Avec l’aggravation continue du réchauffement de notre planète, la succession des épisodes climatiques catastrophiques s’accélère et s’intensifie. Ils s’étendent, deviennent plus fréquents et plus intenses.
Un rapport de l’ONU datant de 2022 stipule que les inondations ont augmenté de 134 % dans le monde depuis 2000 (actualisé, ce ratio est sans doute plus élevé aujourd’hui). Avec 18 millions de Français concernés et 16 000 communes (une sur deux) potentiellement inondables, les inondations sont en France, le principal enjeu des dérèglements météorologiques. Sans même parler des submersions marines en zone côtière, les inondations représentent 56 % des indemnisations versées au titre des catastrophes naturelles, devant les sécheresses (37 %) et les incendies de forêt. Ce n’est pas sans raison si les Français perçoivent les inondations comme le risque naturel le plus préoccupant.
S’attaquer radicalement aux causes (d’origine humaine) de ces dérèglements serait la ligne d’actions à suivre la plus courageuse et la plus efficace. Hélas nous savons combien il est illusoire d’en attendre un résultat probant sans un consensus général des grandes puissances émettrices de gaz à effet de serre. Il faut croire que le diagnostic mondial n’est, à leurs yeux, pas encore assez effrayant pour que les COP sortent de leur spirale d’échecs. Impuissants à agir aux racines du mal, il ne reste plus qu’à nous adapter à notre échelle, nous replier dans notre cocon (que l’on pourrait tenter d’étendre au moins à l’Europe), afin de réduire les dégâts. Il existe déjà une batterie d’outils de maîtrise de l’urbanisme pour prendre en compte les risques (PPRi ou PPRNi). Mais comme on s’en doute, ils évitent les sujets sensibles ou politiques, tels l’urgence de changer nos comportements dans bien des domaines. Il faudrait arrêter de qualifier d’écologie punitive toute initiative allant vers plus de sobriété et de transformations radicales de nos modes de consommer et de produire. L’agriculture, la sylviculture, l’aménagement du territoire, l’énergie, les transports, sont les secteurs les plus concernés par ces changements.
La passivité des politiques et des décideurs devant les phénomènes d’inondations qui se multiplient est stupéfiante. Pourtant, ils le savent : la capacité des bassins-versants à retenir et infiltrer les eaux en surplus est en diminution constante. N’est-ce pas à cause de l’incroyable légèreté avec laquelle nous faisons usage de notre espace ? Chaque année, c’est au moins 25 000 ha d’Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (ENAF) qui disparaissent sous le bitume et le béton, pour étendre nos zones habitées (60% de la consommation totale de terres) et commerciales, ou pour construire de nouvelles infrastructures.
Heureusement, il y a la loi « Climat et résilience » et le dispositif « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN). Ce dernier se montre un rempart législatif efficace contre le mitage et la bitumisation inconsidérés des espaces naturels. Le ZAN prévoit de réduire de moitié l’artificialisation des sols d’ici 2030 puis d’atteindre la neutralité d’ici 2050. Mais un tel objectif le rend gênant. La volonté des élus n’est-elle pas d’accroître en permanence la population de leur commune ? Combien de maires et de présidents d’intercommunalités n’ont-ils pas tenté d’édulcorer les effets du ZAN dans les PLUi et les divers Schémas d’aménagement territorial ? Au sommet de l’Etat, Michel Barnier a promis des assouplissements du dispositif. Assouplir, c’est réduire l’efficacité ! Quant aux sénateurs, ils dénoncent dans le ZAN « une entrave au développement des territoires ». C’est « au mieux une impasse, au pire le ferment de nouvelles contestations », estime Jean-Baptiste Blanc, sénateur (Les Républicains, LR) du Vaucluse (Le Monde, 9 octobre 2024). Ainsi, usant de la même partition avec laquelle les pouvoirs publics ont donné satisfaction aux gros bras de l’agriculture productiviste au début de 2024, on s’apprête à faire profil bas devant l’érosion des ENAF, ce qui équivaut à brader la biodiversité, pourtant vitale et essentielle à notre bien-être.
Conserver un tel matelas de vivant et de foncier serait pourtant la première condition pour renforcer la résilience de nos territoires face aux agressions climatiques. La façon d’utiliser les dits espaces en étant la seconde. Nul besoin de sortir d’une grande école d’ingénieur pour comprendre que l’arrêt des extensions urbaines, la bonne santé des sols, un maillage dense de haies pour fragmenter les trop vastes champs agricoles, la polyculture, l’abandon des labours profonds, le passage à l’agrobiologie, la sanctuarisation des zones humides (éponges naturelles), le maintien, voire l’extension des forêts à caractère naturel gérées sans coupes rases, comptent parmi nos meilleures défenses contre les aléas climatiques et l’effondrement de la biodiversité. Renaturer les cours d’eau et leurs rives, sans négliger l’aide ponctuelle des castors, fait également partie de la solution. Les spécialistes de génie écologique ne font pas défaut dans notre pays. De même qu’il faut réduire drastiquement les projets de nouvelles grandes infrastructures (autoroutes, LGV, déviations…) au bénéfice de l’amélioration de l’existant, des mobilités douces (pistes cyclables, dessertes ferroviaires secondaires, fluvial…), et des énergies renouvelables dans les zones déjà artificialisées. Nous avons besoin d’un grand plan national de résilience intégrant et reliant entre-elles ces différentes pistes de mesures. Il est temps de reconstruire les écosystèmes naturels endommagés ou sacrifiés.
Mais nous devons faire plus. Qui ne voit les liens entre inondations et artificialisation des terres, entre artificialisation et croissance de la population ? Si A dépend de B et B de C, A dépend aussi de C. La France est en Europe l’un des rares pays à ne pas sentir le poids de sa démographie. Une sorte de dissonance cognitive collective porte à croire que nous ne sommes pas encore assez nombreux. A commencer par le Président qui considère qu’il faut réarmer démographiquement le pays. Pourtant, si la natalité baisse, la population ne cesse d’augmenter. Légèrement certes, mais la force d’inertie démographique ajoutée à l’immigration, font que la population s’accroît chaque année en moyenne de 0,3 %, soit 130 à 140 000 habitants supplémentaires. L’équivalent d’une ville comme Angers, ce qui est loin d’être négligeable.
Malgré cette hausse bien réelle de la population, ne se font entendre dans le débat que les voix de ceux et celles pour qui la baisse de la natalité est une véritable catastrophe sociale et économique : sur les retraites, l'armée, l’industrie… Et ils ont vite fait d’anticiper un désert français, une pénurie d’innovations, le manque de main d’œuvre, l’effondrement du système des retraites, etc., etc. Cette baisse de la natalité (partagée par quasiment tous les pays d’Europe occidentale), le démographe Hervé Le Bras ne l’attribue pas à l’éco anxiété ambiante mais essentiellement aux progrès éducatifs dont ont profité les femmes et à la réduction des disparités entre genres. Si on suppose les taux actuels de natalité, mortalité et bilan migratoire constants, l’INSEE prévoit que la population française continuera à la fois de vieillir et de s’accroître, jusqu’en 2044 ; puis, elle diminuera lentement, comme cela est déjà le cas en Italie et en Allemagne. Le scénario est plausible, mais non certain : nul ne sait ce qui peut advenir d’ici-là. L’instabilité de notre monde n’exclut ni les épidémies, la guerre, une forte hausse de l’immigration (clandestine ou pas, causée par l’explosion démographique ou les famines en Afrique subsaharienne), une catastrophe naturelle ou nucléaire, et j’en passe. A propos du nucléaire, en prévoyance d’un futur accident nucléaire qui pourrait rendre longtemps inhabitable une partie de notre territoire, nous serions fort aise d’avoir gardé suffisamment d’ENAF.
Bien rares sont les voix qui saluent l’opportunité de la baisse de la variable nataliste dans l’équation démographique, non seulement pour l’environnement (notamment la biodiversité), mais aussi pour l’économie et la société en général. Les effets positifs seraient d’ailleurs encore plus visibles si on parvenait, sinon à réduire, du moins à stabiliser notre nombre. Un objectif de sobriété démographique bien plus salubre et facile à atteindre qu’on ne croit. Les effets négatifs seraient quasi-inexistants. On est sortis du XIX° siècle ! La force d’un pays n’est plus corrélée à sa population. L’IA, les robots, les drones… ont fait passer de mode la chair à canon. Le capitalisme dispose à ses pieds d’un capital inemployé de plusieurs millions de chômeurs qu’il lui suffit de former. Quant aux retraites, H. Le Bras estime que leur régime n’est pas menacé par la baisse de la natalité (à court et moyen terme). Dans le long terme, bien entendu, il admet qu’il faudra réformer. Lui aussi voit dans la baisse de la natalité un atout économique : « la proportion d’actifs va augmenter, et les dépenses liées à l’éducation seront moins importantes ». Un point de vue conforté par une étude récente (Declining population and GDP growth, Th. Lianos, A. Pseidiris, N. Tsounis, 2023). 20 ans d’accroissement démographique avant la décroissance prévue par l’INSEE, ce n’est pas dramatique en soi, mais cela incite logiquement à pratiquer d’urgence la sobriété généralisée. Afin que les 3 millions d’humains supplémentaires attendus en France durant ce laps de temps ne surchargent pas la pression totale exercée sur les ressources naturelles (sols, eaux, forêts, milieu marin, minerais) et ne freinent pas la décarbonation.
Dans ces conditions, il est paradoxal de booster la croissance démographique de la France. C’est frontalement aller à l’encontre de la stratégie nécessaire pour faciliter notre adaptation au réchauffement climatique. Nous avons besoin de tout le contraire : une politique écodémographique visant à décroître ou (au pire) stabiliser notre nombre. Il faut en finir une fois pour toutes avec les politiques familiales à visée nataliste. Quant à la politique migratoire, son efficience gagne à ce qu’elle soit conçue et appliquée au sein de l’Europe, mais à condition que les institutions du continent aient pris la mesure de l’enjeu démographique, tant en Europe (surpopulation) qu’en Afrique subsaharienne voisine (surnatalité). Il est temps de nous désengluer de l’archaïsme véhiculé par les intellectuels cramponnés à leurs idéologies anthropocentristes et soi-disant progressistes. La sobriété démographique est la moins coûteuse de toutes les sobriétés et la plus facile à mettre en œuvre. Elle n’est pas anti-humaniste, au contraire : le vrai humanisme n’est-il pas de faire peu d’enfants bien éduqués pour minimiser l’empreinte écologique familiale et que chacun puisse s’épanouir au sein d’un environnement sauvegardé ? Le vrai progrès comme disait René Passet est « celui qui permet l’insertion durable des activités humaines dans le milieu qui les porte ». Rien d’autre là qu’une règle dérivée de l’évolution. Écoutons aussi le paléo-anthropologue Pascal Picq : « les espèces comme les civilisations vivent sur leur adaptations du passé, mais leur survie dépend de leur capacité à inventer les adaptations à un monde qu’elles ont contribué à modifier ». Vivre en plus petit nombre en est, dans ces conditions, l’une des plus indispensables.
Les crises que nous traversons touchent tant de domaines : climatique, écologique, sécuritaire, socio-économique, sanitaire, politique… qu’on pourrait se demander à juste titre si le mécanisme d’effondrement de la civilisation occidentale, entraînant dans son sillage l’économie capitaliste et ses réseaux mondialisés, n’est pas déclenché ! Toujours est-il que les voix de la sacro-sainte croissance paraissent de plus en plus discordantes. La publicité, manipulatrice et uniformisante, porte-drapeau de l’économie formelle ultra libérale, n’a jamais paru autant déconnectée des réalités, a contrario de notre conscience sans cesse plus aigüe des limites planétaires. Signaux d’alarme critiques que nos élus et décideurs, erreur de jugement ou peur de leur avenir politique, ne paraissent pas vouloir écouter ou reconnaître, ces crises pourraient bien se muer en terribles catastrophes, effaçant les effets salvateurs des multiples contre-projets politiques, sociaux, écologiques ou culturels dont la société civile, plus réactive, s’est fait l’écho.
Parmi les causes multiples qui ont déclenché la catastrophe écologique et annoncé l’ère de l’Anthropocène, perçue comme tabou ou victime de calcul politique, la démographie est rarement citée. Sont montrés du doigt en premier les inégalités sociales et le capitalisme mondial. Une majorité de politiques, écologistes compris, rejette l’idée de surpopulation pour la raison même que cette menace serait brandie par des comploteurs pour faire endosser aux peuples défavorisés, notamment africains, la responsabilité de la crise climatique. Disant cela, remarquons que le soupçon de xénophobie ou de racisme n’est plus très loin. Car en matière de démographie le débat échappe facilement à toute rationalité et se dissipe dans le vaste champ des passions. Aujourd’hui encore, les mêmes refusent d’admettre l’idée qu’un trop grand nombre d’humains puisse avoir un impact quelconque sur l’environnement. Un impact qui, selon eux, se limiterait à des émissions massives de gaz à effet de serre (GES) et dont la responsabilité reviendrait aux multinationales et aux pays riches.
Rappelons quelques fondamentaux :
1) sur le plan du dérèglement climatique, l’ « empreinte écologique » (conçue par l’ONG Global Footprint Network) permet de constater que la biocapacité planétaire se réduit d’année en année du seul fait de notre nombre (en Afrique, la biocapacité disponible par habitant a diminué des 2/3 entre 1961 et 2008 - source WWF, 2012). Plus nous sommes nombreux, moins nous avons d’ « hectares globaux » à notre disposition. Cela n’enlève rien au fait qu’une minorité de pays et une minorité de personnes très riches sont les plus gros consommateurs de ressources naturelles, les plus gros émetteurs de GES et les plus gros pollueurs. Mais si un seul Chinois a une empreinte écologique faible comparée à celle d’un Américain, la Chine prise dans son ensemble, avec son énorme population, est de loin le plus gros émetteur de GES de la planète. Le poids démographique a bien un impact délétère sur le climat.
2) l’environnement ne se résume pas qu’au climat, il englobe aussi la biodiversité. Vu sous cet angle, il est difficile d’admettre que l’Europe n’est pas (au moins localement) surpeuplée et que l’emballement démographique de l’Afrique subsaharienne puisse être sans conséquences, au prétexte que les populations pauvres ont peu d’impacts sur le climat ! L’augmentation rapide de la population subsaharienne cause aux écosystèmesnaturels et à la diversité biologique des préjudices considérables, auxquels s’ajoutent, bien entendu, les non moins désastreux dommages causés par les ambitions économiques concurrentes des puissances étrangères en Afrique.
Analysons, à titre d’exemple, le cas de la République Démocratique du Congo (RDC). Ce pays renferme 60% de la grande forêt humide d’Afrique centrale, partagée avec cinq autres pays riverains. Pareille superficie rend la RDC dépositaire de la moitié de toutes les forêts humides d’Afrique. Encore en majeure partie intacte (il est difficile d’employer le terme primaire quand on sait que cette forêt fut parcourue et habitée par des peuples autochtones durant des millénaires), elle est le deuxième plus grand massif forestier tropical de la planète, après l’Amazonie. Pourtant, le gouvernement congolais a cédé récemment (vente aux enchères) 11 millions d’ha de forêt sempervirente à l’exploration pétrolière et gazière (presque 4 fois la surface de la Belgique). Sans respect ni pour les aires protégées et leur biodiversité ni pour les peuples autochtones. Certains blocs incluent une partie de la plus vaste tourbière au monde (la Likouala-aux-Herbes que se partagent RDC et Congo Brazzaville), dans laquelle se trouve séquestrées d’astronomiques quantités de carbone. Et comme si cela ne suffisait pas, une superficie à peu près équivalente de forêt est concédée à des entreprises européennes et asiatiques dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles récoltent les bois précieux selon des modalités d’exploitation plus ou moins opaques. Au-delà de leurs impacts directs, l’ensemble de ces activités extractivistes ultra mécanisées trace un véritable quadrillage de pistes routières dans lesquelles, comme dans des voies d’eau, les braconniers et les colons agriculteurs s’engouffrent et métastasent les massifs forestiers. L’agriculture itinérante sur brûlis pratiquée à grande échelle (en liaison avec l’accroissement du nombre des bouches à nourrir) cause la destruction définitive de la forêt et les milieux de vie des peuples autochtones. La poussée démographique sur les bords de la cuvette congolaise a accru la demande en viande de gibier, au point de bouleverser les relations traditionnelles pygmées-agriculteurs et de vider d’immenses régions forestières de leur faune. Les coupes d’arbres informelles (et souvent clandestines), indépendantes des multinationales du bois mais non de l’avidité de villes en perpétuelle croissance, sont également une cause majeure de secondarisation, donc d’appauvrissement des milieux forestiers et de leur biodiversité. Un demi-million d’hectares de forêt disparaissent chaque année dans la seule RDC. A ce rythme, tous les grands singes de la forêt congolaise, les éléphants de forêt, et bien d’autres espèces ne vont pas tarder à se trouver en danger critique d’extinction.
La population de la RDC s’approche à grands pas des 100 millions, avec un taux de fécondité de 6,1 enfants par femme, ce qui veut dire un doublement d’habitants tous les 21 ans (plus de la moitié a moins de 15 ans). Aucune volonté politique ne se dégage pour l’heure pour combattre la menace démographique. Au rythme actuel, le pays sera en 2050 parmi les plus peuplés au monde avec 215 millions d’habitants (2ème d’Afrique derrière le Nigéria). Des pronostics sombres, hélas réalistes, envisagent à cette date la disparition d’environ la moitié de la forêt congolaise, ce qui correspond à un quart des forêts humides d’Afrique ! A elle seule, Kinshasa, 12 millions d’habitants, consomme d’énormes quantités de bois (surtout sous la forme de charbon, combustible principal des ménages) et de viande de gibier. Le même scénario se reproduit ailleurs autour des mégapoles de Lagos, Abidjan, Luanda, Dar-es-Salaam, Nairobi, etc. Quant aux terres cultivées, elles s’étendent de plus en plus au détriment des savanes et des forêts, initialement réputées pour leur exceptionnelle diversité animale. La destruction des habitats naturels et le braconnage cantonnent peu à peu la faune dans ses derniers refuges, parcs nationaux et réserves, que les gestionnaires essaient tant bien que mal de justifier et de protéger face aux pressions humaines périphériques.
Et comme si cela ne suffisait pas, le pernicieux phénomène d’accaparement de terres par des puissances étrangères et des multinationales, prend partout en Afrique des proportions inquiétantes (plus de 7 millions d’ha concédés en dix ans). Ces transactions foncières à grande échelle se font en violation des règles de transparence et des droits coutumiers de propriété. S’y rattache en partie le développement agro-industriel des cultures d’exportation qui, se faisant au détriment des petits paysans et des productions vivrières, aggrave l’insécurité alimentaire.
Un consensus commence enfin à se dégager pour reconnaître qu’un rythme trop soutenu d’augmentation de la population puisse freiner le développement et le progrès. La croissance démographique vertigineuse de l’Afrique subsaharienne, longtemps présentée comme une opportunité économique, ne l’est plus dans des pays « sans assez d’emplois de qualité pour occuper les actifs, où dominent le secteur informel et l’agriculture » (Dossier Le Monde : « L’Afrique débordée par sa démographie », 4 juin 2024). Or, cette situation se retrouve sur la quasi-totalité du continent noir.
On donne souvent raison à Marx et Engels et tort à Malthus. Au XXIème siècle et dans la première moitié du XXème il était facile de dénigrer Malthus et sa loi de la population, car les possibilités d'amélioration des rendements agricoles étaient élevées et les terres disponibles encore pléthoriques. Mais si l'on élargit le champ des ressources alimentaires à celui des ressources naturelles, il devient difficile de réfuter le néo-malthusianisme et l'utilité d'un contrôle des naissances, du moins dans les pays à fécondité élevée. L'économie capitaliste s'appuie sur un accroissement continu de la population : la production en quantité des biens (nourriture, logement, objets manufacturés) et services (distributions d'eau, d'énergie...) se nourrit de l'augmentation incessante des consommateurs. Et ladite économie doit créer en permanence des moyens de production nécessaires au travail de la main d'oeuvre supplémentaire que fournit la croissance démographique. Par cette double pression, "l'investissement démographique" est le moteur principal de la croissance capitaliste. Mais, on le constate chaque jour, cette doxa se heurte aux limites planétaire : espaces pour construire, pour cultiver, ressources minérales, besoins vitaux des autres espèces de la biosphère (si l'on fait preuve un tant soit peu de biocentrisme et d'altruisme interspécifique). D'autant qu'il n'est plus loin le temps où, par un retournement impitoyable de paradigme, le dogme de la rentabilité et du profit fera remplacer sans vergogne d'énorme masses de travailleurs humains par des machines pilotées par l'intelligence artificielle.
Sur le plan social, comment ne pas voir que surnatalité et surpopulation sont antinomiques du bien-être humain ? Quelle femme africaine accepte de bon cœur d’engendrer un enfant tous les deux ans dès son adolescence, de supporter le coût économique d’une famille nombreuse, qu’au moindre aléa elle verra sombrer dans la famine et la pauvreté ? Quelle jeune fille, avec des projets d’avenir, accepte de bon cœur de se voir retirer de l’école à 13 ans en vue d’être mariée ? Le vrai humanisme n’est-il pas de faire des enfants bien éduqués ? Comment les familles nombreuses et pauvres de l’Afrique subsaharienne pourraient-elles y parvenir ? Exemple bien connu de ces millions d’enfants, obligés pour survivre de fouiller à mains nues les immenses décharges urbaines, ou esclaves modernes, de travailler dans les mines pour l’industrie chinoise et le bien-être de l’Occident… Victimes innocentes sacrifiées sur l’autel du capitalisme vert.
L’humanisme ne peut plus se concevoir hors de la dimension naturelle du cosmos. L’anthropologie de la culture, écrit Philippe Descola (Par delà nature et culture, Gallimard 2005), se double d’une anthropologie de la nature. L’épanouissement de l’homme ne peut se réaliser au détriment des non-humains. Dans un tel paradigme, l’espace devient le facteur prépondérant et c’est en respectant la diversité des habitats naturels des autres espèces que l’homme est en mesure de tisser des liens de coopération avec la nature. Sans aller, comme chez de nombreux peuples dits primitifs, jusqu’à effacer la dichotomie entre nature et société ou ne pas voir les différences ontologiques entre humains d’une part, animaux et végétaux d’autre part, il faudra au moins reconnaître les droits de vivre à la « Terre-mère », la Pachamama des sociétés andines. Faute de nous concevoir, à l’exemple de ces peuples, comme les composants interdépendants d’un vaste ensemble indiscriminé de tous les êtres vivants, nous devons nous rapprocher du « Buen vivir » ou, au minimum, basculer vers des systèmes de gestion sage de nos relations avec les écosystèmes naturels. Dans cette perspective, lesprises de position démosceptiques (néologisme qui se comprend par rapport à la démographie et non la démocratie) dérogent de l’humanisme.
Peu avant la décroissance démographique globale prévue vers la fin de ce siècle, l’humanité aura peut-être atteint le seuil des 11 milliards d’individus sur terre (projections ONU). Il est vrai que la production alimentaire n’est plus un frein au développement démographique d’Homo sapiens. Machines superpuissantes, techniques génétiques, protections chimiques et physiques des cultures, et surtout ce formidable irrespect que nous avons des autres espèces qui partagent notre Terre, notamment en volant leur biotope, autorisent les agronomes (et même certains écologistes) à dire que la planète sera en mesure de nourrir un tel nombre. En supposant qu’ils aient raison sur le plan technique, quelle belle perspective offerte aux jeunes générations qu’une Terre dystopique transformée en immense champ agricole, suppléé par des océans aquacoles pour nourrir des centaines de mégapoles ! Comment l’humain pourrait-il rester humain dans un monde pareillement désenchanté, dénaturé, transformé en une machine exclusivement productive au service des besoins de son énorme population ? Si l’empathie ne nous quitte pas d’ici-là, nous continuerons de souhaiter que le monde entier puisse y vivre dignement, confortablement, et en sécurité. Sans nous faire d’illusion, on sait bien qu’un tel espoir s’il est légitime sera probablement déçu, car comment assurer une qualité de vie décente à une telle mégapopulation des années 2080 ? De nos jours, déjà, l’objectif est irréalisable, tous les clignotants sont au rouge ; qui pourrait imaginer, hors d’un scénario utopique, le retour vers la sobriété des plus gros consommateurs de ressources, l’aplanissement des inégalités et la redistribution des richesses, une décarbonation avancée, une gouvernance sinon mondiale, du moins internationalement coordonnée ? La résilience alimentaire s’affaiblit partout de plus en plus, et il suffirait qu’une nouvelle crise grave survienne, sanitaire, climatique, écologique ou sécuritaire, pour que la famine touche des centaines de millions de gens. Les nombreuses régions du monde surpeuplées, y compris à présent en Afrique, offrent de potentiels terreaux favorables à l’éclosion de nouvelles et dangereuses pandémies, dont la dernière en date (Covid-19) nous donne probablement qu’un fade avant-goût.
D’aventureux préjugés circulent, tel celui de considérer l’Afrique comme sous-peuplée en comparant sa situation démographique avec celle des pays du Nord ou d’Asie. Oui, la densité de l’Afrique subsaharienne (49 hab/km2) est en valeur absolue bien inférieure à celle de l’Europe (112), mais les conditions biophysiques des deux continents sont si différentes que toute comparaison est absurde. Les contraintes qui pèsent sur les terres cultivables africaines les rendent en général moins productives qu’en Europe et les surfaces inhabitables ou improductives (Sahara, sols latérisés…) couvrent des étendues immenses. La variable d’ajustement réside alors dans les superficies de forêts humides, forêts sèches, mangroves et savanes, dont on connait l’importance pour la biodiversité (faune exceptionnelle) et les services naturels («puits» de carbone) qu’ils rendent, d’abord à l’Afrique, ensuite à la planète entière. La solution consistant à les inclure dans les zones potentiellement aménageables aggraverait considérablement le réchauffement climatique et causerait un désastre écologique sans précédent, dont on a peine à imaginer, en Afrique rurale surtout, les terribles conséquences sur les conditions de vie de ses habitants. Remarquons aussi que la fertilité des sols forestiers est évanescente, que de vastes surfaces de savane infestées de glossines rendent l’élevage aléatoire, que d’autres sont rendues incultes par la présence de cuirasses latéritiques. En sus de son coût biologique et écologique, un tel scénario amènerait tôt ou tard à un gigantesque fiasco économique et des drames humains en cascade. L’autre solution, plus raisonnable, est d’arriver à stabiliser la population africaine en réduisant fortement ses taux de natalité. Certains Etats, tels le Nigéria et l’Egypte, subissent déjà à la fois surpopulation et surnatalité. Plusieurs voient se développer sans limites de confuses mégapoles avec leurs banlieues de bidonvilles, viviers d’insécurité et de mal-être. La majorité des pays subsahariens seront surpeuplés dès le milieu du siècle, tout au moins si l’on considère leur population en rapport avec la disponibilité des terres cultivables.
Comment l’homme pourrait-il vivre librement et sereinement sa condition humaine en continuant de se multiplier ? Car même si les projections de l’ONU montrent que la population mondiale se dirige vers le sommet démographique précédent avant de redescendre lentement, il n’en demeure pas moins que le continent africain risque de voir bientôt sa contribution augmenter jusqu’à 40 % du total. Avec 1,3 milliard d’habitants aujourd’hui, vraisemblablement 2, voire 2,5 milliards vers 2050 (rappelons qu’ils étaient 1 milliard en 2010 et 300 millions en 1961), la population africaine a plus que triplé en moins de cinquante ans.
Qu’aura l’Afrique à gagner d’un tel bilan ? Elle aura dilapidé la quasi-totalité de ses richesses naturelles, sa population s’entassera toujours plus en ville, elle aura perdu sa résilience agricole et son autonomie nutritionnelle. Une grande partie du continent sera mise à mal par la dégradation des sols et aura perdu l’essentiel de sa biodiversité, d’immenses étendues seront devenues invivables. Scénario catastrophe ?
La surnatalité enchaîne les peuples dans une spirale de pauvreté. D’après le professeur Emina de l’Université de Kinshasa, la population de la RDC a été multipliée par 7,5 depuis 1960, mais le revenu par habitant, lui, a été divisé par 2,5 (dossier Le Monde, ibid., 3). Dénoncer la surnatalité et la surpopulation n’est pas consubstantiel de la thèse du « grand remplacement », dont parle certain courant de l’extrême droite française quand il envisage l’ampleur de l’immigration en France et en Europe. Ou cet autre quand il propose la « remigration » comme un palliatif à ce problème (similaire à la « loi Rwanda » qu’a votée le gouvernement conservateur britannique pour expulser avec un « aller simple » nombre d’étrangers vers ce pays — dont il a acheté la complaisance — en se dissimulant le fait qu’il est déjà surpeuplé avec un taux de natalité élevé). Il n’y a aucune honte à se montrer inquiet face à cette dangereuse évolution démographique de l’espèce humaine. Le grand remplacement existe bien, mais pour décrire un tout autre phénomène : la confiscation par l’être humain de l’ensemble des niches écologiques à son profit exclusif. Un anthropocentrisme nuisible aux autres espèces du vivant que nous délogeons peu à peu, directement (consommation d’espaces) ou indirectement (pollutions, extractions…) de leur ancestrale place au sein de la biosphère. Oser parler de « mythe démographique » pour qualifier la menace du nombre, c’est dénigrer toute évolution vers le biocentrisme (ou l’écocentrisme) en confortant l’idée judéo-chrétienne de placer l’homme au centre de tout.
Mais notre inquiétude ne concerne pas la seule Afrique : en Europe, aucun pays n’envisage de donner un coup de frein à la croissance de sa population. Car en dépit de ses faibles taux de natalité, le «vieux» continent ne se dépeuple pas pour autant : l’immigration les compense largement. Or, cette immigration, perçue ici uniquement comme un flux quantitatif de personnes, est directement dépendante du rapide accroissement démographique du grand voisin africain (sans ignorer bien entendu les importants flux migratoires conjoncturels en provenance du Proche et du Moyen Orient). Voulue ou pas, elle ne peut que s’amplifier étant donné les conditions de vie de plus en plus défavorables que connaissent et vont connaître (si rien ne change) les populations d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Les destructions écologiques, les conflits internes, les guerres civiles, les fléaux sanitaires et les pertes d’autonomie alimentaire des pays subsahariens, où la production agricole par habitant ne cesse de diminuer, continuerons d’en être les conséquences majeures.
En France, et aussi ailleurs en Europe, nous baignons dans les contradictions. D’un côté, un discours officiel qui prône la sobriété et la transition écologique doté de lois telles que «Climat et résilience», «Zéro Artificialisation Nette» (ZAN), de l’autre un discours tout aussi officiel de «réarmement démographique» avec une politique nataliste qui se renforce (1) Comment pourrons-nous exiger de chacun plus de sobriété dans un pays dont on ne veut pas stabiliser la population, encore moins la laisser décroître ? Il n’est là question ni de dirigisme, d’autoritarisme ou d’anti-humanisme, mais de simple bon sens : la surpopulation touche de nombreux territoires d’Europe, surtout les plus urbanisés et le long des côtes. Or, la surpopulation n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, synonyme de bien-être ! L’espace (autour de soi) devient de plus en plus difficile à trouver dans les villes et les banlieues surpeuplées, développant la méfiance et la défiance. Aucun humain ne peut s’épanouir dans un espace artificiellement contracté. La surpopulation génère le déshumanisme. On pourra toujours objecter que les flux campagne-ville pourraient s’inverser à la suite d’une désaffection et d’un dégoût généralisé des zones urbaines, les Européens s’en retournant massivement vers les zones rurales à la recherche du double bien-être de l’autarcie économique et de l’espace comme substitut au désenchantement créé par la société industrielle. Mais les campagnes ne sont pas extensibles à l’infini. Pour peu qu’on veuille ralentir drastiquement, voire cesser, la fragmentation écologique et la consommation de terres, conserver le meilleur de notre patrimoine, créer un réseau efficace d’aires protégées, s’offrir le luxe de quelques territoires réensauvagés, avoir suffisamment de surfaces agricoles, quelles autres solutions que de limiter l’urbanisation à la périphérie des villes et les lotissements villageois ? Soyons prévoyants : les espaces naturels (peu habités) sont, outre leurs fonctions biologiques et écologiques, de potentielles réserves foncières qui pourrait trouver la légitimité de leur « non-aménagement » le jour où surviendrait une catastrophe (nucléaire ou autre) rendant inhabitable une partie du territoire. Alors quelle autre perspective que de limiter, stabiliser, voire diminuer notre nombre ?
On se ferme des portes de sortie en ne territorialisant pas l’économie et en ne misant pas résolument sur la sobriété. Il ne faut plus attendre pour développer une agriculture et une gestion forestière écologiques adaptées aux territoires, une gestion rationnelle et équitable de l’eau, des sources d’énergie locales, des circuits commerciaux courts, des mobilités vertueuses, une meilleure efficacité des recyclages… Faute d’être rentable pour le secteur privé, il n’y a que les fonds publics pour financer la transition écologique. Dans ces conditions et pour ne pas trop peser sur les plus pauvres, il devient nécessaire de taxer plus lourdement les profits du capital et des entreprise privées.
Mais revenons à l’Afrique. Trop peu de pays de ce continent paraissent réaliser le danger. Pourtant, il existe des leviers efficaces pour limiter la surnatalité subsaharienne et les surdensités d’occupation qu’elle génère localement. La volonté politique des dirigeants africains est un préalable indispensable, hélas elle fait encore défaut. N’en déplaise aux démosceptiques, ce n’est pas du néocolonialisme, mais au contraire faire preuve d’humanisme que d’aider l’Afrique, sans ingérence aucune, à adopter des normes familiales réduites, rehausser l’âge légal du mariage, décourager la polygamie, développer l’éducation (les besoins sont considérables : il manque actuellement 15 millions d’enseignants à l’Afrique !), l’autonomisation des femmes, les services socio-médicaux (dont le planning familial et la contraception qui ont prouvé leur efficacité). L’optimisme béat de certains démographes est sidérant ! Ils voient l’Afrique comme solidaire du grand mouvement mondial de transition démographique, alors qu’aujourd’hui encore 8 femmes sur 10 (contre 3 sur 10 dans le reste du monde) n’ont pas accès à la contraception et que presque tous les pays situés au sud du Sahara continuent de battre des records de natalité. Plus près des réalités, le démographe H. Leridon (INED), lui, a calculé qu’en agissant tout de suite, l’Afrique pourrait s’éviter 1,2 milliards d’habitants en 2100. Elle n’en compterait alorsque 3,3 milliards, au lieu des 4,5 projetés et cette effrayante perspective d’accaparer 40% de la population de la Terre. L’économie représente l’équivalent de la population de quatre Nigeria, de centaines de milliers d’hectares de terres et de forêts économisés, et probablement de grandes quantités d’émissions de GES évitées. Car les émissions polluantes de l’Afrique ont été sous-estimées par le GIEC à l’horizon 2030, comme une étude du CNRS vient de le montrer récemment : « elles pourraient atteindre 20 % des émissions globales anthropiques des polluants gazeux et particulaires ». D’une part, on oublie souvent de prendre en compte dans les calculs les pertes de carbone dues à la déforestation (feux de brousse, brûlis des défrichements, sols à nu), de l’autre que le bilan carbone des grands massifs forestiers africains, de plus en plus fragmentés et fragilisés par le réchauffement climatique, se dégrade d’année en année ; comme en Amazonie, ils risquent de basculer vers plus d’émission que de captage de CO2. La baisse de la croissance démographique subsaharienne aurait donc bien à terme, en sus de la biodiversité, un réel effet positif sur le climat.
En Afrique, championne de l’économie informelle, une décroissance du modèle productiviste est possible. C’est-à-dire le refus de continuer à sacrifier ses précieuses ressources naturelles pour le plus grand profit de multinationales de l’agro-industrie et de l’extraction minière, ou de projets politiques démesurés (tel les Nouvelles Routes de la Soie de la Chine). Avec pareille économie vernaculaire et solidaire, injustement stigmatisée par les caciques de l’économie classique, les Africains ont déjà en main les clés de ce nouvel « imaginaire » que vante tant le penseur de la décroissance Serge Latouche, en s’opposant de front à l’idéologie de la croissance et du développement capitaliste ultra-libéral (Décoloniser l’imaginaire, éd. Libre & Solidaire, 2023). En visant un développement pluriel, social et autonome, l’économie informelle est une forme déguisée d’altermondialisme et une matrice d’initiatives individuelles et collectives qu’il faudrait encourager, que l’Europe devrait encourager, quitte à en proposer des améliorations, pourvu qu’elle ne cherche pas à l’occidentaliser. Véritable moteur de sécurité alimentaire et de libération des femmes, l’économie informelle, qui d’ailleurs est plus une forme de société qu’une économie, repose dans le domaine agricole sur la production vivrière des peuples paysans autochtones.
Dans les débuts du capitalisme, l’industrialisation et les progrès des techniques et de l’agriculture ont véritablement permis l’amélioration du niveau de vie des classes populaires, ouvriers et paysans. Pour cette raison, la critique de la croissance économique est perçue comme « un déni d’humanité à l’égard des peuples du Sud » (Geneviève Azam, Le monde qui émerge, éd. LLL, 2017). Mais au fil du temps, les marges de productivité se sont érodées avec des sols qui s’épuisent, une industrie extractiviste de plus en plus coûteuse et dommageable sur le plan environnemental, des emplois qui se précarisent, etc. Le capitalisme, soutenu par la financiarisation, n’en faiblit pas pour autant, il génère les crises, puis s’en nourrit. Sur la base des travaux de plusieurs chercheurs du Tiers-Monde, s’est construit un « après-développement » qui se détourne de l’occidentalisation capitaliste du monde. Il doit être compris comme un modèle d’auto-limitation et de modération (déjà présent dans les sociétés traditionnelles) et d’intégration à l’environnement naturel.
Reconnaître la «myopie démographique» n’implique nullement une dérive vers les contrôles démographiques, un épouvantail qu’aiment bien agiter ceux-là mêmes qui s’opposent à toute régulation de population pour signifier le caractère répressif et privatif d’une telle politique, comme les partisans du productivisme intensif brandissent l’épouvantail de l’écologie punitive ! Non, il s’agit seulement de sortir du dogme nataliste de s’adapter à la baisse de fécondité en Europe, Asie et Amérique, tout en soutenant en Afrique les efforts de démographie raisonnée. La politique maoïste de l’enfant unique, le malthusianisme, ont laissé des traces profondes dans les esprits ! Le néologisme « écodémographie » (voir : La sagesse de l’éléphante, éd. Libre & Solidaire, 2023) est sans doute plus approprié. Au-delà de l’éthique (empathie et humanisme), les démosceptiques ne semblent pas percevoir à son juste niveau de risque, le pari qu’il y a à faire des enfants condamnés à vivre dans un monde instable, ravagé par des calamités incessantes qu’auront provoquées le réchauffement climatique, les effondrements biologiques en chaîne, l’insécurité alimentaire, les conflits, guerres et tensions perpétuelles (voir à ce sujet : « Population and food systems : what does the future hold ? » De S. Becker et J. Fanzo, John Hopkins Univ., 2023). D’autant que la proportion grandissante des zones inhabitables (élévation du niveau des mers, zones surchauffées, polluées…) va aggraver les problèmes d’occupation ailleurs, y rompant l’équilibre « population-ressources » et que la surdensité démographique des pandémonium du futur pourrait bien faire vivre un cauchemar à nos descendants.
Comment éviter l’artificialisation continue des sols, comment mettre en oeuvre efficacement la loi ZAN en France, sans stabilisation démographique préalable ? Comment empêcher l’étalement urbain et les pollutions concomitantes ? Les démosceptiques ignorent-ils que le logement est responsable à 60% du grignotage des ENAF (espaces naturels, agricoles et forestiers) ? Ignorent-ils que la France perd chaque année 60 à 80 000 ha de terres (l’équivalent d’un département par décennie !) ? On sait que les méthodes vertueuses, telle que l’agro-écologie, qui prônent des agricultures à taille humaine diversifiées et territorialisées, ont des rendements moindre que l’agriculture et l’élevage intensifs. Comment les généraliser sans envisager au préalable une politique écodémographique ? De façon générale, comment prélever moins de ressources naturelles sans réguler notre nombre ? La sobriété perd son sens si à une situation donnée de saturation démographique on greffe une politique de croissance de la population (natalité et/ou immigration). Nous devrions plutôt accorder davantage d’espace à la préservation des reliquats de nature et de moyens à la restauration (ou reconstruction) des écosystèmes dégradés. La proportion actuelle des aires protégées est, du moins en France, largement insuffisante. Suite à une gestion inappropriée des forêts (qui couvrent 1/3 du territoire national) par de nombreuses coupes rases et des enrésinements massifs, leur résilience s’effrite. Forêts naturelles, zones humides, cours d’eau sauvages, zones de montagne, pelouses sèches, landes, prairies naturelles, littoraux, étendues marines… font partie des principaux milieux à sauvegarder. Il faut parallèlement augmenter de façon drastique la proportion des terres cultivées en agrobiologie. Tous ces efforts vont de pair avec la construction d’une société plus frugale et plus autonome, dans laquelle la nécessaire redéfinition des besoins et la sortie programmée du capitalisme rendent réaliste l’objectif de stabilisation, voire de décroissance de la population (2).
Telles l’huile et l’eau, démographie et écologie ne sont pas miscibles. Il serait tout à l’honneur des écologistes politiques de revoir leur position en matière de démographie. Ils briseraient un tabou et décoïnceraient un débat qu’ils ont pour le moment refusé d’élargir malgré les conseils de leurs prestigieux mentors (Dumont, Cousteau, Levi-Strauss…). En révélant où est le vrai humanisme et en se rapprochant de l’écologie efficace, comme en reconnaissant la pertinence des signaux d’alarme envoyés il y a déjà un demi-siècle par le Club de Rome (rapport Meadows, 1972), parmi lesquels la menace d’une population mondiale bien au-dessus de la capacité de charge de la planète, ils ne courraient aucun risque de s’enliser sur les terres de l’extrême droite tout en renforçant leur crédibilité.
(1) Plusieurs démographes, dont Hervé Le Bras (Faut-il vraiment s’inquiéter de la baisse de la fécondité en France ? Polytechnique insights, juillet 2024) jugent inefficaces les politiques natalistes.
(2) La croissance verte basée sur le développement des énergies renouvelables consomme des quantités d’énergie et d’espaces phénoménales. Elle est malheureusement inéluctable si la population humaine continue d’augmenter, la somme des besoins sapant tout bon scénario de sobriété.
Bien que la Terre n’ait jamais été aussi peuplée et aussi artificialisée, bien que ses autres habitants - les animaux, mais aussi les plantes, les forêts, les prairies et tout ce qui fait l’élégance de notre monde - n’aient jamais été relégués à des territoires aussi réduits, la peur de la dépopulation vient désormais côtoyer l’angoisse écologique. A en croire certains l’humanité serait presque en voie de disparition. La Chine tremble, l’Europe a peur et les autorités françaises appellent virilement au «réarmement démographique» ! Dans ce contexte, l’INED vient de publier un numéro de ses cahiers Population & Sociétés intitulé : «Baisse massive de la fécondité en 20 ans».
Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ? Sur quoi s’appuient-elles ? Que peut-on y répondre ?
Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ?
La peur de la dépopulation repose sur la constatation de la baisse de la fécondité (le nombre d’enfants par femme) et même de la baisse de la natalité (le nombre de naissances) aussi bien dans une majorité de pays développés que, désormais, dans certains pays en voie de développement. Elle renvoie également à d’autres éléments, parfois irrationnels, liés au rapport que nous entretenons avec notre reproduction et notre descendance.
Les chiffres qui inquiètent
Quoiqu’en croissance permanente, l’humanité a franchi en matière démographique plusieurs maxima. Elle se trouve désormais de l’autre côté de ces pics et ces franchissements qui, par nature, impliquent une redescente, sont seuls retenus pour alimenter les peurs. Voici les principaux arguments chiffrés mis en avant.
Le maximum de la fécondité est largement passé
Le nombre d’enfants par femme au niveau mondial était de 5 dans les années 1950 - 1965 (plus même, en des époques antérieures, mais la très forte mortalité infantile en anéantissait les effets démographiques). Il s’établit désormais entre 2,2 et 2,3. Il a donc non seulement été divisé par plus de 2 en 70 ans, mais le seuil de renouvellement des générations (gage à terme d’une stabilité des effectifs) étant un peu supérieur à 2 enfants par femme (a), nous avons fait la majorité du chemin allant vers l’arrêt de la croissance démographique (b).
Un grand nombre de pays ou de régions du monde sont maintenant sous ce seuil de renouvellement et pas des moindres, notamment l’Europe, la Chine, le Japon… L’ensemble de l’Amérique, même au Sud, n’en est pas loin non plus. Ces tendances semblent établies.
Le maximum du taux de croissance.
Il a été atteint au cours de la décennie 1960 - 1970 où la croissance démographique annuelle oscillait entre 2 et 2,1 %. Depuis, ce taux n’a cessé de baisser, il est aujourd’hui de 1 % et, là aussi, la tendance semble durable. La stabilisation serait en vue au cours de la seconde moitié du 21ème siècle, une situation inédite depuis les temps modernes qui justifie - selon certains - la fin de toute inquiétude liée à l’explosion démographique.
Le maximum de croissance absolue.
L’humanité gagnait environ 90 millions de personnes (solde des naissances moins les décès) autour de l’année 1990. Aujourd’hui, cette croissance s’établit à 80 millions (+ 1 % donc). La baisse est réelle, même si elle reste mesurée et s’il ne s’agit bien que de la baisse de la croissance et non des effectifs.
Le rétrécissement de la base de la pyramide des âges
Dans les pays développés la pyramide des âges marque un très net rétrécissement à sa base, signe d’un vieillissement de la population qui menace les systèmes de retraite. La proportion d’actifs par rapport aux retraités étant inéluctablement amenée à se réduire dès aujourd’hui et dans les décennies à venir.
Que répondre ?
Des données juste mais…
Si ces données sont incontestables, elles alimentent à tort un vent de panique. Elles sont en effet loin de refléter la totalité de la réalité démographique du monde et d’autres éléments doivent être rappelés qui viennent non seulement amoindrir mais rendre déplacées ces inquiétudes.
Tout d’abord notons que ces multiples approches ne reflètent qu’un même phénomène : le ralentissement de la fécondité, celui-ci implique tous les autres. Voir la question sous différentes faces peut être intéressant pour l’analyse de ses conséquences mais ne saurait conduire à la multiplicité des causalités, source d’inquiétudes supplémentaires.
En second lieu soulignons ce qui s’impose face à toutes ces données : la Terre n’a jamais été aussi peuplée et cela constitue le problème écologique majeur qui conduit à l’effondrement de tous les équilibres de la biosphère. Aujourd’hui, la masse des mammifères sur la planète est constituée dans son immense majorité (96 % environ) soit des hommes soit de leur cheptel domestique. Les mammifères sauvages ont quasiment déjà disparu ! Outre la consommation d’espace (principal facteur de l’effondrement de la biodiversité), la pollution et la consommation de ressources sont des fonctions directes de la démographie malgré les inégalités encore fortes.
Rappelons quelques ordres de grandeurs :
Nous sommes désormais 1 000 fois plus nombreux qu’aux débuts du néolithique, 40 fois plus nombreux qu’à l’époque de Jésus Christ, 5 fois plus nombreux qu’à l’orée du 20ème siècle. Or ces jalons sont tout récents à l’échelle de l’histoire de notre espèce : nous vivons bien une explosion.
Si notre taux de croissance est en diminution, celui-ci reste beaucoup plus important qu’il ne l’a été tout au long du passé même proche. Ainsi en 1900, non seulement nous étions 5 fois moins nombreux mais notre taux de croissance annuel n’était que de 0,4 % soit 2,5 fois moins qu’aujourd’hui. La croissance absolue se situait donc entre 6 et 7 millions par an, elle est 12 fois plus importante en 2024 ! Sommes-nous au bord de l’extinction ? Sans doute moins que tout le reste du vivant.
Enfin les perspectives de stabilité, voire de décroissance qui effrayent tant certains s’appuient sur l’hypothèse d’une continuité de la baisse de la fécondité. Ce n’est qu’une hypothèse que rien ne permet de garantir et l’on a déjà vu (Maghreb, Europe de l’Est) des remontées plus ou moins durables de cet indice. Affirmer que la démographie mondiale sera stabilisée au cours de la seconde moitié du 21ème siècle reste un pari.
L’économie
Sur le plan économique, d’aucuns s’alarment des problèmes sociétaux et notamment de l’évolution du ratio actifs / inactifs pesant sur l’équilibre des systèmes de retraites et sur les dépenses médicales inévitablement en augmentation dans une population plus âgée.
Face à cette inéluctable évolution des charges, la solution consistant à augmenter les naissances constitue une véritable fuite en avant, les jeunes d’aujourd’hui sont les vieux de demain et les économistes n’arrêteront pas le cours du temps. Nous ne ferions en cela que repousser le problème à plus tard et sur une plus vaste échelle encore. Les difficultés d’équilibre des retraites aujourd’hui viennent d’ailleurs précisément d’une forte natalité il y a 70 ou 80 ans. On l’oublie souvent.
Rappelons aussi que, même à court terme, les jeunes constituent souvent jusqu’à leurs 25 ans, une population inactive source de dépenses pour la société. Difficile d’arguer de l’augmentation de leur nombre pour régler les problèmes budgétaires. L’explosion des budgets d’éducation le confirme. Les dépenses intérieures d’éducation (DIE) sont passées d’environ 90 milliards d’euros en 1980 à plus de 160 milliards aujourd’hui (à prix constants, référence 2021).
Un autre aspect des choses
A ces inquiétudes d’ordre économique s’ajoutent aussi des éléments irrationnels qu’expriment les termes récurrents : déclin, chute, hiver démographique, renoncement, dégradation effondrement… Tous négatifs ! Comme si la baisse de la natalité devait être vécue comme une tragédie, comme si un gouffre s’ouvrait sous nos pieds. On retrouve les antiennes qu’on croyait disparues depuis des siècles. « Un nombre élevé d’enfants est la mesure de la force vitale d’une nation.» Le terme « réarmement démographique » récemment employé par le président de la République n’est pas anodin. Sans la force vitale, on entend que le dépérissement et la mort ne sont pas loin. On tend ainsi à confondre le destin d’un pays, de l’humanité avec notre destin personnel : faire un enfant, « se reproduire », consciemment ou inconsciemment c’est continuer la vie, donc contourner, dénier notre propre condition de mortel. C’est un lumineux sentiment d’éternité. On glisse ainsi de la peur de la mort, inhérente à chaque humain conscient, à la peur de la disparition d’un peuple voire à celle de la fin de l’humanité. La nécessité de la perpétuation de l’espèce, considérée comme besoin, continue visiblement à être bien ancrée et elle surgit là et maintenant, en tant que panique collective.
L’habitude aussi : tous les humains d’aujourd’hui ont vécu dans un monde chaque année plus peuplé, la perspective d’un retournement de tendance, même très éloigné est déstabilisante. La question ne concerne pas la seule démographie, une éventuelle décroissance économique est perçue comme une anormalité et suscite la même appréhension. Nous redoutons le changement de paradigme.
Les inquiétudes sur la baisse future de nos effectifs sont largement injustifiées, elle n’est pas pour demain. Mais surtout, elle constitue au contraire une condition sine qua non du maintien des équilibres écologiques de la planète et donc de notre propre survie.
Soulignons pour tous les natalistes qui prétendent donner au plus grand nombre d’humains la possibilité de vivre sur la Terre que la plus sûre et la meilleure des solutions pour y parvenir est de laisser cette dernière habitable. La surpopulation actuelle et celle annoncée pour la fin du siècle ne le permettront pas.
(a) Le seuil de renouvellement n’est pas strictement égal à 2 ou 2,1 enfants par femme comme on le lit souvent. Il varie d’un pays à l’autre. Si la mortalité infantile est importante le seuil est naturellement plus élevé, une partie des jeunes n’atteignant pas eux-mêmes l’âge de la reproduction. De même, les déséquilibres du ratio hommes / femmes jouent sur le niveau de ce seuil.
(b) Il existe un décalage d’un peu plus d’une génération entre l’atteinte du seuil de renouvellement et la stabilisation effective de la population, cela est lié à la relative jeunesse de la population mondiale (âge médian 30,5 ans). Même si les gens font peu d’enfants chacun, le nombre de personnes en âge de procréer est tel que les naissances restent nombreuses et repoussent ainsi la stabilisation, l’augmentation de la durée moyenne de vie, hors même la baisse de la mortalité infantile, agit aussi en ce sens.
Voici (voir ce lien : Greenpeace et la question de la démographie), ce qu’on entend et lit encore, en 2023, de la part d’une organisation écologique que l’on croyait pourtant sérieuse et objective. Greenpeace, n’admet visiblement pas que démographie et écologie soient antagonistes, indépendamment des inégalités sociales et du rôle du capitalisme mondial.
S’opposant à l’idée de surpopulation pour la raison même que cette menace serait brandie pour faire endosser aux populations défavorisées la responsabilité de la crise climatique, Greenpeace semble ne pas vouloir admettre qu’un trop grand nombre d’humains puisse avoir un impact quelconque sur l’environnement. Pour l’organisation écologiste, l’environnement semble se limiter aux émissions de GES dont seules quelques dizaines de multinationales seraient responsables ! Pourtant, une analyse un peu approfondie montre que :
1) Sur le plan du dérèglement climatique, l’ « empreinte écologique » (Global Footprint Network) permet de constater que la biocapacité planétaire se réduit d’année en année du seul fait de notre nombre. Plus nous sommes nombreux, moins nous avons d’ « hectares globaux » à notre disposition. Cela n’enlève rien au fait qu’une minorité de pays et une minorité de personnes très riches sont les plus gros consommateurs de ressources naturelles, les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) et les plus gros pollueurs. Mais ce sont là deux problèmes différents. Un Chinois tout seul a une empreinte écologique faible comparée à celle d’un Américain, mais la Chine dans son ensemble, avec son énorme population, est de loin le plus gros émetteur de GES de la planète. On le voit, l’augmentation de notre population a un impact certain sur le climat. Nous verrons aussi plus loin que le GIEC a sousestimé les émissions polluantes africaines.
2) L’environnement ne se résume pas au climat, il englobe aussi la biodiversité. Dans ce domaine, il est difficile d’admettre que l’explosion démographique de l’Afrique subsaharienne puisse être sans conséquences ! L’augmentation incessante et rapide de ses populations cause sur le continent noir des préjudices considérables aux écosystèmes naturels. Ainsi, le deuxième plus grand massif forestier de la planète (après l’Amazonie) est rongé de l’intérieur par l’agriculture sur brûlis itinérante, dont la cause primaire n’est autre que l’accroissement du nombre des bouches à nourrir. Même si ce sont souvent les sociétés forestières (européennes, asiatiques, multinationales) qui exploitent de façon plus ou moins opaque la forêt dense, ouvrent des pistes forestières dans lesquelles, comme dans des voies d’eau, les agri-villageois et les braconniers s’engouffrent, métastasant les dernières grandes forêts primaires !
Dans les villes africaines, plusieurs étant devenues des mégapoles (Lagos, Kinshasa, Abidjan, Luanda, Dar-es-Salaam …), la consommation de bois (combustible principal) ravage des territoires entiers. Les terres cultivées s’étendent de plus en plus au détriment des savanes et des forêts, jusque-là parcourues par une exceptionnelle diversité animale. Mais la destruction des habitats naturels et le braconnage la cantonnent peu à peu la faune dans ses derniers refuges, parcs nationaux et réserves, que les gestionnaires essaient tant bien que mal de justifier et de protéger face aux pressions périphériques.
Comment ne pas voir que surnatalité et surpopulation sont antinomiques au bien-être humain ? Quelle femme africaine accepte de bon cœur d’engendrer un enfant tous les deux ans dès son adolescence ? De supporter le coût économique d’une famille nombreuse, qu’au moindre aléa elle verra sombrer dans la famine et la pauvreté ? Quelle jeune fille, avec des projets d’avenir, accepte de bon coeur de se voir retirer de l’école à 13 ans en vue d’être mariée ? Greenpeace va chercher des exemples extrêmes, comme la stérilisation forcée de femmes racisées ou la fusillade d’El Paso, pour tirer sa dernière et fatale cartouche en guise de conclusion : le racisme !
Pourquoi aller chercher le racisme en appui à une prise de position radicalement démosceptique (néologisme quelque peu ambigu qui se comprend par rapport à la démographie et non à la démocratie) ? Mais où se situe le véritable humanisme ? Comment l’homme pourrait-il vivre librement et sereinement sa condition humaine en continuant de se multiplier ? Car même si les projections de l’ONU montrent que la population mondiale se dirige vers un sommet démographique de 11 ou 12 milliards d’humains en 2100, il n’en demeure pas moins que le continent africain risque de voir (sans changement de trajectoire) sa contribution augmenter jusqu’à 40 % du total.
Qu’aura l’Afrique à gagner d’un tel bilan ? Elle aura dilapidé la quasi-totalité de ses richesses naturelles renouvelables, sa population s’entassera dans des mégapoles surpeuplées aux gigantesques bidonvilles violents et malsains. Et comment ne pas admettre en sus que cette croissance démographique est l’un des paramètres les plus prégnants de l’insécurité alimentaire (sans négliger la crise climatique, la guerre en Ukraine, le Covid-19, le djihadisme, les invasions acridiens …). L’autonomie nutritionnelle, la résilience agricole d’une grande partie du continent sont toutes deux mises à mal par la dégradation des sols et les fléaux précédents.
Scénario catastrophe ? Dénoncer la surnatalité et la surpopulation n’est pas consubstantiel de la thèse du « grand remplacement », dont parle certain courant de l’extrême droite française quand il envisage l’ampleur de l’immigration en France et en Europe, ou quand il propose la « remigration » comme un palliatif à ce problème. Il n’y a aucune honte à montrer de l’inquiétude face à cette dangereuse évolution démographique de l’espèce humaine. Le grand remplacement existe bien, mais pour décrire un tout autre phénomène : la confiscation par l’être humain de l’ensemble des niches écologiques à son profit exclusif. Un anthropocentrisme au détriment des autres espèces du vivant que nous délogeons peu à peu de leur ancestrale place au sein de la biosphère. Notre inquiétude ne concerne pas la seule Afrique et ses 1,4 milliard d’humains actuels.
En Europe aussi la démographie semble intouchable, et aucun pays n’envisage de donner un coup de frein à la croissance de sa population. Quoique vieillissant, le « vieux » continent ne se dépeuple pas pour autant ! L’immigration compense largement les déficits de natalité internes. Or cette immigration, perçue uniquement comme un flux quantitatif de personnes, est directement dépendante du rapide accroissement démographique du grand voisin africain. Voulue ou pas, elle ne peut que s’amplifier étant donné les conditions de vie de plus en plus défavorables que connaissent et vont connaître (si rien ne change) les populations d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale. Les dérèglements climatiques, les destructions écologiques, les conflits internes, les fléaux sanitaires, et les pertes d’autonomie des pays subsahariens en sont et en seront les causes essentielles. Nous voyageons, en France au moins, au pays des contradictions ! D’un côté, un discours officiel qui prône la sobriété et la transition écologique doté de lois telles que « Climat et résilience », « Zéro Artificialisation Nette », « Accélération des énergies renouvelables » …, de l’autre un discours tout aussi officiel de « réarmement démographique » avec une politique nataliste qui se renforce. Incohérence d’exiger de chacun plus de sobriété et une population qu’on veut croître plus vite. Alors qu’il faudrait stabiliser notre nombre.
Oui, il est temps de le faire. Il n’est là question ni de dirigisme ni d’autoritarisme dans ce domaine, mais de simple bon sens : l'équilibre démographique est basé sur deux enfants par famille (sans émigration, ni immigration). La surpopulation est déjà évidente dans de nombreux territoires d’Europe. Ce faisant on se ferme des portes de sortie.
Que fera-ton quand on aura compris que la sagesse est du côté de la territorialisation de l’économie ? Du côté d’une agriculture adaptée aux territoires, de 3 sources d’énergie locales, de circuits courts, de mobilités massivement vertes … Revenons à l’Afrique. Il existe des leviers efficaces pour limiter la surnatalité subsaharienne et les surpopulations qu’elle génère (Nigéria …). L’Europe a les moyens d’aider l’Afrique à ne pas sombrer dans ce gouffre dont malheureusement peu de pays paraissent réaliser le danger. Les programmes de planning familial associés à des programmes d’éducation, d’émancipation et d’autonomisation des femmes ont prouvé leur efficacité. Mais les besoins sont considérables et le temps ne joue pas en leur faveur : il manque actuellement 15 millions d’enseignants à l’Afrique ! La volonté politique est un préalable indispensable, hélas elle fait encore défaut. Le démographe H. Leridon (INED) a calculé qu’en agissant tout de suite, l’Afrique pourrait s’éviter 1,2 milliards d’habitants en 2100. Elle n’en compterait alors que 3,3 milliards, au lieu des 4,5 projetés qui formerait l’effrayant pourcentage de 40 % de la population de la Terre. Cette économie représente l’équivalent de la population de quatre Nigeria, de centaines de milliers d’hectares de terres et de forêts économisés, et probablement de grandes quantités d’émissions de GES évitées.
Car les émissions polluantes de l’Afrique ont été sous-estimées par le GIEC à l’horizon 2030, comme une étude du CNRS vient de le montrer récemment : « elles pourraient atteindre 20 à 55 % des émissions globales anthropiques des polluants gazeux et particulaires ». Car d’une part, on oublie souvent de prendre en compte dans les calculs les pertes de carbone dues à la déforestation (feux de brousse, brûlis des défrichements, sols à nu), de l’autre, les scientifiques annoncent que le bilan carbone des grands massifs forestiers africains, de plus en plus fragmentés, se dégrade d’année en année. En clair, comme en Amazonie, ils risquent de basculer vers plus d’émission que de captage de CO2. Cette correction met du sable dans le raisonnement de Greenpeace : la baisse de la croissance démographique subsaharienne aurait donc bien à terme un effet positif sur le climat. Il ne s’agit pas de « contrôle démographique », mais l’expression est utilisée par ceux-là mêmes qui s’opposent à toute régulation de notre population, pour mettre en exergue un caractère répressif et privatif de cette politique. La politique de l’enfant unique de Mao, le malthusianisme, ont laissé des traces dans nos imaginaires … J’ai proposé les termes d’éco-démographie et de société d’équilibre et de renaturation (La Sagesse de l’éléphante, ed. Libre & Solidaire, Paris 2023).
Greenpeace, association écologique, serait-elle en faveur de l’artificialisation des sols ? Car comment l’éviter, comment mettre en place une loi ZAN sans stabilisation démographique. Comment empêcher l’étalement urbain ? Greenpeace ignore-t-elle que le logement est responsable à 60 % du grignotage des ENAF (espaces naturels et forestiers) ? Ignore-t-elle que 4 selon l’UICN, la France perd chaque année plus de 60 000 ha de terres (l’équivalent d’un département par décennie !) ? On sait que les méthodes vertueuses, telle que l’agro-écologie, qui prônent des agricultures à taille humaine diversifiées et territorialisées, ont des rendements moindre que l’agriculture et l’élevage intensifs. Comment les généraliser sans envisager au préalable une politique éco-démographique ?
J’ai toujours admiré et continue d’admirer et de supporter (même si je ne cotise pas, car j’adhère déjà à un certain nombre d’associations militantes) les actions de Greenpeace. Mais de grâce, que l’Organisation ait la sagesse de ne pas se fourvoyer dans un domaine qu’elle ne semble pas maîtriser. Je crois même, qu’au moyen d’un contre-article, il serait tout à son honneur de faire machine arrière en matière de démographie. Cette nouvelle prise de position briserait un tabou et décoïncerait un débat, que les écologistes politiques n’ont jamais voulu enrichir (à part Dumont, Cousteau, Levi Strauss, bien sûr), craignant (à tort à mon avis) de s’enliser dans les terres de l’extrême droite.
Les récents propos du président de la République appelant au "réarmement démographique" ont suscité bien des réactions, certaines d'inspiration féministe, (le corps des femmes n'est pas soumis à la volonté de l'Etat), d'autres plutôt antimilitaristes (l'utilisation du mot réarmement a beaucoup choqué). Peu de gens ont mis en cause le fond de l'affaire, c'est à dire la question démographique. A-t-on vraiment besoin de relancer la fécondité dans un pays dont les effectifs ne cessent de croître qui a déjà l'un des scores les plus élevés d'Europe en la matière ? Quelles sont les contradictions de ce plan avec les objectifs annoncés du gouvernement ?
Seule l'association Démographie Responsable semble avoir relevé la question, voici le communiqué qu'elle a publié sur ce sujet :
Démographie Responsable déplore les récents propos du président de la République appelant à un réarmement démographique.
Le choix des mots est malheureux, rappelant un temps où les hommes étaient considérés come des instruments de la puissance militaire.
Le fond l'est aussi. La France n'a jamais été aussi peuplée et depuis plus de 80 ans, elle est en croissance démographique permanente tandis que sa fécondité reste supérieure à celle de ses voisins européens. Dans quelle course voulons-nous lancer ?
Plus d'hommes sur notre territoire ira à l'encontre de tous les objectifs par ailleurs exprimés par le gouvernement : la limitation de l'artificialisation des sols, la maîtrise des émissions de CO2, l'indépendance énergétique et alimentaire.
Un tel plan est donc contre-productif. Il revient en outre à donner un très mauvais exemple aux pays du Sud en déconsidérant par avance tout discours visant à promouvoir une démographie plus modeste sur l'ensemble de la planète, condition sine qua non de sa préservation
Après le passage des 8 milliards fin 2022, la population mondiale n’a pas stoppé sa marche en avant. Si l’on en croit les compteurs ici retenus, la Terre accueille aujourd’hui près de 8,1 milliards d’habitants soit un peu plus de 80 millions de plus que début janvier 2023 (*). La dépopulation est donc loin de menacer l’espèce humaine contrairement à certaines craintes parfois relayées par la presse.
La situation reste très contrastée entre les pays développés où la fécondité se situe désormais majoritairement en dessous de 2 enfants par femme et les pays les plus pauvres, notamment en Afrique et dans quelques pays d’Asie, où la croissance reste forte : plus de 4 enfants par femme en Afrique, plus encore si l’on retient la seule région subsaharienne.
L’année 2023 a été marquée par le passage de l’Inde en tête des pays les plus peuplés du monde devant la Chine (un peu plus de 1,4 milliard d’habitants chacune). Celle-ci aurait connu une baisse de population en 2022 (850 000 habitants en moins), baisse qui s’est probablement poursuivie en 2023 même si les données ne sont pas encore disponibles. Attention toutefois, pour l’Inde et pour la Chine les statistiques démographiques ne sont pas d’une absolue fiabilité, elles peuvent être faussées pour des raisons de qualité des recensements, éventuellement aussi pour des motifs politiques.
Globalement nous constatons toujours une tendance à la baisse de la fécondité mondiale qui devrait peut-être conduire à une stabilisation autour de 10 milliards avant la fin du siècle, si toutefois elle se poursuit. Cela n’est évidemment pas acquis mais constitue une source d’optimisme pour certains qui considèrent que le problème de la surpopulation est ainsi réglé. Ils négligent le fait que le niveau actuel de nos effectifs exclut déjà en pratique l’essentiel du monde sauvage.
Concernant la France, les données à fin 2023 ne sont pas encore publiées, L’Ined annonce 68 millions d’habitants (DOM-TOM compris) en janvier 2023 soit 200 000 de plus qu’un an auparavant. Tout en restant positif, le solde naturel est en baisse et se trouve désormais inférieur au solde migratoire. Les flux d’entrées ont repris leur hausse et ont retrouvé le niveau d’avant la crise sanitaire. On constate une surmortalité liée à deux épidémies de grippe ainsi qu’aux épisodes de canicule. Pour plus de détails, il est possible de télécharger gratuitement le livret de la série « La conjoncture démographique de la France » que propose l’Ined sur son site: L’évolution démographique de la France en 2023.
Ci-dessous évolution du solde naturel en France de 1957 à 2022 par comparaison du nombre de naissances et de décès. Source : Ined
Rappelons la tenue, le 25 novembre dernier, de la Journée Européenne de l’Écologie et de la Démographie consacrée aux liens entre ces deux sujets avec la participation de représentants de différentes disciplines. Il y a été notamment évoqué les liens entre démographie et réchauffement climatique, un sujet que les COP climatiques et le GIEC éliminent hélas presque systématiquement de leurs travaux. Ce fut encore le cas lors de la récente COP28.
Pour les anglophones, nous pouvons conseiller cet article très synthétique : World Population Growth : at once and future Global Concern (La croissance de la population mondiale, une préoccupation mondiale passée et future) de Karl-Erik Norrman publié le 24 octobre 2023 dans la revue World. (Merci au démographe Michel Garenne de nous l’avoir signalé).
(*) Le compteur Population Awarness ayant disparu nous l’avons remplacé par le compteur Duurzame Demografie proposé, comme le précédent, par l’association Belge désormais du même nom. Les deux compteurs hélas n’avaient pas la même base et les comparaisons donnaient pour les évaluations au 1.1.2024 une croissance irréaliste (+ 179 millions !) Nous avons donc réattribué à Duurzame Population (qui n’existait donc pas encore à l’époque) une estimation pour le 1.1.2023 dans la moyenne des autres compteurs, seule méthode pour éviter des aberrations. Mais cela conduit à présenter en ce début 2024 (concernant l’année 2023) une valeur différente de celle que nous proposions l’an dernier (7,994 milliards au lieu de 7,984 milliards). Petite difficulté inhérente à ce genre de démarche basée sur les compteurs. Notons que globalement, une fois faites les moyennes, ces compteurs sont en plein accord avec les statistiques officielles qui sont généralement publiées un an plus tard.
(**) Le compteur de l’Ined donne un niveau croissance sensiblement plus bas que celui des autres (+ 66 millions au lieu de + 81 millions en moyenne). Cet écart est lié à un changement de base antérieur
L’éléphante est donc plus sage que nous, elle qui sait adapter sa reproduction aux capacités des territoires et aux opportunités futures. Voici ce que nous assène, dès son titre, le livre de Bernard Bousquet. Mais cette allusion à notre irresponsabilité n’est que le premier des messages que nous délivre l’auteur.
L’ouvrage, sous titré "Une démographie responsable pour une écologie efficace" est dense, complet, argumenté. Il évoque tous les aspects du problème : le poids de la démographie dans l’environnement notamment sur ces deux points essentiels que sont l’écroulement de la biodiversité et le réchauffement climatique, mais aussi, le véritable tabou qui plombe le débat et, là encore, en relation avec ces deux points. Pourquoi ne met-on pas en cause nos effectifs quand l’on se désole de la fin du monde sauvage ou des risques liés aux émissions de CO2 ?
Comme le rappelle Bernard Bousquet « Il n’y a que dans un scénario de stabilité démographique… voire de décroissance … que le projet de sobriété à un sens », on ne saurait mieux dire. A quoi serviraient nos efforts s’ils devaient être effacés par une croissance sans limite de notre nombre ? Or, bien souvent, seule la question de la sobriété est traitée indépendamment d’ailleurs de la « consommation » des espaces naturels.
La question des zoonoses en lien avec notre occupation de tous les territoires de la faune sauvage - ou ce qu’il en reste – fait l’objet de longs développements.
« La sagesse de l’éléphante » fait également une grande part à l’Afrique, là où la transition démographique tarde à se faire et qui connaîtra encore en ce 21ème siècle une véritable explosion de ses effectifs. En 2019, la fécondité mondiale était (Afrique comprise) de 2,47 enfants par femme quand elle était de 4,72 en Afrique subsaharienne et de 5,18 en Afrique de l’Ouest : le double ! Entre 2019 et 2100 ces deux régions devraient voir leur population multipliée respectivement par 3,5 et 3,8. Quand on sait la difficulté qu’elles éprouvent à offrir un avenir à leurs habitants et à préserver l’environnement, on ne peut qu’être effrayé.
Dernier point, et non des moindres, outre la qualité de l’argumentation, faits et raisonnements, on sent chez l’auteur une tendresse pour la beauté du monde. Ce respect qui en découle est la vraie raison de se battre pour tenter de le préserver. Cela supposera de revoir nos effectifs à la baisse et de vivre moins nombreux, comme d’ailleurs l’humanité l’a toujours fait, ce qui a été la condition de sa survie au cours des dizaines de millénaires passés.
L’éléphante à la capacité d’espacer ses naissances lorsque les conditions vitales se détériorent. Les humains font tout l’inverse et l’augmentation de leur population provoque de multiples dégradations de l’environnement. Ne serait-il pas temps de nous inspirer de la sagesse de l’éléphante ? Le dérèglement démographique - à l’origine de nombreux dysfonctionnements : réchauffement du climat, effondrement biologique, crises sanitaires, guerres, pertes d’autonomie – devrait être depuis longtemps au cœur de nos préoccupations. Comment peut-on espérer préserver la biodiversité et réaliser l’indispensable transition écologique de notre société si nous continuons à fermer les yeux sur cette dimension majeure ? Si le débat sur la surpopulation demeure tabou ? Une politique écolodémographique est une condition sine qua non pour édifier une société d’équilibre et de renaturation axée sur la sobriété, en adéquation avec la nature et la reconstruction des écosystèmes endommagés. Pour cela une collaboration entre l’Europe et l’Afrique, voisines par la géographie et l’histoire est indispensable.
Bernard Bousquet est ingénieur des eaux et forêts, docteur en écologie. Il s’est spécialisé dans la préservation des aires protégées. Missionné sur des sur des projets de conservation de la nature par diverses organisations internationales, il a parcouru le monde pendant 40 ans. Il a travaillé au sein d'écosystèmes variés, sur plusieurs continents, dirigeant des inventaires de biodiversité et réalisant des plans de gestion de nombreux parcs nationaux et réserves naturelles dont les "hotspots" inscrits sur la liste du patrimoine mondial ou classés en réserves de biosphère de l'Unesco.
La sagesse de l’éléphante. Une démographie responsable pour une écologie efficace, Bernard Bousquet, Editions Libre & Solidaire, octobre 2023, 333 pages, 23,50 €, ISBN 978-2-37263-153-2. Présentation du livre par l’éditeur
Déjà auteur de plusieurs ouvrages sur la démographie (1), Michel Sourrouille coordonne là un nouveau livre à plusieurs voix. Pas moins de 23 personnes (2) donnent ici leur avis sur cette question qui devrait être au centre des réflexions sur notre avenir et sur la protection de notre planète. Beaucoup d’entre eux avaient déjà participé au livre «Moins Nombreux Plus Heureux» et beaucoup aussi militent collectivement au sein de l’association Démographie Responsable.
La variété des approches (sociologique, démographique, scientifique…) permet à ce livre de nous offrir un vaste panorama sur le sujet. Certaines contributions sont très détaillées (celles de Jean-Loup Bertaux ou de Denis Garnier) d’autres expriment une inquiétude viscérale face à l’évolution de nos effectifs, parfois en une ligne (Odette Chauve), d’autres essayent de comprendre les raisons du déni (Didier Barthès). La présence d’Antoine Waechter montre que le monde politique n’est pas étranger à cette interrogation de même que celle de l’économiste Stéphane Madaule. Même chose pour Martin Rott engagé sur les questions religieuses, qui prouve que, là aussi, les interrogations sont présentes. Enfin un juriste, Gilles Lacan, prend du recul et nous invite à changer de paradigme.
Ci-dessous la présentation que vous trouverez au dos de l’ouvrage
"L’idée de ce livre collectif provient d’une désillusion partagée. On pouvait croie que le passage à 8 milliards d’humains le 15 novembre 2022 selon l’ONU allait provoquer un choc médiatique On aurait pu sensibiliser les populations au fait que un milliard de terrien de plus ces onze dernières années, c’était beaucoup trop et beaucoup trop vite. A notre grand étonnement, cela n’a pas eu lieu. Tout au contraire, les intervenants privilégiés par la presse et les chaînes de télévision ont pour l’essentiel banalisé voir ignoré l’évolution démographique et ses impacts.
Il nous fallait donc à plusieurs voix démêler le vrai du faux dans ce qui se dit. Chaque contributeur ne s’exprime qu’en son nom personnel et sous sa responsabilité. Mais pour les 23 participants de cet ouvrage, la maîtrise de la fécondité humaine possède cette particularité de découler d’abord du libre choix des personnes. La contrepartie de cette liberté fondamentale devrait entraîner pour les individus et les couples un sens aigu de la responsabilité personnelle, car chaque naissance supplémentaire implique la collectivité tout entière et l’état de la planète.
Il ne s’agit pas d’envisager une contrainte étatique, seulement une éducation propice à une décision éclairée des hommes et des femmes."
(1) Moins nombreux plus heureux, l’urgence écologique de repenser la démographie : ouvrage collectif, (Sang de la Terre, 2014), Arrêtons de faire des gosses (Kiwi, 2020), Alerte surpopulation (Édilivre, 2022)
(2) Philippe Annaba, Didier Barthès, Jean-Loup Bertaux, Antoine Bueno, Odette Chauve, Jean-Michel Favrot, Denis Garnier, Marc Gillet, Théophile de Giraud, Gilles Lacan, Stéphane Madaule, Jacques Maret, Corinne Maier, Fabien Niezgoda, Marie-Ève Perru, Alice Rallier, Martin Rott, Pablo Servigne, Michel Sourrouille, Lucia Tamburino, Michel Tarrier, Antoine Waechter, Philippe Waldteufel.
Surpopulation... Mythe ou réalité ? Ouvrage collectif coordonné par Michel Sourrouille. Éditions Édilivre, novembre 2023, 263 pages, ISBN 978-2-414-62014-2, 19 €.
Le 25 novembre prochain se tiendra à Paris la première Journée Européenne de l’Écologie et de la Démographie.
Cette journée, organisée conjointement par les associations Démographie Responsable etEurASP, proposera un ensemble de conférences autour des questions reliant l'environnement et la démographie.
L'après midi se terminera par une présentation des réflexions de l'EurASP sur les liens entre migrations et démographie (avec débat avec le public) ainsi que par une présentation des ouvrages des auteurs présents, là aussi avec débat.
L'entrée est libre et gratuite, chacun est invité à venir participer aux débats qui suivront chacune des interventions et projection une rare occasion d'aborder ces questions trop souvent occultées
Journée Européenne de l'Ecologie et de la Démographie
Samedi 25 novembre 2023, de 14 h à 19 h
Fiap Jean Monnet, 30, rue Cabanis , Paris 14e (Métro Glacière)
(*) L'EurAsp est une fédération d’associations européennes militant pour la prise en compte de la question démographique au sein de tous les débats liés à la protection de l’environnement.
L’Europe ne pèse aujourd’hui que moins du dixième d’une population mondiale toujours plus nombreuse, qui exerce sur notre continent une pression menaçant la survie de notre civilisation. Face à la conquête par les ventres, peut-on, doit-on résister en nous lançant dans la compétition du nombre ? Comment défendre le « Camp des Saints » assiégé, sans sacrifier une façon proprement européenne d’être au monde ?
Vers 1900, l’Europe, avec environ 420 millions d’habitants, représentait environ un quart de l’humanité, après avoir longtemps pesé un peu moins de 20 %. Aujourd’hui, le continent est peuplé d’environ 750 millions d’individus. Mais, dans un monde passé de 1,6 milliard à plus de 8, les Européens sont moins de 10 % de la population mondiale.
Deux faits incontestables : l’Europe n’a jamais été si peuplée, d’une part ; et d’autre part, les Européens n’ont jamais été aussi minoritaires dans la population du globe. Si nous ajoutons à ce constat une dimension dynamique, en comparant la pyramide des âges et la fécondité des différentes parties du monde, les projections ne peuvent que montrer l’accentuation de ce déséquilibre en notre défaveur. La conséquence, nous la connaissons et nous la vivons, c’est ce qu’écrivait en 1985 Jean Raspail dans la préface qu’il ajouta à son roman prophétique de 1973 Le Camp des Saints : « notre vieil Occident, tragiquement minoritaire sur cette terre, reflue derrière ses murailles démantelées en perdant déjà des batailles sur son propre territoire et commence à percevoir, étonné, le vacarme sourd de la formidable marée qui menace de le submerger ».
Dans cette citadelle assiégée qui est la nôtre, on pourrait imaginer, comme un réflexe de survie salutaire, une sorte d’alignement mimétique : face aux masses du Sud qui semblent faire du ventre de leurs femmes un instrument de conquête, nous pourrions répondre par un sursaut de natalité, et aligner des générations de petits Européens comme un rempart face à la submersion.
Il y a toutefois, derrière cette logique parfaitement compréhensible, plusieurs illusions et plusieurs pièges.
Tout d’abord, cette course mimétique au nombre participe d’une réduction paradoxale de la singularité des peuples. Pour paraphraser Bernard Lugan, qui explique souvent qu’on ne comprend rien à la politique africaine si on croit que l’Afrique est peuplée d’Européens à la peau noire : pourquoi devrions-nous, en réponse à la démographie galopante venue du Sud, faire des Européennes l’équivalent d’Africaines à la peau blanche ?
Envisager une relance de la natalité nécessite par ailleurs de se poser préalablement quelques questions essentielles. D’une part, est-on bien certain qu’un sursaut nataliste changerait grand-chose aux ordres de grandeur évoqués en introduction ? Combien d’enfants supplémentaires par Européenne faudrait-il pour que nous pesions de nouveau 20 à 25 % de l’humanité à la fin de ce siècle ? Peut-on envisager un scénario de ce type avec des taux crédibles ? Il faut bien sûr également se demander, avant de réclamer une politique davantage nataliste, quels en seraient les principaux bénéficiaires ; s’ils sont les mêmes que pour les Caisses d’allocations familiales actuelles, on n’aura guère résolu le problème qui nous préoccupe… D’une façon générale par ailleurs, on voit mal comment l’encouragement de la logique du nombre pourrait ne pas avoir de conséquences dysgéniques, du genre de celles qu’ont illustrées, avec la force de la satire, La Longue Marche des Cornichons ou le film Idiocracy. Évidemment, dans un tout autre genre, que les participants à ce colloque aient des familles nombreuses, comme l’illustre la présence d’une garderie appréciée, on ne peut que s’en réjouir. Et que d’autres d’ailleurs n’aient pas d’enfants ou ne comptent pas en avoir ne les empêche nullement de participer à la renaissance européenne. Or, que changerait au juste à cela une politique nataliste ? La Maison de la Chimie ne serait pas plus remplie qu’elle n’est, mais les rames de métro que nous avons pu emprunter ce matin auraient peut-être été plus bondées encore...
Avant même de s’interroger ainsi sur la possibilité et l’efficacité d’un tel redressement démographique, on peut d’ailleurs aussi juger son bien-fondé sur une base historique. Après tout, quand l’Europe pesait, au cours des siècles antiques ou médiévaux, un peu moins de 20 % de la population mondiale, elle fut capable, non sans mal certes, de résister aux divers assauts qui régulièrement menacèrent notre petite péninsule. Les Européens ont en effet toujours été minoritaires ; ce qui leur manque aujourd’hui, ce n’est pas tant le nombre que l’affirmation de leur identité et de leur légitimité à défendre leur territoire et leur être au monde.
Qu’il n’y ait pas de méprise : en remettant en cause le natalisme, il ne s’agit surtout pas de cesser de féliciter les heureux parents parmi nous, et il s’agit encore moins d’applaudir ce mouvement nihiliste dont les échos se font de plus en plus nombreux au sein de la jeunesse « woke », et qui passe par la condamnation de la parentalité (ou du moins de la parentalité biologique, à laquelle, dans ces milieux-là, on substitue volontiers l’adoption), par l’éloge de la stérilisation précoce, etc. Le malthusianisme bien compris (c’est-à-dire, d’abord, celui du pasteur Malthus lui-même), cela consiste à préserver les générations futures des malheurs (famines, guerres, épidémies) qui résulteraient de leur nombre trop important sur un territoire aux ressources limitées ; pas de leur éviter l’existence même !
Ni extinction volontaire et suicidaire, bien sûr, ni prolifération illimitée et cancéreuse. La sagesse apollinienne nous commande de trouver la juste mesure. L’une des plus fameuses maximes inscrites sur le temple de Delphes était Μηδὲν ἄγαν (mèden agan) : « rien de trop », « ne fais aucun excès ». De façon significative, Platon (dans la République) et Aristote (dans la Politique) étaient, une fois n’est pas coutume, d’accord sur ce sujet de la population. Si un minimum d’hommes est nécessaire dans une cité, pour assurer un efficace partage des tâches, une certaine spécialisation au bénéfice de tous, la défense d’un bien commun, une limite doit néanmoins être posée, nous disent-ils, tant par rapport aux ressources disponibles sur le territoire que pour conserver entre les membres de la communauté une certaine familiarité. « Une grande cité et une cité populeuse, résume Aristote, ce n’est pas la même chose. » (1) La valeur des hommes n’est pas leur nombre, la quantité n’est pas la qualité. La grandeur d’un peuple ne se confond pas avec son poids.
« Il n’est de richesse que d’hommes » dira pourtant pour sa part, bien plus tard, Jean Bodin dans une formule célèbre, à propos des États modernes et de leur besoin de soldats et de contribuables. Mais, derrière l’affirmation de la puissance, n’entrait-on pas alors surtout dans le règne de la quantité ? Les hommes ainsi conçus, comme ils le sont par nos économistes obsédés par les chiffres de la croissance ou par l’équilibre de caisses de retraite conçues comme une pyramide de Ponzi, sont-ils encore autre chose qu’une masse indifférenciée d’individus interchangeables ? Derrière la logique du nombre, gronde le risque de rupture anthropologique : l’homme de l’ère des masses, c’est « l’homme remplaçable » décrit par Renaud Camus.
Avant de revenir avec lui à l’anthropologie, enjeu central qui nous occupe aujourd’hui, faisons un rapide détour par la biologie. Celle-ci nous apprend que les espèces peuvent adopter des stratégies reproductives variables, que l’on schématise habituellement dans le modèle r/K. La stratégie r, celle des grenouilles ou des organismes microscopiques par exemple, consiste en une reproduction rapide, précoce, produisant de très nombreux jeunes exposés à une mortalité élevée. La stratégie K correspond pour sa part à une durée de vie plus longue, à une reproduction plus rare et tardive adaptée aux capacités du milieu. L’homme, quelle que soit l’époque, quelle que soit la civilisation, quel que soit le modèle familial, adopte incontestablement une stratégie qui relève du « K ». Évidemment, la réalité est toujours moins schématique, mais il n’est pas inutile de toujours nous demander si nous voulons faire glisser le curseur vers le « r », privilégiant le nombre avant tout autre considération, ou si, fidèles à la stratégie « K », nous préparons l’avenir de chacun des enfants que nous laissons au monde, et auxquels nous transmettons celui-ci.
J’évoquais tout à l’heure le nom de Malthus, en rappelant précisément sa crainte de générations croissant à un rythme non soutenable. On pourra objecter, à la question de la limitation des ressources posée par Malthus et à sa suite par tous les néo-malthusiens ou éco-malthusiens, que leurs scénarios pessimistes sous-estiment les capacités de la technique à repousser les limites. Certes. C’est bien, par exemple, grâce au procédé Haber-Bosch de synthèse de l’ammoniac, que les engrais azotés ont permis à l’humanité au XXesiècle de percer allègrement le plafond des deux milliards. Il est possible de voir, dans cette soumission de la nature au profit de l’homme, une logique prométhéenne qui nous a permis en effet de sortir d’une certaine fatalité. Mais Heidegger nous a montré que le déploiement de la technique, c’est aussi pour l’homme davantage de dépendance, davantage d’aliénation, davantage d’arraisonnement de l’homme lui-même, davantage de soumission à la pensée calculante. On peut, nous disent certains agronomes populationnistes, nourrir dix, douze, quinze milliards d’humains sur cette planète. Les pois chiches transgéniques le permettront peut-être en effet. Mais cela vaut-il la peine de déployer tant de moyens, tant d’ingéniosité, pour atteindre un objectif dont la pertinence même mérite peut-être débat : optimiser le remplissage humain de la terre est-il un objectif en soi ?
Renaud Camus rappelle « cette vieille croyance indienne [...], selon laquelle il y a dans le monde une quantité d’âme constante, et moins d’elle pour chacun, donc, à mesure que l’humanité se fait plus nombreuse (2). Au-delà des considérations matérielles du malthusianisme classique, on peut noter en effet que la trop forte densité humaine nuit à la vie spirituelle, de même qu’elle n’a cessé, depuis des décennies, de limiter la liberté d’aller et venir : depuis les autoroutes où se croisent juillettistes et aoûtiens jusqu’aux rocades qu’empruntent les travailleurs métropolitains dans leurs mouvements pendulaires, des galeries des Musées du Vatican jusqu’à certains sentiers de montagne, des chambres d’hôtel aux places d’opéra, l’homme contemporain de huit milliards d’autres doit sans cesse jouer des coudes. On croit voyager ? Multiplié par des millions, le voyageur est un flux ; et qui dit flux, dit aujourd’hui gestion des flux. On espère se perdre dans la campagne, trouver un village ou un paysage intact ? Grande chance si l’aménagement du territoire n’est pas passé par là, avec ses zones commerciales, ses parkings, sa banlieue universelle, ses champs d’éoliennes. Mais depuis les années soixante et la création de la DATAR, l’Hexagone s’est rempli de vingt millions d’hexagonaux supplémentaires. La France est-elle désormais plus belle qu’alors ? Plus vivable ? Est-elle plus grande ? Rappelons-nous Aristote : une grande cité et une cité populeuse, ce n’est pas la même chose...
Vivre en Européen, c’est aspirer à autre chose qu’à cette fourmilière humaine que dessine l’ère des masses. La leçon d’Orphée commande que puissent demeurer des espaces naturels vierges de notre présence ; des forêts laissées aux nymphes et aux loups ; des espaces sauvages où, comme le naturaliste et graveur Robert Hainard, l’homme ne pénètre qu’en contemplateur discret et léger, et non en défricheur cherchant où il pourra utiliser son tracteur ou son excavatrice. L’homme habite la terre en poète, écrivait Hölderlin. Or il n’est pas certain du tout que cette façon-là d’être au monde soit tenable dans un monde toujours plus peuplé, dans une Europe toujours plus peuplée, fût-ce uniquement d’Européens.
Pour l’Européen, le nombre est donc une menace et un piège. La menace, c’est bien sûr celle de la submersion. Le piège serait que, croyant répondre à la menace, on sacrifie notre être-au-monde au règne de la quantité.
L'auteur : Historien médiéviste de formation, Fabien Niezgoda est professeur agrégé d’histoire-géographie. Auditeur de la promotion Patrick Pearse, il est devenu formateur régulier au sein de l’institut Iliade, en particulier sur notre rapport à l’écologie et à la technique. Collaborateur de la revue Éléments, il y a notamment dirigé en 2020 un dossier remarqué consacré à la surpopulation.
Cet article a été initialement publié sur le site de l'institut Iliade, il reprend les éléments d'une intervention de Fabien Niezgoda lors du colloque intitulé "Face au déclin anthropologique, vivre en Européen" qui s'est tenu sous l'égide d'Iliade, le 15 avril 2023, à la Maison de la chimie, à Paris.
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Site consacré à l'écologie et à la construction d'une société durable, respectueuse de l'environnement
Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal.
Contact : economiedurable@laposte.net