Le dernier rapport du GIEC sur l’évolution climatique laisse entendre que la situation a empiré depuis la publication précédente en 2007 (*). Ce rapport affirme également que plus nous attendrons pour agir, plus cela coûtera cher ! La belle affaire ! Pour beaucoup moins d’argent, bien des analystes amateurs seraient arrivés aux mêmes conclusions.
La situation a empiré parce que les lois physiques n’ont pas changé, il y a d’ailleurs peu de chance pour qu’elles le fassent, et parce que, émettant toujours plus de gaz à effet de serre qui se stockent dans l’atmosphère pour une durée supérieure à celle séparant deux rapports du Giec, il est tout à fait normal que leur concentration ait augmenté et qu’en conséquence, les effets que l’on attend d’eux évoluent dans la même direction.
Parions sans prendre de risque que si la périodicité de publication est respectée, le prochain rapport sortira en 2021 et qu’il sera encore un peu plus alarmiste tout en l’étant un peu moins que celui de 2028.
Un peu de causticité sur ces rapports ou au moins sur leur utilité vient naturellement à l’esprit quand on entend les commentaires de la classe politique. Mettons de côté ceux qui balaient d’un revers de main ces perspectives alarmistes en jouant bien imprudemment sur les inévitables marges d’incertitudes et intéressons-nous à ceux qui en acceptent les conclusions. L’on entend alors parler de la nécessité de changer nos économies et de nous lancer dans la croissance verte et le développement durable. Disons-le tout net : c’est de l’escroquerie, la croissance ne sera pas verte et le développement ne sera jamais durable dans un monde fini, nous sommes lassés de ces concours d’oxymores.
Les quelques mesures d’économies évoquées ne changeront rien, car il importe bien peu à la nature que, sans se restreindre aucunement, nous brûlions toutes les réserves fossiles en 100 ans ou bien en 130 ou 140 ans après avoir tenté de repeindre la croissance en vert. La plupart des énergies renouvelables (sauf peut-être l’hydroélectricité mais pour laquelle les grands équipements existent déjà dans les pays développés) sont en fait très gourmandes en CO2. Ainsi les panneaux photovoltaïques consomment en énergie pour leur fabrication plusieurs années de ce qu’ils pourront ensuite produire (ne comptons pas en plus leur transport, leur montage et leur entretien ni leur recyclage car de toute façon il est quasi impossible). La plupart de ces solutions (éolien compris) nécessitent pour être mises en place et perdurer, la poursuite de notre société industrielle, seule à même de fournir les équipements et les matières nécessaires. Ne l’oublions pas nous avons déjà pratiquement épuisé tous les grands gisements de minerais faciles d’accès et le recyclage lui-même est énergivore et présente un taux de récupération largement inférieur à un. La biomasse elle-même a ses limites d’autant que son usage est loin d’être parfait puisque cela consiste à rejeter dans l’atmosphère beaucoup de composants qui auraient normalement dû réintégrer et enrichir les sols.
Il n’existe pas de solution pour poursuivre la croissance économique et démographique d’un monde de 7 et bientôt 10 milliards d’habitants qui ne soit catastrophique pour l’environnement. Les gaz à effets de serre n’en sont qu’un exemple parmi d’autres même si sur ce point les faits sont inquiétants, l’Homme modifiant désormais de façon marquée la composition de l’atmosphère de la planète (l’on n’ose pas dire de sa planète tant, sans doute, ce sentiment inné de propriété a quelque chose à voir avec l’irresponsabilité de nos comportements).
La seule solution serait de dessiner et de pouvoir entreprendre un vaste plan de décroissance économique et démographique avant que la nature ne nous l’impose, sous la forme d’un implacable diktat, celui du heurt contre les limites physiques du monde. La tâche semble au-dessus du pouvoir de quiconque.
A la décharge de nos responsables politiques, auraient-ils pris conscience de cette perspective, ce qui est hélas loin d’être sûr pour beaucoup d’entre eux, tenir un tel discours leur est impossible parce que leur essence même est d’offrir des perspectives heureuses.
Nous sommes dans un bolide lancé à 300 km/h vers un mur de béton désormais très proche. Si nous freinons, nous n’arriverons de toute façon pas à stopper à temps et de plus nous déraperons et heurterons le mur de biais ce qui parait encore plus effrayant. Si nous donnons un brusque coup de volant nous déraperons aussi avec les mêmes conséquences. Résultat : paralysés, nous ne faisons rien… et nous heurterons le mur de béton. James Lovelock avait très bien résumé la situation dans son ouvrage "La revanche de Gaïa" par cette phrase prophétique. « Notre civilisation est dans la situation de celui que la drogue tuera qu’il continue ou qu’il cesse brusquement d'en consommer ». Comment mieux dire ?
Il fallait bien sûr se préoccuper du problème dès la grande reprise économique des années 50. Les mathématiques et le bon sens nous permettaient déjà de savoir que nous serions 6 milliards en l’an 2000 (et nous le savions et nous l’avons été) et que nous vivions dans un monde fini inapte en cela à supporter indéfiniment l’expansion. Mais déjà un tel discours était inaudible, il heurtait de front la plupart de nos aspirations.
Que faire alors ? Je crois qu’il est temps d’avoir la lucidité d’admettre que l’écroulement est inévitable. Qu’il supposera souffrances pour les hommes et destruction de la civilisation dont certains aspects nous semblaient tout à fait extraordinaires sinon merveilleux. Au-delà des modalités difficiles à deviner et du sort propre à l’espèce humaine, il nous reste espérer aussi que dans cet écroulement quelques espèces survivront et que dans quelques millénaires (ou centaines de millénaires, car telle est l’échelle de temps pour la nature, bien loin de nos petites affaires humaines) de nouveaux équilibres s’établiront comme cela s’est déjà produit à l’issue des grandes extinctions passées. Qui peut le comprendre aujourd’hui ? Qui peut l’accepter ? Qui parmi les représentants de l’espèce coupable ?
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(*) Le dernier rapport du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) présenté ce mois d’avril est le cinquième du nom, les précédents ont été publiés en 1990, 1995, 2001 et 2007. A titre d’exemple la concentration en CO2 pour ces années était de 355 parties par millions (ppm) en 1991, de 361 ppm en 1995, de 371 ppm en 2001, de 384 ppm en 2007 et devrait cette année être un peu inférieure à 400 ppm. Gageons qu’avec une croissance d’un peu plus de 2 ppm par an elle frôlera les 415 ppm pour le 6ème rapport du Giec au début des années 2020. (Voir ici les données moyennes de concentration en CO2 relevées au Mauna Loa).
Sur ce sujet voir également l’article publié sur le site du Monde.