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15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 13:54

En 2016, sous le titre "La bombe P n'est pas désamorcée", la revue  Éléments  publiait cet entretien entre Fabien Niezgoda, professeur agrégé d'histoire et Didier Barthès porte-parole de Démographie Responsable. Il est toujours d'actualité, les raisons qui motivent l'association restent les mêmes et le monde a "gagné"  650 millions d'habitants depuis l'entretien et 1,2 milliard depuis la naissance du mouvement.

 

Fabien Niezgoda: Démographie responsable a été créée en 2008. Comment est née et s’est développée cette association ?

Didier Barthès : La motivation initiale fut tout simplement une sensibilité à la nature, la tristesse de voir partout les espaces sauvages grignotés par la civilisation, et la conscience que, pour une part, ce grignotage était lié à nos effectifs toujours croissants. Quelques personnes s’en sont ouvertes les unes aux autres et ont décidé de fonder l’association. Peu à peu, devenus plus nombreux, nous avons pu développer nos activités, affichages, tracts, participations à des forums, interviews, manifestations, conférences… Comme pour d’autres mouvements, internet a été déterminant pour fédérer des gens au départ plutôt isolés. Aujourd’hui encore, beaucoup de ceux qui nous rejoignent font la même remarque : « j’ai réalisé que d’autres pensaient comme moi, je pensais croyais être seul et n’osais pas en parler ». Un tabou pèse sur la question.

Q. : Pour beaucoup, l’idée d’un contrôle démographique évoque la politique de l’enfant unique mise en place en Chine en 1979 (et dont la fin vient d’être décidée). Cette politique autoritaire était-elle justifiée ? Peut-on la considérer comme un modèle ?

DB : Rétrospectivement, cela a sans doute été une bonne chose. Cette politique a été mise en place quand la Chine a vu sa démographie s’emballer malgré l’amorce d’une baisse de la fécondité. Sans elle, le pays aurait aujourd’hui de 4 à 500 millions d’habitants de plus. Cette charge aurait lourdement obéré le développement et intensifié l’occupation de tous les territoires au détriment de la nature. On ne peut toutefois nier le caractère liberticide de cette politique, accompagnée de surcroît de nombreux abus. Mais il faut en tirer la leçon: plus nous tardons à engager, de façon douce et incitative, une baisse de la fécondité, plus nous risquons d’être confrontés demain à des mesures plus dures et bien peu démocratiques.

Q. : Malgré les équations de Ehrlich-Holdren et de Kaya, qui intègrent la population comme facteur essentiel de notre impact global sur l’environnement, les partisans de la décroissance ont souvent tendance à négliger la démographie, préférant insister sur la question de la consommation.

DB : Il n’y a nulle raison d’opposer une action sur les modes de consommation et la lutte contre la surpopulation, les deux se conjuguent. À 99 %, les mouvements écologistes ne parlent que du premier volet : il était nécessaire que quelques personnes s’emparent du second. Les équations évoquées rappellent une évidence : l’effet de tout phénomène résulte du produit de son intensité par son ampleur. Il est curieux que même les milieux de la décroissance, pourtant au fait des questions quantitatives, renâclent à élargir et appliquer leur réflexion à la population. Craignent-ils de donner une mauvaise image d’eux-mêmes ? La seule prise en compte du mode de vie révèle une fois de plus le tabou de la démographie. On le retrouve dans le caractère négatif attaché à l’adjectif malthusien, ou quand, régulièrement, l’ensemble de la presse et du monde politique se réjouit sans aucun recul des « bons » chiffres de la fécondité française. Il est ancré dans nos mentalités que le plus est le mieux.

Q. : Aristote, après Platon, traite d’une façon exemplaire de la question de l’optimum démographique d’une cité. Comment a-t-on abandonné cet attachement des Grecs classiques à la juste mesure, et cessé de comprendre cette évidence rappelée dans la Politique : « une grande cité et une cité populeuse, ce n’est pas la même chose » ?

DB : Je crois que la technologie nous a trompés. En augmentant les rendements, en favorisant les transports, elle nous a donné l’illusion de l’omnipotence. Nous nous sommes crus libérés de toute limite. Sans doute la pensée grecque était-elle, ou paraissait-elle, peu adaptée au monde industriel. Or la technologie ne crée pas de nouvelles ressources. Elle nous a plutôt permis d’exploiter plus vite et plus complètement celles de la planète, de « consommer le capital ». Aujourd’hui avec la déplétion de ces ressources, les questions quantitatives redeviennent cruciales. Le sens des limites nous serait bien utile. On le retrouve dans la philosophie de la décroissance, et il était d’ailleurs présent dans les premiers slogans de l’écologie : small is beautiful… Olivier Rey en a développé brillamment certains aspects dans son récent livre Une question de taille. Yves Cochet travaille aussi dans ce sens avec l’Institut Momentum.

Q. : Lecteur de Gibbon (qui pourtant ne s’exagérait pas l’ampleur de la submersion qu’auraient représentée les masses barbares), Malthus voyait dans la prolifération des Germains un facteur-clé de la chute de l’Empire romain ; de leur côté, les Romains étaient de longue date devenus malthusiens. Les plus sages, en un sens, ont donc perdu. Ne touchons-nous pas là à la faille essentielle du malthusianisme ? De même qu’un désarmement unilatéral n’a jamais signifié la paix mais seulement la capitulation, le « malthusianisme dans un seul pays » n’expose-t-il pas celui-ci à une invasion à plus ou moins brève échéance en provenance de zones à plus forte pression démographique ?

DB : La population française représente 0,9 % de la population mondiale, une politique nataliste qui la ferait remonter à 1 ou 1,1 % (car telles sont les marges de manœuvre) ne changerait rien à l’affaire, ce n’est plus par cette course contre le reste du monde que nous pouvons nous préserver des migrations. L’Afrique aura 4 milliards d’habitants à la fin du siècle (20 fois plus qu’en 1950 !). Il s’agit d’affirmer notre culture, plus que de lutter vainement par les berceaux. Il faut aussi d’aider les pays en développement à maîtriser leur fécondité, pour permettre aux populations locales de ne pas être les premières victimes de leur explosion démographique.

Q. : L’action de Démographie responsable ne se conçoit donc pas sans contacts internationaux. Dans les pays du Sud, premiers concernés par la question de la surpopulation, les discours malthusiens en provenance du Nord ne sont-ils pas perçus comme condescendants, paternalistes, ou parfois même carrément racistes, comme le laissent parfois entendre certains anti-malthusiens occidentaux, tel Hervé Le Bras ?

DB : Il existe dans plusieurs pays d’Europe des groupes comparables, fédérés au sein de l’European Population Alliance (1). L’association anglaise Population Matters compte à elle seule plusieurs milliers de membres. Aux États-Unis, plusieurs mouvements similaires, souvent liés à des organisations environnementales et/ou en faveur du développement, connaissent un réel succès.Hélas, en effet, les messages prônant une certaine « modestie démographique » sont parfois perçus avec méfiance. Bien entendu, les natalistes ne se privent pas d’encourager ces réactions, en chargeant la barque. Un discours ferme et des actes cohérents permettent d’échapper à la caricature. Ainsi, nous avons pu organiser l’envoi et la distribution de préservatifs en Afrique, en collaboration avec des écologistes locaux. Cela montre bien qu’il existe là-bas aussi une vraie conscience du problème. Tous les Africains ne considèrent pas que les Européens qui les mettent en garde contre l’explosion démographique de leur continent seraient racistes, au contraire.

Q. : Le défi démographique est-il correctement abordé par l’ONU et ses agences ?

DB : Il existe dans les grandes institutions internationales une réelle conscience du problème. L’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a d’ailleurs lui-même souligné la gravité de l’enjeu. Au sein du Fonds des Nations unies pour la population, comme à l’Agence Française de Développement, le sujet est bien présent. Il faut bien constater pourtant que cette conscience n’a pas conduit à endiguer suffisamment la croissance démographique mondiale. L’Asie par ses effectifs gigantesques, l’Europe par sa densité moyenne très forte, l’Afrique dont le potentiel de croissance menace tant le développement que les équilibres écologiques en sont les témoins. Chacun attendait un développement harmonieux du monde, une transition démographique rapide, la généralisation, sur le mode occidental, d’une fécondité autour de deux enfants par femme, pour assurer le renouvellement des générations tout en évitant l’explosion. Force est de constater aujourd’hui que ce schéma optimiste ne se réalise pas ou en tout cas pas assez vite.

Source : Revue Éléments (numéro de janvier-février 2016 sous le titre, La bombe P n’est toujours pas désamorcée).

(1) Depuis cet entretien, l'European Population Alliance n'existe plus, il s'est par contre créé l'Eurasp, une fédération d'associations européennes dont les idées sont proches de celles défendues par Démographie Responsable, laquelle en fait d'ailleurs partie.

Source : Revue Éléments, numéro de janvier-février 2016, sous le titre : "La bombe P n'est pas désamorcée".

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