dans nos comportements ou une méconnaissance de l'évolution réelle des valeurs. C'est aussi l'occasion de rappeler que l'énergie n'est pas chère, au point qu'aujourd'hui encore, il est souvent plus économique pour deux personnes de faire un aller-retour Paris-Lyon en voiture qu'en TGV (alors que l'énergie dépensée par passager est sensiblement plus forte en automobile qu'en TGV). Ce caractère bon marché de l'énergie constitue un lourd handicap pour toutes les politiques d'économie, au point que celles-ci doivent presque systématiquement faire appel à des mesures autoritaires ou à des mécanismes de subvention par exemple pour l'isolation, la rénovation etc.
C'est aussi l'occasion de prendre un peu de recul et de rappeler que jamais dans l'Histoire nous n'avons disposé d'énergie aussi facilement, en telles quantités et à si faible coût. La prise de conscience de cette réalité reste encore trop superficielle.
__________________________________________________________________________________________________
Voir aussi sur ce thème l'article : Prix de l'essence : Des promesses indignes
Avec un peu d'humour, voir aussi clip sur le pic pétrolier.