Le réchauffement climatique est aujourd’hui la menace environnementale la plus médiatisée. La lutte contre ce phénomène est devenu le fondement emblématique de "l’écologiquement correct".
Les choses sont-elles si simples ? Le réchauffement constitue-il vraiment la catastrophe que l’on nous prédit ? Comment envisager dans le long terme l’évolution des civilisations sur une planète au climat changeant ?
En émettant ces doutes je ne veux en rien rejoindre l’ensemble des climato-sceptiques. Ni ceux, relativement rares, qui nient la réalité du processus (sur une quarantaine d’années la tendance au réchauffement planétaire est manifeste), ni ceux qui, tels Claude Allègre ou Vincent Courtillot, sans le réfuter (1) lui refusent une origine principalement anthropique. Les quantités de CO2 et accessoirement de méthane envoyées dans l’atmosphère par l’ensemble des activités humaines me paraissent tout à fait à même d’expliquer la hausse des températures. Cette analyse fait l’objet d’un consensus relativement large chez les scientifiques et les conclusions du GIEC paraissent solides.
Là où je souhaite me dégager de l’unanimisme ambiant c’est d’abord dans l’identification du réchauffement (et plus généralement de tout changement) à une dégradation voire à une pollution. Même si, bien sûr, ce réchauffement accompagne nos activités polluantes et en constitue l’une des conséquences, il me semble impossible de juger de son caractère intrinsèquement néfaste indépendamment des conditions dans lesquelles il s’opère c’est-à-dire à la fois très rapidement et dans l’omniprésence de l’humanité et de ses infrastructures.
Une Terre au climat plus chaud est-elle par nature une Terre plus polluée, plus abimée ? Notre planète a déjà été plus chaude même dans des périodes récentes (voir cette page du site manicore) et ne s’en est pas si mal portée (2).
La difficulté provient-elle alors du rythme du changement ? Il est vrai que les modifications de températures que nous provoquons sont extrêmement rapides : de l’ordre de quelques degrés en un siècle (3). Même si dans le passé certaines évolutions climatiques ont été également assez rapides, seules probablement, celles résultant de la chute d’une météorite géante, dont on comprend bien qu’elles constituent un cas à part et très exceptionnel même aux échelles de temps géologiques, ont été plus violentes que celle que nous connaissons et induisons.
Là où le problème du réchauffement climatique d’aujourd’hui se révèle très particulier et très grave c’est qu’il se produit sur une Terre où le monde vivant a vu ses possibilités d’adaptation largement anéanties par l’homme. En notre absence et en cas de réchauffement, il n’était pas très difficile aux animaux de gagner chaque année quelques kilomètres vers le Nord. Bien sûr il y avait des perdants mais ils y avaient aussi des gagnants. Si les ours blancs ou les espèces polaires voyaient leurs effectifs diminuer, beaucoup d’autres animaux, et cela est vrai pour la flore également, prospéraient sur de nouveaux territoires
Aujourd’hui, il n’y a que des perdants. Même si la forêt remonte légèrement vers les hautes latitudes au détriment de la toundra, on ne peut envisager là une compensation partielle aux déforestations qui ravagent le reste de la planète. Nombreux sont ceux y voient au contraire une opportunité en faveur de l’ouverture de nouvelles zones d’exploitation pour le pétrole, le gaz, le bois ou même l’agriculture en général. Dans ce contexte, comment espérer que le tigre gagne ce que perdra l’ours polaire ?
Laisser à la nature des espaces disponibles quand nous pourrions les utiliser ne fait pas partie des options d’une espèce conquérante. Les eaux n’échapperont pas plus à notre volonté de toute puissance. Les mers circumpolaires et en particulier l’océan Arctique seront plus largement dégagées de glaces en été. Est-ce une chance pour la nature ? Non, car l’homme pense déjà exploiter les eaux libres aussi bien pour faciliter le commerce (via le fameux passage du Nord-Ouest) que pour favoriser l’exploitation des hydrocarbures. La Russie et ses voisins sont engagés dans de lourdes batailles pour déterminer l’extension précise des talus continentaux dont la propriété est celle de l’état limitrophe et où se situeraient de prometteurs gisements gaziers et pétroliers.
Bref, tout est prêt pour que la nature soit empêchée de s’adapter et c’est là que se situent la menace principale. Pas dans le réchauffement mais dans les conditions dans lesquelles il s’opère, c’est-à-dire sur une planète handicapée et rendue, si j’ose dire, inapte à l’adaptation du fait de notre nombre et de nos infrastructures.
Cette question du réchauffement soulève également une réflexion plus générale sur la place de l’homme et de la civilisation dans le long terme. Sur plusieurs plans, le réchauffement climatique peut mettre en cause quelques éléments de notre civilisation. On peut notamment imaginer qu’une température excessive ou que des sécheresses durables et étendues dans les latitudes intertropicales posent de réels problèmes à l’agriculture et donc à l’alimentation d’une humanité de sept et bientôt neuf milliards de représentants. En ce sens la civilisation est responsable de la dégradation des conditions matérielles sur lesquelles elle s’appuie.
Toutefois, il serait bien prétentieux d’imaginer que nous sommes seuls à avoir ce pouvoir de dégradation et que la Terre doit naturellement offrir toujours et partout les conditions optimales à la survie et même au développement de nos sociétés modernes. La Terre a montré sa capacité à abriter la vie depuis plusieurs milliards d’années et la vie de grands animaux depuis plusieurs centaines de millions d’années. Il n’est en rien écrit que la Terre soit capable d’offrir les conditions optimales aux civilisations technologiquement dépendantes sur de longues durées.
Si l’on se focalise sur les époques plus récentes, il semble bien que depuis le quaternaire la Terre connaisse une succession de cycles d’environ 100 000 ans présentant une alternance plus ou moins régulière de 80 000 ans de périodes froides et de 20 000 ans plus tempérées dites d’interglaciaires (4). Nous sommes (et la civilisation y est née) dans une de ces phases interglaciaires. Dans les périodes glaciaires La température de surface moyenne du globe serait d’environ 5 C° inférieure à celle que nous connaissons. De telles conditions recouvriraient de glace un grande partie du monde aujourd’hui économiquement développé, l’essentiel de l’Europe et des Etats-Unis en particulier, rendant impossible la poursuite de notre mode de vie au moins sur ces territoires.
Il apparait donc qu’indépendamment de l’activité de l’homme la Terre est susceptible de connaître des climats brisant net notre élan vers une économie toujours plus développée et vers une artificialisation complète du monde. Ceux qui souscrivent à l’interprétation de James Lovelock verront peut-être là une sagesse de Gaïa.
Ces remarques n’ont pas pour objet de nous inciter à minimiser l’impact des activités humaines sur l’environnement, bien au contraire, d’autant qu’il existe des effets de seuil susceptibles de précipiter et d’aggraver les phénomènes (5). Elles n’ont pas non plus pour but de nous faire espérer que le réchauffement climatique vienne opportunément contrer les effets redoutables d’une entrée en glaciation (les délais ne sont pas les mêmes, le réchauffement nous « menace » dès ce siècle même). A long terme, de toute façon, le CO2 se résorbera et nous retrouverons probablement la prééminence des grands cycles naturels.
Ces remarques ont pour objet de nous inciter à un peu de modestie. De nous inciter à comprendre que le monde n’est pas l’outil obligé de notre économie. Que nous devons nous comporter comme une espèce légère sur la Terre. Légère dans ses effectifs et ses consommations ; légère pour respecter le reste du vivant mais aussi pour être capable de s’adapter le jour où sur notre planète, quelle qu’en soit la cause, les évolutions climatiques interdiront aux grandes et lourdes civilisations l’usage d’une majeure partie des territoires. Une humanité de dix milliards de représentants hyper consommateurs et tous dépendant d’immenses technostructures ne le pourra pas. Seule le pourra une humanité moins nombreuse, moins dépendante et en cela plus « résiliente ».
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(1) Encore qu’il semble que désormais, Vincent Courtillot ne remette pas seulement en cause l’origine anthropique du réchauffement mais exprime des doutes sur sa poursuite. Selon lui le réchauffement se serait arrêté depuis une douzaine d’années. Ce point de vue est loin de faire l’unanimité et ne me parait pas évident même à la lecture des statistiques proposées sur le site qui lui est consacré.
(2) Quitte à contredire mon propre point de vue je dois toutefois noter que le père de l'hypothèse Gaïa, le célèbre écologue James Lovelock estime à l’inverse, que globalement la Terre est plus productive pour le vivant dans les périodes de glaciation que dans les périodes chaudes. Selon lui, ce qui dans ces temps glacés est perdu aux pôles ou dans les latitudes moyennes en terme de productivité de la matière vivante serait largement compensé par ce qui est gagné dans les zones tropicales ou équatoriales. Voir sur ce point son excellent ouvrage : La revanche de Gaïa : Pourquoi la Terre riposte-elle ? Editions Flammarion, mars 2007.
(3) Voir « Le dernier Grand Réchauffement » un article de Lee Kump paru dans le mensuel "Pour la Science" d’octobre 2011 (numéro 408, p 41). L’auteur y compare le rythme de réchauffement actuel à celui survenu au cours du crétacé (il y a entre 120 et 90 millions d’années) et surtout à celui qui a marqué la frontière entre le paléocène et l’éocène (il y a 56 millions d’années). Ces deux réchauffements étaient beaucoup plus lents. Pour la question qui nous concerne Il faudrait toutefois comparer le rythme actuel à celui qui a accompagné les alternances glaciaires-interglaciaires du quaternaire. Voir pour cela le graphique du climat sur les 400 000 dernières années sur le site Manicore de Jean Marc Jancovici déjà évoqué.
(4) Il s’agit là d’une présentation quelque peu schématique je renvoie sur ce point à toute la littérature climatique. Globalement ces évolutions récentes (depuis le quaternaire) sont liées à des données astronomiques : variations cycliques de l’orbite terrestre (variations de l’excentricité) et de l’inclinaison de la Terre (variation de l’amplitude de l’obliquité et interaction entre la date des saisons et le passage de la Terre au périhélie et à l’aphélie liée à la précession des équinoxes).
(5) Il ne faut pas passer sous silence la question des effets de seuils dont on sait qu’ils sont susceptibles, au-delà de certaines variations de température, d'entrainer le climat dans un cercle vicieux. Cerle dans lequel les effets s’auto entretiendraient et s’auto renforceraient. Le processus le plus souvent évoqué est celui par lequel le réchauffement favoriserait la fonte du permafrost et la libération d’importantes quantités de méthane qui à leur tour enrichiraient l’atmosphère en gaz à effet de serre lesquels renforceraient le réchauffement en une boucle de rétroaction positive. Toutefois ce raisonnement peut s’appliquer à un phénomène d’origine naturelle aussi bien qu’à un mécanisme d’origine anthropique ; il peut également se concevoir en sens inverse vers le refroidissement : un refroidissement augmente les surfaces couvertes de glace ce qui élève l’albédo de la Terre et favorise à son tour un rafraîchissement.