L'équitation, c'est sympa. Mais faut-il aller jusqu'à ne pas respecter nos obligations européennes pour défendre ce secteur en continuant de lui appliquer le taux intermédiaire de TVA plutôt que le taux normal (20 % au 1er janvier 2014) ? En s'obstinant à dénommer 'équitaxe' une mesure de normalisation du taux de TVA, en s'entêtant pour faire reculer le gouvernement, la Fédération Française d'Equitation (FFE) montre qu'elle se moque d'une décision de justice (1) et encourage l'Etat à ne pas respecter la règle de droit qui s'applique à tous. Bel exemple pour une organisation qui n'hésite pas à mettre en avant le rôle pédagogique de l'équitation auprès des enfants et des adolescents !
Au-delà de ce point de droit pas du tout marginal pour tous ceux qui préfèrent le droit au désordre et au n'importe quoi, quels sont les arguments avancés ? Le premier est l'impact économique de la mesure au sujet duquel "la Fédération Française d'Equitation, la Fédération Nationale du Cheval et le Groupement Hippique National estiment que ce relèvement pourrait mettre en danger 2 000 des 7 000 centres équestres, mais aussi près de 6 000 emplois salariés" (2) . Le second argument est social, mettant en avant que la pratique de l'équitation deviendrait ou redeviendrait un sport de riches avec la répercussion de cette hausse dans le prix des licences (soit a priori + 13 % d'augmentation). Ceci est malheureusement possible mais cela rend-il l'argument recevable ? Car ce raisonnement nous dit juste qu'avec moins d'impôt cette filière se porterait mieux ; mais ce raisonnement, même sans tomber dans le simplisme de la courbe de Laffer, est valable pour toutes les activités : les constructeurs automobiles par exemple vendraient plus de voitures avec un taux réduit, et les marchands de luminaires et de meubles aussi, et tout ce petit monde créerait des emplois. On peut toutefois objecter qu'il s'agit ici d'une situation acquise, qu'il n'est pas question d'améliorer la situation économique de toute une filière, mais seulement de préserver sa place. Mais est-ce parce qu'un secteur économique a bénéficié d'une distorsion de taxation et en a profité pour se développer au-delà de ce qu'il l'aurait fait dans une situation d'égalité de traitement vis-à-vis d'autres secteurs, qu'il faut à tout prix lui conserver cet avantage indu ? C'est là que doit intervenir un certain courage pour remettre dans une situation d'égalité des secteurs concurrents, concourant aux loisirs. Même si des mesures d'accompagnement peuvent être envisagées pour adoucir le dégonflement de la bulle hippique française. Vouloir conserver le statu quo n'est qu'une forme d'irresponsabilité et de démagogie, ne pouvant produire qu'un sentiment d'injustice quant aux filières concurrentes soumises, elles, au taux normal.
La question de la mise à la norme standard de l'équitation va même au-delà des points soulevés précédemment.
Elle aborde la problématique de la capacité d'une filière et de ses acteurs à s'adapter à une donne nouvelle et à démontrer un niveau minimum de résilience. Plutôt que de s'enfermer dans la défense d'un avenir semblable au présent, n'y aurait-il pas d'autres débouchés à envisager ou à approfondir, comme le recours au cheval dans la viticulture (pour éviter le tassement des sols), dans le débardage, dans le maraîchage ou dans l'élevage bovin déjà exploré par quelques agriculteurs passionnés par la bio ? Par ailleurs, des communes organisent des collectes avec des voitures à cheval : cela ne pourrait-il pas être proposé à plus grande échelle ? S'il doit y avoir une action des pouvoirs publics pour aider la filière équestre à se renouveler, c'est sans doute en réhabilitant le cheval auprès du monde agricole et rural, en aidant ce monde-ci à le redécouvrir concrètement pour des usages où le cheval est plus adapté que le tracteur, comme ce qui est déjà fait avec des chevaux de trait au lycée agricole de Montmorillon. En un mot, faire que la filière du cheval dépasse le monde des loisirs pour lui retrouver une vraie place dans le monde de la production.
Autre point. Cette minoration de taxe dont beaucoup demande la survivance a aussi pour effet d'indiquer où sont nos priorités. Au moment où un changement de direction vers un monde écologique paraît comme une condition de la survie de nos valeurs, serait-il cohérent de favoriser avec une TVA à 10 % les loisirs équestres quand les matériaux d'isolation thermique (3) subissent une TVA à 20 % pour ceux qui se donnent le mal de faire les travaux eux-mêmes ? Le sérieux, cet inverse de la démagogie, ne serait-il pas d'inverser ce que le système fiscal dit de nos priorités en promouvant les matériaux nécessaires à la transition écologique avec un taux réduit, et en taxant les activités non essentielles comme les loisirs équestres, les forfaits de remontées mécaniques pour les skieurs, ou les achats de fleurs (4) au taux normal de 20 % ?
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1 : La cour de justice de l'Union européenne a tranché, le 8 mars 2012, aux dépens de la France : "En appliquant des taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée aux opérations relatives aux équidés et, notamment, aux chevaux, lorsque ceux-ci ne sont normalement pas destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ou dans la production agricole, la République Française a manqué aux obligations qui lui incombent."
2 : In Equitation : le gouvernement ne se cabre pas sur la TVA à 20 %, Nicolas Breton, Le Monde.fr, 13.11.2013.
3 : En matière d'isolation thermique, les aides principales sont la TVA à taux réduit et le crédit d'impôt. Mais il est à noter que pour en bénéficier, il faut obligatoirement faire faire les travaux par une entreprise. Ce qui signifie que le but réel est de soutenir l'activité artisanale et non de promouvoir les travaux d'isolation en eux-mêmes, puisqu'une personne qui décide de faire les travaux directement sans le secours d'une entreprise ne reçoit alors aucune aide et paie les taux maximum. Il faut aussi préciser que le crédit d'impôt tant vanté ne s'applique dans les faits qu'à la résidence où l'on habite soi-même à titre principal, et n'est pas effectif pour un bailleur qui loue un appartement ou une maison en résidence principale ; car dans ce cas le bailleur doit choisir entre la déductibilité du montant des travaux (comme pour les autres travaux d'entretien) et le crédit d'impôt. Or le montant du crédit d'impôt est la plupart du temps inférieur à l'effet des sommes déduites en tant que travaux. Concrètement, le crédit d'impôt ainsi conçu n'est pour les bailleurs qu'une mesure inutile, un faux-semblant, du greenwashing fiscal en quelque sorte.
4 : A la différence des loisirs équestres, il n'est pour l'instant pas question de faire passer les forfaits-ski ou les fleurs au taux normal, seulement de le faire suivre l'évolution prévue du taux intermédiaire de 7 à 10%. Pour les fleurs, voici ce que disent nos textes fiscaux : le taux intermédiaire s’applique aux produits de l’horticulture qui n’ont subi aucune transformation, c’est-à-dire aux produits dans l’état où ils sont généralement obtenus au stade agricole : les fleurs fraîches ou séchées, vendues avec ou sans feuillage ; les plantes vivantes ; les plants horticoles (arbres et arbustes) d’ornement. Est sans incidence sur l’application du taux réduit le fait que ces produits soient renforcés d’un nœud ou d’un ruban, enveloppés de papier, de cellophane ou de feuilles plastiques ou placés dans un emballage. Source : Instruction du 29 juin 2005, BOI 3-C-6-05. Par contre, une couronne ou une croix fleuries seront taxées à 20 %.