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21 mars 2024 4 21 /03 /mars /2024 11:24

Bien que la Terre n’ait jamais été aussi peuplée et aussi artificialisée, bien que ses autres habitants - les animaux, mais aussi les plantes, les forêts, les prairies et tout ce qui fait l’élégance de notre monde -  n’aient jamais été relégués à des territoires aussi réduits, la peur de la dépopulation vient désormais côtoyer l’angoisse écologique.  A en croire certains l’humanité serait presque en voie de disparition. La Chine tremble, l’Europe a peur et les autorités françaises appellent virilement au « réarmement démographique» ! Dans ce contexte, l’INED vient  de publier un numéro de ses cahiers Population & Sociétés intitulé : « Baisse massive de la fécondité en 20 ans ».

Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ? Sur quoi s’appuient-elles ? Que peut-on y répondre ?

 

Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ?

La peur de la dépopulation repose sur la constatation de la baisse de la fécondité (le nombre d’enfants par femme)  et même de la baisse de la natalité (le nombre de naissances) aussi bien dans une majorité de pays développés que, désormais, dans certains pays en voie de développement. Elle renvoie également à d’autres éléments, parfois irrationnels, liés au rapport que nous entretenons avec notre reproduction et notre descendance.

 

Les chiffres qui inquiètent

Quoiqu’en croissance permanente, l’humanité a franchi en matière démographique plusieurs maxima. Elle se trouve désormais de l’autre côté de ces pics et ces franchissements qui, par nature, impliquent une redescente, sont seuls retenus pour alimenter les peurs. Voici les principaux arguments chiffrés mis en avant.

Le maximum de la fécondité est largement passé

Le nombre d’enfants par femme au niveau mondial était de 5 dans les années 1950 - 1965 (plus même, en des époques antérieures, mais la très forte mortalité infantile en anéantissait les effets démographiques). Il s’établit désormais entre 2,2 et 2,3. Il a donc non seulement été divisé par plus de 2 en 70 ans, mais le seuil de renouvellement des générations (gage à terme d’une stabilité des effectifs) étant un peu supérieur à 2 enfants par femme (a), nous avons fait la majorité du chemin allant vers l’arrêt de la croissance démographique (b).

Un grand nombre de pays ou de régions du monde sont maintenant sous ce seuil de renouvellement et pas des moindres, notamment  l’Europe, la Chine, le Japon… L’ensemble de l’Amérique, même au Sud, n’en est pas loin non plus. Ces tendances semblent établies.

Le maximum du taux de croissance.

Il a été atteint au cours de la décennie 1960 - 1970 où  la croissance démographique annuelle oscillait entre 2 et 2,1 %. Depuis, ce taux n’a cessé de baisser, il est aujourd’hui de 1 % et, là aussi, la tendance semble durable. La stabilisation serait en vue au cours de la seconde moitié du 21ème siècle, une situation inédite depuis les temps modernes qui justifie - selon certains - la fin de toute inquiétude liée à l’explosion démographique.

Le maximum de croissance absolue.

L’humanité gagnait environ 90 millions de personnes (solde des naissances moins les décès) autour de l’année 1990. Aujourd’hui, cette croissance s’établit à 80 millions (+ 1 % donc). La baisse est réelle, même si elle reste mesurée et s’il ne s’agit bien que de la baisse de la croissance et non des effectifs.

Le rétrécissement de la  base de la pyramide des âges

Dans les pays développés la pyramide des âges marque un très net rétrécissement à sa base, signe d’un vieillissement de la population qui menace les systèmes de retraite. La proportion d’actifs par rapport aux retraités étant inéluctablement amenée à se réduire dès aujourd’hui et dans les décennies à venir.

 

Que répondre ?

Des données juste mais…

Si ces données sont incontestables, elles alimentent à tort un vent de panique. Elles sont en effet loin de refléter la totalité de la réalité démographique du monde et d’autres éléments doivent être rappelés qui viennent non seulement amoindrir mais rendre déplacées ces inquiétudes.

Tout d’abord notons que ces multiples approches ne reflètent  qu’un même phénomène : le ralentissement de la fécondité, celui-ci implique tous les autres. Voir la question sous différentes faces peut être intéressant pour l’analyse de ses conséquences mais ne saurait conduire à la multiplicité des causalités, source d’inquiétudes supplémentaires.

En second lieu soulignons ce qui s’impose face à toutes ces données : la Terre n’a jamais été aussi peuplée et cela constitue le problème écologique majeur qui conduit à l’effondrement de tous les équilibres de la biosphère. Aujourd’hui, la masse des mammifères sur la planète est constituée dans son immense majorité (96 % environ) soit des hommes soit de leur cheptel domestique. Les mammifères sauvages ont quasiment déjà disparu ! Outre la consommation d’espace (principal facteur de l’effondrement de la biodiversité), la pollution et la consommation de ressources sont des fonctions directes de la démographie malgré les inégalités encore fortes.

Rappelons quelques ordres de grandeurs :

Nous sommes désormais 1 000 fois plus nombreux qu’aux débuts du néolithique, 40 fois plus nombreux qu’à l’époque de Jésus Christ, 5 fois plus nombreux qu’à l’orée du 20ème siècle. Or ces jalons sont tout récents à l’échelle de l’histoire de notre espèce : nous vivons bien une explosion.

Si notre taux de croissance est en diminution, celui-ci reste beaucoup plus important qu’il ne l’a été tout au long du passé même proche. Ainsi en 1900, non seulement nous étions 5 fois moins nombreux mais notre taux de croissance annuel n’était que de 0,4 % soit 2,5 fois moins qu’aujourd’hui. La croissance absolue se situait donc entre 6 et 7 millions par an, elle est 12 fois plus importante en 2024 ! Sommes-nous au bord de l’extinction ? Sans doute moins que tout le reste du vivant.

Enfin les perspectives de stabilité, voire de décroissance qui effrayent tant certains s’appuient sur l’hypothèse d’une continuité de la baisse de la fécondité. Ce n’est qu’une hypothèse que rien ne permet de garantir et l’on a déjà vu (Maghreb, Europe de l’Est) des remontées plus ou moins durables de cet indice. Affirmer que la démographie mondiale sera stabilisée au cours de la seconde moitié du 21ème siècle reste un pari.

L’économie

Sur le plan économique, d’aucuns s’alarment des problèmes sociétaux et notamment de l’évolution du ratio actifs / inactifs pesant sur l’équilibre des systèmes de retraites et sur les dépenses médicales inévitablement en augmentation dans une population plus âgée.

Face à cette inéluctable évolution des charges, la solution consistant à augmenter les naissances constitue une véritable fuite en avant, les jeunes d’aujourd’hui sont les vieux de demain et les économistes n’arrêteront pas le cours du temps. Nous ne ferions en cela que repousser le problème à plus tard et sur une plus vaste échelle encore. Les difficultés d’équilibre des retraites aujourd’hui viennent d’ailleurs précisément d’une forte natalité il y a 70 ou 80 ans. On l’oublie souvent.

Rappelons aussi que, même à court terme, les jeunes constituent souvent jusqu’à leurs 25 ans, une population inactive source de dépenses pour la société. Difficile d’arguer de l’augmentation de leur nombre pour régler les problèmes budgétaires. L’explosion des budgets d’éducation le confirme. Les dépenses intérieures d’éducation (DIE) sont passées d’environ 90 milliards d’euros en 1980 à plus de 160 milliards aujourd’hui (à prix constants, référence 2021).

 

Un autre aspect des choses

A ces inquiétudes d’ordre économique s’ajoutent aussi des éléments irrationnels qu’expriment les termes récurrents : déclin, chute, hiver démographique, renoncement, dégradation effondrement… Tous négatifs ! Comme si la baisse de la natalité devait être vécue comme une tragédie, comme si un gouffre s’ouvrait sous nos pieds. On retrouve les antiennes qu’on croyait disparues depuis des siècles. « Un nombre élevé d’enfants est la mesure de la force vitale d’une nation.» Le terme « réarmement démographique » récemment employé par le président de la République n’est pas anodin. Sans la force vitale, on entend que le dépérissement et la mort ne sont pas loin. On tend ainsi à confondre le destin d’un pays, de l’humanité avec notre destin personnel : faire un enfant, « se reproduire », consciemment ou inconsciemment c’est continuer la vie, donc contourner, dénier notre propre condition de mortel. C’est un lumineux sentiment d’éternité. On glisse ainsi de la peur de la mort, inhérente à chaque humain conscient, à la peur de la disparition d’un peuple voire à celle de la fin de l’humanité. La nécessité de la perpétuation de l’espèce, considérée comme besoin, continue visiblement à être bien ancrée et elle surgit là et maintenant, en tant que panique collective.

L’habitude aussi : tous les humains  d’aujourd’hui ont vécu dans un monde chaque année plus peuplé, la perspective d’un retournement de tendance, même très éloigné est déstabilisante. La question  ne concerne pas la seule démographie, une éventuelle décroissance économique est perçue comme une anormalité et suscite la même appréhension. Nous redoutons le changement de paradigme.

Les inquiétudes sur la baisse future de nos effectifs sont largement injustifiées, elle n’est pas pour demain. Mais surtout, elle constitue au contraire une condition sine qua non du maintien des équilibres écologiques de la planète et donc de notre propre survie.

Soulignons pour tous les natalistes qui prétendent donner au plus grand nombre d’humains la possibilité de vivre sur la Terre que la plus sûre et la meilleure des solutions pour y parvenir est de laisser cette dernière habitable. La surpopulation actuelle et celle annoncée pour la fin du siècle ne le permettront pas.

Des arguments complémentaires sont développés ici et peuvent être consultés sur le site de l’association Démographie Responsable. Les ouvrages suivants évoquent aussi la question: Le défi du nombre, Moins nombreux plus heureux, Surpopulation… Mythe ou réalité ? Et ici, une sélection plus large. Des données statistiques récentes concernant l’évolution de la fécondité françaises sont également disponibles sur cette autre publication de l’INED (Cahiers Population & sociétés,  mars 2024) intitulée : La France toujours une exception démographique en Europe ?  

 

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(a) Le seuil de renouvellement n’est pas strictement égal à 2 ou 2,1 enfants par femme comme on le lit souvent. Il varie d’un pays à l’autre. Si la mortalité infantile est importante le seuil est naturellement plus élevé, une partie des jeunes n’atteignant pas eux-mêmes l’âge de la reproduction. De même, les déséquilibres du ratio hommes / femmes jouent sur le niveau de ce seuil.

(b) Il existe un décalage d’un peu plus d’une génération entre l’atteinte du seuil de renouvellement et la stabilisation effective de la population, cela est lié à la relative jeunesse de la population mondiale (âge médian 30,5 ans). Même si les gens font peu d’enfants chacun, le nombre de personnes en âge de procréer est tel que les naissances restent nombreuses et repoussent ainsi la stabilisation, l’augmentation de la durée moyenne de vie, hors même la baisse de la mortalité infantile, agit aussi en ce sens.

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29 février 2024 4 29 /02 /février /2024 13:44

Un article de Bernard Bousquet

Voici (voir ce lien : Greenpeace et la question de la démographie), ce qu’on entend et lit encore, en 2023, de la part d’une organisation écologique que l’on croyait pourtant sérieuse et objective. Greenpeace, n’admet visiblement pas que démographie et écologie soient antagonistes, indépendamment des inégalités sociales et du rôle du capitalisme mondial.

S’opposant à l’idée de surpopulation pour la raison même que cette menace serait brandie pour faire endosser aux populations défavorisées la responsabilité de la crise climatique, Greenpeace semble ne pas vouloir admettre qu’un trop grand nombre d’humains puisse avoir un impact quelconque sur l’environnement. Pour l’organisation écologiste, l’environnement semble se limiter aux émissions de GES dont seules quelques dizaines de multinationales seraient responsables ! Pourtant, une analyse un peu approfondie montre que :

1) Sur le plan du dérèglement climatique, l’ « empreinte écologique » (Global Footprint Network) permet de constater que la biocapacité planétaire se réduit d’année en année du seul fait de notre nombre. Plus nous sommes nombreux, moins nous avons d’ « hectares globaux » à notre disposition. Cela n’enlève rien au fait qu’une minorité de pays et une minorité de personnes très riches sont les plus gros consommateurs de ressources naturelles, les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) et les plus gros pollueurs. Mais ce sont là deux problèmes différents. Un Chinois tout seul a une empreinte écologique faible comparée à celle d’un Américain, mais la Chine dans son ensemble, avec son énorme population, est de loin le plus gros émetteur de GES de la planète. On le voit, l’augmentation de notre population a un impact certain sur le climat. Nous verrons aussi plus loin que le GIEC a sousestimé les émissions polluantes africaines.

2) L’environnement ne se résume pas au climat, il englobe aussi la biodiversité. Dans ce domaine, il est difficile d’admettre que l’explosion démographique de l’Afrique subsaharienne puisse être sans conséquences ! L’augmentation incessante et rapide de ses populations cause sur le continent noir des préjudices considérables aux écosystèmes naturels. Ainsi, le deuxième plus grand massif forestier de la planète (après l’Amazonie) est rongé de l’intérieur par l’agriculture sur brûlis itinérante, dont la cause primaire n’est autre que l’accroissement du nombre des bouches à nourrir. Même si ce sont souvent les sociétés forestières (européennes, asiatiques, multinationales) qui exploitent de façon plus ou moins opaque la forêt dense, ouvrent des pistes forestières dans lesquelles, comme dans des voies d’eau, les agri-villageois et les braconniers s’engouffrent, métastasant les dernières grandes forêts primaires !

Dans les villes africaines, plusieurs étant devenues des mégapoles (Lagos, Kinshasa, Abidjan, Luanda, Dar-es-Salaam …), la consommation de bois (combustible principal) ravage des territoires entiers. Les terres cultivées s’étendent de plus en plus au détriment des savanes et des forêts, jusque-là parcourues par une exceptionnelle diversité animale. Mais la destruction des habitats naturels et le braconnage la cantonnent peu à peu la faune dans ses derniers refuges, parcs nationaux et réserves, que les gestionnaires essaient tant bien que mal de justifier et de protéger face aux pressions périphériques.

Comment ne pas voir que surnatalité et surpopulation sont antinomiques au bien-être humain ? Quelle femme africaine accepte de bon cœur d’engendrer un enfant tous les deux ans dès son adolescence ? De supporter le coût économique d’une famille nombreuse, qu’au moindre aléa elle verra sombrer dans la famine et la pauvreté ? Quelle jeune fille, avec des projets d’avenir, accepte de bon coeur de se voir retirer de l’école à 13 ans en vue d’être mariée ? Greenpeace va chercher des exemples extrêmes, comme la stérilisation forcée de femmes racisées ou la fusillade d’El Paso, pour tirer sa dernière et fatale cartouche en guise de conclusion : le racisme !

Pourquoi aller chercher le racisme en appui à une prise de position radicalement démosceptique (néologisme quelque peu ambigu qui se comprend par rapport à la démographie et non à la démocratie) ? Mais où se situe le véritable humanisme ? Comment l’homme pourrait-il vivre librement et sereinement sa condition humaine en continuant de se multiplier ? Car même si les projections de l’ONU montrent que la population mondiale se dirige vers un sommet démographique de 11 ou 12 milliards d’humains en 2100, il n’en demeure pas moins que le continent africain risque de voir (sans changement de trajectoire) sa contribution augmenter jusqu’à 40 % du total.

Qu’aura l’Afrique à gagner d’un tel bilan ? Elle aura dilapidé la quasi-totalité de ses richesses naturelles renouvelables, sa population s’entassera dans des mégapoles surpeuplées aux gigantesques bidonvilles violents et malsains. Et comment ne pas admettre en sus que cette croissance démographique est l’un des paramètres les plus prégnants de l’insécurité alimentaire (sans négliger la crise climatique, la guerre en Ukraine, le Covid-19, le djihadisme, les invasions acridiens …). L’autonomie nutritionnelle, la résilience agricole d’une grande partie du continent sont toutes deux mises à mal par la dégradation des sols et les fléaux précédents.

Scénario catastrophe ? Dénoncer la surnatalité et la surpopulation n’est pas consubstantiel de la thèse du « grand remplacement », dont parle certain courant de l’extrême droite française quand il envisage l’ampleur de l’immigration en France et en Europe, ou quand il propose la « remigration » comme un palliatif à ce problème. Il n’y a aucune honte à montrer de l’inquiétude face à cette dangereuse évolution démographique de l’espèce humaine. Le grand remplacement existe bien, mais pour décrire un tout autre phénomène : la confiscation par l’être humain de l’ensemble des niches écologiques à son profit exclusif. Un anthropocentrisme au détriment des autres espèces du vivant que nous délogeons peu à peu de leur ancestrale place au sein de la biosphère. Notre inquiétude ne concerne pas la seule Afrique et ses 1,4 milliard d’humains actuels.

En Europe aussi la démographie semble intouchable, et aucun pays n’envisage de donner un coup de frein à la croissance de sa population. Quoique vieillissant, le « vieux » continent ne se dépeuple pas pour autant ! L’immigration compense largement les déficits de natalité internes. Or cette immigration, perçue uniquement comme un flux quantitatif de personnes, est directement dépendante du rapide accroissement démographique du grand voisin africain. Voulue ou pas, elle ne peut que s’amplifier étant donné les conditions de vie de plus en plus défavorables que connaissent et vont connaître (si rien ne change) les populations d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale. Les dérèglements climatiques, les destructions écologiques, les conflits internes, les fléaux sanitaires, et les pertes d’autonomie des pays subsahariens en sont et en seront les causes essentielles. Nous voyageons, en France au moins, au pays des contradictions ! D’un côté, un discours officiel qui prône la sobriété et la transition écologique doté de lois telles que « Climat et résilience », « Zéro Artificialisation Nette », « Accélération des énergies renouvelables » …, de l’autre un discours tout aussi officiel de « réarmement démographique » avec une politique nataliste qui se renforce. Incohérence d’exiger de chacun plus de sobriété et une population qu’on veut croître plus vite. Alors qu’il faudrait stabiliser notre nombre.

Oui, il est temps de le faire. Il n’est là question ni de dirigisme ni d’autoritarisme dans ce domaine, mais de simple bon sens : l'équilibre démographique est basé sur deux enfants par famille (sans émigration, ni immigration). La surpopulation est déjà évidente dans de nombreux territoires d’Europe. Ce faisant on se ferme des portes de sortie.

Que fera-ton quand on aura compris que la sagesse est du côté de la territorialisation de l’économie ? Du côté d’une agriculture adaptée aux territoires, de 3 sources d’énergie locales, de circuits courts, de mobilités massivement vertes … Revenons à l’Afrique. Il existe des leviers efficaces pour limiter la surnatalité subsaharienne et les surpopulations qu’elle génère (Nigéria …). L’Europe a les moyens d’aider l’Afrique à ne pas sombrer dans ce gouffre dont malheureusement peu de pays paraissent réaliser le danger. Les programmes de planning familial associés à des programmes d’éducation, d’émancipation et d’autonomisation des femmes ont prouvé leur efficacité. Mais les besoins sont considérables et le temps ne joue pas en leur faveur : il manque actuellement 15 millions d’enseignants à l’Afrique ! La volonté politique est un préalable indispensable, hélas elle fait encore défaut. Le démographe H. Leridon (INED) a calculé qu’en agissant tout de suite, l’Afrique pourrait s’éviter 1,2 milliards d’habitants en 2100. Elle n’en compterait alors que 3,3 milliards, au lieu des 4,5 projetés qui formerait l’effrayant pourcentage de 40 % de la population de la Terre. Cette économie représente l’équivalent de la population de quatre Nigeria, de centaines de milliers d’hectares de terres et de forêts économisés, et probablement de grandes quantités d’émissions de GES évitées.

Car les émissions polluantes de l’Afrique ont été sous-estimées par le GIEC à l’horizon 2030, comme une étude du CNRS vient de le montrer récemment : « elles pourraient atteindre 20 à 55 % des émissions globales anthropiques des polluants gazeux et particulaires ». Car d’une part, on oublie souvent de prendre en compte dans les calculs les pertes de carbone dues à la déforestation (feux de brousse, brûlis des défrichements, sols à nu), de l’autre, les scientifiques annoncent que le bilan carbone des grands massifs forestiers africains, de plus en plus fragmentés, se dégrade d’année en année. En clair, comme en Amazonie, ils risquent de basculer vers plus d’émission que de captage de CO2. Cette correction met du sable dans le raisonnement de Greenpeace : la baisse de la croissance démographique subsaharienne aurait donc bien à terme un effet positif sur le climat. Il ne s’agit pas de « contrôle démographique », mais l’expression est utilisée par ceux-là mêmes qui s’opposent à toute régulation de notre population, pour mettre en exergue un caractère répressif et privatif de cette politique. La politique de l’enfant unique de Mao, le malthusianisme, ont laissé des traces dans nos imaginaires … J’ai proposé les termes d’éco-démographie et de société d’équilibre et de renaturation (La Sagesse de l’éléphante, ed. Libre & Solidaire, Paris 2023).

Greenpeace, association écologique, serait-elle en faveur de l’artificialisation des sols ? Car comment l’éviter, comment mettre en place une loi ZAN sans stabilisation démographique. Comment empêcher l’étalement urbain ? Greenpeace ignore-t-elle que le logement est responsable à 60 % du grignotage des ENAF (espaces naturels et forestiers) ? Ignore-t-elle que 4 selon l’UICN, la France perd chaque année plus de 60 000 ha de terres (l’équivalent d’un département par décennie !) ? On sait que les méthodes vertueuses, telle que l’agro-écologie, qui prônent des agricultures à taille humaine diversifiées et territorialisées, ont des rendements moindre que l’agriculture et l’élevage intensifs. Comment les généraliser sans envisager au préalable une politique éco-démographique ?

J’ai toujours admiré et continue d’admirer et de supporter (même si je ne cotise pas, car j’adhère déjà à un certain nombre d’associations militantes) les actions de Greenpeace. Mais de grâce, que l’Organisation ait la sagesse de ne pas se fourvoyer dans un domaine qu’elle ne semble pas maîtriser. Je crois même, qu’au moyen d’un contre-article, il serait tout à son honneur de faire machine arrière en matière de démographie. Cette nouvelle prise de position briserait un tabou et décoïncerait un débat, que les écologistes politiques n’ont jamais voulu enrichir (à part Dumont, Cousteau, Levi Strauss, bien sûr), craignant (à tort à mon avis) de s’enliser dans les terres de l’extrême droite.

Bernard BOUSQUET Écologue-forestier

Membre de Démographie Responsable et de la Sepanso

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22 janvier 2024 1 22 /01 /janvier /2024 19:44

Les récents propos du président de la République appelant au "réarmement démographique" ont suscité bien des réactions, certaines d'inspiration féministe, (le corps des femmes n'est pas soumis à la volonté de l'Etat), d'autres plutôt antimilitaristes  (l'utilisation du mot réarmement a beaucoup choqué). Peu de gens ont mis en cause le fond de l'affaire, c'est à dire la question démographique. A-t-on vraiment besoin de relancer la fécondité dans un pays dont les effectifs ne cessent de croître qui a déjà l'un des scores les plus élevés d'Europe en la matière ? Quelles sont les contradictions de ce plan avec les objectifs annoncés du gouvernement ?

Seule l'association Démographie Responsable semble avoir relevé la question, voici le communiqué qu'elle a publié sur ce sujet :

 

Démographie Responsable déplore les récents propos du président de la République appelant à un réarmement démographique.

Le choix des mots est malheureux, rappelant un temps où les hommes étaient considérés come des instruments de la puissance militaire.

Le fond l'est aussi. La France n'a jamais été aussi peuplée et depuis plus de 80 ans, elle est en croissance démographique permanente tandis que sa fécondité reste supérieure à celle de ses voisins européens. Dans quelle course voulons-nous lancer ? 

Plus d'hommes sur notre territoire ira à l'encontre de tous les objectifs par ailleurs exprimés par le gouvernement : la limitation de l'artificialisation des sols, la maîtrise des émissions de CO2, l'indépendance énergétique et alimentaire.

Un tel plan est donc contre-productif. Il revient en outre à donner un très mauvais exemple aux pays du Sud en déconsidérant par avance tout discours visant à promouvoir une démographie plus modeste sur l'ensemble de la planète, condition sine qua non de sa préservation

 

 

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1 janvier 2024 1 01 /01 /janvier /2024 07:44

Estimation de la population mondiale au 1er janvier 2024

 

Selon différents compteurs, en millions d'habitants et en début d'année

Sources                                          2023              2024            Progression

                                                                                                                    en nombre           en %

 

Countrymeters                              8 047             8 147          +  100  soit  + 1,2 %

Duurzame Demografie  (*)            8 000           8 082          +   82  soit  + 1,1 % 

Earth Clock                                    8 204           8 114          +   90  soit  + 1,1 %  

INED (**)                                        8 009           8 075          +   66  soit  + 0,8 %

PopulationCity.world                        7 973           8 055          +   82  soit  + 1,1 %  

Population.io                                  8 010           8 082          +   72  soit  + 0,9 %      

Population mondiale.com               8 011           8 099          +   88  soit  + 1,1 %

Terriens.com                                  7 916           7 989          +   73  soit  + 0,9 %

US Census Bureau                        7 943           8 020          +   77  soit  + 1,0 %

Worldometers                                8 009           8 082          +   73  soit  + 0,9 %

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Moyenne :                                     7 994          8 075           +  81   soit  + 1,0 % 

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Après le passage des 8 milliards fin 2022, la population mondiale n’a pas stoppé sa marche en avant. Si l’on en croit les compteurs ici retenus, la Terre accueille aujourd’hui près de 8,1 milliards d’habitants soit un peu plus de 80 millions de plus que début janvier 2023 (*). La dépopulation est donc loin de menacer l’espèce humaine contrairement à certaines craintes parfois relayées par la presse.

La situation reste très contrastée entre les pays développés où la fécondité se situe désormais majoritairement en dessous de 2 enfants par femme et les pays les plus pauvres, notamment en Afrique et dans quelques pays d’Asie, où la croissance reste forte : plus de 4 enfants par femme en Afrique, plus encore si l’on retient la seule région subsaharienne.

L’année 2023 a été marquée par le passage de l’Inde en tête des pays les plus peuplés du monde devant la Chine (un peu plus de 1,4 milliard d’habitants chacune). Celle-ci aurait connu une baisse de population en 2022 (850 000 habitants en moins), baisse qui s’est probablement poursuivie en 2023 même si les données ne sont pas encore disponibles. Attention toutefois, pour l’Inde et pour la Chine les statistiques démographiques ne sont pas d’une absolue fiabilité, elles peuvent être faussées pour des raisons de qualité des recensements, éventuellement aussi pour des motifs politiques.

Globalement nous constatons toujours une tendance à la baisse de la fécondité mondiale qui devrait peut-être conduire à une stabilisation autour de 10 milliards avant la fin du siècle, si toutefois elle se poursuit. Cela n’est évidemment pas acquis mais constitue une source d’optimisme pour certains qui considèrent que le problème de la surpopulation est ainsi réglé. Ils négligent le fait que le niveau actuel de nos effectifs exclut déjà en pratique l’essentiel du monde sauvage.

Concernant la France, les données à fin 2023 ne sont pas encore publiées, L’Ined annonce 68 millions d’habitants  (DOM-TOM compris) en janvier 2023 soit 200 000 de plus qu’un an auparavant. Tout en restant positif, le solde naturel est en baisse et se trouve désormais inférieur au solde migratoire. Les flux d’entrées ont repris leur hausse et ont retrouvé le niveau d’avant la crise sanitaire. On constate une surmortalité liée à deux épidémies de grippe ainsi qu’aux épisodes de canicule. Pour plus de détails, il est possible de télécharger gratuitement le livret de la série « La conjoncture démographique de la France » que propose l’Ined sur son site: L’évolution démographique de la France en 2023.

Ci-dessous évolution du solde naturel en France de 1957 à 2022 par comparaison du nombre de naissances et de décès. Source : Ined

Rappelons la tenue, le 25 novembre dernier, de la Journée Européenne de l’Écologie et de la Démographie consacrée aux liens entre ces deux sujets avec la participation de représentants de différentes disciplines. Il y a été notamment évoqué les liens entre démographie et réchauffement climatique, un sujet que les COP climatiques et le GIEC éliminent hélas presque systématiquement de leurs travaux. Ce fut encore le cas lors de la récente COP28.

Pour les anglophones, nous pouvons conseiller cet article très synthétique : World Population Growth : at once and future Global Concern (La croissance de la population mondiale, une préoccupation mondiale passée et future) de  Karl-Erik Norrman publié le 24 octobre 2023 dans la revue World.  (Merci au démographe Michel Garenne de nous l’avoir signalé).

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(*) Le compteur Population Awarness ayant disparu nous l’avons remplacé par le compteur Duurzame Demografie proposé, comme le précédent, par l’association Belge désormais du même nom. Les deux compteurs hélas n’avaient pas la même base et les comparaisons donnaient pour les évaluations au 1.1.2024 une croissance irréaliste (+ 179 millions !) Nous avons donc réattribué à Duurzame Population (qui n’existait donc pas encore à l’époque) une estimation pour le 1.1.2023 dans la moyenne des autres compteurs, seule méthode pour éviter des aberrations. Mais cela conduit à présenter en ce début 2024 (concernant l’année 2023) une valeur différente de celle que nous proposions l’an dernier (7,994 milliards au lieu de 7,984 milliards). Petite difficulté inhérente à ce genre de démarche basée sur les compteurs. Notons que globalement, une fois faites les moyennes, ces compteurs sont en plein accord avec les statistiques officielles qui sont généralement publiées un an plus tard.

(**) Le compteur de l’Ined donne un niveau croissance sensiblement plus bas que celui des autres (+ 66 millions au lieu de + 81 millions en moyenne). Cet écart est lié à un changement de base antérieur

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Tous les articles intitulés : La population mondiale au 1er janvier :

2009 (6,759 milliards), 2010 (6,838 milliards), 2011 (6,914 milliards), 2012 (7,003 milliards),

2013 (7,082 milliards), 2014 (7,162 milliards), 2015 (7,260 milliards), 2016 (7,358 milliards), 

2017 (7,440 milliards), 2018 (7,534 milliards), 2019 (7,637 milliards), 2020 (7,703 milliards), 

2021 (7,800 milliards), 2022 (7,888 milliards), 2023 (7,984 milliards), 2024 (8,075 milliards).

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6 décembre 2023 3 06 /12 /décembre /2023 13:24

L’éléphante est donc plus sage que nous, elle qui sait adapter sa reproduction aux capacités des territoires et aux opportunités futures. Voici ce que nous assène, dès son titre, le livre de Bernard Bousquet. Mais cette allusion à notre irresponsabilité n’est que le premier des messages que nous délivre l’auteur.

L’ouvrage, sous titré "Une démographie responsable pour une écologie efficace" est dense, complet,  argumenté. Il évoque tous les aspects du problème : le poids de la démographie dans l’environnement notamment sur ces deux points essentiels que sont l’écroulement de la biodiversité et le réchauffement climatique, mais aussi, le véritable tabou qui plombe le débat et, là encore, en relation avec ces deux points. Pourquoi ne met-on pas en cause nos effectifs quand l’on se désole de la fin du monde sauvage ou des risques liés aux émissions de CO2 ?

Comme le rappelle Bernard Bousquet « Il n’y a que dans un scénario de stabilité démographique… voire de décroissance … que le projet de sobriété à un sens », on ne saurait mieux dire. A quoi serviraient nos efforts s’ils devaient être effacés par une croissance sans limite de notre nombre ? Or, bien souvent, seule la question de la sobriété est traitée indépendamment d’ailleurs de la « consommation » des espaces naturels.

La question des zoonoses en lien avec notre occupation de tous les territoires de la faune sauvage - ou ce qu’il en reste – fait l’objet de longs développements.

« La sagesse de l’éléphante »  fait également une grande part à l’Afrique, là où la transition démographique tarde à se faire et qui connaîtra encore en ce 21ème siècle une véritable explosion de ses effectifs. En 2019, la fécondité mondiale était (Afrique comprise) de 2,47 enfants par femme quand elle était de 4,72 en Afrique subsaharienne et de 5,18 en Afrique de l’Ouest : le double !  Entre 2019 et 2100 ces deux régions devraient voir leur population multipliée respectivement par 3,5 et 3,8. Quand on sait la difficulté qu’elles éprouvent à offrir un avenir à leurs habitants et à préserver l’environnement, on ne peut qu’être effrayé.

Dernier point, et non des moindres, outre la qualité de l’argumentation, faits et raisonnements, on sent chez l’auteur une tendresse pour la beauté du monde. Ce respect qui en découle est la vraie raison de se battre pour tenter de le préserver. Cela supposera de revoir nos effectifs à la baisse et de vivre moins nombreux, comme d’ailleurs l’humanité l’a toujours fait, ce qui a été la condition de sa survie au cours des dizaines de millénaires passés.

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Dos de couverture

L’éléphante à la capacité d’espacer ses naissances lorsque les conditions vitales se détériorent. Les humains font tout l’inverse et l’augmentation de leur population provoque de multiples dégradations de l’environnement. Ne serait-il pas temps de nous inspirer de la sagesse de l’éléphante ? Le dérèglement démographique - à l’origine de nombreux dysfonctionnements : réchauffement du climat, effondrement biologique, crises sanitaires, guerres, pertes d’autonomie – devrait être depuis longtemps au cœur de nos préoccupations. Comment peut-on espérer préserver la biodiversité et réaliser l’indispensable transition écologique de notre société si nous continuons à fermer les yeux sur cette dimension majeure ? Si le débat sur la surpopulation demeure tabou ? Une politique écolodémographique est une condition sine qua non pour édifier une société d’équilibre et de renaturation axée sur la sobriété, en adéquation avec la nature et la reconstruction des écosystèmes endommagés. Pour cela une collaboration entre l’Europe et l’Afrique, voisines par la géographie et l’histoire est indispensable.

Bernard Bousquet est ingénieur des eaux et forêts, docteur en écologie. Il s’est spécialisé dans la préservation des aires protégées. Missionné sur des sur des projets de conservation de la nature par diverses organisations internationales, il a parcouru le monde pendant 40 ans. Il a travaillé au sein d'écosystèmes variés, sur plusieurs continents, dirigeant des inventaires de biodiversité et réalisant des plans de gestion de nombreux parcs nationaux et réserves naturelles dont les "hotspots" inscrits sur la liste du patrimoine mondial ou classés en réserves de biosphère de l'Unesco.

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La sagesse de l’éléphante. Une démographie responsable pour une écologie efficace, Bernard Bousquet, Editions Libre & Solidaire, octobre 2023,  333 pages, 23,50 €, ISBN 978-2-37263-153-2. Présentation du livre par l’éditeur

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10 novembre 2023 5 10 /11 /novembre /2023 15:04

Déjà auteur de plusieurs ouvrages sur la démographie (1), Michel Sourrouille coordonne là un nouveau livre à plusieurs voix. Pas moins de 23 personnes (2) donnent ici leur avis sur cette question qui devrait être au centre des réflexions sur notre avenir et sur la protection de notre planète. Beaucoup d’entre eux avaient déjà participé au livre «Moins Nombreux Plus Heureux» et beaucoup aussi militent collectivement au sein de l’association Démographie Responsable.

La variété des approches (sociologique, démographique, scientifique…) permet à ce livre de nous offrir un vaste panorama sur le sujet. Certaines contributions sont très détaillées (celles de Jean-Loup Bertaux ou de Denis Garnier) d’autres expriment une inquiétude viscérale face à l’évolution de nos effectifs, parfois en une ligne (Odette Chauve), d’autres essayent de comprendre les raisons du déni (Didier Barthès). La présence d’Antoine Waechter montre que le monde politique n’est pas étranger à cette interrogation de même que celle de l’économiste Stéphane Madaule. Même chose pour Martin Rott engagé sur les questions religieuses, qui prouve que, là aussi, les interrogations sont présentes. Enfin un juriste, Gilles Lacan, prend du recul et nous invite à changer de paradigme.

Ci-dessous la présentation que vous trouverez au dos de l’ouvrage

"L’idée de ce livre collectif provient d’une désillusion partagée. On pouvait croie que le passage à 8 milliards d’humains le 15 novembre 2022 selon l’ONU allait provoquer un choc médiatique On aurait pu sensibiliser les populations au fait que un milliard de terrien de plus ces onze dernières années, c’était beaucoup trop et beaucoup trop vite. A notre grand étonnement, cela n’a pas eu lieu. Tout au contraire, les intervenants privilégiés par la presse et les chaînes de télévision ont pour l’essentiel banalisé voir ignoré l’évolution démographique et ses impacts.

Il nous fallait donc à plusieurs voix démêler le vrai du faux dans ce qui se dit. Chaque contributeur ne s’exprime qu’en son nom personnel et sous sa responsabilité. Mais pour les 23 participants de cet ouvrage, la maîtrise de la fécondité humaine possède cette particularité de découler d’abord du libre choix des personnes. La contrepartie de cette liberté fondamentale devrait entraîner pour les individus et les couples un sens aigu de la responsabilité personnelle, car chaque naissance supplémentaire implique la collectivité tout entière et l’état de la planète.

Il ne s’agit pas d’envisager une contrainte étatique, seulement une éducation propice à une décision éclairée des hommes et des femmes."

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(1) Moins nombreux plus heureux, l’urgence écologique de repenser la démographie : ouvrage collectif, (Sang de la Terre, 2014), Arrêtons de faire des gosses (Kiwi, 2020), Alerte surpopulation (Édilivre, 2022)

(2) Philippe Annaba, Didier Barthès, Jean-Loup Bertaux, Antoine Bueno, Odette Chauve, Jean-Michel Favrot, Denis Garnier, Marc Gillet, Théophile de Giraud, Gilles Lacan, Stéphane Madaule, Jacques Maret, Corinne Maier, Fabien Niezgoda, Marie-Ève Perru, Alice Rallier, Martin Rott, Pablo Servigne, Michel Sourrouille, Lucia Tamburino, Michel Tarrier, Antoine Waechter, Philippe Waldteufel.

Surpopulation... Mythe ou réalité ? Ouvrage collectif coordonné par Michel Sourrouille. Éditions Édilivre, novembre 2023, 263 pages, ISBN 978-2-414-62014-2, 19 €.

 

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 17:04

Le 25 novembre prochain se tiendra à Paris la première Journée Européenne de l’Écologie et de la Démographie.

Cette journée, organisée conjointement par les associations Démographie Responsable et EurASP, proposera un ensemble de conférences autour des questions reliant l'environnement et la démographie.

Parmi les intervenants : 

Marc Gillet : climatologue

Antoine Buéno : essayiste, auteur du "Permis de procréer"

Michel Garenne démographe, spécialiste de l'Afrique 

Antoine Waechter : ancien député européen et représentant des écologistes à l'élection présidentielle de 1988 

Il sera également proposé une interview de Mathis Wackernagel, créateur du concept d'empreinte écologique et fondateur du Global Footprint Network.

L'après midi se terminera par une présentation des réflexions de l'EurASP sur les liens entre migrations et démographie (avec débat avec le public) ainsi que par une présentation des ouvrages des auteurs présents, là aussi avec débat.

L'entrée est libre et gratuite, chacun est invité à venir participer aux débats qui suivront chacune des interventions et projection une rare occasion d'aborder ces questions trop souvent occultées

Journée Européenne de l'Ecologie et de la Démographie

Samedi 25 novembre 2023, de 14 h à 19 h

Fiap Jean Monnet,  30, rue Cabanis , Paris 14e (Métro Glacière)

(*) L'EurAsp est une fédération d’associations européennes militant pour la prise en compte de la question démographique au sein de tous les débats liés à la protection de l’environnement.

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2 mai 2023 2 02 /05 /mai /2023 12:04

 

Par Fabien Niezgoda

L’Europe ne pèse aujourd’hui que moins du dixième d’une population mondiale toujours plus nombreuse, qui exerce sur notre continent une pression menaçant la survie de notre civilisation. Face à la conquête par les ventres, peut-on, doit-on résister en nous lançant dans la compétition du nombre ? Comment défendre le « Camp des Saints » assiégé, sans sacrifier une façon proprement européenne d’être au monde ?

 

Vers 1900, l’Europe, avec environ 420 millions d’habitants, représentait environ un quart de l’humanité, après avoir longtemps pesé un peu moins de 20 %. Aujourd’hui, le continent est peuplé d’environ 750 millions d’individus. Mais, dans un monde passé de 1,6 milliard à plus de 8, les Européens sont moins de 10 % de la population mondiale.

Deux faits incontestables : l’Europe n’a jamais été si peuplée, d’une part ; et d’autre part, les Européens n’ont jamais été aussi minoritaires dans la population du globe. Si nous ajoutons à ce constat une dimension dynamique, en comparant la pyramide des âges et la fécondité des différentes parties du monde, les projections ne peuvent que montrer l’accentuation de ce déséquilibre en notre défaveur. La conséquence, nous la connaissons et nous la vivons, c’est ce qu’écrivait en 1985 Jean Raspail dans la préface qu’il ajouta à son roman prophétique de 1973 Le Camp des Saints : « notre vieil Occident, tragiquement minoritaire sur cette terre, reflue derrière ses murailles démantelées en perdant déjà des batailles sur son propre territoire et commence à percevoir, étonné, le vacarme sourd de la formidable marée qui menace de le submerger ».

Dans cette citadelle assiégée qui est la nôtre, on pourrait imaginer, comme un réflexe de survie salutaire, une sorte d’alignement mimétique : face aux masses du Sud qui semblent faire du ventre de leurs femmes un instrument de conquête, nous pourrions répondre par un sursaut de natalité, et aligner des générations de petits Européens comme un rempart face à la submersion.

Il y a toutefois, derrière cette logique parfaitement compréhensible, plusieurs illusions et plusieurs pièges.

Tout d’abord, cette course mimétique au nombre participe d’une réduction paradoxale de la singularité des peuples. Pour paraphraser Bernard Lugan, qui explique souvent qu’on ne comprend rien à la politique africaine si on croit que l’Afrique est peuplée d’Européens à la peau noire : pourquoi devrions-nous, en réponse à la démographie galopante venue du Sud, faire des Européennes l’équivalent d’Africaines à la peau blanche ?

Envisager une relance de la natalité nécessite par ailleurs de se poser préalablement quelques questions essentielles. D’une part, est-on bien certain qu’un sursaut nataliste changerait grand-chose aux ordres de grandeur évoqués en introduction ? Combien d’enfants supplémentaires par Européenne faudrait-il pour que nous pesions de nouveau 20 à 25 % de l’humanité à la fin de ce siècle ? Peut-on envisager un scénario de ce type avec des taux crédibles ? Il faut bien sûr également se demander, avant de réclamer une politique davantage nataliste, quels en seraient les principaux bénéficiaires ; s’ils sont les mêmes que pour les Caisses d’allocations familiales actuelles, on n’aura guère résolu le problème qui nous préoccupe… D’une façon générale par ailleurs, on voit mal comment l’encouragement de la logique du nombre pourrait ne pas avoir de conséquences dysgéniques, du genre de celles qu’ont illustrées, avec la force de la satire, La Longue Marche des Cornichons ou le film Idiocracy. Évidemment, dans un tout autre genre, que les participants à ce colloque aient des familles nombreuses, comme l’illustre la présence d’une garderie appréciée, on ne peut que s’en réjouir. Et que d’autres d’ailleurs n’aient pas d’enfants ou ne comptent pas en avoir ne les empêche nullement de participer à la renaissance européenne. Or, que changerait au juste à cela une politique nataliste ? La Maison de la Chimie ne serait pas plus remplie qu’elle n’est, mais les rames de métro que nous avons pu emprunter ce matin auraient peut-être été plus bondées encore...

Avant même de s’interroger ainsi sur la possibilité et l’efficacité d’un tel redressement démographique, on peut d’ailleurs aussi juger son bien-fondé sur une base historique. Après tout, quand l’Europe pesait, au cours des siècles antiques ou médiévaux, un peu moins de 20 % de la population mondiale, elle fut capable, non sans mal certes, de résister aux divers assauts qui régulièrement menacèrent notre petite péninsule. Les Européens ont en effet toujours été minoritaires ; ce qui leur manque aujourd’hui, ce n’est pas tant le nombre que l’affirmation de leur identité et de leur légitimité à défendre leur territoire et leur être au monde.

Qu’il n’y ait pas de méprise : en remettant en cause le natalisme, il ne s’agit surtout pas de cesser de féliciter les heureux parents parmi nous, et il s’agit encore moins d’applaudir ce mouvement nihiliste dont les échos se font de plus en plus nombreux au sein de la jeunesse « woke », et qui passe par la condamnation de la parentalité (ou du moins de la parentalité biologique, à laquelle, dans ces milieux-là, on substitue volontiers l’adoption), par l’éloge de la stérilisation précoce, etc. Le malthusianisme bien compris (c’est-à-dire, d’abord, celui du pasteur Malthus lui-même), cela consiste à préserver les générations futures des malheurs (famines, guerres, épidémies) qui résulteraient de leur nombre trop important sur un territoire aux ressources limitées ; pas de leur éviter l’existence même !

Ni extinction volontaire et suicidaire, bien sûr, ni prolifération illimitée et cancéreuse. La sagesse apollinienne nous commande de trouver la juste mesure. L’une des plus fameuses maximes inscrites sur le temple de Delphes était Μηδὲν ἄγαν (mèden agan) : « rien de trop », « ne fais aucun excès ». De façon significative, Platon (dans la République) et Aristote (dans la Politique) étaient, une fois n’est pas coutume, d’accord sur ce sujet de la population. Si un minimum d’hommes est nécessaire dans une cité, pour assurer un efficace partage des tâches, une certaine spécialisation au bénéfice de tous, la défense d’un bien commun, une limite doit néanmoins être posée, nous disent-ils, tant par rapport aux ressources disponibles sur le territoire que pour conserver entre les membres de la communauté une certaine familiarité. « Une grande cité et une cité populeuse, résume Aristote, ce n’est pas la même chose. » (1)  La valeur des hommes n’est pas leur nombre, la quantité n’est pas la qualité. La grandeur d’un peuple ne se confond pas avec son poids.

« Il n’est de richesse que d’hommes » dira pourtant pour sa part, bien plus tard, Jean Bodin dans une formule célèbre, à propos des États modernes et de leur besoin de soldats et de contribuables. Mais, derrière l’affirmation de la puissance, n’entrait-on pas alors surtout dans le règne de la quantité ? Les hommes ainsi conçus, comme ils le sont par nos économistes obsédés par les chiffres de la croissance ou par l’équilibre de caisses de retraite conçues comme une pyramide de Ponzi, sont-ils encore autre chose qu’une masse indifférenciée d’individus interchangeables ? Derrière la logique du nombre, gronde le risque de rupture anthropologique : l’homme de l’ère des masses, c’est « l’homme remplaçable » décrit par Renaud Camus.

Avant de revenir avec lui à l’anthropologie, enjeu central qui nous occupe aujourd’hui, faisons un rapide détour par la biologie. Celle-ci nous apprend que les espèces peuvent adopter des stratégies reproductives variables, que l’on schématise habituellement dans le modèle r/K. La stratégie r, celle des grenouilles ou des organismes microscopiques par exemple, consiste en une reproduction rapide, précoce, produisant de très nombreux jeunes exposés à une mortalité élevée. La stratégie K correspond pour sa part à une durée de vie plus longue, à une reproduction plus rare et tardive adaptée aux capacités du milieu. L’homme, quelle que soit l’époque, quelle que soit la civilisation, quel que soit le modèle familial, adopte incontestablement une stratégie qui relève du « K ». Évidemment, la réalité est toujours moins schématique, mais il n’est pas inutile de toujours nous demander si nous voulons faire glisser le curseur vers le « r », privilégiant le nombre avant tout autre considération, ou si, fidèles à la stratégie « K », nous préparons l’avenir de chacun des enfants que nous laissons au monde, et auxquels nous transmettons celui-ci.

J’évoquais tout à l’heure le nom de Malthus, en rappelant précisément sa crainte de générations croissant à un rythme non soutenable. On pourra objecter, à la question de la limitation des ressources posée par Malthus et à sa suite par tous les néo-malthusiens ou éco-malthusiens, que leurs scénarios pessimistes sous-estiment les capacités de la technique à repousser les limites. Certes. C’est bien, par exemple, grâce au procédé Haber-Bosch de synthèse de l’ammoniac, que les engrais azotés ont permis à l’humanité au XXe siècle de percer allègrement le plafond des deux milliards. Il est possible de voir, dans cette soumission de la nature au profit de l’homme, une logique prométhéenne qui nous a permis en effet de sortir d’une certaine fatalité. Mais Heidegger nous a montré que le déploiement de la technique, c’est aussi pour l’homme davantage de dépendance, davantage d’aliénation, davantage d’arraisonnement de l’homme lui-même, davantage de soumission à la pensée calculante. On peut, nous disent certains agronomes populationnistes, nourrir dix, douze, quinze milliards d’humains sur cette planète. Les pois chiches transgéniques le permettront peut-être en effet. Mais cela vaut-il la peine de déployer tant de moyens, tant d’ingéniosité, pour atteindre un objectif dont la pertinence même mérite peut-être débat : optimiser le remplissage humain de la terre est-il un objectif en soi ?

Renaud Camus rappelle « cette vieille croyance indienne [...], selon laquelle il y a dans le monde une quantité d’âme constante, et moins d’elle pour chacun, donc, à mesure que l’humanité se fait plus nombreuse (2). Au-delà des considérations matérielles du malthusianisme classique, on peut noter en effet que la trop forte densité humaine nuit à la vie spirituelle, de même qu’elle n’a cessé, depuis des décennies, de limiter la liberté d’aller et venir : depuis les autoroutes où se croisent juillettistes et aoûtiens jusqu’aux rocades qu’empruntent les travailleurs métropolitains dans leurs mouvements pendulaires, des galeries des Musées du Vatican jusqu’à certains sentiers de montagne, des chambres d’hôtel aux places d’opéra, l’homme contemporain de huit milliards d’autres doit sans cesse jouer des coudes. On croit voyager ? Multiplié par des millions, le voyageur est un flux ; et qui dit flux, dit aujourd’hui gestion des flux. On espère se perdre dans la campagne, trouver un village ou un paysage intact ? Grande chance si l’aménagement du territoire n’est pas passé par là, avec ses zones commerciales, ses parkings, sa banlieue universelle, ses champs d’éoliennes. Mais depuis les années soixante et la création de la DATAR, l’Hexagone s’est rempli de vingt millions  d’hexagonaux supplémentaires. La France est-elle désormais plus belle qu’alors ? Plus vivable ? Est-elle plus grande ? Rappelons-nous Aristote : une grande cité et une cité populeuse, ce n’est pas la même chose...

Vivre en Européen, c’est aspirer à autre chose qu’à cette fourmilière humaine que dessine l’ère des masses. La leçon d’Orphée commande que puissent demeurer des espaces naturels vierges de notre présence ; des forêts laissées aux nymphes et aux loups ; des espaces sauvages où, comme le naturaliste et graveur Robert Hainard, l’homme ne pénètre qu’en contemplateur discret et léger, et non en défricheur cherchant où il pourra utiliser son tracteur ou son excavatrice. L’homme habite la terre en poète, écrivait Hölderlin. Or il n’est pas certain du tout que cette façon-là d’être au monde soit tenable dans un monde toujours plus peuplé, dans une Europe toujours plus peuplée, fût-ce uniquement d’Européens.

 Pour l’Européen, le nombre est donc une menace et un piège. La menace, c’est bien sûr celle de la submersion. Le piège serait que, croyant répondre à la menace, on sacrifie notre être-au-monde au règne de la quantité.

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(1)  Aristote, Politique,  VII, 4, 4-6

(2) Renaud Camus, La dépossession ou du remplacement global, La Nouvelle Librairie, 2022, pp 313-314

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L'auteur : Historien médiéviste de formation, Fabien Niezgoda est professeur agrégé d’histoire-géographie. Auditeur de la promotion Patrick Pearse, il est devenu formateur régulier au sein de l’institut Iliade, en particulier sur notre rapport à l’écologie et à la technique. Collaborateur de la revue Éléments, il y a notamment dirigé en 2020 un dossier remarqué consacré à la surpopulation.

Cet article a été initialement publié sur le site de l'institut Iliade, il reprend les éléments d'une intervention de Fabien Niezgoda lors du colloque intitulé "Face au déclin anthropologique, vivre en Européen" qui s'est tenu sous l'égide d'Iliade, le 15 avril 2023, à la Maison de la chimie, à Paris.

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22 mars 2023 3 22 /03 /mars /2023 15:04

Le lien entre la pression démographique et la dégradation de l'environnement relève d'une logique assez simple, mais beaucoup renâclent encore à l'admettre et même à seulement l'évoquer.

Deux graphiques le mettent en évidence.

Tout d'abord, cette carte de la pollution de l'air récemment publiée par le magazine Reporterre à partir d'une étude de l'entreprise IQ Air

On remarquera la corrélation quasi parfaite entre les lieux de pollution atmosphérique et la densité de peuplement humain

 

En second lieu, ci-dessous, ce graphique montrant depuis 1950 l'évolution de la population et celle de la quantité d'eau douce disponible par personne. La quantité globale (40 000 kilomètres cubes / an) restant  à peu près stable, la quantité disponible par personne évolue naturellement à l'inverse de nos effectifs (40 000 000 000 000 m/ 8 000 000 000 = 5 000 m3). 

Parfaite illustration du caractère inéluctable de la décroissance... ou de notre appauvrissement.

 

 

Ce lien entre protection de l'environnement et démographie a notamment été évoqué à l'occasion du récent salon Primevère sur les ondes de Radio Grésivaudan.

 

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15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 13:54

En 2016, sous le titre "La bombe P n'est pas désamorcée", la revue  Éléments  publiait cet entretien entre Fabien Niezgoda, professeur agrégé d'histoire et Didier Barthès porte-parole de Démographie Responsable. Il est toujours d'actualité, les raisons qui motivent l'association restent les mêmes et le monde a "gagné"  650 millions d'habitants depuis l'entretien et 1,2 milliard depuis la naissance du mouvement.

 

Fabien Niezgoda: Démographie responsable a été créée en 2008. Comment est née et s’est développée cette association ?

Didier Barthès : La motivation initiale fut tout simplement une sensibilité à la nature, la tristesse de voir partout les espaces sauvages grignotés par la civilisation, et la conscience que, pour une part, ce grignotage était lié à nos effectifs toujours croissants. Quelques personnes s’en sont ouvertes les unes aux autres et ont décidé de fonder l’association. Peu à peu, devenus plus nombreux, nous avons pu développer nos activités, affichages, tracts, participations à des forums, interviews, manifestations, conférences… Comme pour d’autres mouvements, internet a été déterminant pour fédérer des gens au départ plutôt isolés. Aujourd’hui encore, beaucoup de ceux qui nous rejoignent font la même remarque : « j’ai réalisé que d’autres pensaient comme moi, je pensais croyais être seul et n’osais pas en parler ». Un tabou pèse sur la question.

Q. : Pour beaucoup, l’idée d’un contrôle démographique évoque la politique de l’enfant unique mise en place en Chine en 1979 (et dont la fin vient d’être décidée). Cette politique autoritaire était-elle justifiée ? Peut-on la considérer comme un modèle ?

DB : Rétrospectivement, cela a sans doute été une bonne chose. Cette politique a été mise en place quand la Chine a vu sa démographie s’emballer malgré l’amorce d’une baisse de la fécondité. Sans elle, le pays aurait aujourd’hui de 4 à 500 millions d’habitants de plus. Cette charge aurait lourdement obéré le développement et intensifié l’occupation de tous les territoires au détriment de la nature. On ne peut toutefois nier le caractère liberticide de cette politique, accompagnée de surcroît de nombreux abus. Mais il faut en tirer la leçon: plus nous tardons à engager, de façon douce et incitative, une baisse de la fécondité, plus nous risquons d’être confrontés demain à des mesures plus dures et bien peu démocratiques.

Q. : Malgré les équations de Ehrlich-Holdren et de Kaya, qui intègrent la population comme facteur essentiel de notre impact global sur l’environnement, les partisans de la décroissance ont souvent tendance à négliger la démographie, préférant insister sur la question de la consommation.

DB : Il n’y a nulle raison d’opposer une action sur les modes de consommation et la lutte contre la surpopulation, les deux se conjuguent. À 99 %, les mouvements écologistes ne parlent que du premier volet : il était nécessaire que quelques personnes s’emparent du second. Les équations évoquées rappellent une évidence : l’effet de tout phénomène résulte du produit de son intensité par son ampleur. Il est curieux que même les milieux de la décroissance, pourtant au fait des questions quantitatives, renâclent à élargir et appliquer leur réflexion à la population. Craignent-ils de donner une mauvaise image d’eux-mêmes ? La seule prise en compte du mode de vie révèle une fois de plus le tabou de la démographie. On le retrouve dans le caractère négatif attaché à l’adjectif malthusien, ou quand, régulièrement, l’ensemble de la presse et du monde politique se réjouit sans aucun recul des « bons » chiffres de la fécondité française. Il est ancré dans nos mentalités que le plus est le mieux.

Q. : Aristote, après Platon, traite d’une façon exemplaire de la question de l’optimum démographique d’une cité. Comment a-t-on abandonné cet attachement des Grecs classiques à la juste mesure, et cessé de comprendre cette évidence rappelée dans la Politique : « une grande cité et une cité populeuse, ce n’est pas la même chose » ?

DB : Je crois que la technologie nous a trompés. En augmentant les rendements, en favorisant les transports, elle nous a donné l’illusion de l’omnipotence. Nous nous sommes crus libérés de toute limite. Sans doute la pensée grecque était-elle, ou paraissait-elle, peu adaptée au monde industriel. Or la technologie ne crée pas de nouvelles ressources. Elle nous a plutôt permis d’exploiter plus vite et plus complètement celles de la planète, de « consommer le capital ». Aujourd’hui avec la déplétion de ces ressources, les questions quantitatives redeviennent cruciales. Le sens des limites nous serait bien utile. On le retrouve dans la philosophie de la décroissance, et il était d’ailleurs présent dans les premiers slogans de l’écologie : small is beautiful… Olivier Rey en a développé brillamment certains aspects dans son récent livre Une question de taille. Yves Cochet travaille aussi dans ce sens avec l’Institut Momentum.

Q. : Lecteur de Gibbon (qui pourtant ne s’exagérait pas l’ampleur de la submersion qu’auraient représentée les masses barbares), Malthus voyait dans la prolifération des Germains un facteur-clé de la chute de l’Empire romain ; de leur côté, les Romains étaient de longue date devenus malthusiens. Les plus sages, en un sens, ont donc perdu. Ne touchons-nous pas là à la faille essentielle du malthusianisme ? De même qu’un désarmement unilatéral n’a jamais signifié la paix mais seulement la capitulation, le « malthusianisme dans un seul pays » n’expose-t-il pas celui-ci à une invasion à plus ou moins brève échéance en provenance de zones à plus forte pression démographique ?

DB : La population française représente 0,9 % de la population mondiale, une politique nataliste qui la ferait remonter à 1 ou 1,1 % (car telles sont les marges de manœuvre) ne changerait rien à l’affaire, ce n’est plus par cette course contre le reste du monde que nous pouvons nous préserver des migrations. L’Afrique aura 4 milliards d’habitants à la fin du siècle (20 fois plus qu’en 1950 !). Il s’agit d’affirmer notre culture, plus que de lutter vainement par les berceaux. Il faut aussi d’aider les pays en développement à maîtriser leur fécondité, pour permettre aux populations locales de ne pas être les premières victimes de leur explosion démographique.

Q. : L’action de Démographie responsable ne se conçoit donc pas sans contacts internationaux. Dans les pays du Sud, premiers concernés par la question de la surpopulation, les discours malthusiens en provenance du Nord ne sont-ils pas perçus comme condescendants, paternalistes, ou parfois même carrément racistes, comme le laissent parfois entendre certains anti-malthusiens occidentaux, tel Hervé Le Bras ?

DB : Il existe dans plusieurs pays d’Europe des groupes comparables, fédérés au sein de l’European Population Alliance (1). L’association anglaise Population Matters compte à elle seule plusieurs milliers de membres. Aux États-Unis, plusieurs mouvements similaires, souvent liés à des organisations environnementales et/ou en faveur du développement, connaissent un réel succès.Hélas, en effet, les messages prônant une certaine « modestie démographique » sont parfois perçus avec méfiance. Bien entendu, les natalistes ne se privent pas d’encourager ces réactions, en chargeant la barque. Un discours ferme et des actes cohérents permettent d’échapper à la caricature. Ainsi, nous avons pu organiser l’envoi et la distribution de préservatifs en Afrique, en collaboration avec des écologistes locaux. Cela montre bien qu’il existe là-bas aussi une vraie conscience du problème. Tous les Africains ne considèrent pas que les Européens qui les mettent en garde contre l’explosion démographique de leur continent seraient racistes, au contraire.

Q. : Le défi démographique est-il correctement abordé par l’ONU et ses agences ?

DB : Il existe dans les grandes institutions internationales une réelle conscience du problème. L’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a d’ailleurs lui-même souligné la gravité de l’enjeu. Au sein du Fonds des Nations unies pour la population, comme à l’Agence Française de Développement, le sujet est bien présent. Il faut bien constater pourtant que cette conscience n’a pas conduit à endiguer suffisamment la croissance démographique mondiale. L’Asie par ses effectifs gigantesques, l’Europe par sa densité moyenne très forte, l’Afrique dont le potentiel de croissance menace tant le développement que les équilibres écologiques en sont les témoins. Chacun attendait un développement harmonieux du monde, une transition démographique rapide, la généralisation, sur le mode occidental, d’une fécondité autour de deux enfants par femme, pour assurer le renouvellement des générations tout en évitant l’explosion. Force est de constater aujourd’hui que ce schéma optimiste ne se réalise pas ou en tout cas pas assez vite.

Source : Revue Éléments (numéro de janvier-février 2016 sous le titre, La bombe P n’est toujours pas désamorcée).

(1) Depuis cet entretien, l'European Population Alliance n'existe plus, il s'est par contre créé l'Eurasp, une fédération d'associations européennes dont les idées sont proches de celles défendues par Démographie Responsable, laquelle en fait d'ailleurs partie.

Source : Revue Éléments, numéro de janvier-février 2016, sous le titre : "La bombe P n'est pas désamorcée".

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