Un nouveau parti politique, Nouvelle Donne, clairement ancré à gauche, qui place au cœur de ses références le New Deal de Roosevelt jusqu’à en reprendre les initiales, qui parle d'une nouvelle donne démocratique, qui veut « changer le fonctionnement de nos institutions (pour) que nous, citoyens, nous reprenions la main », quoi de plus normal !
D'entrée de jeu, il est précisé dans le document intitulé 'Nos 20 propositions' que « le seul pays d’Europe dont les institutions ressemblent aux nôtres est la Roumanie : après la chute de Ceausescu, le Conseil de l’Europe a conseillé aux élites roumaines de s’inspirer des institutions françaises pour rédiger leur nouvelle Constitution au prétexte qu'après 20 ans de dictature, certains pensaient qu’un passage direct à la démocratie était trop risqué… »
Que comprendre de cette appréciation ?
Que la Roumanie, qui commence une transition démocratique cahotante après le renversement de Nicolae Ceausescu le 22 décembre 1989, ne serait en dictature que depuis 1969 ? Oublié alors le coup d’État communiste du 6 mars 1945 ; oublié le « communisme d'épuration » qui, de 1945 à 1953, persécute des centaines de milliers de paysans rétifs à la collectivisation des terres et aux réquisitions, comme aussi les intellectuels ; passé par pertes et profits le « national-communisme » officiellement indépendant de l'URSS à l'extérieur, mais strictement totalitaire à l'intérieur, qui se met en place dès 1965 à la mort de Gheorghiu-Dej le prédécesseur de Ceausescu. Et un début de soupçon ne peut être tu au sujet de ces oublis terribles quand il nous souvient de la longue connivence d'une grande partie de la gauche française avec l'aventure totalitaire communiste.
Que comprendre encore quand il est écrit que les institutions françaises sont bien adaptées pour un pays qui veut éviter un passage direct à la démocratie, si ce n'est que la France n'est pas une vraie démocratie ou n'a fait que la moitié du chemin avec ses institutions ?
En quatre lignes, réussir à dire que la Roumanie sous le joug communiste n'était pas une dictature, et que la France d'aujourd'hui n'est pas réellement une démocratie, ça s'appelle poser le débat d'une façon bien étrange.
Et concrètement, qu'est-il proposé dans ce court texte ?
En fait il est surtout indiqué ce que Nouvelle Donne ne veut plus : « Il est temps d’en finir avec cette monarchie constitutionnelle qui ne dit pas son nom. Ce Parlement aux ordres, ce premier ministre doublon ». Se dessine l'idée d'une république parlementaire (« une responsabilité accrue de l’Assemblée »), avec des députés (et des sénateurs ?) sans mandats locaux et priés de ne pas s'incruster dans une carrière (1), le tout rythmé par des propositions de lois d'initiative citoyenne aisément déclenchables (2) et par des référendums du même type, et couronné par un Président de la République sans trop de pouvoir (« en finir avec cette monarchie constitutionnelle »). Cela ne vous rappelle rien ? Tout cela correspond assez à une architecture type IIIème ou IVème République, animée par des élus politiques provisoires, mâtinée d'initiatives citoyennes, comme en écho aux débats sur la démocratie participative. Difficile d'en dire plus au sujet de cette 'nouvelle donne démocratique'. Toujours peut-on encore inférer du refus d'une monarchie constitutionnelle que le Président de la République ne serait plus élu directement par le Peuple.
Même s'il n'est pas précisé le mode d'élection des députés (proportionnelle ? scrutin majoritaire à deux tours ? autre ?) (3), une telle configuration ne peut que laisser entendre que les partis politiques et leur appareil auront la part belle dans cette république, avec des élus n'ayant pas le temps et la surface électorale nécessaires pour s'imposer durablement, et avec un exécutif faible à la fois dépendant de l'Assemblée et soumis aux embardées que provoqueront des référendums qu'il ne pourra contrôler.
Sans trop s'appesantir sur les travaux de Robert Michels (4) quant aux partis politiques et à leur fonctionnement, on peut toutefois être légitimement inquiet de la qualité de la représentation démocratique ainsi obtenue comme de la participation effective de manière directe ou indirecte des citoyens aux décisions : n'y a-t-il pas là le risque que « le pouvoir (soit) confisqué par une petite oligarchie », aboutissant ainsi, par une ruse dont l'histoire est familière, à provoquer ce que l'on prétend combattre (5) ? On ne peut que noter, là encore, une étrange similitude entre ce projet qui mettrait les partis politiques au centre de l'édifice institutionnel, et le projet politique soviétique où le parti dominait l'Etat, même si dans ce dernier cas il s'agissait d'un parti unique. Serait-on en présence d'une réminiscence partielle provenant du long compagnonnage de la majeure partie de la gauche intellectuelle française avec l'aventure bolchevique ?
Qu'en dire de plus sinon que ce projet institutionnel est la figure inversée de notre actuelle organisation politique, conçue en réponse à la malheureuse expérience de mai-juin-juillet 1940 où la conjonction d'un exécutif faible et d'événements dramatiques a abouti à ce que l'Assemblée qui donna vie au Front populaire remit les pleins pouvoirs à Pétain, tordant le cou à la République. Une leçon d'histoire peut-être aussi oubliée que la dictature communiste en Roumanie à la fin de la guerre ...
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1 : Est prévu « un vrai statut de l’élu pour que les mots "carrière" et "politique" ne soient plus accolés et faciliter le retour à la "vie normale" à la fin du 2ème ou du 3ème mandat ». Source : le document-manifeste de Nouvelle Donne ('Nos 20 propositions'), p 5/8.
2 : « Tout texte ayant recueilli 300.000 signatures et conforme à la Déclaration européenne des Droits de l'Homme, doit être débattu par le Parlement au même titre qu’un projet de loi venant du gouvernement ». Source : Le document-manifeste de Nouvelle Donne ('Nos 20 propositions'), p 5/8.
3 : Le mode d'élection des députés n'est pas un choix technique. Avec le scrutin majoritaire à deux tours que nous connaissons actuellement, un député est élu nommément par les électeurs de la circonscription où il s'est présenté, et des liens directs sont tissés entre l'élu et ses électeurs ; à tel point qu'il est assez fréquent qu'un député qui n'obtient pas aux élections suivantes l'investiture de son parti soit en mesure de se représenter et de l'emporter. Rien de tel avec le recours à la proportionnelle, où le plus important pour être élu est d'être placé en tête de liste par son parti et non de convaincre les électeurs : dans ce cadre les hommes politiques dépendent uniquement des décisions prises par l'appareil de leur parti. C'est cette règle qui est par exemple appliquée au moment des élections européennes. Il est aisé de voir que le pouvoir du parti est variable selon le mode de scrutin retenu.
4 : L'œuvre principale de Robert Michels, publiée en allemand en 1911, s'intitule : Zur Soziologie des Parteiwesens in der modernen Demokratie. Pour la traduction française, parue en 1914 sous le titre 'Les Partis politiques', l'auteur a choisi ce sous-titre significatif : « Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties ».
5 : Nouvelle Donne écrit en préambule de sa réflexion sur la démocratie : « Les citoyens ont de plus en plus le sentiment que le pouvoir est confisqué par une petite oligarchie : Il est urgent que nous, citoyens, nous reprenions la main. Pour cela, il faut créer une force politique nouvelle et changer le fonctionnement de nos institutions. » Source : le document-manifeste de Nouvelle Donne ('Nos 20 propositions'), p 5/8.
Sur ce sujet et sur ce site, voir également cet article intitulé 'Nouvelle Donne et Vieux Machin'.