Site consacré à l'écologie et à la construction d'une société durable, respectueuse de l'environnement Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal. Contact : economiedurable@laposte.net
Bernard Bousquet nous propose ici ses remarques sur une analyse de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) quant aux principales pressions responsables de l’effondrement de la biodiversité.
Cette analyse a été reprise sur le site gouvernemental consacré à la biodiversité.
Ces 5 pressions sont :
- La destruction et l’artificialisation des milieux naturels : pour 30 %
- La surexploitation des ressources naturelles et le trafic illégal pour 23 %
- Le changement climatique global pour 14 %
- La pollution des océans, des eaux douces, du sol et de l’air pour 14 %
- L’introduction d’espèces exotiques envahissantes pour 11 %
Le rapport se conclut ainsi :
En quoi sommes-nous concernés ?
« Ces pressions entraînent ensemble un appauvrissement de la diversité des écosystèmes et leur régression généralisée, un effondrement des populations de la faune, de la flore et de la fonge, une baisse de la richesse spécifique des écosystèmes, la perte de services écosystémiques et de résilience, ce qui confronte notre société à de nouveaux risques. Notre économie est fortement dépendante de l’état de la biodiversité et du capital naturel qui nous garantit 44% de la valeur ajoutée brute. Certaines industries telle que l’industrie pharmaceutique puisent directement dans la nature leurs ressources. Ainsi, 70% des médicaments et anticancéreux proviennent directement des réservoirs naturels. La dégradation de la biodiversité pourrait menacer 80 % de nos emplois. Nos modes de vie et la stabilité du système économique sont menacés par des phénomènes de dégradation de la biodiversité telle que la disparition de 35% des espèces de pollinisateurs servant à l’alimentation humaine dont fruits et légumes, légumineuses, oléagineux. Les coûts induits par la dégradation de certains services écosystémiques tel que la pollinisation est estimé à 3,7 milliards d’euros par an de pertes. [Sources : IPBES. FRB. DG Trésor. OFB. Banque de France, CESE]. »
Bernard Bousquet en fait la critique suivante mettant en évidence l’oubli du facteur sans doute à la source de tous les autres, le nombre et l’évolution du nombre des hommes.
"Un tel article qui se veut de portée mondiale passe la démographie humaine totalement sous silence, alors que l’explosion démographique de l’Afrique subsaharienne est non seulement la cause primaire essentielle des pertes de biodiversité sur le continent noir, mais encore un frein qui neutralise les effets de la croissance économique (une forte majorité de la population noire vit en-dessous du seuil de pauvreté). Rappelons que ce n’est pas la densité de population (bien inférieure à celle des pays d’Europe ou d’Asie) mais le rythme de son accroissement (2,5% par an) qui plombe le progrès des pays africains. Et quand le président du Nigéria se vante « d’avoir la jeunesse la plus importante et la plus dynamique d’Afrique » (près de 6 millions de bébés naissent chaque année au Nigéria, soit plus que dans toute l’Europe des 27), il pousse son pays vers le trio de tête des plus peuplés au monde au milieu du siècle ! Une folie dont son peuple paie et paiera longtemps le prix avec des conflits inter-ethniques, la disparition des services écosystémiques et l’exil forcé vers des horizons meilleurs.
En négligeant ce paramètre essentiel qu’est la démographie, l’UICN passe à côté d’un gisement de solutions dont la faisabilité et le coût sont (en particulier) à la portée des pays occidentaux. Car, lorsqu’elles sont cohérentes et bien organisées, les mesures nécessaires à la réduction des taux de fertilité en Afrique subsaharienne sont peu coûteuses et d’un très bon ratio coût/efficacité.
Pourquoi aider l’Afrique à contenir sa natalité devrait attirer l’attention des défenseurs de la biodiversité ?
Selon la FAO, l’Afrique disposerait du plus grand potentiel de terres arables de la planète : quelques 10 millions de km2 seraient aptes à la culture pluviale (dont 3 déjà mis en culture), soit le tiers du total mondial. Pourquoi il serait désastreux de prendre un tel chiffre à la lettre ? Parce qu’on passerait naïvement à côté des réalités écologiques et foncières africaines, en englobant un peu vite dans les terres vacantes de précieux écosystèmes forestiers et de savane, où se concentre l’une des biodiversités les plus remarquables au monde, et dont les « services » rendus (autres que de produire de la nourriture) sont gratuits et incontournables. D’ailleurs, une proportion significative de ces terres vacantes est déjà instituée en aire protégée. Mais la pression démographique est insupportable sur les périphéries de plusieurs d’entre elles, menacées de déclassement. Par ailleurs, en Afrique de vastes étendues de sols se trouve dissimulées sous la grande forêt de la cuvette congolaise. Mais il s’agit de sols fragiles, qui disparaissent rapidement sous le lessivage des pluies tropicales une fois mis à nu quand la forêt est détruite. L’agriculture itinérante sur brûlis qui métastase la grande forêt d’Afrique centrale (bien souvent en profitant du réseau des pistes forestières ouvertes par les exploitants de bois) est ainsi en lien direct avec la croissance démographique. D’autres non moins vastes étendues de sols savanicoles sont latérisés et/ou infestés de glossines. Peu favorables à l’agriculture (sauf à consentir de lourds investissements pour des cultures d’exportation), ils abritent par contre une biodiversité exceptionnelle.
On peut imaginer le dilemme face auquel risque de se trouver la population africaine dès le milieu du siècle, quand elle supportera, 1,2 milliards d’habitants supplémentaires, si elle ne maîtrise pas son taux de natalité : mourir de faim (à moins d’émigrer) ou cultiver des sols fragiles au prix de la perte des irremplaçables écosystèmes précédents. Sans oublier les répercussions à l’échelle planétaire : destruction de puits de carbone, nouveaux records de GES dans l’atmosphère, un cran supplémentaire dans les dérèglements climatiques, déficits hydriques, migrations massives vers d’autres continents où elles contribueront à accroître les dommages environnementaux. Dans de nombreuses régions du monde la relation n’est pas linéaire entre la densité de peuplement humain et la dégradation des terres. Certaines populations denses ont des pratiques moins érosives que d’autres, pourtant plus éparses. C’est en général au prix de gros aménagements, telles que les terrasses irriguées des montagnes d’Asie du Sud-Est. La nature du sol et les conditions climatiques influent aussi beaucoup, mais dans la plupart des situations africaines hors les deltas et zones exceptionnellement fertiles, quand la densité humaine d’une zone rurale est élevée, la durabilité des systèmes de production s’effondre. La dégradation entre dans une spirale auto-accélératrice, entraînant toujours plus de pauvreté, une recherche renouvelles terres, l’exode rural vers les bidonvilles des mégapoles, ou l’émigration.
Hélas, le libertarisme (ou anarcho-capitalisme), politique pernicieuse tueuse d’Etat de droit, de démocratie et d’altermondialisme se développe dans le monde, notamment aux USA qui vient sans crier gare de stopper les activités de sa grande agence internationale, l’USAid. Principale source mondiale de financement des programmes de planning familial et d’émancipation féminine en Afrique (l’Agence intervenait dans une trentaine de pays), c’est une très mauvaise nouvelle pour les Africains et pour la biodiversité : nulle part plus qu’en Afrique, la santé des écosystèmes et celle des humains sont interdépendantes.
Je ne vois donc plus que l’Europe pour réorienter son aide actuelle dans le sens de partenariats équilibrés altermondialistes et écologisants, intégrant une importante planification familiale et éducative, avec les pays d’Afrique subsaharienne. Selon le démographe Gille Pison (INED), en agissant tout de suite, l’Afrique pourrait faire l’économie de plus d’un milliard de personnes à la fin du siècle, sauver des millions d’hectares vitaux de forêt, savanes, terres arables, et préserver une grande partie de son habitabilité.
Il est temps que les écologistes et les associations de protection de la nature (dont l’UICN) changent de logiciel."
Bernard Bousquet est écologue forestier et auteur de nombreux ouvrages.