Evoqué plus souvent qu'il n'est lu, mal compris, Malthus a mauvaise presse. C’est probablement l’une des plus grandes injustices de l’histoire de la pensée économique, incompréhension que nous avions d’ailleurs déja dénoncée (voir sur ce site l'article : L'injustice faite à Malthus).
Alors que l’écologie devrait être notre première préoccupation, l’économiste Jean-Paul Maréchal a très bien résumé la question dans une introduction qu’il fait au célèbre livre de Malthus : « Essai sur le principe de population » (1).
Au fond Malthus n’est-il pas le premier écologiste, lui qui n’hésite pas à évoquer la question des limites ? Voici ce qu’écrit en 1992 Jean-Paul Maréchal à la dernière page de son introduction.
« Avant un retour sur le texte qui se révèle indispensable, il nous a paru utile, pour finir, d’examiner une question récurrente qui poursuit l’auteur de l’Essai et dont contre toute apparence le sens est finalement ambigu : Malthus a-t-il eu raison ? A-t-il été « confirmé » ou « démenti » par les faits ? quelle est en d’autres termes son « actualité » ?
Pour certains, la cause est entendue. Malthus n’a pas vu la révolution industrielle et ses extraordinaires potentialités tandis que les catastrophes annoncées ne sont pas survenues. Avec lui l’économie politique est irrémédiablement la « science du lugubre » comme la désignait Carlyle après avoir lu l’Essai. A considérer cet ouvrage sous l’angle exclusivement prévisionniste ou de manière superficielle, un tel raisonnement est recevable. Malthus est alors à ranger dans la grande réserve de la bibliothèque des idées comme représentant d’une espèce à jamais étrangère aux préoccupations du monde d’aujourd’hui.
Mais si l’on pense au contraire que la substance de l’Essai réside dans l’avertissement que la Terre constitue un espace clos et un fonds borné, alors Malthus précède d’un siècle et demi le Club de Rome et ses courbes exponentielles (2) . La catastrophe démographique n’est pas survenue, non parce que la Terre pourrait nourrir n’importe quelle population, mais parce que jusqu’à présent, le développement économique a pu suivre la croissance des besoins. Or, il apparait depuis quelques années que cette expansion que l’on croyait indéfiniment perpétuable butte sur la double limite de l’épuisement des ressources naturelles et des capacités de régénération du milieu. Et l’on découvre, surexploitation pétrolière, micropollution, pollution globale et déforestation à l’appui, que la sphère des activités économiques est dépendante de la reproduction de la biosphère.
Le principe de population ressurgit là où on l’attendait le moins : dans l’air, dans l’eau, et dans les sols. Malthus « l’empiriste » contre Riccardo « le théorique » prend une revanche qu’il n’aurait sans doute jamais imaginée. Au moment où l’homme met en péril les conditions de sa propre survie, Malthus rappelle la nécessité d’une pensée des limites, d’une interrogation de la finitude face à l’extension du royaume de la marchandise et à l’hybris technoscientifique de cette fin de millénaire. »
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(1) Robert Thomas Malthus : Essai sur le principe de population, deux volumes : 480 et 436 pages, introduction de Jean-Paul Maréchal, Editions GF Flammarion, Paris, 1992 (première édition de l’ouvrage original : 1798). Extrait des pages 54 et 55 de cette édition, publié avec l’aimable autorisation des éditions Flammarion.
(2) Voir le Club de Rome, Halte à la croissance, Fayard Paris, 314 pages