Le président du Comité National des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CNPMEM), M. Gérard Romiti vient de faire publier dans le Monde du 10 décembre dernier, sous la forme d'une lettre au Président de la République, une publicité surréaliste dans laquelle il prétend que les pêcheurs sont les vrais écologistes de la mer. C’est écrit en gras pour que nous en soyons bien convaincus. On tombe à la renverse devant une telle affirmation !
Les pêcheurs sont là dans une défense syndicale de leurs intérêts de court terme, mais ils sont à mille lieues de l’écologie. Tous les grands cétacés ont failli disparaître et il a fallu les combats de beaucoup d'écologistes, contre les pêcheurs justement, pour sauver le peu qui a pu l’être. Au Japon, en Norvège et en Islande quelques-uns mènent encore ce combat d’arrière-garde pour maintenir le droit de chasser jusqu’au dernier ces extraordinaires animaux. En 50 ans nous avons exterminé selon les espèces entre 50 et 90 % des grands poissons. La morue dont la mer regorgeait est maintenant réduite à presque rien et les rares prises sont de plus en plus petites, ce phénomène touche d'ailleurs beaucoup d'autres espèces. La défense des systèmes écologiques des grands fonds dont une bataille vient d’être récemment perdue suite au rejet par le parlement européen de l’interdiction du chalutage (1) dans ces zones illustre une fois de plus notre impuissance et notre marche vers l’abîme. Le sabre, l’empereur et le grenadier, (2) habitants de ces lieux fragiles subiront le même sort que les autres malgré le combat mené par Claire Nouvian et quelques associations comme Bloom.
Cette récupération corporatiste de l’écologie n’est pas propre aux marins pêcheurs. Les agriculteurs parfois et les forestiers aussi prétendre être les vrais acteurs de la protection de la nature (par opposition à l’urbain « bobo » dont la caricature est sous-jacente à ces affirmations). Pourtant nos sols sont détruits (voir par exemple les explications de Claude Bourguignon), nos forêts sont maintenant des lieux de monoculture où on privilégie le rendement, où les arbres morts (pourtant essentiels au cycle de la forêt) sont éliminés, où l’on plante au lieu de laisser la sélection naturelle faire son terrible, mais si nécessaire, rôle d’adaptation du vivant, bref ce sont des lieux de productions économiques et non plus des espaces naturels.
Que les marins ou les agriculteurs veuillent vivre et défendre leur métiers, on doit l'admettre, qu’ils affirment nourrir les hommes et qu’il faille bien en passer par là, on peut le comprendre. Ces professions ont de vrais arguments à faire valoir, comme les routiers d’ailleurs qui rappellent que pour que nous puissions consommer il faut bien qu’un camion ait amené les produits jusqu’à leurs distributeurs ; mais qu’ils prétendent agir au nom de l’écologie, voilà qui relève du mensonge.
Cela n’exonère pas le consommateur de sa responsabilité. Il va de soi que toutes ces activités (pêche, agriculture intensive, bétonisation générale du territoire au nom du transport…) n’existent que parce qu’en face se trouve une demande. In fine la responsabilité incombe à la terrible multiplication de notre nombre par notre appétit de consommer, à laquelle les différentes professions ne font que répondre. Il ne s’agit donc pas de les ostraciser, tout le tissu économique est responsable.
C’est un problème de fond que des écologistes comme James Lovelock avaient bien compris. Quel est le rôle de l’homme ? Voulons-nous nous substituer à la nature et devenir les gestionnaires de la planète ? Cela serait un pari bien audacieux ! La nature a préservé la vie sur Terre pendant 3,8 milliards d’années et en quelques siècles nous avons mis à bas la plupart des grands équilibres tout en éliminant presque toute la mégafaune. Au vu de ce bilan nous réclamons le droit d’aller plus avant et d’êtres les écologistes de notre Terre ! Allons donc, quelle indécence !
Les véritables écologistes sont ceux du « non agir », ce sont ceux qui ont pour seul objectif de laisser de l’espace et du temps pour que la nature retrouve ses droits et ses règles de fonctionnement qui ont depuis tous temps à la fois fait leurs preuves et sculpté la magnificence de la planète. Le seul combat écologiste qui vaille est de redonner à la nature la maîtrise de ses équilibres, il n’est pas de nous y substituer, il n’est pas de nous en réclamer quand, au contraire, nous la détruisons.
Concernant la pêche, sans doute ne pourrons-nous nous passer d’une réflexion sur la pertinence d’une économie de prédation dans un monde de sept milliards d’humains. D’ailleurs sur la terre ferme depuis longtemps ce type d’économie s’est évidemment révélé intenable. Un prédateur de 50 kg comme l’Homme a besoin de plusieurs kilomètres carrés par individu. Nous sommes environ mille fois trop nombreux pour maintenir ce mode de fonctionnement. On ne parle plus de poissons d’ailleurs mais de réserves halieutiques. Ce choix des mots exprime au mieux notre chosification de la nature et le peu de considération que nous portons au vivant.
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(1) Voir aussi cet article du Figaro ainsi que celui-ci du site Biosphère.
(2) Sur ces trois poissons voir également ce site.