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29 février 2024 4 29 /02 /février /2024 13:44

Un article de Bernard Bousquet

Voici (voir ce lien : Greenpeace et la question de la démographie), ce qu’on entend et lit encore, en 2023, de la part d’une organisation écologique que l’on croyait pourtant sérieuse et objective. Greenpeace, n’admet visiblement pas que démographie et écologie soient antagonistes, indépendamment des inégalités sociales et du rôle du capitalisme mondial.

S’opposant à l’idée de surpopulation pour la raison même que cette menace serait brandie pour faire endosser aux populations défavorisées la responsabilité de la crise climatique, Greenpeace semble ne pas vouloir admettre qu’un trop grand nombre d’humains puisse avoir un impact quelconque sur l’environnement. Pour l’organisation écologiste, l’environnement semble se limiter aux émissions de GES dont seules quelques dizaines de multinationales seraient responsables ! Pourtant, une analyse un peu approfondie montre que :

1) Sur le plan du dérèglement climatique, l’ « empreinte écologique » (Global Footprint Network) permet de constater que la biocapacité planétaire se réduit d’année en année du seul fait de notre nombre. Plus nous sommes nombreux, moins nous avons d’ « hectares globaux » à notre disposition. Cela n’enlève rien au fait qu’une minorité de pays et une minorité de personnes très riches sont les plus gros consommateurs de ressources naturelles, les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) et les plus gros pollueurs. Mais ce sont là deux problèmes différents. Un Chinois tout seul a une empreinte écologique faible comparée à celle d’un Américain, mais la Chine dans son ensemble, avec son énorme population, est de loin le plus gros émetteur de GES de la planète. On le voit, l’augmentation de notre population a un impact certain sur le climat. Nous verrons aussi plus loin que le GIEC a sousestimé les émissions polluantes africaines.

2) L’environnement ne se résume pas au climat, il englobe aussi la biodiversité. Dans ce domaine, il est difficile d’admettre que l’explosion démographique de l’Afrique subsaharienne puisse être sans conséquences ! L’augmentation incessante et rapide de ses populations cause sur le continent noir des préjudices considérables aux écosystèmes naturels. Ainsi, le deuxième plus grand massif forestier de la planète (après l’Amazonie) est rongé de l’intérieur par l’agriculture sur brûlis itinérante, dont la cause primaire n’est autre que l’accroissement du nombre des bouches à nourrir. Même si ce sont souvent les sociétés forestières (européennes, asiatiques, multinationales) qui exploitent de façon plus ou moins opaque la forêt dense, ouvrent des pistes forestières dans lesquelles, comme dans des voies d’eau, les agri-villageois et les braconniers s’engouffrent, métastasant les dernières grandes forêts primaires !

Dans les villes africaines, plusieurs étant devenues des mégapoles (Lagos, Kinshasa, Abidjan, Luanda, Dar-es-Salaam …), la consommation de bois (combustible principal) ravage des territoires entiers. Les terres cultivées s’étendent de plus en plus au détriment des savanes et des forêts, jusque-là parcourues par une exceptionnelle diversité animale. Mais la destruction des habitats naturels et le braconnage la cantonnent peu à peu la faune dans ses derniers refuges, parcs nationaux et réserves, que les gestionnaires essaient tant bien que mal de justifier et de protéger face aux pressions périphériques.

Comment ne pas voir que surnatalité et surpopulation sont antinomiques au bien-être humain ? Quelle femme africaine accepte de bon cœur d’engendrer un enfant tous les deux ans dès son adolescence ? De supporter le coût économique d’une famille nombreuse, qu’au moindre aléa elle verra sombrer dans la famine et la pauvreté ? Quelle jeune fille, avec des projets d’avenir, accepte de bon coeur de se voir retirer de l’école à 13 ans en vue d’être mariée ? Greenpeace va chercher des exemples extrêmes, comme la stérilisation forcée de femmes racisées ou la fusillade d’El Paso, pour tirer sa dernière et fatale cartouche en guise de conclusion : le racisme !

Pourquoi aller chercher le racisme en appui à une prise de position radicalement démosceptique (néologisme quelque peu ambigu qui se comprend par rapport à la démographie et non à la démocratie) ? Mais où se situe le véritable humanisme ? Comment l’homme pourrait-il vivre librement et sereinement sa condition humaine en continuant de se multiplier ? Car même si les projections de l’ONU montrent que la population mondiale se dirige vers un sommet démographique de 11 ou 12 milliards d’humains en 2100, il n’en demeure pas moins que le continent africain risque de voir (sans changement de trajectoire) sa contribution augmenter jusqu’à 40 % du total.

Qu’aura l’Afrique à gagner d’un tel bilan ? Elle aura dilapidé la quasi-totalité de ses richesses naturelles renouvelables, sa population s’entassera dans des mégapoles surpeuplées aux gigantesques bidonvilles violents et malsains. Et comment ne pas admettre en sus que cette croissance démographique est l’un des paramètres les plus prégnants de l’insécurité alimentaire (sans négliger la crise climatique, la guerre en Ukraine, le Covid-19, le djihadisme, les invasions acridiens …). L’autonomie nutritionnelle, la résilience agricole d’une grande partie du continent sont toutes deux mises à mal par la dégradation des sols et les fléaux précédents.

Scénario catastrophe ? Dénoncer la surnatalité et la surpopulation n’est pas consubstantiel de la thèse du « grand remplacement », dont parle certain courant de l’extrême droite française quand il envisage l’ampleur de l’immigration en France et en Europe, ou quand il propose la « remigration » comme un palliatif à ce problème. Il n’y a aucune honte à montrer de l’inquiétude face à cette dangereuse évolution démographique de l’espèce humaine. Le grand remplacement existe bien, mais pour décrire un tout autre phénomène : la confiscation par l’être humain de l’ensemble des niches écologiques à son profit exclusif. Un anthropocentrisme au détriment des autres espèces du vivant que nous délogeons peu à peu de leur ancestrale place au sein de la biosphère. Notre inquiétude ne concerne pas la seule Afrique et ses 1,4 milliard d’humains actuels.

En Europe aussi la démographie semble intouchable, et aucun pays n’envisage de donner un coup de frein à la croissance de sa population. Quoique vieillissant, le « vieux » continent ne se dépeuple pas pour autant ! L’immigration compense largement les déficits de natalité internes. Or cette immigration, perçue uniquement comme un flux quantitatif de personnes, est directement dépendante du rapide accroissement démographique du grand voisin africain. Voulue ou pas, elle ne peut que s’amplifier étant donné les conditions de vie de plus en plus défavorables que connaissent et vont connaître (si rien ne change) les populations d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale. Les dérèglements climatiques, les destructions écologiques, les conflits internes, les fléaux sanitaires, et les pertes d’autonomie des pays subsahariens en sont et en seront les causes essentielles. Nous voyageons, en France au moins, au pays des contradictions ! D’un côté, un discours officiel qui prône la sobriété et la transition écologique doté de lois telles que « Climat et résilience », « Zéro Artificialisation Nette », « Accélération des énergies renouvelables » …, de l’autre un discours tout aussi officiel de « réarmement démographique » avec une politique nataliste qui se renforce. Incohérence d’exiger de chacun plus de sobriété et une population qu’on veut croître plus vite. Alors qu’il faudrait stabiliser notre nombre.

Oui, il est temps de le faire. Il n’est là question ni de dirigisme ni d’autoritarisme dans ce domaine, mais de simple bon sens : l'équilibre démographique est basé sur deux enfants par famille (sans émigration, ni immigration). La surpopulation est déjà évidente dans de nombreux territoires d’Europe. Ce faisant on se ferme des portes de sortie.

Que fera-ton quand on aura compris que la sagesse est du côté de la territorialisation de l’économie ? Du côté d’une agriculture adaptée aux territoires, de 3 sources d’énergie locales, de circuits courts, de mobilités massivement vertes … Revenons à l’Afrique. Il existe des leviers efficaces pour limiter la surnatalité subsaharienne et les surpopulations qu’elle génère (Nigéria …). L’Europe a les moyens d’aider l’Afrique à ne pas sombrer dans ce gouffre dont malheureusement peu de pays paraissent réaliser le danger. Les programmes de planning familial associés à des programmes d’éducation, d’émancipation et d’autonomisation des femmes ont prouvé leur efficacité. Mais les besoins sont considérables et le temps ne joue pas en leur faveur : il manque actuellement 15 millions d’enseignants à l’Afrique ! La volonté politique est un préalable indispensable, hélas elle fait encore défaut. Le démographe H. Leridon (INED) a calculé qu’en agissant tout de suite, l’Afrique pourrait s’éviter 1,2 milliards d’habitants en 2100. Elle n’en compterait alors que 3,3 milliards, au lieu des 4,5 projetés qui formerait l’effrayant pourcentage de 40 % de la population de la Terre. Cette économie représente l’équivalent de la population de quatre Nigeria, de centaines de milliers d’hectares de terres et de forêts économisés, et probablement de grandes quantités d’émissions de GES évitées.

Car les émissions polluantes de l’Afrique ont été sous-estimées par le GIEC à l’horizon 2030, comme une étude du CNRS vient de le montrer récemment : « elles pourraient atteindre 20 à 55 % des émissions globales anthropiques des polluants gazeux et particulaires ». Car d’une part, on oublie souvent de prendre en compte dans les calculs les pertes de carbone dues à la déforestation (feux de brousse, brûlis des défrichements, sols à nu), de l’autre, les scientifiques annoncent que le bilan carbone des grands massifs forestiers africains, de plus en plus fragmentés, se dégrade d’année en année. En clair, comme en Amazonie, ils risquent de basculer vers plus d’émission que de captage de CO2. Cette correction met du sable dans le raisonnement de Greenpeace : la baisse de la croissance démographique subsaharienne aurait donc bien à terme un effet positif sur le climat. Il ne s’agit pas de « contrôle démographique », mais l’expression est utilisée par ceux-là mêmes qui s’opposent à toute régulation de notre population, pour mettre en exergue un caractère répressif et privatif de cette politique. La politique de l’enfant unique de Mao, le malthusianisme, ont laissé des traces dans nos imaginaires … J’ai proposé les termes d’éco-démographie et de société d’équilibre et de renaturation (La Sagesse de l’éléphante, ed. Libre & Solidaire, Paris 2023).

Greenpeace, association écologique, serait-elle en faveur de l’artificialisation des sols ? Car comment l’éviter, comment mettre en place une loi ZAN sans stabilisation démographique. Comment empêcher l’étalement urbain ? Greenpeace ignore-t-elle que le logement est responsable à 60 % du grignotage des ENAF (espaces naturels et forestiers) ? Ignore-t-elle que 4 selon l’UICN, la France perd chaque année plus de 60 000 ha de terres (l’équivalent d’un département par décennie !) ? On sait que les méthodes vertueuses, telle que l’agro-écologie, qui prônent des agricultures à taille humaine diversifiées et territorialisées, ont des rendements moindre que l’agriculture et l’élevage intensifs. Comment les généraliser sans envisager au préalable une politique éco-démographique ?

J’ai toujours admiré et continue d’admirer et de supporter (même si je ne cotise pas, car j’adhère déjà à un certain nombre d’associations militantes) les actions de Greenpeace. Mais de grâce, que l’Organisation ait la sagesse de ne pas se fourvoyer dans un domaine qu’elle ne semble pas maîtriser. Je crois même, qu’au moyen d’un contre-article, il serait tout à son honneur de faire machine arrière en matière de démographie. Cette nouvelle prise de position briserait un tabou et décoïncerait un débat, que les écologistes politiques n’ont jamais voulu enrichir (à part Dumont, Cousteau, Levi Strauss, bien sûr), craignant (à tort à mon avis) de s’enliser dans les terres de l’extrême droite.

Bernard BOUSQUET Écologue-forestier

Membre de Démographie Responsable et de la Sepanso

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commentaires

S
Cet article devrait être lu par l'ensemble des dirigeants de la planète tant il est complet et affranchi des vieux schémas de pensées obsolètes. Ajoutons que l'explosion demo s'accompagne d'un recul de certains acquis. Dans mon pays, où l'homosexualité n'a jamais été légalisé, la répression populaire s'accroît, incitant certains homosexuels à faire des enfants pour échapper aux sanctions. Bien sûr, Greenpeace préfère alerter sur la stérilisation forcée, c'est plus consensuel...
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D
Bonjour, merci de votre commentaire, je le transmets à l'auteur
C
À noter la convergence et la coïncidence de cet article avec l'inscription dans sa constitution, par la République Française, du droit à l'IVG, qui marque la plus grande victoire que l’humanité ait jamais remportée depuis qu’elle existe, sur sa condition ainsi que sur son obscurantisme démographique, avec toutes conséquences sur son environnement .
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T
Excellente réponse de B. Bousquet à l'aveuglement de Greenpeace !
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