Engagement à gauche – Accord avec le PS – Stratégie centrale – Crise économique – Crise écologique – Majorité centrale – Systèmes sociopolitiques de tenségrité – Sortir de l’illusion politique –
EELV – PS – François Hollande – Eva Joly – Nicolas Hulot – Paul Brousse – Thierry Billet – Jean-Luc Bennahmias – MODEM – François Bayrou – Alexis de Tocqueville – Jacques Ellul –
Il y a la stratégie maintenant bien connue d’EELV, cette organisation issue du mariage d’Europe Ecologie et des Verts, et que ces derniers ont peu à peu contrôlée en s’appuyant sur leur maîtrise de l’appareil. Cette stratégie est située clairement à gauche, s’appuyant sur le maniement de thèmes volontiers abordés à la gauche de la gauche et concrètement positionnée dans une logique d’association avec la force dominante de ce camp, le Parti Socialiste.
Cette stratégie a plusieurs avantages. D’abord la clarté. Ensuite elle permet de surfer sur la vague d’antisarkosysme assez bien ancrée dans le pays. Elle donne surtout la garantie d’avoir une représentation à l’Assemblée Nationale autre que symbolique, par le biais de circonscriptions réservées par le Parti Socialiste, passant ainsi par-dessus les contraintes du scrutin majoritaire. Elle autorise aussi l’espoir d’être associé à l’exercice du pouvoir si le candidat socialiste François Hollande l’emporte, et de verdir son programme. Elle est enfin une réponse simple à tous ceux qui considèrent que la logique de 2007 du Pacte Ecologique défendue par Nicolas Hulot, spéculant sur la bonne volonté des acteurs politiques, s’est fracassée sur l’échec, même relatif, du Grenelle de l’Environnement. Dans ce cadre la présentation de la Dame aux lunettes rouges à la présidentielle n’est qu’une opération marketing d’occupation du terrain, et le nombre de voix récoltées importe in fine relativement peu.
La vérité oblige à dire que cette stratégie est aussi l’expression d’une vision politique et des conditions du changement à conduire. Elle est construite sur la perception d’une société où globalement seules les erreurs, les fautes ou l’avarice de quelques-uns ou d’une classe sociale expliquent une situation sociale et écologique insupportables.
L’autre stratégie ou la stratégie centrale
Il y a une autre stratégie, moins mise en scène mais néanmoins bien présente. Je veux parler ici de tous ceux qui font le pari qu’un véritable changement dans la France d’aujourd’hui, plombée par un chômage et une dette souveraine qui ne sont que la double résultante d’un modèle d’Etat-providence en faillite et d’une mondialisation impensée, ne peut se faire qu’avec une majorité centrale construite autour d’objectifs clairs, rompant ainsi avec la paralysie engendrée depuis 30 ans par un jeu permanent de délégitimisation de tous les choix courageux par une opposition expliquant à chaque fois qu’une autre solution moins douloureuse est possible. Ce jeu pervers d’une démocratie bipartisane est venu à bout en quelques décennies des atouts d’un pays pourtant riche, où l’alternance politique n’a ni produit le changement ni promu la capacité d’adaptation mais tout au contraire a renforcé les pesanteurs et les rentes de situation. Cette analyse n’est pas le fait d’écologistes mais de personnes venant d’horizons différents et percevant mieux que d’autres les limites de cet exercice du pouvoir face aux impératifs qui sont devant nous.
Des écologistes se sont d’autant plus ralliés à cette stratégie qu’ils ne trouvent plus leur place chez les Verts où les exclusives fleurissent, ou qu’ils souhaitent à l’image des socialistes possibilistes réunis autour de Paul Brousse à la fin du XIXème ‘penser la question du pouvoir sous l’angle de son exercice pratique à l’échelon local’ (1), en s’associant aux exécutifs de bonne volonté qu’ils soient de droite ou de gauche. Ralliement à une stratégie centrale que de nombreux écologistes considèrent d’autant plus nécessaire qu’ils diagnostiquent, en sus d’une crise économique et financière majeure, un avenir encore plus chahuté par les contraintes écologiques, que notre monde industriel s’obstine à ignorer ou à tout le moins minore gravement en s’illusionnant sur les sirènes du développement durable compris comme ‘un développement qui dure’ pour reprendre la formule de Jean-Luc Bennahmias.
Il y a peut être là la racine d’un paradoxe pour le petit monde des écologistes.
En effet, ce sont les écologistes les plus lucides sur les changements à apporter à notre société de croissance, ceux qui évaluent que ce n’est pas seulement en contrôlant les méchantes compagnies pétrolières par la grâce d’une extension du pouvoir politique que la question de l’énergie se pose, ceux qui perçoivent qu’une société écologique et durable ne pourra fonctionner qu’en remettant en cause le présent modèle d’hyperconsommation confortable et douillet dont les populations en Occident notamment sont friandes pour se diriger vers une sobriété de bon aloi et une ‘vita povera’ (2) construite autour des valeurs humanistes que nous avons su faire émerger au fil de notre histoire, ceux qui savent que nos enfants ne pourront pas vivre mieux que leurs parents avec toujours plus d’objets et de services à disposition parce qu’une bonne partie de notre mode de vie d’aujourd’hui est gagée sur le pillage de ressources non renouvelables et sur une fabrication industrielle non respectueuse des principes de sûreté et de qualité, ce sont ces écologistes là, moins enclins que d’autres à croire aux retombées rapides de la recherche&développement pouvant nous exonérer d’efforts difficiles, plus conscients de la situation, plus radicaux parce que plus conscients, ce sont ces écologistes-là qui se rallient à la solution politique du recours à une majorité centrale qui peut leur paraître comme seule à même de pouvoir impulser les orientations délicates nécessaires.
Ainsi ce sont les écologistes les plus exigeants, ceux qui même s’ils évitent le mot trop connoté de décroissance savent que le virage à prendre est rude et touchera tout le monde, qui politiquement n’hésitent pas à paraître plus modérés en se ralliant présentement au MODEM, ce parti qui essaie de se dégager de ses origines centristes pour s’imposer comme l’outil futur d’une majorité centrale à même de porter les réformes indispensables.
Le choix de la tenségrité (*)
Comme tout choix politique, c’est un pari. Qui peut produire des fruits à court comme à moyen terme, ou ne déboucher que sur une impasse. Ce choix du recours à une majorité centrale pour passer un cap comporte pour les écologistes, c’est ma thèse, deux atouts majeurs que la stratégie choisie par EELV ignore aujourd’hui.
D’une part il autorise une alliance de valeurs portées par la droite et par la gauche.
Comment imaginer qu’une société écologique moderne ne soit pas plus égalitaire (valeur de gauche) pour diminuer notamment les stratégies d’imitation sociale débouchant sur des surconsommations, et appuyée sur une responsabilisation accrue (valeur de droite) seule à même de limiter à la source les gaspillages de toute sorte ? Espérons que l’alliance de ces deux valeurs puisse mettre notre société sous tension et lui donner une dynamique à même de la rendre apte aux évolutions indispensables.
De même défendre une cohabitation dynamique entre un système institutionnel représentatif et efficace de type Vème République (valeur de droite) et une démocratie directe très active (valeur de gauche) pourrait libérer des énergies fantastiques.
Ou faire travailler ensemble des institutions garantes des intérêts de long terme (écologie contraignante) avec nos institutions actuelles principalement conçues pour exprimer les besoins de court terme (demande sociale).
Vouloir jouer dans le même mouvement sur des valeurs contradictoires, ne pas faire gagner une partie sur une autre, c’est cela le choix de la tenségrité, un choix qui consiste à percevoir notre société comme un système traversé de forces contradictoires et qui va utiliser les tensions générées aussi bien que les relâchements, les accords, les oublis, les plis de nos organisations, comme un moyen de faire bouger les choses, une énergie pour dynamiser la société tout en ne la cassant pas (3). En fait, travailler sur les systèmes de tenségrité sur le plan de la gestion de nos sociétés est sans doute une des clés de notre avenir, le moyen d’adapter au plus vite qu’il est possible une société qui s’est crue trop longtemps infinie dans son expansion et qui se heurte brutalement aux limites de son biotope, en évitant autant que faire se peut la casse sociale et politique. Pour ce qui nous occupe, la tenségrité, c’est une tentative de réponse à la complexité paralysante de nos sociétés démocratiques, c’est un moyen de sortir par le haut d’un modèle de fonctionnement collectif incapable jusqu’à présent de piloter les changements nécessaires, c’est la culture systémique adaptée à la politique, peut-être est-ce une piste de réponse aux questions sur la démocratie soulevées par Tocqueville.
D’autre part, seule une majorité centrale permet dans un temps bref, et ceci est important dans un moment de crise économique majuscule et d’urgence écologique, d’éviter les arguments simplistes seulement aptes à masquer les enjeux, d’intégrer dans la gestion de nos sociétés la logique des rétroactions que l’écologie a découvert dans l’étude des écosystèmes, de jouer subtil dans un monde complexe et de dépasser le stade primaire de la dénonciation du bouc émissaire, pour arriver enfin à une société capable de se regarder telle qu’elle est et de faire un travail collectif sur elle-même en jouant de tous ses atouts et de toutes ses caractéristiques, de ses forces de tensions comme de ses zones d’apaisement.
Il n’est pas possible de savoir quelle sera la stratégie gagnante, quelle sera celle qui ouvrira l’avenir. Mais ce que je crois, c’est que l’abandon de la facilité, le mélange de modestie de rigueur et d’intelligence, le choix de s’appuyer sur l’ensemble de nos valeurs, est la conditio sine qua non pour sortir de l’illusion politique dénoncée par Jacques Ellul et trouver enfin les moyens d’agir dont nous avons tant besoin.
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(1) citation extraite de 'La dérive réformiste du socialisme municipal ou ‘possibiliste ’ ' in La Revue Historique, T.285 janvier-mars 1991. Un exemple de ce choix est l’action menée par l’écologiste Thierry Billet, devenu Maire-Adjoint d’Annecy.
(2) L’expression est construite en parallèle à celle d’arte povera ; ainsi la pauvreté n’est pas incompatible avec la beauté, l’énergie, la joie de vivre. Mais ce concept de vita povera est toutefois différent de celui de sobriété heureuse défendu notamment par Pierre Rabhi ou de simplicité volontaire exprimé par Paul Aries. Il insiste plus sur l’idée de pauvreté afin de marquer une distance sinon une défiance vis-à-vis des nombreux discours écologisants qui tentent de masquer l’importance des changements et des sacrifices matériels à prévoir.
(3) Ces alliances entre valeurs a priori contradictoires pourraient générer un état de tenségrité propre à permettre des évolutions sociales, politiques ou culturelles très fortes tout en maintenant une stabilité globale du système social. Ne pas casser la société est aussi important, nous sommes bien placés en France pour savoir ce que peut coûter le changement, nous qui avons inventé les Droits de l’homme et la Terreur dans un même mouvement révolutionnaire.
(*) La tenségrité, pour le dire simplement, c’est la faculté d’un système à se stabiliser mécaniquement par le jeu de forces de tension (continues) et de compression (discontinues), qui s’y répartissent et s’y équilibrent. Ce concept a été construit par Richard Buckminster Fuller en 1949 à partir des mots tensilité et intégrité. Ce phénomène existe dans la nature (cf. l’exemple de la rhubarbe à la fois souple et rigide) comme en architecture (voir la Géode au Parc de la Villette à Paris) ou en médecine (le jeu de nos os et de nos muscles, cf.’La tenségrité, une nouvelle compréhension du mode d’action des manipulations vertébrales’, Congrès FAEMMO du 21.03.2009, Lille, Atelier CIMMA).