Second volet de l'article de Denis Garnier, président de Démographie Responsable
SITUATIONS D’ÉQUILIBRE & DIFFÉRENTS TYPES D’ÉVOLUTION DE POPULATION
A l’occasion de la dernière Conférence climat (COP23), 15.000 scientifiques originaires de plus de 180 pays ont lancé un cri d’alarme sur l’état de la planète. Dans leur appel figuraient treize mesures dont la suivante : « déterminer sur le long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable ». Ce qui suit se veut un début de réponse.
1) On pourrait tout d’abord parvenir à une situation d’équilibre global si chaque pays, quelle que soit sa biocapacité, amenait son empreinte au niveau de la biocapacité moyenne de la planète (1,7 ha). Graphiquement, il s’agit d’un déplacement vertical de tous les pays, non pas vers la courbe verte d’autosuffisance comme on l’a vu pour la France, l’Italie et le Bangladesh, mais vers la ligne horizontale en pointillés représentant l’empreinte de 1,7 hectare. Cela permettrait de répartir de façon totalement égalitaire les ressources de la planète.
Le problème est que, comme on le sait, ces ressources sont très inégalement réparties et cela obligerait donc, entre autres, à des transferts continus de ressources agricoles sur des distances plus ou moins longues, ce qui est énergivore et donc anti-écologique. Ces déplacements auraient même probablement pour conséquence de fausser les calculs en créant de nouvelles sources d’émissions de CO2…

Visuellement, cela conduirait à laisser déficitaires tous les pays « à droite » de la Terre, soit en ne les faisant pas assez descendre, soit carrément en les « remontant », ce déficit écologique cumulé étant comblé par les pays situés « à gauche » de la Terre. Finalement, la planète serait effectivement en équilibre, mais aucun des pays ne le serait avec lui-même.
Évidemment, cette option n’aurait pas d’impact direct sur l’effectif de population. Cependant, avec la croissance démographique prévue par l’ONU, le seuil de 1,7 hectare diminuerait inexorablement et il faudrait à terme se contenter d’une biocapacité de 1,1 hectare par personne comme on l’a vu. Bien que cette solution soit celle privilégiée par un certain nombre d’organisations écologistes pour lesquelles la « répartition stricte » est un credo, et qui ne veulent surtout pas entendre parler de démographie, il est clair qu’elle est excessive et non écologique.
2) a) Le cas suivant étudié considère que les pays débiteurs peuvent conserver leur empreinte individuelle, mais doivent (à terme) avoir moins d’habitants jusqu’à revenir à l’équilibre, et ce alors que les pays créditeurs peuvent avoir plus d’habitants jusqu’à utiliser toute leur biocapacité.

Graphiquement, il s’agit d’une simple translation horizontale vers la gauche pour les premiers et vers la droite pour les seconds. L’évaluation de la population soutenable de chaque pays se fait alors en divisant sa biocapacité globale par son empreinte individuelle. La population soutenable de la planète étant alors la somme des populations de chaque pays.
Le calcul donne une « Population SOUTENABLE 2a » de 4,8 milliards d’habitants au lieu des 7,2 de 2013, date des dernières statistiques du Global Footprint Network (il faut plusieurs années pour collecter les données, les analyser et les rendre publiques).
b) On peut évidemment objecter que puisque la majorité des pays doit baisser sa population, il n’est peut-être pas judicieux d’en laisser d’autres croître sous prétexte qu’ils ont de fortes ressources renouvelables.
Cela nous amène à un deuxième calcul où les pays débiteurs décroissent démographiquement mais où les pays créditeurs restent au même niveau de population (et donc à la même place sur le graphique). Cette option permet de n’utiliser que 76% de la biocapacité de la planète et donc de constituer une sorte de réserve. Elle pourrait donc être nommée « Population OPTIMALE 2b » (8) et s’élèverait à 3,6 milliards d’habitants.

3) a) L’inconvénient du calcul précédent est qu’on aboutit à des possibilités de modes de vie très différentes, très inégalitaires. Par exemple, la France se retrouverait avec une biocapacité individuelle potentielle de 2,9 ha et le Bangladesh de 0,4 ha comme vu plus haut. L’idée serait alors la suivante : permettre à tous les pays d’avoir la même empreinte et biocapacité individuelle. Il y a évidemment énormément de possibilités. On a choisi ici de « se caler » sur l’empreinte de 2,9 hectares, c’est-à-dire celle qui correspond au niveau de vie moyen actuel d’un terrien (et par ailleurs à la biocapacité individuelle de notre pays).

Graphiquement, il s’agit d’un regroupement de tous les pays (et donc aussi de la Terre) en un même point. En agissant donc à la fois sur l’empreinte individuelle et la démographie, la population soutenable de chaque pays serait alors égale au rapport entre sa biocapacité globale et ce nombre de 2,9. Notons au passage que cette option induit une baisse de la consommation (ou du niveau de vie) assez drastique de la part des pays occidentaux qui pour beaucoup ont une empreinte nettement supérieure à 2,9. Finalement, la population soutenable de la planète serait encore égale à la somme des populations de tous les pays. Le calcul donne ainsi une « Population SOUTENABLE 3a » de 4,4 milliards d’habitants.
b) Cependant, comme précédemment, il peut sembler préférable que les pays ayant une biocapacité supérieure à 2,9 restent au même niveau de population. Graphiquement, pour ce qui les concerne, cela conduirait à un déplacement strictement vertical. Dans ce dernier cas, la « Population OPTIMALE 3b », avec une utilisation de seulement 79% de la biocapacité de la planète, se monterait à 3 milliards d’habitants. Cette évaluation qui est la plus basse des quatre s’explique par le fait que l’on a choisi un niveau de vie « assez élevé ». Notons comme précédemment que le gain annuel de biocapacité permettrait, à terme, de récupérer les déficits accumulés lors des décennies précédentes. Signalons aussi que c’est cette dernière option qui aurait la préférence de l’association Démographie Responsable.

A partir des données du Global Footprint Network, l’écologie-statistique peut permettre de modéliser de multiples autres solutions. L’idée est simplement ici de montrer des exemples de calcul basés essentiellement sur le fait que chaque pays doit se mettre en adéquation avec sa biocapacité, c’est-à-dire avec ses ressources renouvelables propres par l’intermédiaire de la baisse de son empreinte et de la baisse éventuelle de sa population.
Pour résumer les résultats obtenus : si l’on veut être en équilibre, et en partant d’une population de 7,2 milliards d’habitants, il faudrait se retrouver (à un horizon plus ou moins lointain) entre 3 et 4,8 milliards d’humains, c’est-à-dire (en arrondissant) entre 40% et 70% de la population de 2013.
On remarquera aussi que les efforts demandés le seraient pour tous les pays, qu’ils soient situés au nord comme au sud. Dans les scénarios 2, les efforts ne porteraient que sur les effectifs de population alors que dans les scénarios 3, ils demanderaient une baisse importante du niveau de vie des pays du nord et une baisse significative des effectifs de certains pays du sud déjà surpeuplés, comme on le voit sur les exemples choisis du tableau ci-dessous.

c) Le choix de ces 2,9 ha permet de travailler sur un cas concret, mais il est évidemment arbitraire. Plus généralement l'évolution conjointe des populations soutenables et optimales du scénario 3 (c'est-à-dire avec une empreinte choisie/imposée et commune à tous les pays) peut être représentée sur un même graphique comme ci-dessous, ou sous forme de tableau (9). Il est alors intéressant de regarder cette évolution dans un intervalle compris entre la biocapacité individuelle moyenne de la planète (1,7 hectare) et l'empreinte individuelle moyenne de la planète (2,9 hectares). En effet, comme on l'a vu, sous la barre des 1,7 ha le niveau de vie est trop bas et au-dessus de 2,9 ha l'effort demandé devient très important.
Pour une empreinte de 1,7 hectares, on retombe sur les 7,4 milliards de la population soutenable 1, par contre le cas associé d'une population optimale de 4,1 milliards n'a pas été étudié, car clairement disproportionné pour les pays fortement créditeurs. Pour une empreinte de 2,9 hectares, on retrouve bien les 4,4 milliards de la population soutenable 3a et les 3,0 milliards de la population optimale 3b.
On remarquera que la différence entre l'effectif de population soutenable et optimale a tendance à se réduire quand l'empreinte choisie augmente. Cela provient du fait que lorsqu'on augmente l'empreinte disponible, les pays qui sont au-dessus de celle-ci peuvent avoir de moins en moins de population et l'optimisation est donc moins marquée. D'ailleurs au-delà d'une certaine valeur, les deux courbes finiraient par se superposer.
Enfin, pour être en équilibre écologique avec la planète, il faudrait être situé à l'intérieur de la zone hachurée.

CONCLUSION
A partir des données du Global Footprint Network, l’écologie-statistique peut donc permettre de modéliser un très grand nombre de scénarios. L'idée a été simplement ici de montrer des exemples de calcul basés essentiellement sur le fait que chaque pays doit se mettre en adéquation avec sa biocapacité, c’est-à-dire avec ses ressources renouvelables propres par l'intermédiaire de la baisse de son empreinte et/ou de la baisse de sa population.
Il est évident que si le choix de la stabilisation, puis ensuite de la réduction, de la population mondiale était décidé par la communauté internationale et les pays respectifs, et ce dans le cadre de COP dédiées à ce sujet, sa mise en œuvre mettrait un certain temps à se concrétiser.
Et ce à la fois parce que les effets des mesures démographiques courent sur plusieurs générations, mais aussi parce qu'il ne faudrait pas brûler les étapes et commettre l’erreur inverse de celle qui a été faite dans le passé : à une explosion démographique catastrophique, il ne faudrait pas substituer une baisse démographique trop brutale, aux conséquences économiques et sociales difficilement gérables.
Les couples doivent absolument pouvoir continuer à avoir un ou deux enfants mais il serait bon qu'ils n’aillent pas au-delà, car l’aventure humaine, malgré toutes ses erreurs accumulées, doit pouvoir se poursuivre le plus longtemps possible.
Denis Garnier
Président de l’association Démographie Responsable
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(1) Précisons que l’empreinte écologique et la biocapacité sont des indicateurs partiels de notre influence sur la planète. Ils laissent en effet de côté non seulement les ressources fossiles disponibles (puisque non-renouvelables à notre échelle de temps), de nombreux éléments du domaine du renouvelable (solaire, éolien,…) mais aussi la richesse de la faune et de la flore (biodiversité). Pour évaluer l’état de cette dernière, il existe d’ailleurs un autre indicateur : l’Indice Planète Vivante.
(2) En fait on utilise l’hectare global (hag). En effet, la productivité des surfaces peut être fort différente (par exemple celle de la forêt amazonienne est bien supérieure à celle d’un désert). Les productivités de ces surfaces sont donc comparées à une productivité moyenne mondiale. Un système de pondération permet alors d’évaluer chaque surface en hectare global.
(3) Le GFN et le WWF ont décidé de considérer que « Le Jour du dépassement de la France pour 2018 » tombait le 5 mai dernier. Il s’agit, de notre point de vue, d’une erreur d’interprétation. Lire à ce sujet l’article intitulé Retour sur le « Jour du dépassement » de la France.
(4) Les statistiques du GFN sont disponibles ici et sur demande.
(5) Où l’on voit d’ailleurs que c’est notre empreinte carbone qui nous « plombe ».

(6) Habituellement, la densité de population d’un pays est calculée en nombres d’habitants par km² (hab/km²). Dans la présentation choisie ici, le calcul se fait en nombre d’habitants par hectares de surface bioproductive (hab/ha). En fait, ce sont « les inverses » des biocapacités (qui s’expriment en ha/hab) qui apparaissent sur l’axe des abscisses. Il revient à Cyril Meynierr d’avoir eu l’idée de cette présentation.
(7) On peut d’ailleurs considérer qu’avec une biocapacité individuelle inférieure à 1 hectare, il est fort difficile de vivre correctement. Or un tiers des pays du monde est dans ce cas. C’est la raison pour laquelle la généralisation de la solution de l’équilibre des pays à partir de leur seule biocapacité et sans réduction de la population ne sera pas valorisée.
(8) Ce qualificatif d’optimal peut évidemment interroger, puisqu'il ne s’agit évidemment pas de « la meilleure solution possible ». Disons que l’idée est ici de trouver une dénomination qui sous-entend qu’il s’agit d’une solution meilleure que la solution soutenable. Cela étant, le niveau de population que notre planète pourrait durablement supporter en laissant de la place aux autres espèces se situe probablement encore en-deçà des évaluations ici proposées.
(9) En effet, il peut être utile de disposer des valeurs exactes suivant l'empreinte choisie :

Liens vers le téléchargement des fichiers Excel où figurent les calculs
Population Soutenable & Optimale 2
Population Soutenable & Optimale 3