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Site consacré à l'écologie et à la construction d'une société durable, respectueuse de l'environnement Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal. Contact : economiedurable@laposte.net

Pour une interdiction du plastique ménager financée par les milliards de son recyclage fictif

Par Maxime De Blasi, ingénieur et ancien élève de l’ENA, auteur de nombreux points de vue sur l’écologie dont « Le triangle d’incompatibilités de l’écologie » paru dans la revue "Le Débat".

 

1/ La bataille des mots : le mot « recyclable », support du consumérisme, doit être remplacé par « décyclable »

Tout ça pour ça ? Après l’incantatoire « Make our planet great again » du début de son premier mandat, en 8 ans M. Macron n’aura réussi qu’à interdire les pailles en plastique et les gobelets, ou presque : si depuis le 1er janvier 2022 la plupart des fruits et légumes frais sont censément vendus sans emballage comme l’exige une loi dite « anti-gaspillage », un tour au supermarché permet de constater que rien n’a changé. Quant à l’interdiction des sacs plastiques annoncée depuis des années tout le monde constate qu’elle ne correspond pas à la réalité et qu’au passage on a fait porter sur le consommateur le coût des sacs distribués.

Car le plastique est toujours autant présent dans nos vies, plus que jamais. Avec la pandémie les emballages plastiques ont explosé avec la livraison à domicile. Ils représentent la moitié des 70 kilos de plastique consommés par français par an, soit le poids moyen d’une personne chaque année ! Son usage n’est pas optimisé au vu des emballages plastiques épais et indestructibles, en totale disproportion de durabilité avec leur contenu : comparés aux éphémères secondes de nos consommations leur durée de vie d’au moins 500 ans est éternelle.

Nos poubelles « à recycler » débordent, mais seule une infime partie de ce plastique est réutilisé. La réalité est que les 6 millions de tonnes annuelles produites en France sont « recyclées » à seulement 28 %, et moins de 10 % en Île-de-France d’après les chiffres de Citeo, l’organisme officiel. Et encore, il ne s’agit pas d’un vrai « recyclage » qui permettrait par exemple de réutiliser l’une des 13 milliards de bouteilles produites chaque année en France pour éviter d’en produire une autre, mais d'un « décyclage » car au mieux les déchets plastiques sont broyés ou fondus pour en faire des billes, des mousses, des briques. Quant aux 72 % des plastiques qui ne sont pas même « décyclés » (et donc 90 % en Île-de-France) leur sort est pareil aux déchets communs : ils sont enfouis, incinérés ou finissent dans les océans, alimentant le 7ème continent de plastique en mer et tuant les poissons, les mammifères marins et les oiseaux déjà menacés par la surpêche. Avant de se retrouver dans la chaîne alimentaire puis dans nos assiettes et l’eau que nous buvons sous forme de microparticules, si bien que nous « mangeons » littéralement du plastique en plus de crouler dessous. Avec quelles conséquences de moyen terme sur la santé humaine ?

« Mal nommer un objet c'est ajouter au malheur de ce monde » disait Albert Camus : Rejeter une fois pour toutes le terme trompeur de « recyclable » permettrait une prise de conscience sur l’irréversibilité de la consommation du plastique. Car il est faux et trompeur de définir comme « recyclable » un produit réutilisé à quelques pourcents et dont le produit final est au demeurant fortement dégradé. Le remplacer par « décyclable » est essentiel pour traduire la dégradation de qualité et la transformation de l’usage initial.

La belle musique que l'on nous fait entendre « ce produit est recyclable donc son achat est bon pour la planète » est la béquille sur laquelle s’appuie le consumérisme effréné. Le discours implicite adressé aux consommateurs est « consommez sans frein, renouvelez sans frein, c’est recyclable». C’est la bonne conscience, individuelle et collective, qui permet de justifier la continuation du consumérisme.  Tel M. de Châteaubriand décrivant le couple improbable de Talleyrand soutenu par Fouché avec la formule « Le vice appuyé sur le bras du crime », pour mieux perdurer le consumérisme prend appui sur la fiction du « recyclage ».

De surcroît, le sursaut du « recyclage » que les gouvernements promettent sans cesse oublie qu’il nécessite une organisation complexe qui a depuis longtemps logiquement atteint  ses « frontières naturelles » : du consommateur appelé à trier ses déchets, qui n’est pas le moindre à mobiliser, au système de collecte différenciée qui achemine les bons déchets au bon endroit. De ce fait la plus grande part des plastiques triés à domicile finit avec le tout-venant. En outre, la réalité occultée dans les bilans est que ce process dévore de l’énergie pour acheminer les matières puis les transformer. Non décidément, il n’y a pas de « marmotte » des emballages, qui les collecte, n’en perd aucun en route puis les transforme sous forme réutilisable, et ceci sans énergie !

La loi anti-gaspillage a promis d’intégrer dans les bouteilles en plastique 30 % de « rPET », un plastique vraiment recyclable mais en...2030. On culpabilise les Français avec « La maison qui brûle » alors pourquoi ce ridicule pourcentage, imposé de surcroît aux seules bouteilles ? Et si la loi « résilience et climat » d’août 2021 a introduit l’obligation d’un affichage sur les produits sur leurs impacts environnementaux « en termes d'émissions de gaz à effet de serre, d'atteintes à la biodiversité et de consommation d'eau et d'autres ressources naturelles », le piquant de l'affaire est que l'on renseigne les Français sur les méfaits du plastique par un affichage sur…leurs emballages en plastique ! De qui se moque-t-on ?

La chercheuse Nathalie Gontard s’est faite l’écho de ces illusions du recyclage. Les vendeurs d’eaux minérales et de sodas, malgré la toute-puissance de leur communication et l’apposition de « recyclable » ou de « points vert », ne peuvent masquer qu’une bouteille pollue cent fois plus que l’utilisation de l’eau du robinet. D’ailleurs, après un combat de 20 ans l’association UFC-Que Choisir a enfin obtenu la disparition du « point vert » si trompeur, entérinée par la loi sur l’économie circulaire du 10 février 2020.

Et tout ceci à quel prix ? D’après le ministère de l’écologie, le secteur « collecte des déchets-recyclage » représentait 21,6 milliards d’euros en 2022, dont la moitié pour les entreprises du « recyclage ». On peut donc estimer le coût du « décyclage » du plastique à plusieurs milliards d’euros (tri, transport, nettoyage, traitement, transformation…).

2/ La bataille de France pour une « écologie stratégique » : Subventionner les substituts au plastique avec les milliards économisés sur son « recyclage » fictif et offrir à l’industrie française une position mondiale dominante

Cette problématique de la pollution plastique est évidemment mondiale car de nombreux pays sont désarmés face à cette pollution qui semble inéluctable et sans freins : ce 10 juin, dans le cadre de l’UNOC, 95 Etats ont lancé l’« appel de Nice pour un traité ambitieux sur le plastique ». Cependant, la déclaration, à l’initiative de la France, bloque sans surprise sur l’absence de soutien des États-Unis et de la Chine – les deux plus gros consommateurs de plastiques, qui freinent depuis le début des négociations il y a un peu plus de deux ans. M. Macron, qui semble en être resté à l’illusoire esprit consensuel de l’ancienne Société des Nations alors que la menace enfle, en appelle à une vaine bonne volonté internationale quand l’urgence commande de s’attaquer au problème au niveau de la France.

Plutôt que de culpabiliser et tromper les consommateurs, c’est à la source, côté producteurs et grande distribution, qu’il faut changer de logique. Un gouvernement responsable doit interdire à très court terme le plastique « ménager » pour forcer les fabricants à sa substitution pour les emballages alimentaires et ménagers par les matériaux biodégradables ou réellement recyclables, en métal fin, aluminium, carton traité, tissu, bois, papier…Car même si les matériaux biodégradables ou réellement « recyclables » coûtent actuellement plus cher que le plastique ils peuvent être rendus concurrentiels en réintégrant le coût du soi-disant « recyclage » (tri, poubelles spécifiques, organisation, énergie, taxes). Et davantage encore au regard du coût caché, environnemental et sanitaire, du plastique : cancers dus à l’ingestion des micros-particules, atteintes aux espèces marines et à l’environnement, gaz à effet de serre émis par l’incinération, pétrole et intrants chimiques pour le fabriquer car le plastique dévore également déjà près de 10 % de notre consommation de pétrole avec un impact croissant sur les émissions de GES...

Actuellement, c'est l’entière logique de ce système qui est absurde : les Français supportent un coût de plusieurs milliards d’euros pour trier, collecter, puis traiter du plastique qui au final n’est PAS recyclable et n’est PAS recyclé. Ce système coûteux et énergivore qui repose sur le tri sélectif et des millions de poubelles différenciées emm…les Français tout en étant inefficace et vain.

Ces milliards peuvent être reportés sur la recherche et le financement d’emballages vraiment biodégradables qui déjà existent. Pour ce faire, l’État-stratège à l’occasion de voir son rôle renouvelé, au besoin par le biais de nationalisations stratégiques temporaires et ciblées à la fois sur l’industrie du secteur d’emballage ménager et sur les filières du « recyclage » plastique, de manière à tenir les deux côtés de la chaîne de son cycle de vie des pour coordonner intelligemment les politiques et rendre rentables et efficientes les solutions de substitution qui, j’insiste, existent déjà pour la plupart sans être prises en compte au regard de l'extrême facilité de produire toujours plus de plastique. Ceci dans un contexte où la France est un pays leader en plasturgie et emballages plastiques : composé de 3 000 entreprises pour 130 000 salariés, le secteur de la plasturgie a réalisé un chiffre d’affaires de 39,7 milliards d'€  en 2023, dont 42 % pour la fabrication d’emballages (source Rexecode).

En outre, la France est également un pays leader dans le secteur de la grande distribution, qu'elle soit généraliste ou spécialisée avec des enseignes implantées mondialement comme Auchan, Carrefour, Décathlon... la réorientation active et coordonnée de la chaîne « production-consommation-recyclage » est en conséquence possible ici plus qu'ailleurs. Ceci est d'autant plus possible que le Conseil Constitutionnel a reconnu le caractère constitutionnel de la Charte de l'environnement adoptée en 2005 et sa primauté éventuelle sur la liberté d'entreprendre en raison des principes de prévention des atteintes à la santé humaine et à l'environnement.

Par ces actions ciblées, les secteurs de la plasturgie et de la grande distribution doivent être réorientés pour leur permettre de devenir les leaders mondiaux des emballages bios avec une position dominante sur les matériaux de substitution, leadership scientifique, technique et productif source de croissance économique durable et de centaines de milliers d’emplois tant le besoin mondial est grand, et immédiat.

C’est ce que j’appelle l’Écologie Stratégique, où le triptyque producteurs, consommateurs et planète sont gagnants, en lieu et place de l’écologie oratoire, inefficace et culpabilisante des gouvernements Macron où il n’est surtout pas question de déranger l’industrie mais de la soutenir, y compris dans ses plus grands travers, comme le montre par ailleurs l’aberration du soutien public à la généralisation des voitures électriques que j'ai dénoncée.

La France donneuse de leçons, qui a une importante responsabilité dans la consommation mondiale de plastique en tant que pays développé, et ainsi dans la pollution, peut et doit devenir le premier pays industrialisé interdisant complètement l’utilisation du plastique d’emballage ménager, donnant l’exemple et la voie. Sur son site l’Elysée indique que la France poursuit la recherche de la conclusion d’un accord international sur la pollution par le plastique mais c’est toujours se défausser sur un improbable accord international alors qu’une politique nationale est possible. Au-delà des belles formules, des COP blablateuses, beaucoup de consommateurs sont prêts à le comprendre, et s’y adapter.

(Article précédemment publié dans la revue Marianne)

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T
Ce que dit l'auteur sur l'envahissement du plastique, sa nocivité est tout a fait juste. Je ne sais pas ce que sont les emballages bio à part le carton, papier et verre consigné. La façon de consommer est en cause avec des plats tout préparés qui remplissent les rayons des supermarchés. Et la France reine des hyper et supermarchés...<br /> C est tout un mode de vie qu' il faut changer et tous les sujets sont désespérants....
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M
Merci pour le commentaire, les emballages "bios" existent depuis toujours : le métal des conserves par ex, il est tout à fait possible pour les bouteilles, shampoing, petits plats à emporter d'utiliser de l'aluminium fin qui est 100 % recyclable. le tissu pour la charcuterie est traditionnel aussi, le papier cartonné peut remplacer bcp de plastiques. le verre aussi bien sûr mais il casse et est encombrant, et ceux qui rêvent de retourner à la consigne ne se rendent pas compte de l'évolution irréversible des supermarchés qui n'ont plus de place en réserve puisqu'ils sont livrés à flux tendu aujourd'hui. Quoi qu'il en soit les solutions sont là, il manque juste une vraie VOLONTE
D
Si il existe encore quelques géologues dans les millénaires à venir, il n'est pas exclu que notre époque soit un jour géologiquement définie comme le "plasticocène" tant ces produits sont désormais présents partout sur la Terre et tant leur temps de décomposition est long. On en trouvera dans les couches sédimentaires au fond des mers et des océans et sur tous les continents. <br /> Seule consolation, la couche sera probablement assez fine, tant à l'échelle des temps géologiques, l'usage de ces produits à base de pétrole (ou autres sources d'énergies fossiles) aura forcément été bref. En attendant, c'est toute la planète et sa faune qui en souffrent.<br /> L'humanité dans son ensemble peut être considérée comme irraisonnable et dévastatrice.