Partons du constat que les événements majeurs pour l’avenir de l’humanité sont désormais le réchauffement climatique, causé par l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre (GES), d’une part, et l’effondrement de la biodiversité, consécutif à l’expansion géographique de l’espèce humaine, d’autre part.
Ces phénomènes sont établis et documentés par les études scientifiques, dont l’opinion dominante est qu’ils échappent progressivement à tout contrôle.
La logique économique du système s’est avérée plus forte que la volonté politique de le réformer
Les émissions de GES résultant de l’activité économique ne cessent d’augmenter à l’échelle de la planète, alors qu’il faudrait qu’elles diminuent fortement pour stabiliser la concentration de ces gaz dans l’atmosphère. Les températures vont donc continuer de progresser à due proportion – sans doute même de manière accélérée compte tenu de plusieurs points de bascule (tipping points) - pour atteindre des niveaux ayant une incidence sur la santé des populations concernées et sur la survie d’une partie d’entre elles.
Quant à l’effondrement de la biodiversité, déjà en partie réalisé, il est directement corrélé à l’accroissement du nombre des humains, à leur occupation de la totalité des territoires habitables et à la satisfaction de leurs besoins élémentaires, quel que soit par ailleurs leur niveau de richesse. Le déclin massif des populations animales est apparu au cours des années 1970, lorsque l’humanité a atteint puis dépassé le seuil des 4 milliards d’individus ; depuis il n’a fait qu’empirer. Aucune correction de cette tendance n’est envisageable sans une diminution quantitative de l’espèce humaine, qui occupe depuis des dizaines de milliers d’années le sommet de la chaîne de prédation. Rappelons qu’au sein de la classe des mammifères terrestres, l’homme et les animaux domestiques représentent aujourd’hui 96 % de la masse corporelle totale, la faune sauvage 4 %.
A cela s’ajoutent d’autres menaces directement ou indirectement liées à l’environnement comme la pénurie énergétique, consécutive à l’épuisement progressif des ressources pétrolières, ou la dégradation des sols, qui réduit la productivité des terres à l’hectare et met en péril l’alimentation des pays pauvres.
Bien sûr, aucune de ces perspectives n’a de caractère inéluctable. Divers évènements, comme celui d’un conflit mondial, peuvent en perturber le cours et précipiter l’humanité vers d’autres possibles, pas forcément meilleurs. Mais il est constant que les stratégies d’évitement du réchauffement climatique mises en œuvre depuis le sommet de Rio en 1992 ont été inopérantes, en tout cas incapables d’arrêter la poursuite d’un phénomène pourtant identifié, circonscrit et quantifié. Et ce malgré les progrès de la technologie, censée concilier croissance et environnement sur la base du concept de développement durable. La logique économique du système s’est avérée plus forte que la volonté politique de le réformer.
Anticiper les situations de stress et de pénurie pour mieux y résister le moment venu ou, comme le disait Kennedy, « réparer sa toiture lorsque le soleil brille »
C’est dans ce cadre contraint qu’il faut envisager l’avenir d’un point de vue écologique. Les scientifiques le répètent à l’envi, l’évitement d’un dérèglement majeur du climat n’a plus désormais de réelles chances d’être atteint. De surcroît, la recherche d’un tel évitement n’a de sens qu’à l’échelle mondiale. Un pays comme la France n’a pas la dimension suffisante pour y contribuer de manière significative. Aucun grand pays ne le fait, du reste… les hommes ne sont pas des colibris. Il est dès lors plus réaliste d’essayer de s’adapter par avance aux changements majeurs qui sont annoncés.
Pour autant, un tel choix n’est pas synonyme de facilité. Il s’agit, en effet, de renforcer dès maintenant les capacités de résilience des différents territoires afin de leur permettre d’affronter les conditions qui y prévaudront par la suite. Anticiper les situations de stress et de pénurie pour mieux y résister le moment venu ou, comme le disait Kennedy, « réparer sa toiture lorsque le soleil brille ».
Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché dans l’ordre interne, les politiques de relocalisation en assurent la régulation au niveau de l’Etat, là où s’exerce la souveraineté
Dans un monde en proie aux événements climatiques extrêmes, la résilience du système pris dans son ensemble comme dans chacune de ses parties doit être prioritairement recherchée dans l’instauration d’espaces économiques autonomes. Ceux-ci sont en effet moins vulnérables qu’un espace global intégré, à la fois parce que chaque territoire est autosuffisant en ressources et parce que les territoires dans leur ensemble se trouvent mutuellement protégés des réactions en chaîne en cas de défaillances survenues dans l’un d’entre eux.
Les politiques de relocalisation matérialisent un tel projet. De surcroît, à la différence des stratégies d’évitement, elles produisent l’essentiel de leurs effets dans les espaces où elles sont appliquées. Elles se heurtent toutefois à deux obstacles. Le premier est que dans un système mondialisé, soumis au principe de la libre concurrence, un Etat ne peut pas relocaliser la production de ses biens sans recourir au protectionnisme. Le second obstacle est qu’en privilégiant, contre le marché, leur production nationale, les gouvernements prennent le contrepied d’un des principes de base du libre-échangisme, formulé par Ricardo mais combattu par Malthus : la théorie des avantages comparatifs.
Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché dans l’ordre interne, les politiques de relocalisation en assurent la régulation au niveau de l’Etat, là où s’exerce la souveraineté, dans les échanges avec le reste du monde.
En ce qui concerne la France, une relocalisation effective devrait entraîner un redéploiement de l’activité depuis le secteur des services vers ceux de l’agriculture et de l’industrie, de manière à ce que soient produits sur le territoire national les biens considérés comme stratégiques. Un tel rééquilibrage n’est pas optionnel, il conditionne le rétablissement de notre souveraineté alimentaire et industrielle.
L’offre de services aussi serait réduite, y compris en matière de santé et de soins à la personne. L’espérance de vie devrait diminuer
Il ne faut pas sous-estimer, par ailleurs, l’impact d’une politique de relocalisation sur la consommation et le niveau de vie des ménages. Les pertes de productivité devraient être lourdes, du fait notamment de la différence entre le coût du travail en France et celui pratiqué dans les pays dont nous importons les produits : le salaire mensuel minimum est de 300 € en Chine, 165 € au Vietnam, 88 € au Bangladesh, 24 € en Ethiopie. Nous devrions payer le surcoût consécutif à ce différentiel, auquel s’ajoutera par ailleurs celui causé par le renchérissement de l’énergie.
Les biens aujourd’hui importés coûteraient donc plus cher, ils seraient moins accessibles. L’offre de services aussi serait réduite, fournie par des actifs moins nombreux, tant dans le secteur public que dans la sphère marchande, y compris en matière de santé et de soins à la personne. L’espérance de vie devrait diminuer.
Il s’agirait, en réalité, d’une décroissance d’adaptation : ni vraiment subie, parce qu’organisée pour éviter l’effondrement, ni vraiment voulue, parce que fondée sur une régression par rapport à l’actuel niveau de vie.
La décroissance n’est pas une idéologie, un changement de paradigme ou d’imaginaire porté par un homme nouveau, enfin devenu bon mais qui (heureusement) n’existe pas. C’est l’organisation raisonnée, pour assurer notre propre perpétuation, d’un ralentissement durable de la production et de la consommation.
Dans une récente tribune adressée au Monde, de nombreux scientifiques français, dont certains très connus comme le physicien Alain Aspectou l’excellent vulgarisateur Etienne Klein appellent au lancement d'un « Manhattan de la transition écologique ».
Si un tel appel peut paraître bienvenu au regard des menaces qui pèsent sur les équilibres écologiques, cette initiative soulève quelques objections.
La première – légère - est que cette référence grandiloquente au projet Manhattan, surfant sur le succès du film consacré à Robert Oppenheimer relève largement du marketing. Or, un projet scientifique ponctuel, même très important, et un changement des comportements de société appartiennent à des catégories différentes et se heurtent à des difficultés de natures tout aussi différentes.
La seconde est que cet appel s’apparente furieusement à celui de toutes les professions expliquant qu’elles sont essentielles à l’avenir du pays sinon de l’humanité et qu’en conséquence, elles doivent bénéficier d’une priorité absolue dans les arbitrages budgétaires. Médecins, enseignants, militaires, postiers… ne disent pas autre chose. En ce sens, c’est une tribune syndicale : donnez-nous de l’argent !
Mais au-delà de ces petits travers, il y a plus profond. Ces savants - dont la compétence scientifique n’est pas en cause - font cet éternel pari que la science sera la garante de la protection de notre Terre. C’est là que le bât blesse.
De tout temps la science et le progrès technologique, qui en est le fruit, ont donné à l’Homme plus de pouvoir. Sans technologie nous n’aurions nulle machine, nul démultiplicateur de nos forces et n’aurions pu conquérir et exploiter l’ensemble de la Terre. Or, ce pouvoir a conduit à l’extension de l’emprise de l’Homme sur la planète, à l’exploitation de toutes les ressources naturelles, mais surtout à la conquête de tous les territoires, excluant ainsi le reste du vivant. En un mot, il a conduit au déséquilibre.
Ces chercheurs nous demandent d’aller plus loin encore pour faire toujours plus de technologie. Ce qu’ils ne semblent pas comprendre ou pas admettre, c’est qu’en faisant cette demande, ils sous entendent implicitement qu’ils vont changer le sens de la corrélation entre technologie et destruction de l’environnement : elle était positive - technologie et destruction allaient de pair -, ils l’imaginent, par leur talent et leur volonté, devenir négative, les deux éléments évoluant désormais en sens inverse et la science aidant la nature.
Hélas, la corrélation est tellement forte – toute l’Histoire et la logique plaident en ce sens (sans les machines, encore une fois, nous ne ferions guère de mal) - que c’est un pari certainement perdu et en tout cas un pari dans lequel il serait bien imprudent de les laisser s’engager au nom de toute l’humanité.
D'ailleurs n'aurait-elle aucun inconvénient immédiat qu'une science toute puissante nous conduirait inévitablement à artificialiser la planète entière, ce serait la fin de la nature.
Ne nous considérons pas comme les gestionnaires élus de la Terre, engageons-nous dans une voie plus modeste en réduisant notre poids sur la planète, produisons moins, soyons moins, laissons à la nature de l’espace et du temps, elle n’a besoin que de cela.
La science est belle pour la compréhension du monde, au regard de l'Histoire, elle est inutile à sa gestion.
Le récent film biographique Oppenheimer, de Christopher Nolan, nous rappelait que, face à une urgence mondiale, l’homme est capable d’une action collective incroyablement rapide et efficace – aussi funeste soit son objet. Cinq ans après son déclenchement, le projet Manhattan [qui a permis la fabrication de la première bombe atomique] a été une réussite technique sans précédent. Il a embrassé la science la plus avancée de l’époque et a réalisé son industrialisation à grande échelle, impliquant plus de 130 000 hommes et femmes, des laboratoires de recherche jusqu’aux usines de raffinage.
Or, si l’homme est capable de telles prouesses pour la destruction, il peut l’être aussi pour le bien commun en temps de paix. Alors que les catastrophes climatiques s’enchaînent – incendies, inondations, canicules, sécheresses… –, il est maintenant indéniable que le réchauffement climatique est une menace existentielle. Limiter ce réchauffement et nous y adapter est un devoir impératif et supérieur : voilà le plus grand défi de l’histoire humaine. Dans l’agriculture, l’industrie, le transport, les énergies fossiles constituent la base même de la société moderne et industrielle. S’en passer implique une nouvelle organisation collective, et en particulier une transformation profonde de nos outils techniques et industriels. Décarboner les procédés énergétiques, physiques, chimiques et agricoles qui sous-tendent le monde industrialisé afin d’éviter des millions de morts : telle est notre responsabilité historique.
Condamner nos enfants
Pourtant, l’Agence internationale de l’énergie (IEA) nous alerte : 40 % des technologies nécessaires à la transition environnementale ne sont pas à un niveau de maturité suffisant. L’agence donne l’exemple de l’électrolyse de l’eau de mer pour la production d’hydrogène, des batteries au sodium, de la captation ou conversion du CO2 ou encore du stockage de la chaleur. Malheureusement, bien loin de contribuer à la transition, nombre de ces « technologies stratégiques » sont encore au stade d’expériences de laboratoire menées par quelques scientifiques aux moyens modestes.
Malgré l’urgence, la transition n’a de facto pas vraiment commencé : les émissions continuent d’augmenter. Nous sommes en train d’échouer et de condamner nos enfants. Pour relever ce défi dans l’urgence, il est impératif de coupler des avancées scientifiques rapides à des transformations industrielles massives. Nous, scientifiques de tous horizons, appelons à la mise en œuvre d’un projet Manhattan de la transition écologique. La France, et plus largement l’Europe, peut le réaliser.
Nous appelons à bâtir un centre de recherche et d’innovation, chargé de développer les outils scientifiques et technologiques pour la transition, en lien direct avec l’industrie. A l’instar du CERN, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire, il collaborera avec l’ensemble du tissu académique et industriel international, y compris des pays émergents et moins avancés, et agira comme un hub scientifique et technologique ouvert. Ce hub rassemblera les meilleurs scientifiques et ingénieurs avec les moyens d’aller vite. L’ensemble de la recherche sera notamment dirigé vers le développement des procédés décarbonés et leur déploiement rapide à grande échelle en les faisant passer des laboratoires aux industries capables d’implémenter la transition. Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 prévus par la COP21, nous prévoyons une durée de vie du projet de vingt-cinq ans.
Ambition immense
Ce projet à l’interface entre recherche et industrie a l’ambition de faire de la France et de l’Europe des leaders des technologies de la transition écologique. Le financement doit être à la hauteur de l’ambition et de la menace. Alors que le projet Manhattan historique coûta plus de 1 % du PIB américain, celui de la transition requiert un niveau d’investissement comparable et sur la durée de vie du centre. En effet, si les délais sont courts, l’ambition est immense : créer les briques scientifiques et techniques des nouvelles structures industrielles décarbonées.
Face à l’urgence climatique, nous appelons à démarrer ce projet sans attendre, en abondant un premier budget d’amorçage de 1 milliard d’euros. Cet investissement en recherche et technologie est à mettre en regard des 70 milliards ou 66 milliards estimés(dont 30 milliards à 35 milliards d’investissements publics) nécessaires à la transition française chaque année, selon les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz… C’est un coût infime face aux dégâts gigantesques que génèrent déjà les aléas climatiques, et qui nous conduisent vers un monde non assurable. De plus, cet investissement, vital pour les générations futures, construit un avantage décisif pour les souverainetés industrielles française et européenne.
Avec ce projet Manhattan écologique, c’est la base scientifique d’un modèle industriel à la fois sobre en ressources, résilient et décarboné que nous appelons à construire. Réunissons nos forces vives techniques afin de contribuer à surmonter l’immense défi de la transition. Nous voulons croire que rassembler les nations, notamment européennes, pour la préservation de la planète est encore possible. Les moyens humains et techniques de mener la transition existent, ce projet Manhattan écologique propose d’en construire les fondations scientifiques et technologiques. Chiche !
Sous les effets conjugués du dérèglement climatique et de la perte de la biodiversité, autonomes l'un par rapport à l'autre mais tous deux causés par l'activité humaine, le monde risque d'être confronté dans une génération, peut-être avant, à un effondrement économique général.
Celui-ci pourrait être la conséquence de pénuries énergétiques, affectant plusieurs pays ou continents, couplées à des épisodes de stress hydrique ou de famines, en concomitance avec des pandémies potentiellement plus sévères que celle du covid. Cela dans l'hypothèse optimiste d'une absence de conflit militaire majeur.
Pour faire cesser le réchauffement climatique, acté dès le sommet de Rio en 1992, et se prémunir contre ses conséquences dévastatrices (pour l’homme), les dirigeants de la planète font habituellement valoir qu’il faudrait recourir à des technologies décarbonées - nucléaire, énergies renouvelables, voitures électriques – et promouvoir l’économie circulaire. Ainsi pourrait-on concilier le maintien de la croissance et la défense de l’environnement.
Mais, dans la réalité, malgré la mise en œuvre de politiques s’inspirant de ces principes, la situation n’a fait que se détériorer depuis trente ans. En particulier, la température moyenne mondiale n’a pas cessé d’augmenter et paraît aujourd’hui échapper à tout contrôle. Quant à la chute de la biodiversité, elle a dépassé, et de loin, les pires niveaux jamais atteints depuis la naissance de l’humanité, au point de menacer à court terme nos ressources alimentaires.
Le temps est compté, nous n’avons plus trente ans à perdre. Pour retarder l’effondrement ou, au moins, en atténuer les effets, il faut dès maintenant organiser la résilience et, pour cela, faire des choix beaucoup plus radicaux. Compte tenu de la vulnérabilité de notre système économique globalisé et en l’absence d’une structure politique internationale capable d’imposer une stratégie d’ensemble, ces choix doivent être prioritairement orientés vers la démondialisation.
L’idée sous-jacente est qu’en temps de crise, l’interdépendance des économies est un facteur de fragilité et d’irresponsabilité, et que la résilience globale sera d’autant plus efficace qu’elle sera portée par chaque peuple, replié sur son propre territoire.
En ce qui concerne la France, il s’agira d’abord de restaurer notre souveraineté alimentaire, sur la base de petites et moyennes exploitations polyvalentes et d’une agriculture sans pétrole, sans engrais chimiques et sans pesticides. Celle-ci pourra-t-elle nourrir 70 millions d’habitants dans ces conditions ? Ce n’est pas certain, même si l’on mobilise des millions d’emplois dans ce secteur.
Il faudra aussi relocaliser les industries, revenir aux basses technologies et réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Cela ne sera pas possible sans un recours sévère au protectionnisme.
Il faudra encore raccourcir les circuits de distribution, réduire les déplacements de personnes, adapter la population aux capacités de portage de chaque territoire, décentraliser les principaux services publics et réduire le format de l’administration.
Et sans doute enfin faudra-t-il travailler plus pour gagner moins parce que, faute d’énergies fossiles, la productivité va s’effondrer et que, fabriqués en France, les produits manufacturés coûteront nécessairement plus cher.
Mais il n’y a pas d’alternative. Nous fonçons droit dans le mur : freiner est sans doute la pire des solutions… après toutes les autres.
Le pouvoir d’achat serait la première préoccupation des français selon certains sondages. Si vous demandiez à nos concitoyens s’ils ont envie de gagner plus, il serait étonnant que beaucoup répondent non. Mais cela fait quarante ans que cette prétendue priorité pollue le débat présidentiel. Il donne l’occasion à tous les candidats de plaider la croissance. Rappelons que nous sommes l’un des pays les plus riches du monde et que notre rémunération est 24 fois supérieure à celle des habitants de l’Afrique centrale. N’est-il pas indécent de vouloir être plus riche encore ?
La question de fond est celle des travailleurs pauvres, c’est-à-dire de ceux qui contribuent à la richesse collective mais qui restent dans l’anxiété des fins de mois.
La logique développée par la majorité des candidats consiste à penser qu’en étant collectivement plus riches, la question de la répartition ne se posera plus. C’est la théorie du « ruissellement » ou encore le slogan « travailler plus pour gagner plus ». Or, l’augmentation du Produit Intérieur Brut ne garantit pas une réduction des inégalités et elle s’accompagne souvent d’une augmentation du coût de la vie.
La financiarisation de l’économie a déséquilibré la répartition des gains du travail. Le salaire n’est pas considéré comme un mode de répartition social, mais comme un élément des frais de production. Lutter contre la pauvreté, c’est renforcer les dispositifs en place (prime pour l’emploi), mais c’est surtout rééquilibrer la répartition entre les salaires, les dividendes, le prix du produit et les prélèvements fiscaux. La question du rôle social de l’entreprise est au cœur de cette question.
C’est pourquoi nous réunirons un grenelle de l’entreprise pour élaborer une charte de l’entreprise nouvelle précisant les droits de l’entreprise associée à ses devoirs éthiques, sociaux et économiques dans la société. Si besoin, le contenu de cette charte pourrait alimenter un nouveau code législatif.
La question du pouvoir d’achat est avivée par la hausse du prix de l’énergie. Celle-ci initie une posture schizophrénique car cette hausse est une incitation vers une consommation plus vertueuse. Chacun a la possibilité de neutraliser cette hausse en adoptant un véhicule moins énergivore et en adoptant les transports collectifs pour les déplacements pendulaires habitat / travail. Il est aussi possible de réduire sa consommation en réduisant sa vitesse et en isolant sa maison. L’État doit favoriser cette évolution en remettant en services les voies ferrées fermées dans les années 1950-1960 (tramway pour les petites lignes de moins de 60 kilomètres), en interdisant les zones d’activités créées aux échangeurs routiers ainsi que les grandes surfaces commerciales en périphérie de ville.
Ne jouons pas à l’autruche, le prix de l’énergie est condamné à augmenter et la seule manière de s’en défendre est d’en être moins dépendant.
(*) Antoine Waechter est candidat à l'élection présidentielle 2022
John F Mayprofesseur à l’université George Mason d’Arligton (USA)etJean-Pierre Guengant, nous proposent une analyse de la situation démographique de l’Afrique subsaharienne (ASS) ainsi qu’une réflexion sur la capacité de cette région à profiter du dividende démographique (1).
Dans un premier temps les auteurs rappellent la situation particulière de cette région qui, jusqu’aux années 1950, connut une croissance du nombre de ses habitants inférieure à celle du reste du monde et qui, depuis les années 1970, est au contraire devenue le symbole même de l’explosion démographique et du retard dans la fameuse « transition démographique » (2). Sur la période 2015-2020 le nombre d’enfants par femme s’y établit à 4,7 (contre 2,4 à 2,5 au niveau mondial). Si, dans nombre de pays en voie de développement d’Amérique ou d’Asie, la fécondité est passée de 6 ou 7 enfants par femme à 2 en une quarantaine d’années, l’Afrique Subsaharienne n’a connu dans le même temps qu’une diminution de 2 enfants par femme environ.
Selon les projections moyennes de l’ONU, l’ASS qui compte aujourd’hui 1,1 milliard d’habitants, devrait en compter 3,8 à la fin du siècle : soit une multiplication par 3,5 tandis que le monde dans son ensemble verrait sa population multipliée par 1,4. Bien entendu, ces projections dépendent essentiellement des hypothèses en matière de fécondité, mais le caractère très jeune de la population de l’ASS constitue mécaniquement une promesse de naissances nombreuses.
La croissance économique relativement forte de l’ASS (+ 5 % par an entre 2000 et 2014) a depuis été divisée par deux, entre autre du fait de l’évolution des cours du pétrole et des matières premières même si la situation est assez différentes selon les pays. Toutefois, cette hausse du PIB global ne se traduit pas par une hausse comparable du produit par personne justement du fait de la croissance démographique.
Le livre accorde ensuite une grande place à la notion dedividende démographique. Les auteurs rappellent que l’on peut attribuer près de la moitié de la croissance économique connue entre 1960 et 1990 par l’Asie de l’Est et du Sud Est à ce mécanisme. L’ASS pourra-t-elle en profiter de même ? Ce ne fut guère le cas sur la période 1970 - 2000 Soulignons d’abord que pour que le mécanisme opère, les personnes en âge de travailler doivent effectivement avoir un emploi rémunéré, ce qui n’est pas toujours le cas (les chômeurs sont comptabilisés dans la population active). La question est complexe : il existe deux dividendes démographiques, et la situation est également différente en début et en fin de période.
Autre question importante traitée dans cet ouvrage : l'impact des politique de planification familiale. Contrairement à une idée reçue, le développement économique n'est pas le seul déterminant de la fécondité, des politiques volontaristes ont démontré leur efficacité, c'est également en France le point de vue d'un démographe commeMichel Garenne
Ce livre fourmille de données statistiques précises et choisies, il ne laisse de côté aucun des aspects de la complexité du problème. Les auteurs n’hésitent pas à se démarquer de la position de nombre de démographes en France qui considèrent que la question de la surpopulation est derrière nous. Une conclusion de quelques pages résume particulièrement bien cette étude et précise les grandes lignes de ce que pourrait être le discours et l’action du planning familial en Afrique Subsaharienne. En un mot, un ouvrage à conseiller à tous ceux qu’intéresse la démographie mondiale.
(1) Le dividende démographique est le fait que pendant un certain temps, la forme de la pyramide des âges d’un pays minimise la proportion de personnes dépendantes (jeunes et vieux) au profit de la proportion de personnes en âge de travailler, une situation susceptible de favoriser le développement économique.
(2) La transition démographique est le passage d'un régime de haute mortalité (surtout infantile) et haute fécondité à un nouvel équilibre où ces deux indices se trouvent beaucoup plus bas. La mortalité baissant avant la fécondité, ce passage se traduit par une forte expansion démographique, phase de laquelle l'Afrique subsaharienne semble avoir du mal à se dégager. On la représente souvent par un diagramme de ce style (source Wikipédia).
Ce livre comprends 6 chapitres
- La démographie de l'Afrique subsaharienne
- Projections de population et perscpectives socio-économiques
- Dynamique de population et développement
- Déclin de la fécondité, panification familiale et droits reproductifs
- Capter un premier dividende démographique
- Les pays subsahariens peuvent-ils capter un premier dividende démographique et atteindre l'émergence économique ?
Démographie et émergence économique de l'Afrique subsaharienne
John F. May et Jean-Pierre Guengant, préface de Hervé Hasquin, Éditeur: Académie Royale de Belgique, collection : L'académie en poche, 141 pages, ISBN 978-2-8031-0756-8. Paru en 2020.
Le progressisme est en porte-à-faux avec les grands impératifs de notre temps que sont la décélération, la déconnexion et la décroissance, surtout démographique, comme l'avait bien vu Lévi-Strauss.
A. Finkielkraut (02/05/2017)
Pour une Écologie de la Résilience
Ce texte s’inscrit dans la conjecture d’une incapacité de la société industrielle mondialisée à poursuivre sa course technologique sans détruire de manière irréversible, à l’horizon d’une génération, les équilibres systémiques planétaires qui ont permis et accompagné depuis quelque dix mille ans l’avènement de l’humanité.
Il porte un projet, limité à la France, de décroissance économique et démographique, dans le contexte, sans doute subi, d’une contraction du commerce international et d’une relocalisation de la production. Dans ce contexte, l’Etat et les autorités décentralisées, aux ressources amoindries, auront pour première mission d’assurer la protection physique et la sécurité alimentaire de la population, ainsi que de veiller aux conditions générales de la santé publique.
I : Protectionnisme / Economie de marché / Dette
L’un des enjeux majeurs d’un projet écologiste doit être de relocaliser la production des biens agricoles et industriels, de manière à les rapprocher de leurs lieux de consommation, tout en assurant la résilience du pays et de ses territoires en cas de rupture des approvisionnements ou de pénurie énergétique (1).
Le mode de production qui s’est avéré le plus efficace dans l’allocation des ressources est celui de la libre entreprise, en ce qu’il est fondé sur la responsabilisation des agents économiques sur des critères économiques. C’est aussi historiquement le seul qui se soit montré compatible avec une société de liberté, la liberté politique étant logiquement tributaire de la liberté économique. Cependant, la puissance publique doit garder la capacité :
de réguler l’activité des entreprises de manière à protéger les écosystèmes ;
d’assurer les missions régaliennes de l’Etat : défense, sécurité intérieure, état de droit, recherche ;
de fournir des services, en matière de santé et d’éducation, financés par l’impôt.
La dette, publique et privée, entretient artificiellement la croissance et l’emploi dans une économie qui n’est plus en mesure de répondre, sans importations massives, aux besoins élémentaires de la population. Elle rend la France dépendante de ses prêteurs, limitant sa souveraineté (2). La doctrine officielle est que la dette ne peut être résorbée que par la croissance économique, censée générer les ressources nécessaires à son propre remboursement, mais la réalité est qu’elle n’a cessé d’augmenter depuis 40 ans malgré une croissance économique à peu près constante. Elle devra désormais être remboursée dans une trajectoire de décroissance, ce qui rendra cette résorption plus difficile.
Rétablir des droits de douane, aux frontières extérieures et intérieures de l’Europe, pour protéger la production nationale dans l’agriculture et l’industrie.
Réduire le volume des importations en pourcentage de celui du Pib.
Garantir la liberté d’entreprendre, mais dans un cadre régulé par des normes contraignantes et des prélèvements obligatoires, destinés à protéger les écosystèmes, à assurer le fonctionnement des services publics et à maintenir les équilibres sociaux.
Réduire la dépense publique, par la baisse des transferts sociaux (3), des effectifs de la fonction publique et des subventions aux entreprises ou aux associations, de manière à réduire la dette publique à moins de 60 % du Pib.
Réduire l’endettement privé, en limitant l’offre de crédit et en augmentant le niveau obligatoire des fonds propres des banques commerciales.
Orienter l’économie vers une déflation limitée.
II : Démographie / Immigration
Abandon du natalisme
Nul ne sait vraiment aujourd’hui combien d’habitants pourraient être nourris par la seule production agricole du territoire national, avec une agriculture sans pétrole, sans engrais azotés et sans pesticides, soucieuse de la condition animale et de la biodiversité, dans un pays où 99 % de la population n’a pas de formation agricole, où les terres arables sont abîmées par la pratique de l’agriculture intensive et où il ne subsiste que 15 000 chevaux de trait.
En revanche, il ressort des données de l’ONG Global Footprint Network que la France a une empreinte écologique 1,85 fois égale à sa bio-capacité, ce qui veut dire qu’à son niveau actuel de consommation, la population française utilise des ressources naturelles et produit des déchets pour une valeur supérieure de 85 % à la capacité physique du territoire à produire des ressources renouvelables et à absorber des déchets. Pour que l’empreinte écologique du pays ne dépasse pas sa bio-capacité, c’est-à-dire qu’elle respecte les capacités de renouvellement des ressources naturelles du territoire, il faudrait :
soit diviser le niveau de la consommation moyenne par 1,85 ce qui donnerait un smic brut mensuel de 822 € (4) à population et à répartition des revenus inchangées ;
soit réduire la population dans une proportion de 1,85 ce qui correspondrait à une France de 36,2 millions d’habitants (5) à consommation moyenne inchangée ;
soit encore réduire la consommation et la population dans une proportion cumulée de 1,85.
La France ne manque pas d’habitants, bien au contraire. La politique nataliste menée depuis la Libération n’a aujourd’hui d’autre finalité que d’accompagner la logique de croissance du système économique, en dopant la consommation et en équilibrant la pyramide des âges de façon à financer les retraites. Elle aggrave notre empreinte écologique et rend la vie quotidienne de chacun plus difficile.
Immigration
Avec plus de 255 000 nouveaux titres de séjour délivrés en 2018 et au moins 100 000 entrées irrégulières sur le territoire national(6), l’immigration de personnes non communautaires représente, très loin devant le solde positif des naissances sur les décès, le principal facteur de l’augmentation de la population globale. Une politique de décroissance démographique ne peut ignorer l’incidence majeure des phénomènes migratoires. Elle doit comporter un volet de réduction de l’immigration légale dans ses deux composantes principales : l’accueil des étudiants étrangers et le regroupement familial.
Concernant l’immigration clandestine, l’action préventive visant à empêcher l’entrée illégale des étrangers sur le territoire doit être privilégiée par rapport aux mesures ostentatoires mais coûteuses et peu efficaces de reconduites à la frontière.
Supprimer les allocations familiales au-delà du deuxième enfant.
Reculer de trois ans l’âge légal du départ à la retraite pour répondre au déséquilibre financier résultant du vieillissement de la population.
Réduire l’immigration légale en limitant les conditions de délivrance des titres de séjour, en matière d’accueil des étudiants étrangers et de regroupement familial.
Réduire l’immigration illégale, d’une part en révisant les accords de Schengen, d’autre part en renforçant les capacités de Frontex et de la police aux frontières.
Stabiliser la population française en dessous de 70 millions d’habitants vers 2030 et amorcer ensuite sa diminution.
III : Transports / Tourisme
Le droit d’aller et de venir est fondamental dans une société de liberté. Mais il ne doit pas être assimilé à un droit à la mobilité qui consisterait à mettre à la disposition de chaque humain les moyens matériels et financiers de parcourir le monde selon ses envies. L’extension des déplacements aériens, générateurs d’émission de gaz à effet de serre (GES), aggrave les conditions de vie sur la planète. Leur restriction risque de pénaliser la France, première destination touristique mondiale (7), mais elle est indispensable.
De la même manière, les transports routiers de marchandises sur de longues distances comme les déplacements quotidiens en véhicules individuels motorisés contribuent au réchauffement climatique et à la pollution de l’air. Il est donc souhaitable de favoriser des alternatives fondées, pour le transport des marchandises, sur le raccourcissement des circuits de distribution et le ferroutage, et pour les déplacements de personnes, sur la promotion des transports collectifs et des mobilités douces.
Instaurer une taxe aéroportuaire significative (8) sur l’ensemble des vols à l’arrivée et au départ des aéroports français.
Supprimer les vols intérieurs, si les villes desservies sont reliées par train en moins de 3 heures.
Instaurer une écotaxe intérieure sur les transports routiers de marchandises.
Augmenter le prix des carburants et des péages routiers, et décréter un moratoire immédiat sur la construction d’autoroutes.
Ne plus conditionner à l’achat d’un nouveau véhicule l’allocation de la prime à la casse.
Brider la vitesse des automobiles immatriculées en France à 160 km/h dès 2023.
Interdire l’accès des navires de croisière aux ports et eaux territoriales français.
Renoncer à l’organisation à Paris des Jeux Olympiques de 2024, quel que soit le montant des pénalités de forfait.
IV : Energie / Logements et bâtiments publics / Exode urbain
Résilience énergétique
La résilience énergétique consiste principalement en la réduction de la consommation d’énergie. Elle devrait conduire à l’abandon des énergies fossiles : pétrole, charbon, gaz. A terme, l’énergie utilisée ne devra pas dépasser les capacités offertes par la force humaine et la traction animale, par l’usage du vent et des courants marins et fluviaux, par l’énergie solaire et, de manière modérée, par la biomasse. Cela correspond à la quantité d’énergie disponible au XVIIIe siècle, même si celle-ci peut être mieux exploitée aujourd’hui grâce au progrès scientifique.
Le rôle du nucléaire
Toutefois, cet abandon des énergies fossiles ne peut être que progressif et ne sera rendu possible qu’à la suite de modifications importantes de nos comportements en matière de transports et de chauffage urbain, comme de nos méthodes de production dans l’agriculture et dans l’industrie.
Au contraire, l’énergie nucléaire, largement décarbonée (9), devrait demeurer pour plusieurs décennies l’une des composantes importantes de notre production d’électricité, de manière à accompagner la transition et la rendre socialement plus supportable. Un tel choix implique toutefois que les normes de sécurité soient renforcées et strictement appliquées.
Malgré cette contrainte, le nucléaire est en mesure de produire de l’électricité à un coût moins élevé que celui de l’éolien ou du photovoltaïque, avec surtout une souplesse d’utilisation bien supérieure. Enfin, l’abandon du nucléaire civil pourrait préjudicier à la nécessaire modernisation de notre force de dissuasion.
Isolation des bâtiments
Une autre cause majeure du réchauffement climatique est l’émission de GES générée par le chauffage des bâtiments une grande partie de l’année et par leur rafraîchissement durant l’été. La part importante du nucléaire dans le mix énergétique contribue à la limitation de ces émissions mais ne peut tenir lieu de panacée. Il est nécessaire de faire baisser la consommation d’énergie, en isolant les locaux de bureaux et d’habitation et en réduisant les dépenses de confort : l’Etat et les collectivités locales doivent donner l’exemple en imposant des économies d’énergie aux services placés sous leur autorité.
Exode urbain
Enfin la métropolisation, forme urbaine de la mondialisation, corrélée à l’installation d’un lourd réseau d’infrastructures de transports, accroît l’empreinte écologique globale et participe à la destruction de l’environnement. Dès à présent, les pouvoirs publics doivent inscrire la gestion spatiale du territoire dans la perspective d’un inéluctable exode urbain.
Augmenter le prix de l’énergie (fuel, carburants, gaz, électricité) payés par les particuliers et les entreprises.
Sécuriser et moderniser la filière nucléaire.
Baser la réduction des émissions de GES sur la baisse de la consommation d’énergie plutôt que sur le recours massif aux ENR.
Geler la construction nette de logements dans les aires métropolitaines de plus de 500 000 habitants (10).
Isoler progressivement l’ensemble des bâtiments publics existants et interdire la construction de nouveaux bâtiments par l’Etat ou les collectivités locales qui ne soient pas à énergie positive.
Interdire progressivement aux bailleurs sociaux et privés de donner à bail des locaux non isolés.
Interdire le chauffage des bâtiments publics comme des établissements et commerces ouverts au public, hors hôpitaux et maisons de retraite, au-dessus de 18°C ainsi que leur climatisation en dessous de 30°C.
V : Biodiversité / Condition animale / Santé publique
Artificialisation des terres et déforestation
Chaque année, 60 000 ha de terres agricoles sont transformés en logements, bureaux, routes, parkings, carrières, aires commerciales et de loisirs, jardins individuels. Cela représente plus d’un millième du territoire national et plus de deux millièmes de la surface agricole du pays. Au bout de dix années, c’est la superficie moyenne d’un département français qui est ainsi perdue, en réalité de deux départements si l’on rapporte cette perte à la surface agricole utile (SAU).
Une telle hémorragie, en augmentation depuis les années 2000, compromet notre souveraineté alimentaire et, réduisant les espaces naturels, contribue à l’effondrement de la biodiversité.
Elle se double de ce que l’on a nommé la déforestation importée, qui consiste en la consommation de produits importés – soja transgénique pour l’alimentation du bétail, huile de palme utilisée comme agrocarburant ou pour l’alimentation humaine – issus de la déforestation massive au Brésil, en Indonésie et en Malaisie (11).
Condition animale
Les vidéos des établissements dans lesquels sont élevés et abattus les animaux destinés à la consommation humaine : bovins, porcs, volailles, en contradiction avec les prescriptions du code rural (12), ont sensibilisé l’opinion à la maltraitance animale. Celle-ci résulte moins d’actes individuels de cruauté que de l’organisation méthodique d’un système qui traite les animaux comme des marchandises, sans considération de leur souffrance : l’élevage intensif.
L’interdiction de cette forme d’élevage ne peut être immédiate car elle ruinerait un grand nombre d’exploitations de la filière agro-industrielle, mais elle doit être progressive et engagée sans délai. Pour cela, il faut obliger les éleveurs à se conformer aux impératifs biologiques des espèces dont ils ont la garde, tout en protégeant leurs exploitations de la concurrence des pays qui pratiquent les méthodes de l’élevage intensif.
Santé-Environnement
La pollution de l’air et des sols n’est pas due à l’incivisme ou à la négligence de telle ou telle catégorie d’agents, elle est la conséquence mécanique des modes de production, de distribution et de consommation des sociétés dans lesquelles nous vivons. La santé publique est devenue la variable d’ajustement d’un système économique, tourné prioritairement vers la productivité et la compétitivité. Il appartient aux responsables politiques d’inverser ces priorités et d’imposer des choix principalement dictés par la santé de la population, l’économie devant être mise au service des hommes et non l’inverse.
Etablir des plans départementaux d’arrêt progressif et chiffré de l’artificialisation des sols, avec l’objectif d’aboutir à une artificialisation nulle dans l’ensemble du territoire en 2030.
Décréter un moratoire immédiat de toute aide publique à la création de parcs de loisir.
Interdire l’importation de produits issus de la déforestation : soja transgénique et huile de palme.
Adopter des normes en matière d’élevage conformes aux impératifs biologiques des différentes espèces, conduisant à l’abandon progressif et accompagné de l’élevage intensif.
Imposer l’obligation d’étourdissement dans les abattoirs.
Interdire l’importation d’animaux et d’aliments d’origine animale provenant de pays ne respectant pas ces règles d’élevage ou d’abattage.
Interdire immédiatement l’épandage des pesticides au-delà d’une zone tampon de 50 mètres en bordure des habitations ; interdire totalement les pesticides en 2025.
Interdire la commercialisation des voitures et fourgons à moteur diesel (neufs et d’occasion) dès 2025.
Protéger les eaux souterraines et de surface contre la pollution d’origine agricole, par l’application effective de la directive « nitrates » du 12 décembre 1991, notamment en Bretagne et en Picardie-Nord-Pas-de-Calais.
VI : Institutions
A l’heure de la décroissance et de l’exode urbain, il est souhaitable que les lieux de la décision politique soient les plus proches possible des citoyens afin d’accompagner, au niveau des institutions, le mouvement de relocalisation de l’économie.
Il convient donc de transformer les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales en renforçant les compétences de celles-ci, et en particulier des régions, de préférence dans leurs limites d’avant la réforme de 2015.
Doter les régions de compétences propres, exclusives de celles de l’Etat.
Leur conférer une partie du pouvoir législatif dans leur sphère de compétence, incluant le droit de lever l’impôt, ainsi que la tutelle des collectivités locales sises sur leur territoire.
Leur attribuer la gestion des principaux services publics – santé, éducation, police, justice – par application du principe de subsidiarité.
Maintenir à l’Etat, par application du même principe, la défense du territoire et la diplomatie, la monnaie continuant à relever de la BCE.
VII : Défense / Europe / International
Défense
Avec 551 000 km², la France métropolitaine représente 0,37 % des terres émergées de la planète (13). Les 67 millions d’habitants qui vivent sur son territoire, y compris les dom-tom, ne représentent plus que 0,86 % de la population mondiale. Sans profondeur géographique, avec une population de taille modeste et devant néanmoins assurer la protection de la deuxième plus grande zone maritime du monde, la France est devenue plus vulnérable dans un contexte de montée des tensions géopolitiques et des migrations, marqué par un réarmement généralisé des grandes puissances (14).
Union Européenne
Le traité de Rome (1957) puis l’Acte unique (1986) prévoient la création d’un marché intérieur européen fondé sur les « quatre libertés » : liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Depuis l’instauration effective de ce marché, au début des années 1990, la Commission européenne a fait le choix d’une politique libre-échangiste à l’égard des pays tiers, par une sorte d’osmose entre les relations commerciales intérieures et celles extérieures de l’Union. Sous couvert de supprimer les obstacles « non tarifaires » aux échanges internationaux, les traités négociés par la Commission ont remis en cause différentes normes protectrices, européennes ou nationales, en matière de santé publique et d’environnement.
Par ailleurs, le système institutionnel issu des traités et du droit dérivé tend à s’affranchir de l’imperium traditionnellement attaché au vote populaire. Les règles de droit et les lois du marché non seulement priment sur la souveraineté des Etats, mais encore sont hors d’atteinte du vote démocratique des peuples (15).
Enfin, la politique de commerce international de Commission, fondée sur la théorie ricardienne de l’avantage comparatif, accentue la division internationale du travail et l’intégration des pays européens dans l’économie globalisée, sans que soient pris en compte les graves dommages environnementaux générés par la mondialisation.
International : la Grande Europe
Les alliances entre les nations sont moins déterminées par des considérations idéologiques que par la géographie et par l’histoire. L’Europe ne peut construire son avenir contre la Russie, ni même sans la Russie, héritière de l’empire byzantin et d’une civilisation chrétienne remontant au IXe siècle, dotée d’un immense territoire et de la deuxième armée du monde.
Sans rien céder sur la philosophie des Lumières et le respect des droits de l’homme, qui sont une part constitutive de la culture européenne, il est temps de mettre fin à l’affrontement avec la Russie, préjudiciable pour tous, et de construire ensemble le partenariat stratégique de la Grande Europe de Lisbonne à Vladivostok.
Maintenir la capacité opérationnelle actualisée des forces armées française, y compris dans leur composante de dissuasion nucléaire, et porter le budget de la défense à 3 % du Pib d’ici à 2030.
Orienter la construction européenne vers une confédération, régie par le principe de subsidiarité, dans laquelle les Etats recouvrent la majeure partie de leur souveraineté.
Promouvoir une conférence réunissant la Russie, le Royaume-Uni, l’Union Européenne et les autres Etats du continent pour jeter les bases d’un avenir commun et d’une défense commune de la Grande Europe.
Conclusion
La décroissance ne sera possible qu’avec une baisse substantielle du niveau de consommation et des services publics (16). Elle s’accompagnera d’un exode urbain qu’il faudra réguler. Toutes les classes sociales seront atteintes, sans que par un effet de magie les inégalités, qui ne se sont pas réduites durant des siècles de « progrès », disparaissent d’un seul coup.
La décroissance créera des emplois dans une agriculture respectueuse de la nature et dans une industrie relocalisée, mais en fera disparaître d’autres, en plus grand nombre au début, dans les services et dans l’administration, faute de demande solvable de la société civile et de ressources suffisantes de l’Etat et des autorités publiques.
La sobriété heureuse, comme la croissance verte, est un paradigme illusoire, inspiré des solutions « gagnant-gagnant » de la pensée néo-libérale.
Pour sauver l’essentiel, notre survie en tant que peuple, nous devons entrer, avec les restrictions que cela implique, dans une économie de guerre.
(Ce texte a été proposé comme base de réflexion programmatique aux journées d’été de 2019 du Mouvement Écologiste Indépendant. Il ne fait naturellement pas référence à l’épidémie de Covid-19. Il n’engage que son auteur).
1. Le volume des importations rapporté à celui du Pib est passé de 12 % en 1962 à 32,1 % en 2018. Source : Banque Mondiale.
2. La dette publique française était de 2 359 milliards d’euros au premier trimestre 2019, soit 99,6 % du Pib. Elle était de 58,6 % du Pib au premier trimestre 2002. Source : JDN.
3. Les dépenses de protection sociale s’élevaient à 775 Mds € en 2017, soit 34 % du Pib, ce qui classe la France au premier rang en Europe. 46 % de ces sommes sont consacrées à la vieillesse, 35 % à la santé. Source : ministère des solidarités et de la santé.
4. En pouvoir d’achat mensuel, l’équivalent du smic en 1973 (avec la semaine de 40 heures).
5. Soit 35 millions d’habitants en métropole, correspondant à la population française en 1842.
6. La grande majorité des personnes entrées irrégulièrement forment une demande d’asile, ce qui permet d’en connaître approximativement le nombre.
7. La France a accueilli 90 millions de touristes étrangers en 2018. Le secteur du tourisme (450 millions de nuitées par an) représente plus de 7 % du Pib. Source : ministère de l’économie.
8. Comme ordre de grandeur, cette taxe pourrait être de 60 € pour les vols nationaux, de 100 € pour les vols européens et de 150 € pour les vols internationaux.
9. La production d’énergie électrique par les centrales nucléaires est consommatrice de pétrole, ne serait-ce que pour l’extraction et le transport de l’uranium ou la construction de la centrale elle-même. Mais l’émission globale de GES nécessaire à la production d’1 MW d’électricité par une centrale nucléaire est bien plus faible que celle nécessaire à la même production par une centrale thermique. En 2016, les émissions de GES étaient de 11,4 tonnes d’équivalent CO2 par habitant en Allemagne et de 7,1 tonnes en France. Source : Eurostat.
11. Les forêts constituant le deuxième puits de carbone après les océans, la déforestation accélère le réchauffement climatique.
12. « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » Art. L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime.
13. La Russie représente 11,48 %, les Etats-Unis 6,60 % et la Chine 6,44 % des terres émergées.
14. Entre 2000 et 2016, le budget militaire de la France a augmenté de 13 %, celui des Etats-Unis de 43 %, celui de la Russie de 239 % et celui de la Chine de 423 %. En termes de dépenses militaires, la France est passée durant la même période de la 2e à la 5e place mondiale. Source : SIPRI.
15. « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » a déclaré Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, dans une interview au Figaro, le 28 janvier 2015.
16. Les seuls pays ayant significativement diminué leur empreinte écologique sont l'URSS et les pays du Comecon, après l'effondrement de leur appareil industriel et de leur bureaucratie au début des années 1990, ainsi que Cuba à la même période, après l'arrêt de l'aide soviétique. Il faut y ajouter la Grèce, lors du plan d’austérité mis en œuvre entre 2008 et 2013. Source : Global Footprint Network.
Après la crise sanitaire sans précédent du Covid-19, notre monde reprendra-t-il ses « bonnes et vieilles habitudes » ou nous attarderons nous enfin sur la problématique démographique et l’économie amorcera-t-elle un changement radical ?
Cette crise sanitaire, incomparable à certaines autres nous permettra-t-elle de reconsidérer notre système économique, mais aussi la question démographique ?
Cette grave crise sanitaire aura permis à la majorité de nos concitoyens de mettre en évidence les incohérences, voire certaines absurdités de notre système économique et les limites de la mondialisation. Mais aussi des métiers invisibles qui paraissent soudain essentiels et d’autres plus visibles qui le sont moins ou ne le sont pas.
Par cette crise sanitaire sans précédent, le ralentissement de l’économie est des plus inquiétants d’un point de vue social, démocratique et humain. Toutefois, elle représente une opportunité à saisir pour repenser notre modèle économique. On peut néanmoins s’interroger, tant que la question démographique et ses effets ne sont pas abordés, si on est réellement en mesure de prévoir et anticiper des mesures pour éviter ce genre de choc, ou de mieux les absorber.
Cette crise sanitaire nous recentre également sur des essentiels : l’accès à l’alimentation qui impose les productions essentielles, leur acheminement et leur distribution, à la santé qui a mis en évidence les difficultés inhérent à des erreurs politique de gestion passées, à la relation avec les autres apparaissent ainsi comme des besoins les plus vitaux. Elle questionne également sur l’utilité de certaines activités et les besoins de mise en valeur pour d’autres.
Le Covid-19 sonne comme un rappel des limites démographiques.
Il a fallu un virus particulièrement violent pour nous rappeler le sens des limites et de la mesure, pour nous rappeler notre vulnérabilité, et mettre en évidence la fragilité des systèmes complexes que nous avons construits sans nous soucier de ses effets, notamment par une croissance démographique non régulée. Nous ne contrôlons pas la nature, nous en faisons partie. Quand on détruit annuellement plus de 100 000 km² de terres arables, que l’on déboise et déforeste de façon intensive en détruisant la biodiversité pour l’urbanisation ou des cultures intensives de soja et huile de palme on peut imaginer les effets.
Dans la nature l'animal a besoin d'espace et de vitesse pour survivre. Le prédateur doit disposer de beaucoup d'espace et de vitesse pour pouvoir attraper sa proie et la proie d'espace encore plus vaste et doit courir encore plus vite pour lui échapper. Si l'homme n'a plus besoin de la vitesse pour pouvoir survivre, il doit toutefois disposer d'espace. Avec une perte de 275 km2 par jour de terres arables (100 375 km² par an) sous le béton et l'asphalte, du aux effets de l'urbanisation, des voies de circulation de circulation routières, ferroviaires à grande vitesse, aéroportuaires et une population qui explose, on peut imaginer l'impact écologique ! Chaque jour, on compte 244.000 nouvelles personnes de plus dans le monde (équivalent à la totalité de la population de la ville de Montpellier), soit + 2,7 habitants de plus par seconde (compteur). Autrement dit, la population mondiale s'accroît chaque année de près de 90 millions d'habitants grâce à un nombre de naissances supérieur (environ 150 millions) à celui des décès (60 millions). Elle par ailleurs augmenté d’un milliard pour la décennie 2009-2019, (passant de 6,7 à 7,7 milliards) avec la probabilité d’atteindre les 8 milliards d’habitants en fin 2020... A lire égalementpar ce lien :
A cet effet comme observe l’écologie science, aucune espèce ne peut indéfiniment proliférer au détriment des autres espèces comme le fait l’homme, sans se mettre elle-même en danger et disparaître. Le virus Covid-19 ne serait-il qu’un avertissent parmi d’autres ?
Certes, la médecine par la recherche peut stopper et éradiquer de plus en plus les effets des bactéries et des virus tueurs. Mais on peut s’interroger par rapport à la sélection naturelle inhérente à toutes les espèces animales à laquelle l’homme échappe ainsi de plus en plus, Est- ce que cela ne posera pas un problème majeur sur le plus long terme… Avec pour notre espèce les effets d’affaiblissement moral et physique que l’on peut imaginer et qui seraient tel que le moindre virus pourrait sur le plus long terme éliminer en quelques jours plusieurs milliards d’individus…L’homme, prédateur au sommet de la pyramide des espèces et seul animal culturel oublierait-il qu’il a une double responsabilité : l’une vis à vis des autres espèces et l’autre pour la sienne. Mais il faut prendre acte que cet oubli permanent produit des effets les dévastateurs pour la planète et qu’au fond, par un virus invisible, quand l’homme souffre, la planète souffle... En attendant, la vie continue et la dimension économique ne peut être occultée.
Le Covid-19 signe également un rappel des limites techniques et énergétiques
De même, nous avons à faire face à des limites techniques et énergétiques. Quand les frontières se ferment ou quand le pétrole se met à manquer, c’est toute la chaîne industrielle qui s’effondre. Si au niveau économique cela peut nous réapprendre l’humilité et le bon sens sur le besoin de services publics, de relocalisation d’activités en repensant le rapport au travail et des solidarités informelles, cette crise sanitaire, tout en payant le prix fort avec sa cohorte de victimes n’aura pas été totalement vaine. Mais est-ce cela qui émergera les « jours d’après » ?
Sans recours à un régime politique plus directif, notre démocratie peut-elle imposer les exigences d’un nouvel ordre économique plus conforme aux exigences écologiques?
Remettre en cause les incohérences actuelles du système économique, ne passe-il pas par cesser de concentrer toutes nos productions dans la zone Asiatique, alors que l’on peut produire en France ou en Europe ces importations, ce qui impose des coûts énergétiques considérables pour le transport des produits finis. Certes, cela suppose une reprise en main de l’économie et du système bancaire par le pouvoir politique, éventuellement par des nationalisations ou prise de participation de l’État avec minorité de blocage. Mais cela ne peut se faire que de façon « directive » et concertée au niveau Européen, et non en laissant la « main invisible » du marché libre d’agir au gré des fluctuations boursières…
Faire cesser également certaines absurdités actuelles du système économique
Remettre en cause également l’une des absurdités du système économique est une urgence écologique quand un produit parcours plusieurs itinéraires de longue distance, alors que l’on peut faire plus court par des relocalisations. Il s’agit aussi de mettre un terme aux aberrations d’une production locale qui va faire des milliers de kilomètres pour être transformé ou reconditionner et qui revient ensuite à son point de départ pour être consommée...
Par exemple, En 2017, la distance moyenne parcourue par un produit alimentaire entre son lieu de production et l’assiette du consommateur dépasse la plupart du temps les 2 000 km, et d’autres font jusqu’à 4 800 km ! C’est démentiel ! Il faut se souvenir, par exemple, que le semi-remorque qui a pris feu dans le tunnel du Mont-Blanc, en 1999, était chargé de farine et de margarine belges expédiées en Italie? La margarine devant y être simplement emballée, avant que les paquets ne repartent pour être vendus en… Belgique.
Quand on sait que dix millions de coquilles Saint-Jacques des Côtes d’Armor sont envoyées en Chine pour y être nettoyées avant de revenir en Bretagne se faire garnir… « C’est une question de coût, on ne peut guère faire autrement …» explique un responsable d’une usine bretonne. Sans oublier l’affaire des « lasagnes à la viande de cheval » qui a montré une complexité et une longueur des circuits alimentaires que le consommateur ne soupçonnait pas.
Face à cette folie énergivore et à une agriculture industrielle de plus en plus suspecte, la seule solution est de produire au plus près et de consommer local. Le circuit court peut avoir plusieurs définitions : Aux Etats-Unis c’est une distance de 250 km entre le producteur et le consommateur. Au Canada, c’est 120 km. En France un circuit de proximité est fixé à 150 km. Bien entendu, hors agriculture Bio, la seule notion de circuit de proximité ne garantit pas la qualité des produits alimentaires, mais les circuits longs, aux mains de l’agro-business sont toujours plus suspects.
Repenser l’économie doit induire de nouveaux rapports humains et un nouveau rapport au travail, c’est est une urgence sociale, écologique, culturelle. Ainsi avec la nouvelle révolution numérique par le développement du travail à distance, ce nouveau rapport au travail par la remise en cause du « présentéisme » doit surtout éviter l’isolement à domicile, de manière à garantit la sociabilité des individus assujettis à cette forme de travail.
Par rapport à la nouvelle révolution numérique des « intelligences artificielles » rendu inévitable pour l’économie, mais pas seulement
Une nouvelle mutation anthropologique avec un nouveau type de société produit un nouveau type d’individu qui est amené aujourd’hui à agir souvent dans un contexte de vie de plus en plus incertain.
Après la machine à vapeur, la production d’électricité et l’invention du moteur électrique, suivi du moteur à explosion avec une modification en profondeur du rapport au travail, des déplacements, des relations sociales et du rôle de la femme, notamment avec la première guerre mondiale, ces découvertes avaient provoqué une mutation anthropologique en totale rupture avec les précédentes. Avec la nouvelle révolution des « intelligences artificielles » nous assistons à une nouvelle mutation anthropologique totalement différente et sans lien avec les précédentes.
Les avantages ne doivent pas occulter les inconvénients
A cet effet, si la nouvelle révolution numérique offre des avantages concernant la réduction des mobilités avec mise en place souhaitée de s-hub d'accueil de télé travail, elle suscite des craintes justifiées, tant sur le plan économique et sociétal, voire culturel, ainsi que sur le plan environnemental et énergétique. N’oublions pas que les terres rares (qui ne le sont pas toutes) dont sont issus les métaux rares indispensables aux intelligences artificielles, mais aussi à l’éolien et au photovoltaïque, sans compter l’usage quotidien des ordinateurs, smartphone, télévision, appareils ménagers etc. sont une matière fossile qui n’est pas inépuisable. Quand on sait que la Chine détient plus de 90 % de la production mondiale, alors qu’elle possède un peu plus de 30 % des réserves mondiales (44 millions de tonnes métriques pour 120 millions de tonnes métriques dans le monde en 2019) peut imaginer le pire.
Les robots ont désormais « changé de statut » et cela ne cessera pas de progresser
Avec le changement de statut des robots par internet et l’interconnexion entre eux, où aujourd’hui on peut faire fonctionner des entreprises (dites entreprises 4.0) sans peu d’intervention humaine, ce qui va s’amplifier demain avec la 5 G, en particulier dans les entreprises de la grande distribution, compte tenu des nouvelles habitudes d’achat et de livraisons. Il n’y aura d’ailleurs pas que les entreprises de la grande distribution qui seront concernées par la nouvelle révolution numérique, dont nous n’en sommes qu’à la préhistoire, sauf fin brutale de l’humanité...
Dans tous les domaines : entreprises, services, santé, hôpitaux, enseignement, transports, militaires etc. désormais l’Intelligence artificielle s’installe partout avec des applications de substitution totale de l’intervention humaine aux robots par phases successives. Il est évident que l’intelligence artificielle va susciter des espoirs, parfois surréalistes, mais aussi des craintes apocalyptiques, dont certaines peuvent être justifiées, compte tenu de notre culture actuelle.
Aujourd’hui on est en mesure de confier des taches sélectives de décision, notamment, pour la justice, la médecine, l’enseignement, mais aussi faire déplacer des véhicules sans chauffeur ou des drones-taxis sans pilote, y compris faire fonctionner des usines sans aucune intervention humaine grâce aux interconnexions de l’intelligence numérique entre les machines, avec toutes les conséquences d’éthique que cela suppose. Par exemple, s’agissant de la justice pour désengorger les tribunaux, lorsque cela ne relève pas de décisions concernant des jugements dans des situations complexes, où elles doivent être prises en « son âme et conscience », les robots peuvent très bien suppléer les magistrats pour prononcer des sanctions en fonction de critères très précis.
Aller vers un développement généralisé de « l’entreprise 4.0 » qui semble inévitable ne doit pas se faire en détruisant les structures actuelles, ni en construisant de nouvelles installations flambant neuves… Il faut partir de l’existant pour effectuer progressivement des transformations. Une évolution sera beaucoup plus efficace si elle est effectuée par petites étapes, tout en ayant une vision à plus long terme. C’est indispensable si l’on veut éviter une fracture sociale brutale et gagner du temps, car nul doute que de nouvelles activités, aujourd’hui insoupçonnables, apparaîtrons beaucoup plus compatible avec cette nouvelle ère post-croissance dans laquelle nous sommes entrés. Au début des années 1990 nous ne pouvions imaginer l’existence des plateformes numériques et leur impact sur notre vie quotidienne actuelle, bien qu’elles puissent soulever d’autres problématiques, notamment sur le plan social.
Pour conclure
Le Covid-19, outre les contraintes de confinement, nous impose une économie de survie où seuls les produits de première nécessité (alimentaire, énergétiques, santé, déplacements) doivent faire l’objet d’une production, de son acheminement et de sa distribution. Toutes les autres activités sortant de ce cadre, hormis les liaisons téléphoniques et internet, sont suspendues. Mais au fond, faute d’une décroissance démographique choisie et équitable, cela ne préfigure-t-il pas une vie à venir dans le cadre d’un l’effondrement envisagé de la société thermo-industrielle ?
gaspillage alimentaire - 1,3 milliard de tonnes - faible coût de l'alimentation - étude de la FAO - morale contre rationalité économique - initiatives locales
Parmi toutes les tentatives pour assurer l’alimentation de bientôt 8 milliards d’humains tout en préservant la nature, s’attaquer au gaspillage semble l’idée la plus évidente et la première des mesures à mettre en œuvre. Est-ce si simple ?
Le gaspillage alimentaire est important. En 2014, le Monde relayait cette étude de la FAO selon laquelle un tiers de la production mondiale soit 1,3 milliard de tonnes de produits alimentaires (180 kg par personne) seraient ainsi perdues chaque année ! Pertes réparties presque également entre la sphère de la production et ses annexes (stockage, manutention) et l'ensemble transformation-distribution-consommation.
La question est difficile. D'une part, toutes les pertes ne sont pas précisément répertoriées d’autre part, l’ensemble peut être évalué en masse, en valeur ou en fonction de l’impact écologique (dont l’estimation elle-même comprend une part d’arbitraire). Un kilogramme de viande représente une perte plus significative qu’un kilogramme de matière végétale. On peut également distinguer les pertes sur la production (agriculture) des pertes sur les prélèvements (pêche). Toutes ces approches sont source de nombreuses confusions.
Une seconde difficulté résulte d’une sous-estimation du facteur économique au profit d’une indignation morale : « Quoi, jeter quand les gens meurent de faim ! » Nous percevons le gaspillage comme le résultat d’une négligence, d’un manque de soin qu’une meilleure organisation et qu’un peu de bonne volonté devraient suffire à résoudre. Hélas, s’il en était ainsi la question serait réglée depuis longtemps. Le gaspillage résulte au contraire d’une logique économique que l’on peut parfaitement détailler tout au long de la chaîne du producteur jusqu’au consommateur.
La cause principale du gaspillage est désormais le très faible prix de la nourriture industrielle. Une partie des aliments est jetée parce que le coût de leur bonne conservation serait très supérieur à leur propre valeur, rendant économiquement contreproductif tout effort en la matière. Ce raisonnement s’applique aussi bien aux producteurs qu’aux distributeurs et aux consommateurs (dans les pays les plus développés nous consacrons une part toujours plus faible de nos revenus à notre alimentation).
Economiquement, et parfois même écologiquement parlant, on peut estimer qu’il est préférable de jeter de temps à autre quelques yaourts pris en excès plutôt que d’utiliser son véhicule plus fréquemment pour ajuster au mieux ses achats à sa consommation. C’est là un comportement tout à fait rationnel. De même, le distributeur peut estimer qu’il a économiquement plus à perdre à se trouver en rupture de stock, manquant ainsi des ventes et mécontentant ses clients, qu’à devoir de temps à autre jeter une fraction du rayon des produits périssables.
Bien sûr, des commandes par plus petites quantités permettraient un meilleur ajustement et des gâchis plus limités. Elles sont malheureusement excessivement coûteuses du point de vue administratif et logistique. Elles nécessiteraient notamment plus de transport et de manutentions, deux constituants déterminants du coût des produits. Le fractionnement des commandes ne ferait qu’augmenter les coûts et les impacts écologiques. Même si cela peut choquer, le niveau actuel de gaspillage est donc un compromis économiquement rationnel et nécessaire entre ces coûts et l’intérêt à préserver.
Il s’agit là d’une conséquence de l’industrialisation de l’agriculture qui a fait s’effondrer les coûts de production et donc la valeur des aliments rendant leur conservation non rentable. Paradoxalement, c’est le même mécanisme qui a permis de produire plus et de nourrir toujours plus d'hommes, qui nous conduit à jeter aujourd’hui une partie importante de cette même production. Nous sommes là au cœur du fonctionnement économique de nos sociétés.
Le retour à une économie plus locale, voire familiale permettra peut-être de le réduire mais il s’accompagnera également d’un retour à des conditions antérieures où la nourriture était plus chère et où le coût de l’alimentation représentait une fraction plus importante des revenus des ménages. Plus la nourriture sera précieuse et de qualité, plus les efforts pour la préserver s’avéreront profitables, mais nous devons être conscients de ce que cela signifie en terme de prix des aliments et donc en terme d’accès pour les plus pauvres.
Enfin, le gaspillage nous semble d’autant plus intolérable que l’on place face à face les quantités jetées dans les pays les plus riches et les manques ou même les famines dans les nations les plus pauvres (quoiqu’il existe également des pertes importantes dans les pays moins développés notamment au stade du stockage). Hélas, il y a peu de transferts possibles de l’un à l’autre, jeter moins ici ne conduira guère à disposer de plus ailleurs, les frais de transport et de manutention des produits périssables l’interdisent largement.
Par contre localement, il existe déjà d’intéressantes initiatives soit pour demander aux consommateurs de donner aux plus démunis à la sortie des supermarchés, soit pour demander aux magasins de ne pas jeter les produits arrivant en date limite de consommation (on sait qu’ils sont en réalité souvent consommables quelques jours de plus) mais de les donner aux associations d’aide aux plus pauvres. Ces initiatives participent à une solution partielle mais réaliste au problème. Le risque de constitution durable de populations systématiquement receveuses et d’autres systématiquement donneuses pose d’autres problèmes pour l’équilibre de la société, mais c’est là une question qui sort du strict débat sur le gaspillage.
Selon les sources, entre 25 et 40 % de la nourriture aujourd’hui produite dans le monde seraient perdus. Il s’agit là d’un problème récurrent. Malgré la chaîne du froid, malgré des outils logistiques toujours plus sophistiqués, nous semblons incapables de diminuer sensiblement ces déperditions. Si chacun les dénonce, un vif débat oppose néanmoins les différents acteurs : producteurs, intermédiaires, distributeurs, consommateurs, se renvoient mutuellement l’essentiel de la responsabilité.
Le sujet vient d’être replacé dans l’actualité puisque les récents amendements proposés dans le cadre de la loi sur la transition énergétique visant à dissuader la grande distribution de détruire les invendus alimentaires en l’obligeant à les reverser à des associations caritatives ont fait l’unanimité. Ils ont d’ailleurs été votés ainsi par l’ensemble des députés. Certes, de telles dispositions relèvent du bon sens et il ne s’agit pas de les mettre en cause. Cependant, dans la masse des commentaires quasi unanimement favorables qui ont accompagné cette mesure, un problème a été passé sous silence. Il s’agit du lien indissoluble entre production de masse à bas coût et gaspillage.
Que dans un monde où des gens peinent à se nourrir, une aussi grande proportion d’aliments soit détruite est évidemment choquant. Pourtant, la dénonciation du gaspillage ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ses causes. Le gaspillage n’est pas le fruit du hasard ni de l’incurie ou de l’irresponsabilité de quelques-uns. Ce gaspillage s’ancre dans un ensemble de contraintes économiques que nous ne desserrerons pas facilement en dépit des bonnes intentions. Son maintien durable à un aussi haut niveau est d’ailleurs gage de cette difficulté. Il va de soi que si les différents acteurs trouvaient un intérêt économique conséquent à ne pas gaspiller, il y a longtemps que la question serait résolue. Elle ne l’est pas pour de sérieuses raisons.
Rappelons d’abord une évidence : la plupart des aliments sont périssables, certains comme la viande ou le poisson, très rapidement. Par nature donc, la perte de produits alimentaires est une menace constante qui a accompagné toute l’histoire de l’humanité et la lutte pour la minimiser suppose une attention permanente au maintien des conditions de conservation et au respect des délais d’acheminement, de vente et de consommation. Cette attention a un coût. Sauf à vivre dans un monde parfait, ce qui relève de l’improbable, le « zéro perte » n’existera jamais, les vraies questions sont donc: Peut-on aller vers le « beaucoup moins de pertes » ? Mais aussi, et c’est évidemment plus dérangeant : Y a-t-on intérêt ?
Quitte à choquer, je n’en suis pas sûr ou plus exactement il me semble que le coût du « presque zéro perte » pourrait-être prohibitif.
En effet, ce qui est généralement passé sous silence – sinon incompris - dans ce débat est que les conditions qui permettent la production de nourriture à très grande échelle, c’est-à-dire l’industrialisation de l’agriculture et de l’ensemble de la chaîne de distribution sont les mêmes que celles qui génèrent un certain nombre de pertes. Les deux sont indissociables. La même cause permet à la fois de nourrir plus de sept milliards de personnes et conduit à jeter une proportion importante de ce qui est produit.
Pourquoi ?
Le progrès technique permet certes de limiter les pertes au niveau de la fabrication, du stockage (surtout) et du transport, mais il a aussi une autre conséquence : La baisse des prix (c’est d’ailleurs une des raisons d’être du progrès dans tous les secteurs de l’économie, mais il y a là parfaitement réussi). Jamais la nourriture n’a couté aussi peu cher dans nos pays développés. La part de l’alimentation représente aujourd’hui 13 % du budget des ménages, un chiffre historiquement bas, mais qui a sa contrepartie. Une nourriture de peu de valeur marchande ne vaut pas la peine de dépenser des sommes importantes pour la conserver.
Cela vaut au niveau du producteur, comme à ceux du distributeur et du consommateur.
Prenons l’exemple de ce dernier, c’est-à-dire de nous-mêmes. Il nous arrive à presque tous, de jeter un steak, un yaourt, quelques fruits périmés ou un plat préparé dont nous avons laissé passer la fameuse date limite de consommation recommandée. Sommes-nous des criminels pour autant ou de dangereux inconscients ? Non. Tout d’abord quand le problème survient, la gravité potentielle d’une intoxication alimentaire impose de jeter les aliments. D’autre part, ce choix, justement dans le cadre d’une nourriture peu coûteuse, peut parfaitement se justifier. Le temps est contraint et les courses nécessitent le plus souvent un déplacement en voiture au coût et aux inconvénients très supérieurs à deux ou trois pourcents de la valeur des produits achetés. Il est donc économiquement tout à fait logique que les consommateurs préfèrent grouper leurs achats quitte à prendre le risque d’en jeter une petite partie. En tant qu’agents économiques, ils ont là une conduite parfaitement rationnelle. Ecologiquement même ce n’est pas forcément irréaliste, le transport ayant lui-même un coût en la matière. Cela choque parce que si les poubelles pleines sont visibles, l’énergie dépensée à titre privé et le CO2 dégagé à cette occasion ne sont repérés par personne.
Il en est de même au niveau des distributeurs. Un supermarché pourrait parfaitement n’avoir à jamais jeter un seul yaourt, il suffirait pour cela qu’il les commande, sinon un par un, du moins en toutes petites quantités, de façon à n’avoir aucun stock. Mais alors, la frustration des clients (il y aurait souvent des ruptures), mais surtout la gestion administrative et les coûts de transport et de livraison (on ne va pas détourner un camion de 44 tonnes pour livrer 12 yaourts) seraient tels que le prix du yaourt serait prohibitif et conduirait de fait à le rendre inabordable. L’alimentation de la population n’en serait pas mieux assurée malgré des poubelles alors effectivement vides. Dans une société industrielle, les coûts de la manutention et de la distribution des produits sont très supérieurs à celui de leur fabrication, telle est la réalité économique que les pourfendeurs, pourtant bien intentionnés du gaspillage, tendent à ignorer.
Les mêmes effets de masses et de manutention jouent évidemment au niveau de la production, l’agriculteur moderne ne passera pas des heures à sauver quelques kilogrammes de graines perdus si cela doit ralentir sensiblement l’ensemble du processus.
Enfin, au-delà de ces raisons techniques une autre question de société se pose. Par ces dispositions ne sommes-nous pas en train d’accepter et de valider la mise en place d’une société à deux vitesses, avec d’un côté des gens qui vivront de leur ressources et de l’autre une fraction non négligeable qui ne vivra que d’une aumône organisée ? Cette dichotomie est lourde de menaces et d’oppositions futures. Les uns se sentiront toujours plus taxés, les autres toujours plus dépendants. La lutte néanmoins bienvenue contre le gaspillage alimentaire nous donne une fois de plus l’occasion d’illustrer les dérives d’une société incapable d’offrir à tous un rôle et un revenu.
La récente application de la circulation alternée (1) à Paris et dans les communes limitrophes s’est accompagnée de la gratuité des transports en commun. Ce n’est pas la première fois qu’une telle mesure est prise et que la gratuité nous est présentée simultanément comme une solution pour limiter la pollution et comme un cadeau aux usagers. Certains réclament d’ailleurs la gratuité permanente d’un certain nombre de services considérés comme « de base » : éducation, santé, transports, voire culture malgré toute l’imprécision sur ce qui peut-y être rattaché...
Au-delà de la mesure ponctuelle plus médiatique que durablement efficace, est-ce une bonne idée en matière de transport ? Probablement pas.
Tout d’abord la gratuité n’existe pas. Dès lors qu’un bien ou un service a nécessité du travail humain, et c’est en fait toujours le cas, ce dernier doit être rémunéré d’une façon ou d’une autre. Ce que l’on appelle gratuité est tout simplement le transfert de la charge de l’usager ou du consommateur au contribuable. Notons que pour les transports publics, c’est déjà largement la norme. Même hors épisode de pollution, nul ne paye son ticket de métro, son pass Navigo ou le plus souvent son billet de train à son véritable coût. L’avion lui-même est fréquemment subventionné permettant des prix totalement déconnectés des coûts réels.
On pourrait penser qu’à Paris l’affaire est neutre, puisque touristes et personnes de passage mis à part, presque tous les foyers fiscaux sont à la fois usagers des transports en communs et contribuables. Mais cette fausse gratuité possède hélas un inconvénient rédhibitoire : masquer la réalité des coûts : réalité des coûts économiques, mais aussi des coûts écologiques. Parfois d’ailleurs, ce masquage va jusqu’au remboursement par l’employeur qui donne sous cette forme de « remboursement transport » ce qu’il pourrait donner sous forme de salaire, cela contribue plus encore à rendre aux yeux de l’usager le transport en apparence complètement gratuit et économiquement « transparent ».
Or, dès lors qu’une chose est « gratuite » on oublie qu’elle doit être produite, que cela suppose non seulement des frais en espèces sonnantes et trébuchantes, mais aussi et c’est plus rarement souligné, une empreinte écologique : consommation de matière et d’énergie pour la fabrication des infrastructures et du matériel roulant, consommation d’énergie pour l’usage proprement dit, consommation d’espace définitivement retiré à la nature… L’élargissement progressif du champ géographique de la carte orange puis du pass Navigo et surtout la généralisation de tarifs de uniques indépendamment de la distance empêche l’usager de percevoir le lien entre le coût, -empreinte écologique comprise - et les kilomètres parcourus (2). Elle laisse presque entendre que prendre le métro est bon pour la planète, non c’est juste moins mauvais que la voiture (3). La gratuité est une mesure qui éloigne le citoyen de la conscience et de la compréhension des enjeux.
Que faire alors ? Car bien sûr, il ne s’agit pas à l’inverse de favoriser à tout crin l’automobile, sur ce point nous sommes d’accord. Deux pistes me semblent devoir servir de guide. Tout d’abord facturer les transports à l’usager (c’est une règle générale) et le faire au plus près des coûts réels tout en communiquant sur ceux-ci. Un avantage partiel peut être donné aux transports en commun mais il doit être clairement identifié. Les prix des carburants aussi doivent être augmentés car on ne mènera jamais de politique d’économie d’énergie dans un contexte d’énergie bon marché. L’usager doit avoir intérêt à économiser et non y être forcé par une multitude de règles complexes et contraignantes, règles vers lesquelles hélas il semble que nous nous dirigions. Notons que globalement nul ne sera perdant, le contribuable récupérant le surplus alors demandé à l’usager. L’autre piste est évidemment de tenter de diminuer le besoin de transport, essayer de rapprocher les zones d’activité des zones d’habitat et développer le télétravail dans la mesure du possible. C’est là une question plus vaste et de longue haleine, mais à terme la relocalisation, c’est-à-dire le regroupement des lieux de production, de consommation et d’habitat constitue sans doute avec l’allègement de la pression démographique et une lutte serrée contre l’érosion de la biodiversité, la colonne vertébrale de toute politique écologiste digne de ce nom.
(1) Il est bien difficile de ne pas souligner ici l’extraordinaire timing de cette mesure qui, visant un problème s’étant posé dans les jours précédents aura vu son application reportée au lundi 23 mars, jour où les choses s’arrangeaient naturellement mais lendemain des élections. Ainsi les conducteurs sanctionnés (ceux de la banlieue, car ceux de Paris ne votaient pas) ne risquaient en aucun cas de traduire leur mécontentement dans les urnes. Joli tour de passe-passe !
(2) Cette mesure n’est pas le fait de la seule RATP, en Languedoc Roussillon, l’expérience, limitée certes, duTER à un euro a également beaucoup fait parler d’elle. Les mêmes critiques peuvent lui être adressées.
(3) Rappelons que le métro ne transforme pas le CO2 en oxygène, pour cela on a encore rien trouvé de mieux que l’arbre.
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Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal.
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