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5 avril 2014 6 05 /04 /avril /2014 18:44

Il n'est jamais facile de quitter les ors de la République et d'abandonner avec le pouvoir le sentiment de faire bouger les choses. C'est pourtant ce qu'a décidé Cécile Duflot, le véritable leader d'EELV.  

Ce repli hors des palais ministériels peut se comprendre. Fallait-il cautionner un nouveau gouvernement qui met en premier objectif la réduction des déficits financiers et la poursuite à tout prix de la croissance, ouvrant par là des doutes sur son refus à terme de l'exploration des gaz des schistes et sur sa volonté de réduire vraiment la part du nucléaire en France ? Fallait-il aussi accepter de travailler sous l'impulsion d'un premier ministre, ancien ministre de l'Intérieur qui appliqua avec une certaine rigueur les règles sur l'immigration, en opposition complète avec le généreux programme d'Europe Écologie les Verts qui met en avant l'ouverture au monde et la fluidité des hommes ? Fallait-il continuer de soutenir une présidence qui ne s'intéresse pas vraiment à la fiscalité écologique, comme l'a montré sa frilosité sinon sa pusillanimité dans l'affaire de l'écotaxe ?

Les militants écologistes d'EELV avaient déjà bien montré à Caen en novembre 2013 toutes leurs interrogations, tous leurs doutes, toutes leurs réticences à cette participation à l'exercice du pouvoir lors de leur dernier congrès.

Bref, si on peut entendre l'hésitation qui s'est fait jour, portée notamment par leurs parlementaires Barbara Pompili et François de Rugy, quant à profiter de l'offre de Manuel Valls d'un grand ministère de l'Ecologie (rappelant d'ailleurs le ministère dévolu en 2007 à Alain Juppé dans l'euphorie de l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, signataire du Pacte écologique proposé par Nicolas Hulot), il est aussi aisé de comprendre que les valeurs et les choix portés par EELV ne seraient pas très à l'aise dans ce nouveau gouvernement dont l'efficacité revendiquée ne permettrait plus de masquer les divergences dont il avait été somme toute assez facile de s'accommoder dans le gouvernement plus tranquille et moins dynamique de Jean-Marc Ayrault.

Et puis, quel intérêt politique de s'associer à un gouvernement qui va devoir prendre des mesures impopulaires, en s'attaquant notamment à une part de l'Etat-providence, sans même avoir une perspective d'amélioration concrète avant la fin du mandat présidentiel de François Hollande ?

La sortie du gouvernement dans ces conditions peut donc apparaître, même si ce refus de participer peut aussi être lu par certains (1) comme un choix de confort fait au détriment de la défense de l'écologie et heurter une partie significative de l'électorat écologiste, à la fois comme le choix le plus en phase avec la culture politique des militants écologistes d'EELV et comme le choix le plus rationnel quant au strict plan de l'intérêt du parti.

Sortie du gouvernement d'autant plus intéressante que se dessine une autre configuration gagnante.

Comme dans la capitale des Alpes où Eric Piolle, militant EELV mais aussi ancien de la FIDL (2), participant au Réseau Éducation sans Frontière et proche de Pierre Larrouturou, le récent fondateur de Nouvelle Donne, a gagné la mairie contre le Parti Socialiste, en s'associant avec le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. Il se devine ici, que ce soit à travers le profil personnel d'Eric Piolle ou les accords passés avec la gauche de la gauche, les contours d'une nébuleuse qui peut trouver, dans les moments difficiles qui s'annoncent, une dynamique particulière basée sur une alliance entre les bourgeois-bohèmes urbains très sensibles aux questions écologiques et tous ceux qui ont un intérêt au maintien sans faille de l'Etat-providence historique, gravitant autour du secteur public ou dépendant directement ou indirectement de ses aides. Alliance qui peut trouver son fonds de sauce politique dans la défense de l’Éducation, une aide significative aux banlieues comme à l'accueil des immigrés, une politique administrée du logement clairement en faveur des locataires, et le soutien effectif et volontariste - via des mécanismes plus ou moins subtils de financement basés sur l'endettement ou la création monétaire comme ceux décrits dans le programme de Nouvelle Donne ou dans les propositions de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme (3) - à la transition écologique (énergies renouvelables, isolation thermique, etc.), pourvoyeuse de bien de nouveaux emplois.

Cette nouvelle configuration, on peut l'appeler la tentation de Grenoble.

Elle a l'immense avantage, d'abord, de bien correspondre aux valeurs dominantes de l'écologie politique, qui en France s'est historiquement construite dans la foulée de Mai 68, et toujours à gauche de la gauche.

Elle se situe à Grenoble, ville bien connue depuis Hubert Dubedout comme lieu d'expérimentation politique ; après tout, le symbole n'est pas rien dans la culture politique française et résonne encore comme l'aube d'un renouveau de la gauche dans la France gaulliste.

Cette tentation de Grenoble a aussi et surtout pour elle la capacité à articuler un projet politique de défense de l'Etat-providence jusqu'à ses recoins les plus archaïques, avec la prise en compte novatrice, et qui paraît si nécessaire à beaucoup d'entre nous, de la transition écologique, offrant par là un débouché politique cohérent à tous ceux qui se détournent de l'expérience socialiste dans le cadre d'une économie libérale mondialisé menée par François Hollande depuis mai 2012.

Cette nouvelle configuration, c'est le pari politique de Cécile Duflot, ce qu'elle appelle « la social-écologie » (4), et ce n'est surtout pas la simple manifestation d'un prurit gauchiste comme certains voudraient le croire. Si sa viabilité politique ne fait guère de doute, il reste toutefois à s'interroger sur la viabilité réelle de ce programme (5), et si ce dernier n'est pas en train d'amener l'écologie politique dans une impasse historique, en jouant plus sur notre croyance enracinée dans un volontarisme politique capable de passer outre aux contraintes du réel que sur la nécessité d'aborder de front les problèmes qui se posent au pays en exposant au peuple le plus clairement possible les avantages et les inconvénients d'un virage écologique.

Face au choix opéré par Cécile Duflot de ré-légitimer et de renouveler le social-étatisme français par l'écologie, il pourrait paraître utile de commencer à tracer une autre voie pour l'écologie. Une voie qui refuserait les montages technocratiques seulement construits pour masquer les impacts inévitables que produirait une économie enfin durable ; une voie qui saurait jouer de tous les leviers possibles, de la décroissance acceptée de la consommation matérielle à une diminution choisie et contrôlée de notre population, tout en préservant les acquis d'une économie sociale de marché ; une voie capable d'entraîner les citoyens à déconstruire cette société urbano-industrielle basée sur la frustration et débouchant sur la pollution, la violence et le vide ; une voie basée sur l'adhésion consciente des efforts à fournir, et de l'abandon des facilités que cela signifie. Un chemin moins aisé à proposer, mais peut-être le plus prometteur à terme.

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1 : Remaniement : le jour où les Verts ont renoncé à l'écologie, Marie-Sandrine Sgherri, in Le Point, le 02/04/2014. Voir aussi l'analyse de Daniel Boy du Centre de Recherches Politiques de Sciences-Po in  l'Express, le 03/04/2014.

2 : La FIDL, en toutes lettres la Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne, est une organisation lycéenne française à but syndical, fondée en 1987.

3 : Marion Cohen et Alain Grandjean ont été en mars 2011 les rédacteurs d'un document intitulé Financer l'avenir sans creuser la dette, document de travail d'un séminaire de réflexion qui s'est tenu le 30 mars 2011. Le cœur du programme repose sur une politique de création monétaire au niveau de la Banque Centrale Européenne dont les auteurs finissent par reconnaître qu'elle 'conduit à un déficit public' (cf p.15 dudit document in encadré de bas de page). Par égard pour les auteurs et les nombreux contributeurs de cette note qui ont travaillé plus d'un an pour l'élaborer, on évitera de s'appesantir sur la contradiction entre le titre du document et ce qu'il implique : ne pas creuser la dette et accroître le déficit. On retrouve ici le recours à une complexe logique d'ingénierie monétaire utilisée pour éviter de dire clairement aux citoyens des pays européens que la transition écologique repose sur des arbitrages difficiles qui supposent une réorientation concrète de leurs dépenses et in fine une baisse de leur niveau de vie actuel au sens matériel. Juste une question : peut-on imaginer programme plus technocratique, évitant soigneusement de poser démocratiquement la question du virage écologique et des abandons volontaires qu'il suppose ?

4 : «Choisir la social-écologie, cela veut dire ne pas seulement préserver un modèle obsolète, mais préparer un avenir intense en emplois, où l'on produit et consomme différemment», explique l'ancienne ministre Cécile Duflot in Interview à Libération le 04.04.2014.

5 : Voir à ce sujet notre analyse sur le programme de Nouvelle Donne, programme qui peut être pris comme un élément important de cette nouvelle configuration et dont on voit la proximité avec les travaux menés par Stéphanie Roy, Nicolas Bouleau, Jean-Luc Gréau et alii, dans le cadre de la Fondation Nicolas Hulot (voir note précitée, p.2).

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