Site consacré à l'écologie et à la construction d'une société durable, respectueuse de l'environnement Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal. Contact : economiedurable@laposte.net
Il pleut, il pleut bergère
Rentre tes blancs moutons
Fabre d'Eglantine, 1780
Deux courants majeurs traversent l’écologie politique : les réalistes, qui tentent de corriger à la marge, parfois avec succès, le système économique dominant, et les fondamentalistes, qui veulent des changements plus radicaux mais qui, éloignés des lieux de décision, privilégient le débat idéologique.
Les uns comme les autres ont toutefois en commun de ne pas intégrer la contrainte du temps. Les premiers veulent accumuler les réformes pour aboutir par gradualisme à la transformation du système, les seconds préparent le moment politique où ils seront en situation d’appliquer leurs idées. Tous anticipent des lendemains nécessairement meilleurs.
Ce faisant, ils se situent dans la continuité des luttes politiques et sociales des deux siècles derniers, période historique baignée d’idéologie progressiste, où le seul enjeu était de changer les relations des hommes entre eux pour un meilleur partage du pouvoir et des richesses. Ce qui n’avait pas été obtenu aujourd’hui pouvait l’être demain, le futur était synonyme d’effacement des échecs et d’aboutissement des promesses.
Mais sur ce point, les choses ont changé.
Les dommages que l’homme a d’ores et déjà causés à la planète, depuis la fin du XIXe siècle, sont irréparables à l’échelle de l’histoire humaine. Nous ne sommes plus dans un cadre donné, à l’intérieur duquel il serait seulement question de changer les règles du jeu. C’est ce cadre lui-même que nous avons changé et qui risque désormais de nous engloutir. Il n’est plus possible, même au prix d’une conduite soudain vertueuse, dont au demeurant nous ne prenons pas le chemin, d’empêcher les transformations que nous avons provoquées de continuer à produire durant des siècles leurs effets destructeurs.
Nous sommes entrés dans une période inédite de notre histoire, parfois qualifiée d’anthropocène, où le temps est compté et où il joue contre nous. Plutôt que de tenter d’empêcher l’effondrement inéluctable d’un certain nombre d’écosystèmes, notre tâche est désormais de nous y adapter pour assurer du mieux possible notre propre sauvegarde avec ce que nous pourrons sauver du vivant.
L’autre exigence de la période, qui procède des mêmes causes, est d’inscrire le projet écologiste dans un espace territorial déterminé.
Certes, le réchauffement climatique est par nature planétaire, les gaz à effet de serre émis en Chine participent à la disparition de la banquise arctique, le nuage radioactif de Tchernobyl ne s’est pas arrêté aux frontières de l’Hexagone et nous sommes tous directement affectés par la disparition de la forêt amazonienne comme par l’acidification des océans.
Mais le caractère planétaire de la dégradation des écosystèmes qui, passé un seuil critique, peut prendre la forme d’un basculement brutal échappant à tout contrôle, ne signifie pas que, par une sorte de parallélisme des formes, les mesures de sauvegarde ne puissent être prises qu’à un niveau mondial. Deux raisons militent pour une action à une échelle plus modeste.
La première est qu’il n’existe pas au plan international, qu’il s’agisse de l’ONU ou des différentes conférences qui en sont l’émanation, d’autorité capable d’imposer ses décisions aux Etats et aux acteurs économiques, et que les chances d’en voir émerger une dans les années à venir sont à peu près nulles.
La seconde raison est que l’échelle pertinente d’intervention n’est plus la même selon que l’on se fixe comme objectif d’empêcher la survenance du changement climatique ou, plus simplement, celui de s’y adapter. Au traitement préventif des causes, qui s’est révélé jusqu’à présent plus incantatoire qu’effectif, se substitue alors le traitement symptomatique des effets, concrètement la protection des populations et de leur environnement naturel, comme la préservation de leurs cultures.
Ces exigences, qui semblent élémentaires aujourd’hui, doivent être réévaluées à l’aune des évolutions prédictibles des prochaines décennies sur fond de dérèglement climatique : rétractation des échanges internationaux, pénurie des ressources naturelles, en particulier de l’eau, disparition d’une partie des activités tertiaires et des services publics, exode urbain.
Un tel scénario n’est pas catastrophiste. Le ravitaillement de la population, son hébergement, sa santé, sa sécurité, tant collective qu’individuelle, pourraient bien devenir les principales missions de la puissance publique. C’est aujourd’hui dans un cadre national, siège de ce qui reste de souveraineté démocratique, de solidarité institutionnelle et de désir commun de vivre ensemble, qu’il est le plus utile et le plus sage de s’y préparer… tout en sachant que nous ne sortirons de cette période qu’appauvris et moins nombreux.
Gilles Lacan
écologiste décroissant