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3 décembre 2015 4 03 /12 /décembre /2015 19:04

La France, c'est devenu cet État qui recherche à tout prix la croissance pour résoudre un chômage devenu structurel, pour intégrer ses jeunes de banlieues, pour limiter les déficits de ses régimes de retraites, pour augmenter ses revenus, bref la croissance comme unique solution pour aller mieux. Et quand on parle croissance, c'est bien de la croissance du PIB, ce fameux produit qui enregistre tout ce qui est  l'objet d'une transaction monétaire. Pour la croissance, n'échangez surtout pas votre appartement avec des amis, ne faites pas de covoiturage avec votre collègue, ne réparez pas vous-même ce que vous êtes en capacité de faire, ne tondez pas votre pelouse, ne gardez pas votre voiture pendant 15 ans, mais dépensez, dépensez, empruntez s'il le faut pour vous offrir un week-end en TGV ou en avion loin de chez vous, pour partir en croisière dans ces navires grands comme des villes, pour disposer d'une voiture en leasing renouvelée régulièrement, pour acquérir le nouveau portable tellement mieux que votre vieux modèle de l'année dernière, … la liste est longue de ces envies pas si nécessaires. Mais c'est pour elles que notre État investit si bien dans les nouvelles liaisons LGV Bordeaux-Dax et Bordeaux-Toulouse inamortissables et si destructrices des biotopes locaux, ou dans un aéroport comme celui de Notre Dame des Landes, et favorise comme il peut la construction de Center Parcs comme à Roybon ou la couverture en mode 4G du territoire.

La France, un État qui joue dans ses grandes masses le jeu de la croissance la plus classique, bien éloignée d'une politique économique qui mettrait au cœur de ses préoccupations une problématique écologique de long terme, imposant une agriculture saine et biologique, et favorisant un habitat équilibré dans l'espace et construit ou rénové à partir d'éco-matériaux ; une politique économique qui s'appuierait aussi sur les liens sociaux plus que sur la seule dépense marchande ; une politique économique bâtie sur la notion de résilience plutôt que sur une logique à courte vue laissant des millions d'individus au bord de la route.

La France c'est le seul pays au monde qui ait tant misé depuis 1974 avec le plan Messmer (1) sur l'énergie nucléaire au détriment direct des énergies renouvelables et qui a pratiqué un mensonge d’État au moment de Tchernobyl en laissant croire que les nuages radioactifs s'étaient arrêtés à  nos frontières.

La France, c'est aussi cet État qui n'hésite pas à employer une violence extrême à l'égard des manifestants écologiques – faut-il rappeler (2) Creys-Malville ou le barrage de Sivens ? - comme à utiliser les procédures permises par la proclamation d'un état d'urgence pris dans la foulée d'attentats terroristes pour empêcher très concrètement des manifestations écologiques pacifiques au moment d'un grand rendez-vous célébré mondialement, et pour  réaliser aussi des perquisitions au domicile de militants 'verts' produisant des légumes bio et assimilés un temps à des terroristes.

La France, c'est encore cet État qui favorise fiscalement le diesel pour défendre des intérêts économiques précis au prix de la santé de sa propre population, puis qui après le scandale Volkswagen annonce officiellement par la voix de Ségolène Royal, Ministre de la République, une baisse de 1 centime d'euro sur l'essence, baisse  symbolisant un changement de cap très progressif en défaveur d'un diesel trop longtemps avantagé ; et qui benoîtement indique à peine deux mois plus tard une hausse des taxes de 2 centimes sur l'essence. On peut bien comprendre qu'il s'agit en fait d'une collision entre la contribution climat-énergie pour un montant de 3 centimes et ladite baisse, dans les faits, tout se passe comme si cet État ne savait plus faire de politique et perdait le sens des symboles, incapable de mettre en musique le moindre changement en faveur d'une pollution moindre.

Et pourtant la France, c'est aussi cet État qui a joué un rôle important à Rio en 1992, cet État qui a su prononcer par la voix de Jacques Chirac en 2002 au Sommet de la Terre à Johannesburg des paroles fortes qui retentissent encore : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

C'est encore et surtout cet État qui se souvient qu'il est un modèle historique de l’État-nation et qui sait mettre en œuvre comme nul autre son savoir-faire régalien et faire appel aux montages juridiques les plus sophistiqués pour inventer et défendre le principe d'un accord à la fois « universel, différencié et contraignant » selon les mots du Président François Hollande prononcés lors de son discours d'ouverture de la COP21 le 30 novembre 2015 ; État qui sait  utiliser au mieux toutes ses ressources politiques et diplomatiques pour réussir cette COP21, sachant marier l'efficacité de notre diplomatie à un volontarisme politique qui n'est pas feint.

Bien sûr il ne faut pas s'illusionner sur la capacité de cette grand-messe à obtenir les résultats que les scientifiques et les écologistes jugent nécessaires, et ce d'autant plus que les engagements prévus  s'appuient principalement sur des évolutions technologiques et une amélioration de l'efficience énergétique, et ne s'inscrivent en rien dans une logique de rupture pour aller vers une sobriété revendiquée de nos consommations. Faut-il aussi ajouter que la question démographique, un détail à presque 10 milliards près (soit le nombre projeté des humains en 2050), ne fait pas non plus partie des items de cette conférence ?

Néanmoins, outre son impact médiatique sur des opinions encore en partie à informer et à convaincre, cette COP21 devrait pouvoir limiter un peu la casse. Après tout c'est toujours bon à prendre, et on pourra alors remercier ce très vieil état-nation au bord de la faillite d'avoir su renouveler l'outil 'COP', ce cadre d'action mondial si insuffisant mais nécessaire.

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1 : sur ce sujet, « 1974 : le plan Messmer choisit l'option du tout nucléaire », Alternatives Economiques n° 69, sept 2014.

2 : voir notamment l’émission de Franc Culture ; Les pieds sur Terre du  6 octobre 2015 « De Creys Malville à Sivens  : Vital Michalon et Rémy Fraisse »

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 20:44

Écologie et politique : une proposition un peu étonnante.

A priori cela choque. Le vote est un droit, libre et gratuit, garanti par notre constitution. Et pourtant, depuis 4 ans, s'insinue petit à petit l'obligation pour les citoyens de payer pour faire valoir leur choix démocratique.

Et ce sont les écologistes qui ont frappé le plus fort. En effet 32 896 écologistes autour d'EELV et du MEI ont dû payer au printemps 2011 dix euros pour pouvoir départager Nicolas Hulot et Eva Joly. A côté, l'euro demandé par le Parti Socialiste à chaque tour de la primaire organisée à l'automne 2011 cassait les prix ; à se demander si la politique ne singe pas le secteur de la distribution, avec de grandes enseignes qui écrasent les prix. Et cela continue, puisque l'UMP (ou Les Républicains) prévoit en 2016 une primaire à deux euros le tour.

Bien sûr cela peut être présenté comme une histoire interne à chaque parti. Mais dans les faits la pratique généralisée des primaires transforme notre élection reine en élection à trois ou quatre tours.

Qui n'a vu que les primaires écolo de 2011 ont eu un impact important sur le résultat du vote vert en éliminant le candidat le plus médiatique, offrant une vision plus ouverte de l'écologie que sa concurrente plus chanceuse ?

De même on peut supposer que le fait de préférer François Hollande à Martine Aubry, en passant notamment des accords de désistement avec Arnaud Montebourg et Manuel Valls entre les deux tours de la primaire, n'a pas été sans effet ni sur le score final, ni sur la politique menée par la suite. Et tous les observateurs mesurent aujourd'hui les conséquences possibles d'une élimination de Nicolas Sarkozy ou d'Alain Juppé lors de la primaire qui va certainement les opposer. Mais désormais pour s'exprimer il faut payer !

Même si on est loin d'une barrière financière au vu des montants demandés et qu'il serait absurde de faire une comparaison avec le principe d'un vote réservé à une élite comme notre pays l'a connu au XIXème siècle avec le suffrage censitaire, il y a là une atteinte manifeste aux principes républicains.

Et cela ne s'arrête pas là. Les écologistes d'EELV viennent de proposer par la voix de François de Rugy de rendre le vote obligatoire sous peine d'amende. A leurs yeux pas une amende excessive (1), mais tout de même : 35 euros, et jusqu’à 150 euros en cas de récidive. Ce qui fait tout de même 185 euros à payer dans le cas d'une élection à deux tours. Et 600 euros (4 x 150 euros) pour un abstentionniste endurci les années d'élection présidentielle suivies par des élections législatives à deux tours, ça commence à faire cher pour celui qui considère comme une façon de s'exprimer le refus de participer à un système de sélection de nos dirigeants politiques qui n'a pas fait, c'est le moins qu'on puisse dire, ses preuves quant à la qualité des politiques menées, notamment au sujet des questions écologiques de long terme.

Payer pour participer aux choix des candidats admis à concourir aux élections, payer encore si l'on veut marquer sa défiance radicale à l'égard d'un système politique, étonnante conception pour des gens qui ont longtemps prétendu et prétendent encore renouveler et approfondir la démocratie.

Cela vaut la peine de rentrer dans le détail des motivations avancées par ces écologistes.

« J'en ai un peu assez qu'à chaque élection on se lamente, qu'on se mette à pleurer sur l'abstention et qu'on ne fasse rien » (2). Constatant la hausse constante de l'abstention, véritable thermomètre de la défiance populaire vis-à-vis d'un système politique, François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, propose donc de prendre le taureau par les cornes et de contraindre par la loi à voter. Si la méthode est potentiellement très efficace, elle soigne l'effet et non la cause, pire elle aggrave celle-ci car comme le dit l'ancien premier ministre François Fillon « ça consiste à dire aux Français qui sont dégoûtés de la politique : ''On se fout des raisons de ce dégoût mais on va vous obliger à voter quand même'' » (3). Avouons que cette façon de 'casser le thermomètre au lieu de soigner le malade' est un peu surprenante et même troublante pour des membres d'un mouvement pour lequel les notions d'écosystème et d'interactions sont essentielles. Si la volonté d'agir est à saluer, il y a là un simplisme qui effraie.

Autre argument avancé, la prise en compte du vote blanc depuis l'année dernière. Pour François de Rugy (4) « si l'on n'est pas content par l'offre politique des partis et des candidats qui se présentent, eh bien on a la possibilité de voter blanc. Et ce vote est décompté de façon précise ». La prise en compte du vote blanc est sans doute un progrès dans le traitement de l'expression dans une votation, mais ce vote ne permet pas d'afficher une position de critique radicale du système politique tel qu'il a été mis en place dans nos démocraties. Peut-être pouvons-nous nous rappeler la critique insistante de Tocqueville quant au risque de 'despotisme démocratique', nous souvenir aussi des paroles de Léo Ferré dans "Ils ont voté", et relire encore une fois L'illusion politique de Jacques Ellul, penseur bien connu des intellectuels écolos ?

Que des écologistes veuillent participer à l'exercice du pouvoir est légitime ; qu'ils essaient d'amender le fonctionnement démocratique de nos institutions est fort compréhensible ; que, s'il faut citer des noms car la politique cela s'incarne, Jean-Vincent Placé, Barbara Pompili ou François de Rugy pratiquent à un siècle d'écart le jeu d'un Alexandre Millerand, d'un Aristide Briand ou d'un René Viviani, c'est, au-delà de leurs carrières personnelles, une façon, un moyen de faire avancer les thèses écolos. Mais de grâce, au-delà des nécessaires compromis, que ces politiciens de l'écologie ne perdent pas en chemin la richesse de la pensée écologique et sa capacité à prendre en compte la complexité du monde !

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(1) : « Compte-tenu du régime des contraventions français, il nous a semblé qu’une amende de deuxième classe – 35 euros pour une amende forfaitaire, jusqu’à 150 euros en cas de récidive - constituait une sanction équilibrée. Par ailleurs, dans la mesure où l’inscription sur les listes électorales est déjà obligatoire mais qu’aucune contravention n’est prévue pour ceux qui y dérogent, nous avons considéré nécessaire de sanctionner à niveau égal les non-inscrits et les non votants. »

Source : Proposition de loi n° 2661 visant à rendre obligatoire la participation au vote, présentée par Mesdames et Messieurs François de RUGY, Barbara POMPILI, Laurence ABEILLE, Brigitte ALLAIN, Éric ALAUZET, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, François-Michel LAMBERT, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC et Eva SAS.

(2) : in Le Figaro, Les écologistes proposent de rendre le vote obligatoire, T.Q. Maupoil, 11.03.2015.

(3) : in Libération, Le vote obligatoire redonne de la voix, 28.04.2015

(4) : in Le Figaro, Les écologistes proposent de rendre le vote obligatoire, T.Q. Maupoil, 11.03.2015.

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24 mai 2014 6 24 /05 /mai /2014 16:04

Qu'il faille réformer le millefeuille territorial, cet entrelacs de compétences partagées par tant de niveaux et de structures diverses, est devenu une évidence pour la plupart des acteurs, citoyens comme politiciens. Car, outre le coût bien réel des coordinations sur des dossiers intéressants 4 ou 5 administrations à la fois, cet éparpillement est propice à développer une culture de la non-responsabilité, fille de la dilution des décisions dans l'écheveau politico-administratif, culture génératrice de gaspillage, d'inefficacité technique et d'un affaiblissement du contrôle démocratique du fait de l'impossibilité pour les citoyens lambda d'identifier réellement qui fait quoi.

L'efficience de l'Etat français passe donc par sa réorganisation territoriale, c'est devenu aujourd'hui un lieu commun, une proposition d'évidence. Cela paraît même comme une obligation pour que la France survive dans la nouvelle économie-monde, si efficace et si concurrentielle que le surcoût de la puissance publique française semble devenu insupportable à nos acteurs économiques.

Surgit alors l'idée de constituer de grandes régions susceptibles de pouvoir se mesurer aux landers allemands d'un coup voués à notre admiration ; de supprimer l'échelon départemental ou à tout le moins de le vider de sa substance ; et de faire de même pour nos 36 000 communes en conférant aux intercommunautés la réalité de l'exercice local du pouvoir.

Et de voir, depuis l'annonce faite de la réforme territoriale par le premier ministre Manuel Valls, tout ce qui a une petite parcelle de pouvoir faire dans son coin des propositions de redécoupage : une passion pour le dessin des territoires envahit nos élus, un peu comme on l'avait connu sous la Révolution Française au moment de l'invention des départements. Avec souvent une façon de voir les choses de tellement haut qu'il est parfois facile d'oublier la réalité géographique, physique comme humaine, des territoires. Rappelons-nous le premier projet présenté dès la fin 1789 par le rapporteur Thouret s'inspirant des études du géographe du Roi, Robert De Heissen, consistant en un découpage au carré, avec des départements de 18 lieues sur 18, chacun divisé en 9 communes carrées, elles-mêmes divisées en 9 cantons pareillement carrés ... cette passion géométrique qui voulait ignorer les hommes et leur histoire comme la réalité physique du pays : plus de provinces, plus traces des anciennes communautés d'appartenance, plus de montagnes, plus de fleuves ni de rivières, aucun obstacle, juste un territoire lisse et plat avec des hommes interchangeables ... l'homme nouveau, unidimensionnel, n'était pas loin, et la Terreur non plus !

Bien sûr, nous n'en sommes pas là mais une réflexion intégrant la question écologique amène au moins une remarque et une demande.

Il y a dans les racines et les buts de cette réforme l'idée d'adapter la France au monde comme il va, et donc de tout faire pour que notre pays retrouve le chemin d'une croissance économique si désirée pour combattre le chômage. Les nouveaux territoires et leur articulation sont pensés in fine pour la croissance et pour elle seule. Mais peut-on penser l'organisation d'un territoire fort d'une histoire millénaire dans le seul but de résoudre un problème ponctuel d'ordre économique ? Difficile de ne pas trouver à cette réforme territoriale qui s'annonce, comme un certain manque de perception du temps long, ce temps qui tisse la vie entre une communauté d'hommes et de femmes et un bout de continent.

Oserai-je alors soumettre une demande qui ne soit pas d'ordre économique au beau milieu de ce tintamarre politique omnibulé par la question de la croissance ? Une demande qui consisterait juste à ne pas oublier que pour occuper et faire vivre écologiquement un territoire, il faut que les hommes et les femmes qui y vivent aient conscience d'une manière ou d'une autre d'appartenir à ce territoire et aient envie de s'y projeter. Sans ce sentiment, qui je le reconnais fait un petit pied de nez à la ballade de Brassens dédiée " à ceux qui sont nés quelque part ", j'avoue ne pas voir la question écologique capable d'échapper à une vision et un mode de gestion désespérément technocratique, tournant le dos à une démocratie vivante, lointain écho de la perception hors sol du géographe royal Robert de Heissen.

Le combat, qui fut gagné en 1789 contre le rapport Thouret et qui nous a évité des frontières à l'africaine, ces frontières tirées au cordeau et se moquant des territoires des tribus comme d'une guigne (ce que l'Afrique paie encore, notamment par des guerres locales sans fin), peut-il l'être aujourd'hui contre les technocrates et politiciens hors sol pour que nos territoires de demain soient propices à une prise en charge simple et démocratique de l'écologie par des habitants soucieux de leur environnement ?

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5 avril 2014 6 05 /04 /avril /2014 18:44

Il n'est jamais facile de quitter les ors de la République et d'abandonner avec le pouvoir le sentiment de faire bouger les choses. C'est pourtant ce qu'a décidé Cécile Duflot, le véritable leader d'EELV.  

Ce repli hors des palais ministériels peut se comprendre. Fallait-il cautionner un nouveau gouvernement qui met en premier objectif la réduction des déficits financiers et la poursuite à tout prix de la croissance, ouvrant par là des doutes sur son refus à terme de l'exploration des gaz des schistes et sur sa volonté de réduire vraiment la part du nucléaire en France ? Fallait-il aussi accepter de travailler sous l'impulsion d'un premier ministre, ancien ministre de l'Intérieur qui appliqua avec une certaine rigueur les règles sur l'immigration, en opposition complète avec le généreux programme d'Europe Écologie les Verts qui met en avant l'ouverture au monde et la fluidité des hommes ? Fallait-il continuer de soutenir une présidence qui ne s'intéresse pas vraiment à la fiscalité écologique, comme l'a montré sa frilosité sinon sa pusillanimité dans l'affaire de l'écotaxe ?

Les militants écologistes d'EELV avaient déjà bien montré à Caen en novembre 2013 toutes leurs interrogations, tous leurs doutes, toutes leurs réticences à cette participation à l'exercice du pouvoir lors de leur dernier congrès.

Bref, si on peut entendre l'hésitation qui s'est fait jour, portée notamment par leurs parlementaires Barbara Pompili et François de Rugy, quant à profiter de l'offre de Manuel Valls d'un grand ministère de l'Ecologie (rappelant d'ailleurs le ministère dévolu en 2007 à Alain Juppé dans l'euphorie de l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, signataire du Pacte écologique proposé par Nicolas Hulot), il est aussi aisé de comprendre que les valeurs et les choix portés par EELV ne seraient pas très à l'aise dans ce nouveau gouvernement dont l'efficacité revendiquée ne permettrait plus de masquer les divergences dont il avait été somme toute assez facile de s'accommoder dans le gouvernement plus tranquille et moins dynamique de Jean-Marc Ayrault.

Et puis, quel intérêt politique de s'associer à un gouvernement qui va devoir prendre des mesures impopulaires, en s'attaquant notamment à une part de l'Etat-providence, sans même avoir une perspective d'amélioration concrète avant la fin du mandat présidentiel de François Hollande ?

La sortie du gouvernement dans ces conditions peut donc apparaître, même si ce refus de participer peut aussi être lu par certains (1) comme un choix de confort fait au détriment de la défense de l'écologie et heurter une partie significative de l'électorat écologiste, à la fois comme le choix le plus en phase avec la culture politique des militants écologistes d'EELV et comme le choix le plus rationnel quant au strict plan de l'intérêt du parti.

Sortie du gouvernement d'autant plus intéressante que se dessine une autre configuration gagnante.

Comme dans la capitale des Alpes où Eric Piolle, militant EELV mais aussi ancien de la FIDL (2), participant au Réseau Éducation sans Frontière et proche de Pierre Larrouturou, le récent fondateur de Nouvelle Donne, a gagné la mairie contre le Parti Socialiste, en s'associant avec le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. Il se devine ici, que ce soit à travers le profil personnel d'Eric Piolle ou les accords passés avec la gauche de la gauche, les contours d'une nébuleuse qui peut trouver, dans les moments difficiles qui s'annoncent, une dynamique particulière basée sur une alliance entre les bourgeois-bohèmes urbains très sensibles aux questions écologiques et tous ceux qui ont un intérêt au maintien sans faille de l'Etat-providence historique, gravitant autour du secteur public ou dépendant directement ou indirectement de ses aides. Alliance qui peut trouver son fonds de sauce politique dans la défense de l’Éducation, une aide significative aux banlieues comme à l'accueil des immigrés, une politique administrée du logement clairement en faveur des locataires, et le soutien effectif et volontariste - via des mécanismes plus ou moins subtils de financement basés sur l'endettement ou la création monétaire comme ceux décrits dans le programme de Nouvelle Donne ou dans les propositions de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme (3) - à la transition écologique (énergies renouvelables, isolation thermique, etc.), pourvoyeuse de bien de nouveaux emplois.

Cette nouvelle configuration, on peut l'appeler la tentation de Grenoble.

Elle a l'immense avantage, d'abord, de bien correspondre aux valeurs dominantes de l'écologie politique, qui en France s'est historiquement construite dans la foulée de Mai 68, et toujours à gauche de la gauche.

Elle se situe à Grenoble, ville bien connue depuis Hubert Dubedout comme lieu d'expérimentation politique ; après tout, le symbole n'est pas rien dans la culture politique française et résonne encore comme l'aube d'un renouveau de la gauche dans la France gaulliste.

Cette tentation de Grenoble a aussi et surtout pour elle la capacité à articuler un projet politique de défense de l'Etat-providence jusqu'à ses recoins les plus archaïques, avec la prise en compte novatrice, et qui paraît si nécessaire à beaucoup d'entre nous, de la transition écologique, offrant par là un débouché politique cohérent à tous ceux qui se détournent de l'expérience socialiste dans le cadre d'une économie libérale mondialisé menée par François Hollande depuis mai 2012.

Cette nouvelle configuration, c'est le pari politique de Cécile Duflot, ce qu'elle appelle « la social-écologie » (4), et ce n'est surtout pas la simple manifestation d'un prurit gauchiste comme certains voudraient le croire. Si sa viabilité politique ne fait guère de doute, il reste toutefois à s'interroger sur la viabilité réelle de ce programme (5), et si ce dernier n'est pas en train d'amener l'écologie politique dans une impasse historique, en jouant plus sur notre croyance enracinée dans un volontarisme politique capable de passer outre aux contraintes du réel que sur la nécessité d'aborder de front les problèmes qui se posent au pays en exposant au peuple le plus clairement possible les avantages et les inconvénients d'un virage écologique.

Face au choix opéré par Cécile Duflot de ré-légitimer et de renouveler le social-étatisme français par l'écologie, il pourrait paraître utile de commencer à tracer une autre voie pour l'écologie. Une voie qui refuserait les montages technocratiques seulement construits pour masquer les impacts inévitables que produirait une économie enfin durable ; une voie qui saurait jouer de tous les leviers possibles, de la décroissance acceptée de la consommation matérielle à une diminution choisie et contrôlée de notre population, tout en préservant les acquis d'une économie sociale de marché ; une voie capable d'entraîner les citoyens à déconstruire cette société urbano-industrielle basée sur la frustration et débouchant sur la pollution, la violence et le vide ; une voie basée sur l'adhésion consciente des efforts à fournir, et de l'abandon des facilités que cela signifie. Un chemin moins aisé à proposer, mais peut-être le plus prometteur à terme.

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1 : Remaniement : le jour où les Verts ont renoncé à l'écologie, Marie-Sandrine Sgherri, in Le Point, le 02/04/2014. Voir aussi l'analyse de Daniel Boy du Centre de Recherches Politiques de Sciences-Po in  l'Express, le 03/04/2014.

2 : La FIDL, en toutes lettres la Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne, est une organisation lycéenne française à but syndical, fondée en 1987.

3 : Marion Cohen et Alain Grandjean ont été en mars 2011 les rédacteurs d'un document intitulé Financer l'avenir sans creuser la dette, document de travail d'un séminaire de réflexion qui s'est tenu le 30 mars 2011. Le cœur du programme repose sur une politique de création monétaire au niveau de la Banque Centrale Européenne dont les auteurs finissent par reconnaître qu'elle 'conduit à un déficit public' (cf p.15 dudit document in encadré de bas de page). Par égard pour les auteurs et les nombreux contributeurs de cette note qui ont travaillé plus d'un an pour l'élaborer, on évitera de s'appesantir sur la contradiction entre le titre du document et ce qu'il implique : ne pas creuser la dette et accroître le déficit. On retrouve ici le recours à une complexe logique d'ingénierie monétaire utilisée pour éviter de dire clairement aux citoyens des pays européens que la transition écologique repose sur des arbitrages difficiles qui supposent une réorientation concrète de leurs dépenses et in fine une baisse de leur niveau de vie actuel au sens matériel. Juste une question : peut-on imaginer programme plus technocratique, évitant soigneusement de poser démocratiquement la question du virage écologique et des abandons volontaires qu'il suppose ?

4 : «Choisir la social-écologie, cela veut dire ne pas seulement préserver un modèle obsolète, mais préparer un avenir intense en emplois, où l'on produit et consomme différemment», explique l'ancienne ministre Cécile Duflot in Interview à Libération le 04.04.2014.

5 : Voir à ce sujet notre analyse sur le programme de Nouvelle Donne, programme qui peut être pris comme un élément important de cette nouvelle configuration et dont on voit la proximité avec les travaux menés par Stéphanie Roy, Nicolas Bouleau, Jean-Luc Gréau et alii, dans le cadre de la Fondation Nicolas Hulot (voir note précitée, p.2).

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18 décembre 2013 3 18 /12 /décembre /2013 17:44

Un nouveau parti politique, Nouvelle Donne, clairement ancré à gauche, qui place au cœur de ses références le New Deal de Roosevelt jusqu’à en reprendre les initiales, qui parle d'une nouvelle donne démocratique, qui veut « changer le fonctionnement de nos institutions (pour) que nous, citoyens, nous reprenions la main », quoi de plus normal !

D'entrée de jeu, il est précisé dans le document intitulé 'Nos 20 propositions' que « le seul pays d’Europe dont les institutions ressemblent aux nôtres est la Roumanie : après la chute de Ceausescu, le Conseil de l’Europe a conseillé aux élites roumaines de s’inspirer des institutions françaises pour rédiger leur nouvelle Constitution au prétexte qu'après 20 ans de dictature, certains pensaient qu’un passage direct à la démocratie était trop risqué… »  

 

Que comprendre de cette appréciation ?

Que la Roumanie, qui commence une transition démocratique cahotante après le renversement de Nicolae Ceausescu le 22 décembre 1989, ne serait en dictature que depuis 1969 ? Oublié alors le coup d’État communiste du 6 mars 1945 ; oublié le « communisme d'épuration » qui, de 1945 à 1953, persécute des centaines de milliers de paysans rétifs à la collectivisation des terres et aux réquisitions, comme aussi les intellectuels ; passé par pertes et profits le « national-communisme » officiellement indépendant de l'URSS à l'extérieur, mais strictement totalitaire à l'intérieur, qui se met en place dès 1965 à la mort de Gheorghiu-Dej  le prédécesseur de Ceausescu. Et un début de soupçon ne peut être tu au sujet de ces oublis terribles quand il nous souvient de la longue connivence d'une grande partie de la gauche française avec l'aventure totalitaire communiste.  

Que comprendre encore quand il est écrit que les institutions françaises sont bien adaptées pour un pays qui veut éviter un passage direct à la démocratie, si ce n'est que la France n'est pas une vraie démocratie ou n'a fait que la moitié du chemin avec ses institutions ?  

En quatre lignes, réussir à dire que la Roumanie sous le joug communiste n'était pas une dictature, et que  la France d'aujourd'hui n'est pas réellement une démocratie, ça s'appelle poser le débat d'une façon bien étrange.  

 

Et concrètement, qu'est-il proposé dans ce court texte ?

En fait il est surtout indiqué ce que Nouvelle Donne ne veut plus : « Il est temps d’en finir avec cette monarchie constitutionnelle qui ne dit pas son nom. Ce Parlement aux ordres, ce premier ministre doublon ». Se dessine l'idée d'une république parlementaire (« une responsabilité accrue de l’Assemblée »), avec des députés (et des sénateurs ?) sans mandats locaux et priés de ne pas s'incruster dans une carrière (1), le tout rythmé par des propositions de lois d'initiative citoyenne aisément déclenchables (2) et par des référendums du même type, et couronné par un Président de la République sans trop de pouvoir (« en finir avec cette monarchie constitutionnelle »). Cela ne vous rappelle rien ? Tout cela correspond assez à une architecture type IIIème ou IVème République, animée par des élus politiques provisoires, mâtinée d'initiatives citoyennes, comme en écho aux débats sur la démocratie participative. Difficile d'en dire plus au sujet de cette 'nouvelle donne démocratique'. Toujours peut-on encore inférer du refus d'une monarchie constitutionnelle que le Président de la République ne serait plus élu directement par le Peuple.  

Même s'il n'est pas précisé le mode d'élection des députés (proportionnelle ? scrutin majoritaire à deux tours ? autre ?) (3), une telle configuration ne peut que laisser entendre que les partis politiques et leur appareil auront la part belle dans cette république, avec des élus n'ayant pas le temps et la surface électorale nécessaires pour s'imposer durablement, et avec un exécutif faible à la fois dépendant de l'Assemblée et soumis aux embardées que provoqueront des référendums qu'il ne pourra contrôler.  

Sans trop s'appesantir sur les travaux de Robert Michels (4) quant aux partis politiques et à leur fonctionnement, on peut toutefois être légitimement inquiet de la qualité de la représentation démocratique ainsi obtenue comme de la participation effective de manière directe ou indirecte des citoyens aux décisions : n'y a-t-il pas là le risque que « le pouvoir (soit) confisqué par une petite oligarchie », aboutissant ainsi, par une ruse dont l'histoire est familière, à provoquer ce que l'on prétend combattre (5) ? On ne peut que noter, là encore, une étrange similitude entre ce projet qui mettrait les partis politiques au centre de l'édifice institutionnel, et le projet politique soviétique où le parti dominait l'Etat, même si dans ce dernier cas il s'agissait d'un parti unique. Serait-on en présence d'une réminiscence partielle provenant du long compagnonnage de la majeure partie de la gauche intellectuelle française avec l'aventure bolchevique ?  

 

Qu'en dire de plus sinon que ce projet institutionnel est la figure inversée de notre actuelle organisation politique, conçue en réponse à la malheureuse expérience de mai-juin-juillet 1940 où la conjonction d'un exécutif faible et d'événements dramatiques a abouti à ce que l'Assemblée qui donna vie au Front populaire remit les pleins pouvoirs à Pétain, tordant le cou à la République. Une leçon d'histoire peut-être aussi oubliée que la dictature communiste en Roumanie à la fin de la guerre ...

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1 : Est prévu « un vrai statut de l’élu pour que les mots "carrière" et "politique" ne soient plus accolés et faciliter le retour à la "vie normale" à la fin du 2ème ou du 3ème mandat ». Source : le document-manifeste de Nouvelle Donne ('Nos 20 propositions'),  p 5/8.  

2 : « Tout texte ayant recueilli 300.000 signatures et conforme à la Déclaration européenne des Droits de l'Homme, doit être débattu par le Parlement au même titre qu’un projet de loi venant du gouvernement ». Source : Le document-manifeste de Nouvelle Donne ('Nos 20 propositions'), p 5/8.  

3 : Le mode d'élection des députés n'est pas un choix technique. Avec le scrutin majoritaire à deux tours que nous connaissons actuellement, un député est élu nommément par les électeurs de la circonscription où il s'est présenté, et des liens directs sont tissés entre l'élu et ses électeurs ; à tel point qu'il est assez fréquent qu'un député qui n'obtient pas aux élections suivantes l'investiture de son parti soit en mesure de se représenter et de l'emporter. Rien de tel avec le recours à la proportionnelle, où le plus important pour être élu est d'être placé en tête de liste par son parti et non de convaincre les électeurs : dans ce cadre les hommes politiques dépendent uniquement des décisions prises par l'appareil de leur parti. C'est cette règle qui est par exemple appliquée au moment des élections européennes. Il est aisé de voir que le pouvoir du parti est variable selon le mode de scrutin retenu.  

4 : L'œuvre principale de Robert Michels, publiée en allemand en 1911, s'intitule : Zur Soziologie des Parteiwesens in der modernen Demokratie. Pour la traduction française, parue en 1914 sous le titre 'Les Partis politiques', l'auteur a choisi ce sous-titre significatif : « Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties ».  

5 : Nouvelle Donne écrit en préambule de sa réflexion sur la démocratie : « Les citoyens ont de plus en plus le sentiment que le pouvoir est confisqué par une petite oligarchie : Il est urgent que nous, citoyens, nous reprenions la main. Pour cela, il faut créer une force politique nouvelle et changer le fonctionnement de nos institutions. » Source : le document-manifeste de Nouvelle Donne ('Nos 20 propositions'), p 5/8.

Sur ce sujet et sur ce site, voir également cet article intitulé 'Nouvelle Donne et Vieux Machin'.    

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2 décembre 2013 1 02 /12 /décembre /2013 11:04

Un vent un peu frais qui se met à souffler dans le monde endormi des partis … c'est le pari de Nouvelle Donne qui part d'un constat concret sur la crise et le retour impossible de la croissance des '30 glorieuses' pour proposer de changer notre façon de penser et d'agir. Comment ne pas entendre un mouvement citoyen qui refuse d'attendre la croissance comme sœur Anne, place le chômage au cœur de sa réflexion, propose des solutions concrètes pour aujourd'hui et intègre l'environnement dans sa démarche ? Difficile même de ne pas refréner une envie d'adhésion quand toute cette démonstration est placée sous les auspices protectrices du bon sens, en énonçant que « ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’ampoule électrique, ce n’est pas en mettant quelques rustines à un système qui s’effondre qu’on va construire une nouvelle société… pour sortir de la crise, il faut provoquer une vraie métamorphose. »

 

Maintenant, regardons le document-manifeste de Nouvelle Donne ('Nos 20 propositions').

La dénonciation de la croyance en la croissance et du refus de nos élites de voir la réalité, à savoir un contexte de croissance très faible, est clairement posée par Nouvelle Donne, et ne peut qu'être approuvée par tous ceux qui pensent que nous sommes arrivés au bout d'un modèle de société. Toutefois il y a plus à débattre sur l'origine de la crise ; selon Nouvelle Donne 'la crise vient d’un partage de plus en plus inégal des richesses', reprenant en cela l'antienne bien rodée de la gauche de la gauche. Mais est-ce si sûr ? Pour beaucoup d'économistes, la crise d'un pays comme la France provient d'une redistribution des cartes qui permet, dans une économie mondialisée, à des pays ayant des coûts de production inférieurs, souvent construits sur une politique de bas salaires, d'écouler sur nos marchés des productions autrefois élaborées chez nous. N'en déplaise à certains, nous ne sommes plus au temps colonial, où l'Occident pouvait imposer manu militari ses productions de tissus à des pays comme l'Inde et les maintenir ainsi dans la pauvreté. Et il n'y a pas que la mondialisation libérale pour expliquer la crise que nous vivons. Il y a le renchérissement des matières premières qui pèse sur les coûts et le pouvoir d'achat, et est bien une conséquence directe d'un effet de rareté qui se fait jour, effet de rareté généré par un mode de production et de consommation non approprié aux ressources minérales et biologiques de notre planète. Sans compter les rendements décroissants constatés dans l'agriculture après un demi-siècle d'exploitation sans mesure de nos terres cultivables ; et on pourrait en dire autant pour la pêche. Il y a encore la généralisation d'un mode de vie urbain, qui plus est dans des environnements pollués, générant des dépendances diverses, une demande marchande et sociale accrue, une augmentation des frais de santé ; tout ceci suppose, en plus de frustrations souvent vécues durement et parfois à l'origine de violences, des dépenses de plus en plus importantes prises en charge en partie par notre Etat-providence, et provoque des déficits qui alimentent à leur tour la crise. Bref la crise que nous vivons est plurifactorielle et complexe avec des facteurs qui interagissent entre eux, et il semble bien réducteur de penser, à l'instar de Nouvelle Donne, que « la cause fondamentale de la crise vient de la forte baisse de la part des salaires dans le PIB », en un mot qu'elle soit simplement la conséquence d'une mauvaise répartition.

 

Que propose alors Nouvelle Donne pour sortir de la crise ?

Dans son chapitre intitulé 'une nouvelle donne économique', ND centre son propos sur l’équilibre des finances publiques et la non-efficacité « d’augmenter les impôts de l’ensemble des citoyens qui gagnent trop peu » pour y arriver. La solution viendrait alors :

- d'une augmentation de l'imposition des entreprises au niveau européen ; avec un gain pour la France de 21 milliards d'euros, correspondant à ce qu’elle "donne" chaque année au budget européen.

- du refinancement des dettes publiques des états européens à un taux quasi-nul, c’est-à-dire en rendant la dette accumulée 'gratuite' tant qu'elle n'est pas remboursée,

- de l'empêchement des entreprises ayant des liens avec les paradis fiscaux de soumissionner aux marchés publics,

- de la participation accrue des classes moyennes et aisées au financement de l'Etat-providence.

Concrètement, il s'agit juste de faire payer par les entreprises et les classes moyennes et aisées le comblement des déficits publics tout en opérant un coup de passe-passe en ingénierie financière pour oublier la dette. Rien donc sur la nécessité de renouveler l'Etat-providence en le rendant plus efficace, rien sur les mesures à prendre pour résorber ou réduire les appels croissants à la solidarité par des pans entiers de la population en leur donnant les outils d'une résilience nécessaire, rien sur la transformation de nos modes de production-consommation, juste une politique fiscale favorable aux plus pauvres. Rien en définitive que de très classique pour un mouvement qui promeut « une nouvelle façon de penser le progrès social ».

 

Après 'la nouvelle donne économique', la nouvelle donne pour l'emploi.

Il s'agit ici et en premier lieu de « stopper l’hémorragie des licenciements secs comme unique réponse aux difficultés d'une entreprise » en préservant la communauté des salariés moyennant un partage du temps de travail et un quasi maintien -  95 % - du salaire (1). A noter que lorsqu'une entreprise est en difficulté, ce peut être une branche particulière de son activité qui pose problème, et le réemploi des salariés impactés dans le reste du groupe n'est pas aussi évident que ND le suppose. En clair, il y a dans l'idée d'un partage possible du travail entre tous, une vision simpliste de la communauté entrepreneuriale qui ne correspond que rarement à la réalité. En outre, comment une entreprise en difficulté pourra-t-elle payer des salariés travaillant à temps partiel comme s'ils travaillaient à temps plein ? Cette solution n'est adaptée qu'à des grands groupes ayant des ressources en réserve et/ou suppose une prise en charge financière par la puissance publique, source à nouveau de dettes ou d'impôts à venir. Même effet d'ailleurs quant à « la sécurisation des chômeurs et précaires en maintenant 90 % du revenu des salariés tombés au chômage, mais aussi des artisans et des patrons de PME, pendant 4 ans. » Quel coût pour l'assurance chômage !

ND propose aussi de « lutter contre les délocalisations en refusant le dumping social intra-européen et de négocier un traité de convergence sociale ». Mais est-il réaliste d'imaginer un SMIC roumain ou bulgare au niveau du français, même à moyen terme ? Cela ne signifierait-il pas la condamnation économique de régions européennes entières incapables de supporter un tel choc ? Peut-on imaginer de sauver nos emplois au détriment de nos voisins européens qui ont déjà payé si cher l'aventure communiste, en leur imposant des charges qu'ils ne seront pas en mesure d'absorber ?

Autre suggestion, « investir dans une vraie politique du logement en utilisant les 34 milliards du Fonds de réserve des Retraites » pour viser la construction de 800 000 logements et ainsi faire baisser, par le mécanisme de l'offre et de la demande, les loyers de 280 euros/mois. Ce qui donnerait du pouvoir d'achat aux ménages et « pourrait créer 150 ou 200.000 emplois dans les deux ans ». De même, « l'investissement massif dans les économies d’énergie, en particulier dans l’isolation de nos domiciles ... pourrait économiser en moyenne 1.000 euros par an et par ménage (et) créer 200.000 emplois en France». Avec un financement par la BCE, après négociation d'un Pacte Européen. Tout cela est bel et bon et s'inscrit dans ce que nous avons coutume d'appeler la transition écologique. Mais il ne nous faut pas oublier que cette opération repose sur un financement public européen (2) dont l'Union Européenne n'a pas aujourd'hui le moindre euro. Après tout qu'importe si cela peut être rentabilisé et donc solvabilisé par de futures économies d'énergie … et c'est là que le bât blesse : la rentabilité financière de l'isolation thermique de nos locaux est très faible ; même en intégrant une hausse sensible du coût de l'énergie, l'amortissement est souvent supérieur à 35 ans et les gains se révèlent tout juste capables de financer les intérêts d'emprunt (3). Et difficile de compter, pour accompagner cette transition écologique, sur la capacité d'investissement des propriétaires-bailleurs si, en application du point précédent, les loyers ont baissé (de 280 euros/mois pour 70 m2) et les revenus des bailleurs avec.

Dernier point avancé par ND, « un nouveau partage du temps de travail …pour que tout le monde ait une activité et un revenu décent », et référence est faite au travaux de Robert Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton, pour qui « l’administration Obama doit faire une réforme fiscale pour baisser le temps de travail sans baisser les salaires ». L'idée est séduisante, mais revient dans les faits à augmenter le coût horaire du travail, pour les entreprises comme pour le secteur public, si les salaires sont maintenus.

 

Quelle France dessinent alors ces propositions sociales et économiques ?

Une France avec un État et des collectivités territoriales sans grand changement mais moins pauvres avec un coût de la dette ramené à presque rien, des entreprises qui ne licencieraient presque plus, des chômeurs bien indemnisés et même en voie de disparition grâce à la fois aux 400 000 emplois dans la construction-rénovation et au partage du travail, des salariés travaillant moins, des familles habitant des logements bien isolés et non sujettes à la précarité énergétique, des locataires heureux avec des loyers moins chers et du pouvoir d'achat en plus, et beaucoup moins d'impôts pour tous les 'petits'.

Il faudrait être fou pour refuser ce monde-là !

Regardons toutefois, avant d'être emporté par trop d'enthousiasme, les mécanismes qui sous-tendent les choix précités et leurs effets probables.

 

Tout ceci implique :

- pour les entreprises des charges et des contraintes augmentées : hausse du salaire horaire du fait de la réduction du temps de travail, hausse des impôts sur les bénéfices de 21 milliards, hausse des charges pour financer des indemnités de chômage plus généreuses, quasi-interdiction de licencier en cas de difficultés économiques) ; c'est-à-dire l'exacte contre-pied de ce qui est admis aujourd'hui par une majorité d'acteurs, à savoir la restauration de la compétitivité de nos entreprises.

- pour les ménages moyens et aisés des hausses d'impôt significatives, via une progressivité augmentée, pour contrebalancer en partie la diminution des prélèvements des petits revenus et pour rembourser les nouveaux engagements ; et pour ceux qui ont investi dans le logement de leurs compatriotes, ils pourront aussi être affectés par une baisse de rendement des rapports locatifs, pouvant  aller jusqu'à les mettre financièrement en danger en les rendant incapables de rembourser les prêts souscrits. Il n'est pas non plus interdit de penser que la baisse drastique des taux envisagée pour refinancer les dettes publiques anciennes ne sera pas sans influence sur les rendements des contrats d'assurance-vie largement investis en obligations d’État.

En résumé, des entreprises encore moins compétitives, les ménages constituant le socle de notre société encore plus sollicités par l'impôt et voyant leurs marges financières réduites, un secteur immobilier déstabilisé par une déflation brutale, le tout associé à une sollicitation toujours plus grande de la Banque Centrale Européenne pour financer à milliard la réduction des intérêts des dettes publiques et un 'grand Plan européen Énergie Climat Pouvoir d’achat'. Faut-il ajouter que ce programme prévoit aussi des évolutions européennes que nous n'avons aucune chance de faire accepter à nos partenaires ?

 

Qui peut croire à la viabilité d'un tel programme ?

Celui-ci mélange habilement l'oubli des contraintes pesant sur les entreprises dans le cadre d'un marché concurrentiel, et la pratique de l'endettement rappelant les politiques monétaires keynésiennes tout en raisonnant dans le contexte d'une croissance zéro ou approchant. A voir de tels raisonnements oublieux du réel, reprenant in fine certaines des thèses abracadabrantesques de la gauche de la gauche mâtinées d'un soupçon d'écologie et d'économie, promouvant des fuites en avant à terme désastreuses pour jouer sur une facilité immédiate, n'hésitant pas à citer Théodore Monod (4) pour mieux le détourner, il y a de quoi être comme 'un mouton enragé'. Qu'est-il proposé via les emprunts et les manipulations monétaires autour de la Banque Centrale Européenne (BCE), via une fiscalité concrètement impossible, via une vision simpliste de la vie économique, sinon « des complicités faciles, des démissions, des esclavages » à terme ?

 

A ce stade il faut revenir sur l'équation que prétend résoudre Nouvelle Donne dont l'inspiration est le New Deal de Roosevelt et non un bréviaire trotskiste. Pour ND il faut acter que nous sommes entrés dans une période de croissance très faible, que celle-ci génère et va générer un chômage de plus en plus important et un appauvrissement des plus faibles jusqu'à porter les tensions sociales à un point de rupture. La réponse politique que Nouvelle Donne propose consiste en 4 points principaux :

- un allègement des charges sur les petits revenus,

- une politique de containment des licenciements en forçant les entreprises à préserver la communauté salariale, accompagnée d'une politique de partage du travail,

- une politique de relance par des travaux à but écologique financés par la création monétaire,

- la suppression du coût de la dette publique en ramenant les intérêts dus à presque zéro.

Or, cela a été dit plus haut, ce programme n'est pas supportable dans une économie de marché ouverte sur le monde, et son application, avec entre autres une paupérisation des classes moyennes, une paralysie des entreprises et une fuite en avant par la dette, nous ferait rencontrer très vite un autre point de rupture, si tant est que le reste du monde accepterait les tours de passe-passe financiers prévus.

 

En résumé, l'essence du programme de Nouvelle Donne, c'est de prolonger la croyance en la possible continuation de notre monde actuel, en prenant les mesures nécessaires de telle sorte que l'absence de croissance économique ne rende pas ledit monde insupportable aux petits et aux laissés pour compte de notre société. Et ce n'est pas sa coloration écologique caractérisée à la fois par le constat d'une croissance envolée et par une politique de grands travaux d'isolation thermique qui en font le programme nouveau, avec changement de paradigme à la clé, capable de nous sortir de la crise dans laquelle nous sommes.

 

Pour reprendre les mots de Théodore Monod, il n'y a pas de refus, il n'y a pas de ruptures avec Nouvelle Donne. Mais est-ce si surprenant de la part d'un mouvement qui d'entrée de jeu s'est enfermé dans une vision unidimensionnelle, orientée sur le partage des richesses, des causes de la crise (5), évitant soigneusement de s'interroger sur notre mode d'habiter, sur notre démographie, sur nos manières collectives de consommer et de produire, sur cette civilisation urbano-industrielle qui organise la dépendance de tous pour tout, sur nos rapports à la technique et au vivant, sur l'intérêt qu'il y aurait à promouvoir une vita povera (6), sur nos façons bien à nous de vivre et d'être au monde ?

 

Et nous commençons à toucher là ce qui est inquiétant. Comment un mouvement comme Nouvelle Donne dont les raisonnements de fond sont aussi pauvres, avec des schémas dont le simplisme égale l'incohérence, et qui de facto ignore superbement tout ce que la pensée écologique a pu produire depuis un demi-siècle de réflexions sur la subtilité des choses et de mises à distance critique d'un monde qui dévore la planète, comment un tel mouvement peut-il recevoir la caution de penseurs qui ont construit leurs travaux sur la complexité de la complexité ? Il faut que la crise soit profonde, jusqu'à troubler à ce point les esprits. Comme si le sol se dérobait sous nos pas. J'avance que ces troubles-là m'inquiètent plus que le film sans cesse repassé de la renaissance de 'la bête immonde'. Tout devient possible, même le pire.

 

Post Scriptum : il peut être tentant de reprocher à cet article de fonder ses critiques sur un manifeste élaboré dans le bouillonnement de l'accouchement de Nouvelle Donne, et de profiter ainsi des failles inévitables d'un document établi à la hâte, dans le bruit et la fureur ; je m'inscris en faux contre cette éventuelle défense, pensant bien au contraire que c'est dans ces moments-là qu'un mouvement se dévoile, avant d'avoir revêtu carapace et langue de bois.

___________________________________________________________________________ 

1 : La phrase exacte est : « quand une entreprise est en difficulté, garder l’ensemble des salariés en baissant le temps de travail et en maintenant 95 % du salaire. » Source Nouvelle Donne – Nos 20 propositions, p 3/8. Cette position, intéressante pour les salariés évidemment, a toutefois un inconvénient ; elle tend à supposer que les difficultés sont passagères : une panne ponctuelle, un trou d'air. Mais que faire quand l'entreprise intervient sur un secteur définitivement en déclin ? Cette position laisse entendre que l'entreprise sera capable de se régénérer en changeant de métier pour conquérir de nouveaux marchés tout en gardant l'intégralité de son personnel. Malheureusement l'expérience montre que cette solution n'est qu'exceptionnelle et que dans la majorité des cas, c'est le principe schumpétérien de la destruction créatrice qui s'applique, avec tous les dégâts qu'on connaît.

2 : « Pour sauver les banques, la BCE a mis 1.000 milliards sur la table. Pourquoi ne pas en faire autant pour sauver le climat et faire baisser nos factures de chauffage ? » Source Nouvelle Donne – Nos 20 propositions, p 4/8. Il est significatif que Nouvelle Donne reprenne le vocabulaire de la gauche de la gauche en évoquant le sauvetage des banques, alors qu'il s'agissait en fait de sauver notre monnaie commune pour éviter une catastrophe économique majeure qui nous aurait tous affecté.

3 : Voir sur ce même site : La révolution thermique de l’habitat, entre évidence et impossibilité. 

4 : « La civilisation, la vraie, se construit non sur des complicités faciles, des démissions, des esclavages mais sur des refus, des ruptures »  Théodore Monod. Source Nouvelle Donne – Nos 20 propositions, p 8/8.

5 : « Dire la vérité, c’est affirmer clairement que la crise vient d’un partage de plus en plus inégal des richesses ». Cette phrase s'inscrit bien dans le droit fil des avatars de la pensée marxiste, faisant de la captation de la plus-value le thème majeur.  

6 : " Vita Povera, l'expression a été construite en parallèle à celle d'Arte Povera ; ainsi la pauvreté n'est pas incompatible avec la beauté, l'énergie, la joie de vivre. Ce concept de Vita povera veut donner toute sa place à une vie moins matérialiste et plus harmonieuse, pleine de viridité, tournant le dos à l'exploitation de l'homme par l'homme, laissant libres des espaces sauvages où la vie des plantes et des animaux se régulerait sans nous et s'épanouirait pour que tous sur Terre aient leur place, et nos rêves aussi. Il est toutefois différent de celui de sobriété heureuse défendu notamment par Pierre Rabhi ; il insiste plus sur l'idée de pauvreté afin de marquer notre défiance vis-à-vis des nombreux discours écologisants qui tentent de maquer l'importance des changements et des sacrifices matériels à prévoir." Source : Moins Nombreux, Plus heureux, Ouvrage collectif préfacé par Yves Cochet et coordonné par Michel Sourrouille, art. Penser la dénatalité, un exercice difficile, Jean-Christophe Vignal, p.175, Editions Sang de la Terre, quatrième trimestre 2013, à paraître.

Sur Nouvelle Donne et sur ce site voir également cet article qui évoque et critique les propositions institutionnelles avancées par ND.

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 15:24

Interrogation latente, remise au goût du jour à chaque élection, cette question nous laissera éternellement sur notre faim. La gauche et la droite ne constituent pas des objets matériels implicitement définis, ce sont des concepts construits. Chacun étant libre de les appréhender, de les définir, on pourrait presque dire de les " ressentir " comme il l’entend, la réponse ne peut engendrer l’unanimité. Cet empêchement intrinsèque n’interdit pas de se pencher sur ces affaires d’étiquette et d’en souligner quelques particularités.  

L’une des difficultés résulte de ce que la distinction entre droite et gauche ne se cristallise pas sur un axe unique mais peut se décliner autour de plusieurs lignes, parfois sans rapport simple les unes avec les autres. L’économie, l’histoire, la politique, constituent autant de domaines sur lesquels peuvent être indépendamment définies ces deux notions.

 

Sur le plan économique d’abord. On peut admettre que l’idéologie de droite regroupe les points de vue souhaitant donner l’essentiel de l’initiative aux agents individuels. Elle fait sienne l’idée que la meilleure façon de subvenir aux besoins des hommes est de laisser faire les forces de marché. Si un besoin apparait, la plus grande liberté d’entreprendre est la meilleure garantie pour que ce besoin se trouve satisfait. Coté consommateur, le marché offre a chacun, dans des conditions de rareté données, l’occasion de faire la meilleure allocation possible de ses ressources. Elle affirme la supériorité d’un principe général d’optimisation censé être plus efficace que tout système de planification. Cette idéologie, dominante dans les faits, sinon dans les discours, a permis, ou, pour être le plus prudent possible, s’est trouvée temporellement corrélée, à la formidable expansion économique des 150 dernières années. De façon indirecte l’économie de marché et l’idéologie qui la sous-tend ont donc bien engendré les problèmes écologiques liés à cette même expansion (problèmes qui cependant se seraient certainement et également posés avec tout autre moteur d’expansion). L’idéologie de gauche, au contraire, rejette fondamentalement ce pouvoir optimisateur du marché et prétend que c’est l’organisation collective des hommes (les Etats, les associations, les mouvements politiques…) qui doit gérer et orienter les productions et la plupart des activités humaines afin de répondre au mieux à nos aspirations.

Sur cet axe économique, l’écologie serait plutôt de gauche tant certains problèmes, par leur caractère global, comme la pollution ou la disparition des espèces, peuvent difficilement être appréhendés par le marché. Certains mécanismes de marché pourraient même se révéler particulièrement " vicieux ". Ainsi, si l’air devenait à ce point irrespirable qu’il faille le faire payer, nos économies y trouveraient sur le plan comptable un avantage et une source de croissance, sans que concrètement la vie soit plus agréable et nos besoins mieux satisfaits, tout au contraire. Rien ne prouve que dans ce cas, le cumul des actions des acteurs individuels cherchant soit à se procurer, soit à produire et à vendre de l’air respirable conduisent à une meilleure satisfaction globale de notre besoin d’oxygène, besoin par ailleurs parfaitement satisfait dans les sociétés les moins développées. Le même type de raisonnement pourrait s’appliquer par exemple à la protection des réserves halieutiques. La sommes des intérêts individuels des pêcheurs et des consommateurs de poissons peut très bien in fine conduire à vider les mers. Ce sont là des éléments qui laissent penser qu’une démarche écologique de protection de la nature s’accorde mal avec une idéologie libérale. L’écologie serait donc bien de gauche ou du moins devrait s’inspirer des principes et du mode d’appréhension propre à ce qu’on appelle communément la gauche : favoriser les actions collectives et organisées.

Deux premières retenues doivent cependant tempérer cette conclusion

Localement on peut admettre que des mécanismes de marché participent à la préservation de l’environnement. C’est par exemple le cas des réserves de biodiversité créées sous la pression d’agents économiques locaux pour maintenir le tourisme et l’intérêt des investisseurs en ce domaine (notons que concrètement la création de ses réservent exigent quand même une législation). Il semble par contre improbable que ces mécanismes soient généralisables au monde entier. La taxe carbone elle-même, si elle doit prendre un jour quelque importance, sera bien un mécanisme de marché mais dont l’existence même aura été imposée par la puissance publique.

L’autre réserve concerne la réalité des faits. Deux grands exemples d’économie planifiée ont existé dans l’histoire récente : les communismes chinois et soviétique, dans les deux cas et pour un niveau de production beaucoup plus faible que celui de l’occident capitaliste, la préservation de l’environnement n’a pas été exemplaire, loin de là. A niveau de PIB égal, ces sociétés polluaient et massacraient l’environnement plutôt plus encore que les sociétés capitalistes, même si la Russie a été partiellement préservée du fait de sa faible densité de peuplement. Cette leçon ne doit pas être oubliée.

Une troisième nuance enfin peut être ajoutée. En pratique les sociétés ne s’organisent jamais autour de versions aussi caricaturales des principes libéraux ou socialistes. Ainsi nos sociétés Occidentales majoritairement considérées comme capitalistes sont en réalité très marquées par des principes collectivistes. Par le poids des prélèvement obligatoires d’abord, une partie significative de la production sans doute autour de 50 % dépend en fait de l’action de l’état. A ceci s’ajoute bien évidemment une impressionante masse de réglementations en croissance ininterrompue qui encadre toujours plus les voies où peuvent s’appliquer les libertés des acteurs individuels, producteurs ou consommateurs. Cette inflation de règlements est une excellente illustration de notre soumission (obligée ?) à un principe d’organisation venant tempérer les préceptes libéraux.

 

Sur le plan politique, définir la droite et la gauche est le premier écueil. La question du conservatisme peut constituer une ligne de partage, la droite serait conservatrice tandis que la gauche serait novatrice et plus favorable à l’évolution des structures sociales. Notons qu’en fonction de l’Histoire, cette définition entre parfois en contradiction avec le point de vue économique précédent. Ainsi dans les sociétés ayant connu des économies planifiées au cours du dernier siècle, le conservatisme est du côté du socialisme et la gauche constitue plutôt le versant libéral. La difficulté d’analyse se trouve augmentée par le fait qu’à ces distinctions d’orientations économiques se superposaient des visions différentes du concept de démocratie. Les économies planifiées avaient une conception très particulière de la démocratie déniant, au nom de lui-même, tout pouvoir au peuple, dans une dialectique que seul un marxiste bon teint était susceptible de comprendre, d’accepter et plus encore de propager.

Ce point précisé, si l’on pose que la droite représente le conservatisme, alors on peut admettre que l’écologie est fondamentalement de droite. Il se trouve en effet au fond de l’idéologie de gauche l’idée que tout est possible ; que les hommes libérés des pressions du " grand capital " et de toutes les oppressions sociales seront capables de s’organiser au mieux et sauront imposer des lois justes et efficaces, lois face auxquelles aucune contrainte matérielle ne saurait s’opposer. C’est là, hélas, une négation de la réalité physique du monde. On le voit particulièrement bien dans les débats autour de la surpopulation, une large partie de la gauche ne veut pas entendre parler du problème. Imaginer que notre trop grand nombre puisse poser un problème à la nature est interdit, seuls peuvent être responsables le capitalisme et sa soif de profit. Pourtant la Terre ne grandit pas et la consommation d’espace par les hommes au détriment de toutes les autres espèces est une réalité dont aucune organisation sociale ne pourra faire abstraction. Ajoutons que pour la gauche, s’attaquer au nombre serait s’attaquer au peuple, crime de lèse-majesté s’il en est.

Si le conservatisme, dans sa conception la plus pure, c’est-à-dire l’acceptation qu’au-delà des lois des hommes existent des lois physiques et des contraintes universelles auxquelles il n’est pas honteux, mais au contraire sage de se soumettre, est un concept de droite, alors oui, l’écologie bien comprise est de droite, fondamentalement.

Comme les choses ne sont jamais simples, admettons toutefois que la gauche puisse avoir sa revanche. On peut en effet considérer que globalement depuis la révolution industrielle l’humanité a perdu tout sentiment de dépendance vis-à-vis de l’ordre naturel (sentiment qui a perduré dans les sociétés dites primitives). Le natalisme forcené que nous reprochions à la gauche est d’ailleurs largement partagé par la droite. Changer de paradigme et d’attitude en remettant la nature au centre de nos préoccupations serait alors une démarche progressiste et donc de gauche.

 

Sur le plan historique enfin, ou plutôt sur le plan de l’histoire du rattachement politique des mouvements écologistes, les choses ne sont guère plus claires et plus décidables. En France, en 1974, René Dumont qui inaugurait l’entrée de l’écologie sur la scène médiatique proposait une certaine indépendance vis-à-vis de la césure droite/gauche, il parlait des problèmes d’écologie, de surpopulation, mettait en cause la croissance et se heurtait de ce fait avec un égal courage aux deux idéologies dominantes. Depuis l’écologie politique a connu moult bouleversements et les disputes internes et incessantes de ces mouvements constituent d’ailleurs l’axe d’attaque privilégié de tous leurs caricaturistes. Si des dirigeants comme Brice Lalonde ou Antoine Waechter ont également œuvré pour une certaine indépendance politique, depuis une dizaine d’années, le mouvement écologique majoritaire, aujourd’hui EELV, a investi le champ politique traditionnel et s’est clairement positionné à gauche (se coupant ainsi d’une partie de ses électeurs potentiels et prêtant le flanc aux soupçons d’opportunisme dans une période où la gauche espère retrouver le pouvoir). Pas de discussion possible sur ce point, si les concepts de droite et de gauche sont définis par les hommes qui prétendent se rattacher à ces tendances, alors si les écologistes se disent de gauche, ils le sont, mais il ne s’agit là, bien sûr, que d’une tautologie.

 

Si la pertinence d’une question se mesure à celle de sa réponse, alors cette dernière : " L’écologie est-elle de gauche ? " est une mauvaise question dans le sens où elle n’aura d’autre réponse que celle de notre arbitraire. Il ne faut donc pas la mettre au cœur de nos polémiques, cela reviendrait à lui accorder une importance injustifiée.

Nous marquerons plus de respect envers l’écologie en rappelant qu’elle est l’exigence essentielle de notre siècle (et des suivants, désormais elle accompagnera toute l’Histoire de l’humanité du fait de son pouvoir technologique sur la planète).

Exigence sur le plan pratique dans la mesure où toute autre question sera sans objet dans un monde dévasté, l’écologie l’est surtout sur le plan moral : La beauté du monde nous impose le respect et la capacité de souffrance du vivant nous y oblige.

 

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3 février 2012 5 03 /02 /février /2012 07:04

 

Engagement à gauche – Accord avec le PS – Stratégie centrale – Crise économique – Crise écologique – Majorité centrale – Systèmes sociopolitiques de tenségrité – Sortir de l’illusion politique –

EELV – PS – François Hollande – Eva Joly – Nicolas Hulot – Paul Brousse – Thierry Billet – Jean-Luc Bennahmias – MODEM – François Bayrou – Alexis de Tocqueville – Jacques Ellul


Il y a la stratégie maintenant bien connue d’EELV, cette organisation issue du mariage d’Europe Ecologie et des Verts, et que ces derniers ont peu à peu contrôlée en s’appuyant sur leur maîtrise de l’appareil. Cette stratégie est située clairement à gauche, s’appuyant sur le maniement de thèmes volontiers abordés à la gauche de la gauche et concrètement positionnée dans une logique d’association avec la force dominante de ce camp, le Parti Socialiste.

Cette stratégie a plusieurs avantages. D’abord la clarté. Ensuite elle permet de surfer sur la vague d’antisarkosysme assez bien ancrée dans le pays. Elle donne surtout la garantie d’avoir une représentation à l’Assemblée Nationale autre que symbolique, par le biais de circonscriptions réservées par le Parti Socialiste, passant ainsi par-dessus les contraintes du scrutin majoritaire. Elle autorise aussi l’espoir d’être associé à l’exercice du pouvoir si le candidat socialiste François Hollande l’emporte, et de verdir son programme. Elle est enfin une réponse simple à tous ceux qui considèrent que la logique de 2007 du Pacte Ecologique défendue par Nicolas Hulot, spéculant sur la bonne volonté des acteurs politiques, s’est fracassée sur l’échec, même relatif, du Grenelle de l’Environnement. Dans ce cadre la présentation de la Dame aux lunettes rouges à la présidentielle n’est qu’une opération marketing d’occupation du terrain, et le nombre de voix récoltées importe in fine relativement peu.

La vérité oblige à dire que cette stratégie est aussi l’expression d’une vision politique et des conditions du changement à conduire. Elle est construite sur la perception d’une société où globalement seules les erreurs, les fautes ou l’avarice de quelques-uns ou d’une classe sociale expliquent une situation sociale et écologique insupportables.

 

L’autre stratégie ou la stratégie centrale

Il y a une autre stratégie, moins mise en scène mais néanmoins bien présente. Je veux parler ici de tous ceux qui font le pari qu’un véritable changement dans la France d’aujourd’hui, plombée par un chômage et une dette souveraine qui ne sont que la double résultante d’un modèle d’Etat-providence en faillite et d’une mondialisation impensée, ne peut se faire qu’avec une majorité centrale construite autour d’objectifs clairs, rompant ainsi avec la paralysie engendrée depuis 30 ans par un jeu permanent de délégitimisation de tous les choix courageux par une opposition expliquant à chaque fois qu’une autre solution moins douloureuse est possible. Ce jeu pervers d’une démocratie bipartisane est venu à bout en quelques décennies des atouts d’un pays pourtant riche, où l’alternance politique n’a ni produit le changement ni promu la capacité d’adaptation mais tout au contraire a renforcé les pesanteurs et les rentes de situation. Cette analyse n’est pas le fait d’écologistes mais de personnes venant d’horizons différents et percevant mieux que d’autres les limites de cet exercice du pouvoir face aux impératifs qui sont devant nous.

Des écologistes se sont d’autant plus ralliés à cette stratégie qu’ils ne trouvent plus leur place chez les Verts où les exclusives fleurissent, ou qu’ils souhaitent à l’image des socialistes possibilistes réunis autour de Paul Brousse à la fin du XIXème ‘penser la question du pouvoir sous l’angle de son exercice pratique à l’échelon local’ (1), en s’associant aux exécutifs de bonne volonté qu’ils soient de droite ou de gauche. Ralliement à une stratégie centrale que de nombreux écologistes considèrent d’autant plus nécessaire qu’ils diagnostiquent, en sus d’une crise économique et financière majeure, un avenir encore plus chahuté par les contraintes écologiques, que notre monde industriel s’obstine à ignorer ou à tout le moins minore gravement en s’illusionnant sur les sirènes du développement durable compris comme ‘un développement qui dure’ pour reprendre la formule de Jean-Luc Bennahmias.

Il y a peut être là la racine d’un paradoxe pour le petit monde des écologistes.

En effet, ce sont les écologistes les plus lucides sur les changements à apporter à notre société de croissance, ceux qui évaluent que ce n’est pas seulement en contrôlant les méchantes compagnies pétrolières par la grâce d’une extension du pouvoir politique que la question de l’énergie se pose, ceux qui perçoivent qu’une société écologique et durable ne pourra fonctionner qu’en remettant en cause le présent modèle d’hyperconsommation confortable et douillet dont les populations en Occident notamment sont friandes pour se diriger vers une sobriété de bon aloi et une ‘vita povera(2) construite autour des valeurs humanistes que nous avons su faire émerger au fil de notre histoire, ceux qui savent que nos enfants ne pourront pas vivre mieux que leurs parents avec toujours plus d’objets et de services à disposition parce qu’une bonne partie de notre mode de vie d’aujourd’hui est gagée sur le pillage de ressources non renouvelables et sur une fabrication industrielle non respectueuse des principes de sûreté et de qualité, ce sont ces écologistes là, moins enclins que d’autres à croire aux retombées rapides de la recherche&développement pouvant nous exonérer d’efforts difficiles, plus conscients de la situation, plus radicaux parce que plus conscients, ce sont ces écologistes-là qui se rallient à la solution politique du recours à une majorité centrale qui peut leur paraître comme seule à même de pouvoir impulser les orientations délicates nécessaires.

Ainsi ce sont les écologistes les plus exigeants, ceux qui même s’ils évitent le mot trop connoté de décroissance savent que le virage à prendre est rude et touchera tout le monde, qui politiquement n’hésitent pas à paraître plus modérés en se ralliant présentement au MODEM, ce parti qui essaie de se dégager de ses origines centristes pour s’imposer comme l’outil futur d’une majorité centrale à même de porter les réformes indispensables.

 

Le choix de la tenségrité (*)

Comme tout choix politique, c’est un pari. Qui peut produire des fruits à court comme à moyen terme, ou ne déboucher que sur une impasse. Ce choix du recours à une majorité centrale pour passer un cap comporte pour les écologistes, c’est ma thèse, deux atouts majeurs que la stratégie choisie par EELV ignore aujourd’hui.

D’une part il autorise une alliance de valeurs portées par la droite et par la gauche.

Comment imaginer qu’une société écologique moderne ne soit pas plus égalitaire (valeur de gauche) pour diminuer notamment les stratégies d’imitation sociale débouchant sur des surconsommations, et appuyée sur une responsabilisation accrue (valeur de droite) seule à même de limiter à la source les gaspillages de toute sorte ? Espérons que l’alliance de ces deux valeurs puisse mettre notre société sous tension et lui donner une dynamique à même de la rendre apte aux évolutions indispensables.

De même défendre une cohabitation dynamique entre un système institutionnel représentatif et efficace de type Vème République (valeur de droite) et une démocratie directe très active (valeur de gauche) pourrait libérer des énergies fantastiques.

Ou faire travailler ensemble des institutions garantes des intérêts de long terme (écologie contraignante) avec nos institutions actuelles principalement conçues pour exprimer les besoins de court terme (demande sociale).

Vouloir jouer dans le même mouvement sur des valeurs contradictoires, ne pas faire gagner une partie sur une autre, c’est cela le choix de la tenségrité, un choix qui consiste à percevoir notre société comme un système traversé de forces contradictoires et qui va utiliser les tensions générées aussi bien que les relâchements, les accords, les oublis, les plis de nos organisations, comme un moyen de faire bouger les choses, une énergie pour dynamiser la société tout en ne la cassant pas (3). En fait, travailler sur les systèmes de tenségrité sur le plan de la gestion de nos sociétés est sans doute une des clés de notre avenir, le moyen d’adapter au plus vite qu’il est possible une société qui s’est crue trop longtemps infinie dans son expansion et qui se heurte brutalement aux limites de son biotope, en évitant autant que faire se peut la casse sociale et politique. Pour ce qui nous occupe, la tenségrité, c’est une tentative de réponse à la complexité paralysante de nos sociétés démocratiques, c’est un moyen de sortir par le haut d’un modèle de fonctionnement collectif incapable jusqu’à présent de piloter les changements nécessaires, c’est la culture systémique adaptée à la politique, peut-être est-ce une piste de réponse aux questions sur la démocratie soulevées par Tocqueville.

D’autre part, seule une majorité centrale permet dans un temps bref, et ceci est important dans un moment de crise économique majuscule et d’urgence écologique, d’éviter les arguments simplistes seulement aptes à masquer les enjeux, d’intégrer dans la gestion de nos sociétés la logique des rétroactions que l’écologie a découvert dans l’étude des écosystèmes, de jouer subtil dans un monde complexe et de dépasser le stade primaire de la dénonciation du bouc émissaire, pour arriver enfin à une société capable de se regarder telle qu’elle est et de faire un travail collectif sur elle-même en jouant de tous ses atouts et de toutes ses caractéristiques, de ses forces de tensions comme de ses zones d’apaisement.

Il n’est pas possible de savoir quelle sera la stratégie gagnante, quelle sera celle qui ouvrira l’avenir. Mais ce que je crois, c’est que l’abandon de la facilité, le mélange de modestie de rigueur et d’intelligence, le choix de s’appuyer sur l’ensemble de nos valeurs, est la conditio sine qua non pour sortir de l’illusion politique dénoncée par Jacques Ellul et trouver enfin les moyens d’agir dont nous avons tant besoin.

___________________________________________________________________________________________________ 

(1) citation extraite de 'La dérive réformiste du socialisme municipal ou ‘possibiliste ’ ' in La Revue Historique, T.285 janvier-mars 1991.   Un exemple de ce choix est l’action menée par l’écologiste Thierry Billet, devenu Maire-Adjoint d’Annecy.

 (2) L’expression est construite en parallèle à celle d’arte povera ; ainsi la pauvreté n’est pas incompatible avec la beauté, l’énergie, la joie de vivre. Mais ce concept de vita povera est toutefois différent de celui de sobriété heureuse défendu notamment par Pierre Rabhi ou de simplicité volontaire exprimé par Paul Aries. Il insiste plus sur l’idée de pauvreté afin de marquer une distance sinon une défiance vis-à-vis des nombreux discours écologisants qui tentent de masquer l’importance des changements et des sacrifices matériels à prévoir.

(3) Ces alliances entre valeurs a priori contradictoires pourraient générer un état de tenségrité propre à permettre des évolutions sociales, politiques ou culturelles très fortes tout en maintenant une stabilité globale du système social. Ne pas casser la société est aussi important, nous sommes bien placés en France pour savoir ce que peut coûter le changement, nous qui avons inventé les Droits de l’homme et la Terreur dans un même mouvement révolutionnaire.

(*) La tenségrité, pour le dire simplement, c’est la faculté d’un système à se stabiliser mécaniquement par le jeu de forces de tension (continues) et de compression (discontinues), qui s’y répartissent et s’y équilibrent. Ce concept a été construit par Richard Buckminster Fuller en 1949 à partir des mots tensilité et intégrité. Ce phénomène existe dans la nature (cf. l’exemple de la rhubarbe à la fois souple et rigide) comme en architecture (voir la Géode au Parc de la Villette à Paris) ou en médecine (le jeu de nos os et de nos muscles, cf.’La tenségrité, une nouvelle compréhension du mode d’action des manipulations vertébrales’, Congrès FAEMMO du 21.03.2009, Lille, Atelier CIMMA).

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27 janvier 2012 5 27 /01 /janvier /2012 19:44

 

Aujourd’hui l’écologie politique n’est pas audible dans la campagne présidentielle, cet unique moment qui permet une fois tous les 5 ans de déterminer concrètement la politique de la nation. Cela n’en est que plus consternant quand on ne peut que constater l’urgence écologique. Trois ans pour sauver le monde, disent-il (1) … !

Il est alors tentant d’accuser d’impéritie la candidate des verts, Eva Joly. Ou de reprocher le mauvais choix faits l’an dernier par les militants et sympathisants d’Europe-Ecologie-Les-Verts en éliminant un animateur de télévision reconnu et porté sur l’écologie, je veux nommer ici Nicolas Hulot. Ou encore d’incriminer l’inaudible campagne de la persévérante Corinne Lepage. Bien sûr on peut penser que les campagnes pourraient être mieux menées, mieux construites, mieux soutenues par les appareils écolos, mieux relayées par les milliers de citoyens engagés ou sympathisants de la cause de la nature.

Mais cet échec politique, et c’est l’objet de la réflexion que je souhaite mener ici, va bien au-delà de campagnes mal menées par ces personnalités estimables qui n’en peuvent mais.

Faut-il rappeler le score désastreux de l’ancienne ministre Dominique Voynet en 2007 ? Et les palinodies qui entourèrent la campagne des verts en 2002 avec le plantage de la candidature militante d’Alain Lipietz et son remplacement au pied levé par l’ancien journaliste Noël Mamère ?

Faut-il se souvenir de la guéguerre fratricide qui domina les années 80 entre Brice Lalonde, l’ancien et talentueux leader des Amis de la Terre, candidat des écologistes en 1981, et l’écologiste scientifique Antoine Waechter, candidat en 1988 ?  

Les résultats parlent d'eux mêmes :  

Présidentielles de :           Candidats Résultats
             
1974 René Dumont   1,32 %
1981 Brice Lalonde   3,87 %
1988 Antoine Waechter   3,78 %
1995 Dominique Voynet   3,32 %
2002 Noël Mamère   5,24 %
2007 Dominique Voynet   1,57 %
2012 Eva Joly (*)   3,00 %
2012 Corinne Lepage (*)   0,50 %

 

 (*)   En 2012 pour Eva Joly et Corinne Lepage, il s'agit bien entendu des intentions de vote selon la majorité des sondages trois mois environ avant l'élection.

Les écologistes en quarante ans n’ont pas réussi à percer, alors que le mouvement pour l’écologie et la défense de la nature a immédiatement bénéficié, dès la seconde partie des années 70, d’un capital de sympathie dans l’électorat et que plusieurs de leurs thèses ont été confortées par les faits et par la recherche scientifique, comme le risque du nucléaire civil avec les accidents de Tchernobyl et de Fukushima, comme le réchauffement climatique et ses effets majeurs à en attendre dans ce siècle, ou comme l’épuisement du vivant à travers la disparition constatées d’espèces multiples ou la raréfaction de la ressource halieutique, sans compter les conséquences de mieux en mieux perçues et repérées d’un environnement pollué pour l’homme, que ce soit par les pesticides ou les métaux lourds ou d’autres substances encore directement générées par notre civilisation industrielle.

Les écologistes en quarante ans n’ont pas réussi à percer et pourtant, parmi les candidats écologistes précités, trois ont été ministres de la République, Brice Lalonde, Dominique Voynet, Corinne Lepage, et ont à ce titre bénéficié à la fois d’une exposition politico-médiatique importante et de la possibilité de se construire des relais dans la sphère politique.

Alors pourquoi cette constance dans l’échec ? Pourquoi cette incapacité à devenir un mouvement reconnu et incontournable, suffisamment crédible pour définir et poser au moment de l’élection principale pour les français, les axes d’une politique nationale à venir toute imprégnée d’écologie?

L’explication généralement avancée par les écologistes eux-mêmes est la double incompatibilité de l’élection au suffrage universel du Président de la République et du scrutin majoritaire pour l’élection des députés avec les valeurs profondes de leur mouvement. Cette thèse est notamment celle de Daniel Cohn-Bendit, qui en toute cohérence défend la non-candidature à la Présidentielle des écologistes et un accord de législature avec le parti dominant à gauche. Elle s’appuie sur le contraste évident entre les succès remportés par les écologistes aux élections municipales, régionales ou européennes, et les échecs systématiquement enregistrés aux élections législatives et présidentielles. Contraste qui semble se vérifier encore si l’on compare les 16,28 % des Verts lors des dernières élections européennes de 2009 aux scores attribués par les sondeurs à Eva Joly. En quelque sorte la culture politique des écologistes, marquée par un refus profond de toute personnalisation du pouvoir, ferait de ceux-ci des handicapés de l’élection présidentielle. Il n’y aurait donc rien à faire si ce n’est se battre pour passer à une Sixième République construite sur une logique parlementaire et appuyée sur un mode de scrutin proportionnel.

On peut toutefois s’interroger sur la validité de cette explication. Car les socialistes eux aussi ont été les défenseurs acharnés d’une république parlementaire, et dans la lignée de Pierre Mendès-France et de François Mitterrand, des opposants farouches au pouvoir personnel (2) et à la Cinquième République, et cela n’a pas empêché leur parti de devenir une pièce incontournable et majeur du jeu politique, ni l’un des leurs d’exercer la magistrature suprême pendant quatorze ans. En quarante ans, qui peut raisonnablement penser que les écologistes n’avaient pas les moyens de s’adapter à cette constitution, d’intégrer ses règles et de jouer leur carte ? Spéculer sur un éventuel changement de constitution pour faire son trou dans le paysage du pouvoir quand son propre programme met en avant la nécessité d’un changement urgent pour éviter des dégâts irréversibles à la planète qui nous abrite, ça ne fait quand même pas trop sérieux.

Une autre explication pourrait être avancée, qui consisterait à défendre l’idée qu’un nouveau mouvement qui a pour ambition de bouleverser le paradigme politique a besoin de temps pour être en mesure de prétendre à l’exercice du pouvoir central. Sans doute y a-t-il là une part de vérité, mais l’expérience historique nous enseigne que ni les radicaux dans la seconde partie du XIXème siècle, ni les socialistes au tournant du XXème n’ont mis quarante années pour devenir des partis majeurs en situation d’exercer le pouvoir, et pourtant eux aussi bouleversaient en profondeur les codes établis, avec en toile de fonds un paysage international pour le moins chahuté (3).

Ne faut-il pas alors continuer à chercher plus loin encore les raisons qui font que le mouvement de l’écologie reste un nain politique quand il s’agit de conquérir et d’exercer le pouvoir suprême, toujours dans la situation de la force d’appoint dépendant in fine d’un savant mélange entre sa capacité de nuisance en tant qu’allié et le bon vouloir de son partenaire ?

Certains ont pu pointer une certaine dérive gauchisante, et il est vrai que les positions publiques systématiquement prises contre l’expulsion des immigrés irréguliers, pour le droit de vote des étrangers à toutes les élections ou pour l’interdiction des expulsions des locataires défaillants, l’hypermédiatisation de la question du mariage des homosexuels (4), ont donné une coloration politique qui a effrayé une part importante de l’électorat et empêché de percevoir le mouvement écologique comme un parti de gouvernement potentiel.

Au-delà de ces points, le fait de rester à la surface des choses, en ne tentant jamais de mesurer les effets des mesures préconisées, en oubliant que la culture de l’écologie procède d’abord et avant tout d’une culture systémique capable de prendre en charge et de penser les rétroactions, ne peut pas ne pas jouer et ne pas affaiblir un mouvement qui renie de cette manière ses valeurs et les méthodes qui en découlent.

 

Les écologistes et la réforme du système institutionnel

Ainsi, la généralisation de la proportionnelle à tous les scrutins et l’instauration d’une république parlementaire sont clairement défendues par les écologistes afin de ‘vivifier la représentation politique’ (5) et de ‘protéger les droits fondamentaux’ (6).

C’est bien de vouloir ‘tenir le meilleur compte possible du poids politique réel des différentes forces’,c’est toutefois oublier un peu vite les leçons du philosophe Alain, cet homme soucieux ‘du citoyen contre les pouvoirs’ (7), et ce qu’apprennent aussi les étudiants en droit constitutionnel, à savoir que le scrutin proportionnel donne un poids sans précédent aux appareils des partis politiques dans le choix des représentants du peuple et n’offre ainsi aucun contrepoids aux risques de captation du pouvoir repérés par Robert Michels dès le début du siècle passé (8).

De même la République parlementaire est basée sur des coalitions de partis, c'est-à-dire sur des opérations politiciennes permettant de multiples combinaisons auxquelles le peuple n’assiste qu’en spectateur : rappelons-nous le Chambre du Front populaire votant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Le projet d’EELV, c’est grosso modo le retour à la Troisième ou à la Quatrième République, une république de notables s’arrangeant entre eux, où le lien entre l’électeur et l’élu est faible. Est-ce ainsi, comme le dit le programme d’EELV que ‘le système représentatif pourra contribuer à imaginer et à favoriser un autre mode de vie, plus économe en ressources, plus égal socialement, tourné vers le futur et non pas seulement vers le profit à court terme ou la consommation débridée’ ?

On peut penser que l’immense majorité des adhérents d’EELV sont sincèrement pour une rénovation de notre vie politique, et le propos ici n’est pas a contrario de défendre les institutions françaises actuelles. Si on perçoit aisément l’intérêt direct, sinon quasi-personnel, des instances dirigeantes et des élus d’EELV à proposer un tel système, on ne peut que s’interroger sur leur légèreté et leur insouciance quant aux effets des modifications constitutionnelles qu’ils proposent, en opposition complète avec le souci et le besoin d’une démocratie plus proche des gens, ignorant à toute force les leçons de notre histoire comme les réflexions menées au siècle dernier sur les rapports entre les citoyens et le pouvoir.

 

Les écologistes, le territoire et la population

Un point du programme des Verts en Ile de France, lors des dernières élections régionales en mars 2010, illustre cette tendance à proposer des mesures dont les effets sont structurellement contraires aux buts affichés. Les écologistes ont été les premiers dans le champ politique à dénoncer l’étalement urbain pour préconiser une densification seule à même (9) de réduire les besoins en transports, à la fois chronophages et énergétivores, et d’éviter une consommation excessive d’espace. Or ces mêmes politiciens écologistes, Cécile Duflot en tête (10), ont défendu une tarification unique des transports en commun, abandonnant la logique spatiale des zones concentriques bien connue des habitués de la carte orange et du pass navigo. Mais que signifie ce choix sinon une négation de la réalité géographique et de la physique – plus on parcourt de distance, plus on dépense d’énergie – au profit d’une construction volontariste qui nie le réel et aboutit in fine, en ne faisant pas payer le coût de l’éloignement, à encourager l’étalement urbain qu’on prétend combattre ? Sans compter que se couper de la réalité géographique pour privilégier uniquement des critères sociaux ou sociétaux, mettant encore une fois l’homme au centre de tout jusqu’au mépris de son biotope, n’est pas forcément le meilleur moyen de faire comprendre ce qu’est l’écologie.  

Il y a un autre point du programme d’EELV établi en décembre 2011 qui nous parle de la conception qu’ont les écologistes du territoire et de la façon dont celui est habité: c’est leur attitude, et c’est un point ô combien délicat, vis-à-vis de l’immigration.

Clairement ‘le projet écologiste prône une politique d'immigration ouverte et humaniste’ (11) en mettant en exergue le droit à la mobilité, et concrètement souhaite ‘un processus en continu de régularisation’ et la suppression d’une grande partie de l’arsenal répressif permettant de contrôler l’immigration clandestine (12). Cette position est sympathique mais elle aurait pour effet si les mesures préconisées étaient appliquées intégralement de faire perdre à la France la maîtrise effective de sa politique d’immigration, et par là à terme le contrôle de sa démographie. Cette affirmation peut paraître exagérée mais en matière de démographie il faut être prudent avec des chiffres qui semblent en apparence peu significatifs. 200 000 personnes qui rentrent sur un territoire de 65 millions d’habitants, cela ne semble pas en mesure de changer les équilibres globaux. Mais cela correspond à un accroissement supplémentaire de 0,3 % de la population sur un an, en 20 ans 6 % ou 4 millions de personnes. Or est-on certain que notre territoire est écologiquement capable de supporter une population toujours plus importante, si nous souhaitons instaurer une économie durable dans le cadre de nos connaissances scientifiques et techniques actuelles (13) ? Après tout, l’agriculture soucieuse de la terre, l’élevage respectueux des animaux, l’agrochimie, les hectares nécessaires à la production de biomasse, les zones sanctuarisées pour laisser vivre la vie sauvage, les terrains dédiés à la captation des énergies renouvelables, la place de nos villes, de nos routes et de nos usines, les zones de loisirs, tout ceci prend de l’espace. Avec la question écologique, la question des limites est vite posée. Et s’il est vrai que nous n’en avons pas l’habitude (14), il nous faut bien nous habituer à prendre la mesure du monde fini qui est le nôtre.

La vraie question posée par la position d’EELV est de savoir si nous tentons de piloter un certain équilibre écologique au niveau des pays, ce qui autorise une perception assez rapide de l’inadéquation éventuelle entre ce que peut offrir durablement un territoire et les besoins des hommes qui y vivent, ou si nous faisons le pari de la fluidité toujours plus forte des hommes et des marchandises, en poursuivant la logique de l'actuelle mondialisation, quitte à prendre le risque de laisser des déséquilibres écologiques s’installer si longtemps et si fortement qu’ils ne puissent être rattrapés, y compris avec une mobilisation mondiale ?

Quand on connaît les logiques de fuite en avant qui alimentent la société de croissance (15), ne pas tenter de freiner les mouvements de population affectant des pays incapables d’offrir une vie écologiquement responsable et digne à ses natifs revient à faire sauter les marqueurs et les alertes relatives à l’inadéquation entre ses territoires, leurs ressources durables, le mode de vie de ses habitants et leur démographie, et à les empêcher de prendre à temps les mesures nécessaires. C’est reporter le problème à plus tard et le rendre potentiellement insoluble, à tout le moins incroyablement coûteux pour les hommes et les femmes qui y seront confrontés. Derrière une générosité de façade, une inconscience coupable, car rappelons-le, gouverner c’est anticiper, gouverner c’est prévoir.

 

Un petit caillou dans la chaussure des écolos …  

Dans les deux cas précédemment entrevus, le système institutionnel et la démocratie d’une part et d’autre part les rapports que construisent les écologistes entre le territoire et la population qui l’occupe via la question du transport et de la politique de l’immigration, il est assez vite perceptible que les écologistes d’EELV n’ont pas vu ou pas voulu tenir compte des conséquences et des rétroactions que leurs positions impliquent. Une politique empreinte de facilité en quelque sorte, et que l’on retrouve sur le rapport qu’ils entretiennent aux conséquences d’une politique écologique suffisamment forte pour avoir un impact réel sur le devenir de nos sociétés et de leurs biotopes.

Ce qui ressort principalement du programme d’EELV, c’est la volonté d’opérer une transition énergétique vers les énergies renouvelables accompagnée d’une réduction sensible de nos besoins, le développement progressif d’une agriculture biologique, l’augmentation de l’offre de logement et une baisse de son coût, et l’introduction d’une fiscalité ‘verte’ avec la mise en place d’une contribution climat-énergie devant peser 9 milliards d’euros dès sa première année d’application et la taxation des activités polluantes. L’idée majeure est de provoquer par ces mesures une réorientation de notre société vers un mode de fonctionnement écocompatible.

Ce programme d’une transition douce pourrait être séduisant s’il ne faisait pas l’impasse sur une caractéristique majeure de notre société de croissance. Celle-ci s’est grandement construite sur une augmentation significative de la consommation des familles depuis 60 ans, que l’on parle de la taille des logements, des façons de se déplacer, de se meubler, de se nourrir ou de se vêtir. Sans compter l’accès à des services ou à des biens matériels complètement nouveaux et qui se sont répandus jusqu’à sembler devenir indispensables, comme tout ce qui touche aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Mais cette nouvelle offre a été construite sur trois piliers : le pillage accéléré des ressources de la planète, le jeu d’une économie mondialisée permettant d’utiliser la main d’œuvre à bas coût des pays pauvres, et enfin le recours à des techniques de fabrication industrielles méconnaissant le principe de qualité et de sureté qui présidait auparavant à leur réalisation (16). C’est ainsi que nous nous retrouvons avec une planète saturée des interventions humaines, avec un chômage structurel dans les économies des pays développés challengées par les pays émergents, et avec des produits polluant gravement l’intérieur de nos maisons et de nos appartements – Formaldéhyde mon amour ! – ou s’immisçant dans nos assiettes. Autrement dit, nous n'avons pu avoir tous ces biens et services que parce que nous avons triché en ne payant jamais le juste prix. Et ceci est assassin pour notre mode de vie actuel et pour la possibilité d’une écologisation tranquille de nos sociétés. Car payer le juste prix signifie que nous ne pourrons pas disposer d’autant de biens et de services. Intégrer la juste rémunération de la main d’œuvre, utiliser des ressources renouvelables, ne plus recourir aux produits chimiques facilitant la production industrielle de masse, ça rend impossible pour l’immense majorité de nos citoyens l’accès à tous ces biens qui se sont ‘démocratisés’ : terminés les week-ends en avion à l’autre bout du continent pour un dixième du smic, finis les canapés à 300 euros, et les pizzas surgelées toutes prêtes à 4 euros. La facture pour une société respectant l’écologie de notre planète, c’est sans aucun doute le retour à un budget familial dans lequel les postes liés à la nourriture et au logement seront largement majoritaires, c’est un coup de bambou majeur sur notre mode de consommation.

C’est cela, le petit caillou dans la chaussure des écologistes, ce qu’ils n’arrivent pas à nous dire ou peut-être pas même à penser. L’abandon réfléchi de notre mode de consommation et plus amplement de notre mode de travail et de vie, la fin de l’idée que demain sera toujours mieux avec toujours plus, sont des choix difficiles à assumer et à proposer, mais ne pas le faire et se dire écologiste, c’est se mettre dans une impasse, c’est tricher avec le réel.

Vouloir écologiser tout en restant à la surface des choses, cela a déjà été tenté dans notre pays, cela s’est appelé le Grenelle de l’Environnement. Et très vite on a pu voir que rajouter des contraintes posait vite des problèmes difficiles au sein de la société de croissance : ‘L’environnement ça commence à bien faire’. La formule de Nicolas Sarkozy est révélatrice de ce malaise et, plus grave, des problèmes incommensurables que pose l’introduction de l’écologie dans la société de croissance qui est la nôtre. L’écologie, très vite, peut être considérée comme un empêcheur de tourner en rond. Un exemple ? Le démantèlement des centrales nucléaires et la contribution climat-énergie vont sensiblement accroître le coût de l’énergie et la solution ne pourra venir de transferts sociaux massifs ; c’est dans la situation présente une solution difficile à accepter pour des millions de familles appartenant à la classe moyenne qui maîtrisent mal leurs charges et leurs déplacements. Si l’écologie c’est ce qui les empêche de financer leurs vacances, comment vont-ils le vivre ? Bref, la formule exprimant l’agacement du Président Sarkozy mérite d’être plus méditée que moquée. A dire vrai elle devrait déboucher pour les tenants d’une société durable sur le double choix assumé d’une rupture nécessaire d’avec la société de croissance et d’un redéploiement complet de nos économies, avec le travail politique qui doit l’accompagner pour convaincre nos concitoyens d’abandonner les facilités mortifères et provisoires qui ont été le moteur du développement économique depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Il est encore une raison de défendre un changement radical de notre façon de produire et de consommer. C’est l’Occident qui a inventé ce mode de vie si tentateur et c’est lui que les autres pays dans le monde veulent à tout prix imiter. Et même si la généralisation de l’american way of life est tout bonnement impossible au regard des ressources de la planète, l’Occident est mal placé pour intimer aux pays émergents ou en développement la prise en compte d’un souci écologique qu’il n’a lui-même découvert que tardivement. La seule chose que nous puissions faire, c’est de mettre en scène un changement radical de nos modes de fonctionnement : peut-être dans ces conditions les sociétés qu’on appelait auparavant du tiers monde infléchiront-elles à leur tour leur développement ? Un Occident abandonnant les facilités du transport aérien de masse, remplaçant systématiquement dans ses villes les voitures par des vélos, créant des millions d’emplois dans une agriculture biologique nécessitant une main d’œuvre importante, attentif enfin aux autres formes de vie sur terre, prêt à envisager une décroissance démographique, stoppant la croissance de ses propres mégalopoles et adoptant en quelques années un mode de vie privilégiant la sobriété, cela aurait du poids !


Face aux enjeux du monde à venir, il y a des citoyens qui ne peuvent se résoudre à jeter le manche après la cognée. L’échec présent de l’écologie politique doit avoir pour effet une reconstruction et une renaissance d’un mouvement écologique qui serait enfin subtil et rigoureux, prêt à se battre pour convaincre nos concitoyens d’abandonner la course folle de la société de croissance et d’aller vers une société qui utilisera le plus parcimonieusement possible toutes les ressources de notre terre, remettant en question beaucoup de nos pratiques pourtant confortables, pour se diriger vers une vita povera (17) construite autour des valeurs humanistes que nous avons su faire émerger au fil de notre histoire.  

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1. D’après le titre de l’ouvrage de Jean-Marc Jancovici, C’est maintenant, trois ans pour changer le monde, Le seuil, 2009.

2. François Mitterrand allait jusqu’à voir dans les institutions de la Vème République un coup d’Etat permanent, titre d’un de ses ouvrages les plus célèbres.

Le Coup d'État permanent, Plon, 1964. Republié avec une préface de Jean-Michel Guieu et Georges Saunier aux éditions Les Belles Lettres en 2010, publié par La Lettre de l'Institut François Mitterrand n°33-34.

3. Quelques événements de ces années-là : l’affirmation de l’Allemagne, les guerres coloniales, la première guerre mondiale, la révolution soviétique, l’effondrement des empires turc et austro-hongrois, la crise économique de 1929, l’arrivée de Mussolini et d’Hitler au pouvoir, bref, pour eux aussi le contexte était difficile.

4. Il ne s’agit pas ici de prendre position sur ce point très sociétal, d’ailleurs de mieux en mieux accepté par les français au fil des années, mais de remarquer que Noël Mamère, maire de Bègles, en n’hésitant pas à enfreindre la loi de la République pour célébrer un mariage homosexuel, avait mis sous les projecteurs et survalorisé un point somme toute mineur mais pourtant clivant pour une part significative de l’électorat.

5. La généralisation de la proportionnelle à tous les scrutins est inscrite mot pour mot dans le programme de EELV adopté en décembre 2011, Chapitre ‘Une sixième république dans une Europe fédérale’/1.‘La 6e république pour la transformation écologique de la société’/ I ‘Revivifier la représentation politique’, p 80

6. ‘La 6e République des écologistes sera une République parlementaire où le Premier Ministre, leader du parti, ou de la coalition, ayant gagné les élections législatives, élu par l’Assemblée nationale, doit répondre entièrement et à tout moment, devant un Parlement renforcé, de l’ensemble des décisions de gouvernement (nominations, textes normatifs, choix budgétaires), s’agissant aussi bien de la politique intérieure, européenne et internationale, des politiques civiles ou militaires.’ Cette citation est extraire du programme de EELV adopté en décembre 2011, Chapitre ‘Une sixième république dans une Europe fédérale’/1.‘La 6e république pour la transformation écologique de la société’/ II ‘Restaurer la responsabilité politique et protéger les droits fondamentaux : une République parlementaire’, p 81.

7. Émile Chartier dit Alain, Le citoyen contre les pouvoirs, 1926, Ed. Paris-Genève, Collection Ressources. Statkine Reprints, 1979. Réimpression de l'édition de 1926, 237 pp.

8. Robert Michels, Les Partis politiques, Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Paris, Flammarion, 1914, 341 pages.

9. Sauf si l’on admet que la démographie est aussi une variable sur laquelle il est possible de jouer à moyen et long terme, ce qui aurait aussi pour effet de réduire nos besoins de logement et la consommation à notre seul profit de toujours plus d’espace.

10. Extrait du discours de Cécile Duflot au meeting Europe-Ecologie à Montreuil le 16 janvier 2010 : "Je vais maintenant vous donner un exemple dans une région que je connais bien. Et vous m'autoriserez pour cela à reprendre quelques minutes ma casquette francilienne. Nous nous battrons pour mettre en place en Ile-de-France une "carte transports à tarif unique", sur l'ensemble de la région. Pour ses 11 millions d'habitants. Il s'agit à la fois d'un enjeu social, environnemental et citoyen. C'est un enjeu environnemental, parce qu'il invite à privilégier les transports collectifs, libérant ainsi les prisonniers de l'automobile, qui calculent toujours entre transports en commun et voiture, et finissent immanquablement prisonniers de ce grand parking à ciel ouvert que sont les routes d'Ile-de-France. C'est un enjeu social, parce qu'il est temps de cesser de faire payer plus à ceux qui ont le moins, que les transports ne coûtent pas plus cher à ceux qui y ont le plus faible accès.   C'est un enjeu citoyen. Pendant des années, cette région a connu les oppositions, les clivages, les frontières et les ruptures. Elle force ses habitants à choisir leur territoire d'appartenance, leur zone d'origine et à acheter leur liberté pour pouvoir se déplacer. Faire de l'Ile-de-France, un seul territoire, c'est une question de démocratie. Alors on va nous dire que cela coûte trop cher, que cela reporte trop de choses et bouscule trop d'équilibres et d'intérêts établis. On nous dira que c'est techniquement infaisable. Vous verrez, les forces d'inerties vont se déchaîner ! A l'ère des renoncements, des visions étriquées, nous préférons renouer avec l'idée que c'est le choix des citoyens qui peut changer la réalité."

11. In le programme d’EELV adopté en décembre 2011, Chapitre ‘Une société ouverte, d’égalité, de droits et d’émancipation’/2.‘Une politique des migrations respectueuse des droits, p. 72.

12. La fin de la mainmise du ministère de l'Intérieur sur les directions ministérielles concernant les étrangers (travail, visas, nationalité…) ; la dépénalisation du séjour irrégulier ; le caractère suspensif des recours pour toute décision relative au séjour ; la fermeture des prisons administratives que sont les centres de rétention et zones d'attente ; l’abrogation du délit de solidarité ; la lutte contre les filières mafieuses et toutes les formes d'exploitation de la précarité, en particulier des immigré-e-s. Une réécriture du CESEDA, qui prévoit le rétablissement du droit de circulation avec l’unification des visas ; uniquement la délivrance de titres de résidents de longue durée (3 ans, 10 ans, puis permanent) renouvelables de plein droit ; la suppression des restrictions au droit à vivre en famille, à la vie privée et aux soins. La protection sur le long terme des mineurs isolés doit être garantie. L’accès à une citoyenneté de résidence et la facilitation de l'accès à la nationalité française, en particulier pour les personnes nées ou éduquées en France.      Extraits in p. 73 du programme d’EELV, précité.  

13. Sur ce thème, voir l’article de Jean-Christophe Vignal, La fausse querelle du quotient familial, 01.2012, in ‘Economie Durable’

14. Dans ce cadre, et au vu des dérèglements climatiques que nous pouvons malheureusement attendre dans ce siècle, il serait bon que nous prévoyions d’ores et déjà l’accueil de futurs réfugiés climatiques en n’exploitant pas la totalité des ressources de notre territoire et en adaptant notre nombre par une démographie enfin soucieuse de l’écologie.

15. Les exemples abondent, que ce soit en matière de pillage des ressources, de montages financiers multiples, d’obsolescence programmée de nos objets quotidiens, ou de dettes souveraines des états-providence.

16. Sur ce thème du travail bien fait que méconnait la production industrielle, les italiens de la Renaissance avaient une belle expression ‘Fecit fieri agelella’ que l’on peut traduite par ‘Fait avec fierté’, citée par John Saul, in Les bâtards de Voltaire, la dictature de la raison en Occident, Petite Bibliothèque Payot, 2000.

17. L’expression est construite en parallèle à celle d’arte povera ; ainsi la pauvreté n’est pas incompatible avec la beauté, l’énergie, la joie de vivre. Mais ce concept de vita povera est toutefois différent de celui de sobriété heureuse défendu notamment par Pierre Rabhi ou de simplicité volontaire exprimé par Paul Aries. Il insiste plus sur l’idée de pauvreté afin de marquer notre défiance vis-à-vis des nombreux discours écologisants qui tentent de masquer l’importance des changements et des sacrifices matériels à prévoir.  

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