Un jour sur trois au dessus du seuil d’alerte (1) depuis le premier janvier 2012 pour la pollution atmosphérique, ça commence à faire beaucoup. Surtout quand on traduit le non-respect de la directive européenne sur la qualité de l’air en nombre de morts supposés : 3 000 victimes annuelles en France ne passent pas inaperçues. Et la réduction de 20 km/h de la vitesse des véhicules semble bien peu opérante …
Bref, il y a comme un problème dans nos grandes villes.
Et des solutions sont sur la table. Les plus fortes, proposées par les élus EELV comme Yves Contassot, consistent en des mesures de restriction avec ‘l’alternance de la circulation pour les diesels, l’interdiction de la circulation des poids lourds les jours de pic de pollution, et l’interdiction des avantages fiscaux du gazole’ sans oublier l’évocation pour Paris d’un centre exclusivement piéton (2).
Retrouver un air sain ne serait donc qu’une affaire de volonté en période électorale où comme le dit Denis Baupin « ça à l’air de les gêner d’attirer l’attention sur les problèmes de santé…» (2).
Mais appliquer réellement les trois mesures énoncées a des conséquences pratiques non négligeables.
Interdire la circulation des poids lourds les jours de pic de pollution, quand ceux-ci ne sont plus marginaux, revient à remettre en question tout le système d’approvisionnement des grandes villes, et même au-delà. Concrètement, cela signifie immobiliser les poids lourds le long des routes pour des durées non connues à l’avance et pouvant être supérieures à 2 ou 3 jours : que faire alors des marchandises périssables ? Faut-il envisager d’autres modes alternatifs de transport comme le train, alors qu’il est bien connu des professionnels de la logistique que les délais d’acheminement par le fer sont incomparablement bien moins maîtrisés et que la problématique dite ‘du dernier kilomètre’ continue de se poser ?
Remettre en cause la diésélisation du parc automobile est sans doute une bonne chose pour la qualité de l’air. Mais cela signifie une augmentation immédiate du prix des carburants, du fait de l’ajustement des taxes du diesel sur l’essence, pour les consommateurs (3). Et ceci n’aura des effets sur la pollution aux particules fines qu’à long terme, car n’oublions pas que les voitures sont des biens dont la durée de vie est supérieure à 10 ans.
Reste la troisième mesure, l’alternance de circulation pour les voitures diesel. Bonne idée, mais dont la traduction effective si elle est rigoureusement appliquée risque d’immobiliser 50 ou 60 jours par an des dizaines de milliers de travailleurs incapables de rejoindre dans les temps leur lieu de travail depuis leur domicile. Une bonne idée sur le papier mais qui fait fi des contraintes de la vie quotidienne de milliers de personnes engagées dans la société industrielle qui est la nôtre.
Dans les faits les mesures proposées posent d’énormes difficultés (4) qu’il ne faut pas ignorer, surtout dans la période de crise économique que nous connaissons. Il y a alors de bonnes chances, au sens statistique du terme, pour que nous nous accommodions encore longtemps de quelques milliers de morts victimes de la pollution aux particules fines comme de priver de plus en plus souvent d’exercice physique les enfants de nos grandes villes pour mieux protéger leurs poumons.
Pour compléter ce point quelque peu pessimiste, nous pouvons noter que la diésélisation du parc automobile privé est une caractéristique française particulièrement marquée mais que le problème de la pollution de l’air liée aux particules fines est un problème qui touche les grandes villes européennes y compris celles situées dans des pays où les voitures diesel sont clairement minoritaires. Autrement dit, la réduction progressive du diesel pour le parc automobile en France ne nous garantit pas pour autant un air pur (5). Les centrales thermiques, l’utilisation du bois comme combustible, les émissions liées à l’industrie, les véhicules thermiques essence aussi, tout cela génère des particules fines.
Encore une fois les nanoparticules, ces toutes petites choses, et la pollution qu’elles provoquent, peuvent être prises comme un nouveau marqueur qui nous indique que le choix d’une société basée sur une mobilité extraordinaire des choses et des hommes, par rapport à tout ce que nous avons connu dans l’histoire, n’est pas compatible avec l’air sain dont nous ne pouvons nous passer sans nous mettre en danger.
Quelles mesures prendre alors pour retrouver un biotope de qualité si ce n’est faire le choix d’une société favorisant la production et la consommation dans un même espace, limitant le plus possible les transports générateurs de gaspillage énergétique et de pollution, loin d’une mondialisation économique qui incorpore des milliers de kilomètres dans un yaourt vendu dans les rayons d’hypermarché ? Mais cela signifie aussi d’envisager la fin des méga-agglomérations de plusieurs millions d’habitants, comme l’est devenue l’Ile de France aujourd’hui, et qui supposent pour fonctionner un territoire de plusieurs centaines de kilomètres de rayon pour assurer son avitaillement alimentaire et des trajets en tout sens tous les jours. Cela signifie encore, pour aller au-delà des problématiques de pollution liées à une mobilité exagérée, de faire le choix d’un mode de production et de consommation restreint, favorisant une économie basée sur la joie de plaisirs simples, cette ‘vita povera’ qui devient une urgente nécessité.
Déconstruire nos grandes agglomérations, occuper notre territoire en contrôlant notre densité quitte à devoir numériquement décroître, échanger notre pouvoir d’achat contre un pouvoir de vivre, nous sommes bien loin des trois mesures proposées plus haut par les plus sensibles à l’écologie de nos politiciens. Cela nous donne la mesure de la difficulté des choix à effectuer.
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1. La directive européenne 2008/50/CE impose aux États membres de limiter l'exposition de la population au PM10 (poussière d’une taille inférieure à 10 µg); la concentration moyenne annuelle ne doit pas dépasser 40 µg/m3 et en moyenne journalière, il ne faut pas dépasser 50 µg/m3 plus de 35 jours par an. Or selon Airparif, Paris a déjà dépassé ce seuil durant 25 jours depuis le début de l’année. Rappelons aussi que la valeur limite passera à 20 µg/m3 en 2020.
2. Cf. Esther Lagarde, ‘Paris manque d’air, les Verts étouffent’ in Libération du 28.03.2012.
3. Faut-il souligner la contradiction contenue entre cette proposition et la volonté de François Hollande, candidat à la Présidentielle et allié d’EELV pour diriger le pays, de bloquer le prix des carburants, souhaitant ainsi protéger les automobilistes-consommateurs des évolutions du monde ? Toute ressemblance avec l'ancien choix de nos élites pour la ligne Maginot serait purement fortuite ...
4. Vouloir écologiser la société de croissance en lui imposant des contraintes pour limiter les effets négatifs qu’elle produit nécessairement du fait de la gloutonnerie qui anime tous ses acteurs ne peut que rendre la vie impossible aux citoyens pris dans les contraintes de la vie quotidienne. C’est pourquoi le choix d’une rupture devrait s’imposer in fine comme une solution raisonnable s’articulant autour d’un redéploiement complet de nos économies enfin tournées vers un pouvoir de vivre, abandonnant les facilités provisoires et mortifères qui ont été le moteur du développement économique depuis les deux guerres mondiales.
5. C'est une caractéristique assez fréquente en France de se polariser sur un facteur ou un critère uniques. Ainsi la priorité absolue accordée au CO2 a amené ces dernières années les Pouvoirs Publics à privilégier les petits véhicules diesel non équipés de filtre à particules, en subventionant fortement via le système du 'bonus-malus écologique' des voitures dont les spécialistes de l'air nous disent désormais qu'elles sont un facteur mortel de pollution non négligeable! Résultat, en juin 2011 nous pouvions lire dans un grand journal du matin 'les Français roulent propre' (a), et en mars 2012 apprendre qu'il est urgent de dé-diéséliser notre parc automobile.
De même il serait illusoire de croire que le diesel est la cause de tous nos maux en matière de particules fines en se focalisant sur son élimination. S'il est un facteur important d'émissions de particules fines, il n'en reste pas moins que sa substitution par d'autres carburants (essence par exemple) n'aboutirait qu'à une réduction des taux risquant par ailleurs d'être compensée par la croissance du trafic.
Comme de plus en plus souvent dans le cadre d'une société de croissance qui commence à toucher les limites de son biotope, il nous est proposé des choix impossibles entre des solutions dont aucune n'est porteuse de sérénité: diesel ou essence, nucléaire ou charbon, intrants chimiques et OGM ou manque à terme de nourriture. Refuser ces faux choix, savoir dire non et sortir par le haut, en un mot quitter le train de la société de croissance et nous frayer à nouveau et tous ensemble un chemin raisonnable, c'est cela à mes yeux le pari écologique le plus sensé.
a. Cf. Marielle Court, 'CO2: les Français roulent propre' in Le Figaro du 09.06.2011.