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16 janvier 2021 6 16 /01 /janvier /2021 07:24

Un article d'Antoine Solomiac

En ce début d’année 2021, huit ans et demi après Merah, six ans après Charlie, et alors qu’un professeur de l’enseignement public vient de se faire décapiter pour blasphème, la France se penche officiellement sur son rapport avec l’islam et avec l’islamisme.

C’est un fait nouveau. Depuis Charlie et l’abandon du concept de « loup solitaire » qu’on s’était empressé d’accoler à Merah, le mot d’ordre des pouvoirs publics a été constant : pas d’amalgame, au point qu’on a fini par qualifier de « pas-d’amalgamistes » ses auteurs et ses relais. Mais ce mot d’ordre du pouvoir hollandiste correspondait alors au vœu d’une majorité de l’opinion et était repris à l’unisson par la droite et les médias : il n’y avait pas de problème avec l’islam en France mais seulement des terroristes, des radicaux, des radicalisés, quand ce n’était pas tout simplement des déséquilibrés, pouvant avoir agi pour des motifs « religieux », ignorant eux-mêmes qu’ils étaient mus, en réalité, par une logique d’exclusion sociale.

Le chef d’œuvre de ce discours orwellien était donné au mois d’octobre par le New York Times qui titrait, après l’assassinat de Samuel Paty : « Un homme abattu par balles par la police française après une attaque meurtrière au couteau dans la rue » (French Police Shoot and Kill Man After a Fatal Knife Attack on the Street). Un fait divers en quelque sorte.

Il aura fallu que le président de la République donne de sa personne en parlant de séparatisme islamiste pour que ce mot réintègre le débat politique officiel, les gens de cour se sentant autorisés à mettre le nom sur la chose, non sans réticence d’ailleurs, presque sur la pointe des pieds. La droite a déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, le gouvernement riposte avec un projet de loi confortant les principes républicains, ces textes étant l’un comme l’autre expurgés de quelque référence que ce soit à l’islam ou à l’islamisme.

De surcroît, le socle de la pensée officielle est qu’il n’existe aucune continuité ni aucune corrélation entre islam et islamisme. Cette différenciation radicale entre les deux termes, qui se présente comme une constatation de fait, ne résulte pas de l’observation sociale mais est déduite de l’opinion, au demeurant respectable, que la stigmatisation de la communauté musulmane consécutive au terrorisme serait à la fois injuste à son égard et préjudiciable à la cohésion nationale. Les représentants de la classe politique française n’hésitent pas à se transformer, pour les besoins de la démonstration, en exégètes du Coran : une religion de tolérance et de paix.

Le problème est que cette vision irénique est contredite par les études d’opinion réalisées par l’IFOP pour le compte de l’Institut Montaigne en mai 2016, puis de Charlie Hebdo et de la Fondation Jean-Jaurès en août 2020, qui montrent au contraire qu’il y a bien continuité entre islam et islamisme. La population musulmane se distingue nettement du reste de la population française – composée de deux grandes masses, les chrétiens et les personnes sans affiliation religieuse – lorsqu’elle est interrogée, notamment, sur la hiérarchie entre les lois religieuses et les lois profanes, sur la liberté de critique de la religion ou sur le degré de compréhension du terrorisme.

Cette continuité entre islam et islamisme n’est pas propre à notre pays : la montée du fondamentalisme, depuis un demi-siècle au moins, concerne l’ensemble des populations musulmanes dans le monde. Pour la France, les études citées plus haut tendent à prouver, d’une part, que les distorsions évoquées entre communauté musulmane et communauté nationale se creusent avec le temps, d’autre part, qu’au sein de la communauté musulmane, les jeunes et les très jeunes (de 15 à 24 ans) sont les plus sensibles à l’islamisme : ils sont ainsi 74 % à répondre qu’ils « font passer leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République ».

Autant dire que malgré les discours officiels et les politiques publiques mises en œuvre depuis des années, souvent coûteuses, la situation ne s’est pas améliorée et ne risque pas de le faire dans un avenir prévisible. Les faits sont têtus. Comme le constatait sobrement un ancien Premier ministre, « la sécularisation de la religion musulmane recule ».

Que faire donc ? D’abord nommer les choses, ce qui ne veut pas dire nommer « l’ennemi » : personne ne songe en France à rééditer la bataille de Poitiers. Parler de l’islam, ce n’est pas occulter qu’une grande partie de nos compatriotes musulmans, notamment les aînés, placent encore les lois de la République au-dessus de celles de la religion et n’aspirent qu’à vivre paisiblement en conservant leur foi. Ils ne revendiquent, comme d’autres minorités, que le droit à l’indifférence, ni plus, ni moins non plus.

Mais c’est aussi regarder comment change la composition religieuse de la société française, avec le recul du catholicisme et la progression de l’irreligion, depuis un siècle, et avec la montée de l’islam, depuis un demi-siècle, principalement due à l’immigration et à la résilience culturelle et religieuse des populations concernées une fois installées dans notre pays.

Il y a environ six millions de musulmans en France, soit 9 % de la population, ce qui n’est pas en soi considérable mais qui en fait quand même le second foyer de peuplement musulman en Europe après la Russie et le premier de l’UE devant l’Allemagne.

Si l’on se penche maintenant sur les statistiques de l’état civil, c’est plus de 18 % des prénoms donnés en France à la naissance au cours de ces dernières années qui sont arabo-musulmans, soit le double de proportion des musulmans dans le pays. Cela fait ressortir tant le dynamisme démographique de la communauté musulmane au sein de la population française, que le caractère très relatif de son assimilation : ces prénoms sont encore donnés à la troisième génération en comptant celle de l’installation en France. Sans doute, au niveau d’une famille, le choix du prénom relève-t-il de la liberté individuelle, mais au niveau statistique il est le marqueur culturel et social de la place qu’occupe une communauté dans un pays et de son niveau d’intégration.

On compare souvent la situation des musulmans avec celle des immigrés européens en France du début du siècle dernier. Ces situations présentent pourtant deux différences : d’une part, les immigrés européens ne constituaient que 3,5 % de la population française de l’époque, soit deux et demi fois moins que la proportion des musulmans aujourd’hui, d’autre part, l’appartenance à une communauté religieuse est un facteur d’identification et de différenciation plus pérenne que la pratique d’une langue d’origine, qui s’oublie en une génération.

Continuité effective entre islam et islamisme, recul de la sécularisation de la religion musulmane, assimilation inaboutie de la communauté d’hommes et de femmes qu’elle rassemble, voire irrédentisme d’une partie de sa jeunesse, ces faits dérangent nos habitudes de penser. Ils remettent en cause nos idées sur les relations entre religion et société civile, jusques et y compris la notion de laïcité.

On peut, en effet, se demander si celle-ci a vocation à régler, de tout temps et en tous lieux, les rapports entre la religion et le pouvoir séculier, ou si elle ne constitue pas plutôt le compromis historique passé en France, au début du siècle dernier et après plus d’un siècle de luttes, entre une République conquérante et une église catholique connaissant les premiers signes de la déchristianisation du pays.

Nous avons longtemps, par ethnocentrisme, identifié notre représentation de la religion au catholicisme, ce qui nous amène désormais à trouver des « particularités » à l’islam. Mais l’islam ne se définit pas par rapport à une norme implicite, qui serait le catholicisme ou plus généralement le christianisme, « religion de la sortie de la religion ».

Il faut aujourd’hui nous garder de deux illusions, qui ont inspiré nos politiques publiques. La première est la possibilité d’éradiquer l’islamisme sans porter atteinte à l’islam, la seconde est l’idée de faire entrer celui-ci dans le paradigme de la laïcité. Ce sont des vœux pieux.

Nous devons changer notre manière de voir et poser la question de notre rapport à l’islam en termes quantitatifs, c’est-à-dire dans la perspective des relations entre la communauté nationale tout entière et la communauté musulmane, et non plus sur la base des rapports de droit entre l’Etat et chacun des individus qui composent cette dernière.

C’est une remise en cause sinon de l’approche laïque, du moins de la fameuse phrase de Clermont-Tonnerre en 1789 : « Tout refuser aux Juifs comme nation, tout accorder aux Juifs comme individus ». Car si l’islam n’est pas un Etat dans l’Etat, comme a pu l’être la Réforme sous Richelieu, il est en passe de devenir une petite nation dans la nation française. On peut fermer les yeux pour ne pas le voir, on peut faire des lois pour dire que cela n’existe pas, on finit toujours par se cogner sur la réalité.

Abandonner l’objectif de laïciser l’islam pour se fixer celui de le stabiliser, du moins en France, à son niveau actuel ou à un niveau qui ne soit pas trop supérieur, apparaît dès lors comme une réponse plus réaliste.

Il faut, en priorité, réduire le volume de l’immigration non européenne. Celle-ci est en effet musulmane dans la proportion de 80 % au moins de ses effectifs, compte tenu des pays d’origine des migrants. Elle représente un solde migratoire - nombre des nouveaux arrivants diminué de celui des immigrés quittant la France - d’environ 200 000 à 250 000 personnes de confession musulmane chaque année, soit de 0,3 % à 0,4 % de la population française vivant en France.

Réduire l’immigration se heurte toutefois à trois obstacles. Le premier est celui des ONG et syndicats qui réclament «la liberté de circulation et d’installation des femmes et des hommes sur l’ensemble de la planète » ; si ce courant reste minoritaire, il n’en bénéficie pas moins de relais solides dans les médias. Le deuxième obstacle est représenté par différents secteurs économiques (BTP, restauration, agriculture saisonnière), qui fonctionnent grâce à une main d’œuvre bon marché et précarisée ; c’est un obstacle plus sérieux, les forces économiques concernées disposant de lobbys au sein des institutions politiques et de l’administration. Le troisième obstacle, le plus important, tient à la difficulté juridique et pratique de réduire l’immigration, quand bien même la volonté politique existerait de le faire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 

Les trois flux majeurs de l’immigration non européenne sont le regroupement familial, l’accueil des étudiants étrangers et l’immigration clandestine. La réduction du regroupement familial est déjà limitée par le fait qu’une partie de celui-ci consiste en l’accueil sur notre territoire des conjoints de ressortissants français. Elle est, pour le surplus, rendue difficile par la reconnaissance d’un « droit à mener une vie familiale normale » qui résulte des jurisprudences du Conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel et des cours européennes (CEDH et CJUE), ayant toutes, à l’exception de celle du Conseil d’Etat, valeur supra-législative.

La limitation du nombre des étudiants étrangers n’est apparemment pas dans les projets de l’actuel gouvernement, qui veut au contraire en porter le nombre de 350 000 à 500 000 (étudiants européens inclus) dans les six ans qui viennent. Or, selon des statistiques officieuses, un tiers des étudiants étrangers, hors doctorants, resteraient en France sans titre de séjour après leurs études. 

Enfin, la réduction de l’immigration clandestine repose sur la surveillance physique de nos frontières terrestres et maritimes, ainsi que sur le contrôle des arrivants dans nos aéroports. Ces frontières ne peuvent être que celles de la France, y compris celles internes à l’Europe, en l’état de la porosité des frontières extérieures de l’UE et de la volonté assumée des instances européennes de favoriser la venue de migrants. Il nous faudrait donc, pour lutter efficacement contre cette forme d’immigration, conduire une politique de circulation des personnes en contradiction ouverte avec les accords de Schengen de 1985.

Au-delà des formules obligées sur le nécessaire contrôle des flux migratoires, la réalité est que notre pays accueille chaque année, avec persévérance, un contingent supplémentaire d’immigrés musulmans équivalent à 0,35 % de sa propre population et que les pouvoirs publics ne sont nullement disposés, dans les faits, à y changer quoi que ce soit.

A l’occasion de l’examen du projet de loi sur le séparatisme, dont le mot lui-même a été retiré, et du titre et du texte, le gouvernement a fait savoir qu’il ne saurait être question d’aborder le problème de l’immigration, sans du reste s’expliquer autrement sur ce point. Tout est dit.

Pour surmonter ces entraves qui semblent déposséder la France de sa propre souveraineté, comme dans un mauvais rêve où l’esprit ne parvient plus à commander au corps, il faut une volonté politique. Aucun homme, aucune femme, dans aucune fonction de la République, ne dispose aujourd’hui de l’autorité nécessaire pour imposer cette volonté, pour trancher le nœud gordien. Seul le peuple, s’exprimant par voie de référendum, est en mesure de le faire.

Antoine Solomiac.

 

 

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27 juin 2020 6 27 /06 /juin /2020 10:04

L’habitude a été prise d’opposer contrôle social et démocratie. Toute utilisation de technique  informatique fait peur et est souvent perçu comme une atteinte à nos mœurs démocratiques. Depuis un article célèbre des années 70 (1), la cause est entendue. Tout récemment, à l’occasion de la pandémie liée au coronavirus, beaucoup – et ici même dans ce blog - se sont interrogés sur les mesures de suivi étudiées par le gouvernement pour contenir la propagation de la maladie et n’ont pas hésité à y voir les prémices d’un monde type « 1984 ».

Toutefois les événements obligent à s’interroger plus avant, même si ce questionnement est tout sauf facile. Quand on voit des dizaines de milliers de personnes s’affranchir des règles de prudence légalement énoncées à l’occasion d’un moment festif, et notamment la fête de la Musique, quand on constate l’impuissance des forces de l’ordre à faire respecter les mesures de distanciation, force est de réfléchir au moyen d’organiser le respect des règles sanitaires dont l’enjeu est tout de même la vie de milliers de nos compatriotes. Sans compter l’impact économique qu’aurait un nouveau confinement sur l’économie de nos entreprises et l’emploi. Comment combattre une insouciance qui confine à l’inconscience et se soucie comme d’une guigne de toute solidarité envers les personnes les plus fragiles au nom du refus de toute frustration ?

Augmenter les moyens des forces de l’ordre ? Cela peut apparaître à certains comme une solution, mais que faire face à une marée humaine qui se moque de ses obligations ?

Concrètement seules les technologies nouvelles peuvent venir en aide à nos pouvoirs publics pour faire respecter les règles imposées pour le bien de tous. Un système d’identification par reconnaissance faciale de chaque individu permettrait de poursuivre ces personnes qui de fait mettent en danger leur vie et celle d’autrui. L’amende de 135 euros ? C’est un début mais cela n’est sans doute pas suffisant pour faire rentrer dans le bon chemin des individus essentiellement centrés sur eux-mêmes et leurs plaisirs immédiats. Faut-il alors aller, comme en Chine communiste, jusqu’à repérer les incivilités de chacun et ensuite tenir un fichier qui autorise ou refuse certaines prestations ? On peut alors imaginer comme sanctions des accès refusés aux universités pendant 1 ou 2 ans, des difficultés à obtenir un logement social ou une chambre en cité U, des majorations d’impôts, ou des suspensions d’aide sociale …

Bien sûr tout cela ne fait pas partie du monde idéal auquel chacun de nous rêve au moins un peu, mais il faut prendre nos sociétés telles qu’elles sont. Comme le dit Edgar Morin (2) « La seule chose qui puisse protéger la liberté, à la fois de l’ordre qui impose et du désordre qui désintègre, est la présence constante dans l’esprit de ses membres de leur appartenance solidaire à une communauté et de se sentir responsable à l’égard de cette communauté ». Mais le manque grandissant de valeurs communes, la part sans cesse plus importante de nos populations vivant seulement dans un présent immédiat, sans réel souci du bien commun et ne mesurant pas les conséquences de ses actes, tout cela plaide pour que nos démocraties retrouvent le chemin d’un contrôle social renforcé. Car je ne sais si ces outils de surveillance remettront obligatoirement en question notre système de valeurs, mais je crois surtout que le non-respect des règles, qu’elles soient de prudence sanitaire ou de convivence, mine déjà gravement notre ordre démocratique. De plus, face au tournant écologique sévère que doivent prendre nos sociétés (3), comment croire au respect de règles contraignantes par l’ensemble de nos concitoyens sans un contrôle social efficace : que ce soit en matière d’écologie ou de santé publique, le choix de la vie a un prix et le temps des bisounours est passé.

___________________________________________________________

1 : « Safari ou la chasse aux Français » Philippe Boucher, Le Monde du 21 mars 1974 ; article fondateur en partie à l’origine de la création de la CNIL sous le septennat de V. Giscard d’Estaing.

2 : in « Changeons de voie. Les leçons du coronavirus », Denoël, juin 2020, ISBN 978-2-207-16186-9

3 : il ne faut bien sûr pas oublier que le mouvement écologique s’est construit dans les années 70 en grande partie sur le refus d’une société policière que selon lui la multiplication des centrales nucléaires, avec leur dangerosité intrinsèque, imposerait à terme. Mais nous sommes un demi-siècle après, et les termes du débat ont évolué. D’où l’intérêt de s’interroger sur l’intérêt et/ou la nécessité d’un contrôle social plus fin pour conduite notre société et les individus qui la composent à respecter enfin les limites de notre biotope. Cette question trouve d’autant plus son importance que la régulation par les prix (cf. la taxe carbone) a montré ses limites avec l’affaire des Gilets Jaunes, et qu’une limitation par la réglementation – et donc son contrôle effectif - redevient d’actualité.

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29 avril 2020 3 29 /04 /avril /2020 10:24

L’épidémie de coronavirus, a mis en avant la nécessité de changer de modèle de société. Partout s’élèvent aujourd’hui des voix pour nous appeler à remettre en cause plusieurs des dogmes de nos économies modernes : la mondialisation, la croissance à tout prix, l’urbanisation, la densification des territoires. De façon générale, c’est la course à la démesure qui est justement dénoncée.

Or, dans 4 ans, Paris se propose d’organiser les Jeux Olympiques.

De tels jeux s’opposent sur presque tous les plans aux directions que nous devrions prendre.

Par leur gigantisme ils supposent la construction de lourdes infrastructures artificialisant toujours plus les territoires. Par leur caractère mondial ils généreront de nombreux déplacements énergétiquement coûteux et susceptibles de favoriser la propagation de nouvelles épidémies.

Ils entretiendront l’esprit de compétition et le nationalisme quand la coopération devrait être le mot d’ordre. Enfin, ils seront financièrement très lourds au moment où les budgets publics sont déficitaires et où les dépenses devraient être prioritairement consacrées à l’adaptation de nos sociétés à un monde plus résilient et plus respectueux de l’environnement.

N’organisons pas les Jeux Olympiques. Il existe déjà beaucoup de compétitions sportives et un tel renoncement constituerait un excellent symbole d’une réelle volonté de changer les choses et d’aller vers un monde plus durable.

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8 avril 2020 3 08 /04 /avril /2020 18:44

Un article de Daniel Martin

L’utilisation des données personnelles des smartphones pour « tracer » les personnes contaminées par le Covid-19 fait partie des outils qu’étudie le gouvernement pour lutter contre l’épidémie et préparer un déconfinement progressif le moment venu. Mais attention, n’ouvre-t-on pas une boite de Pandore ?

 

Concernant les mesures de confinement par « traçage ou tracking », déclarations contradictoires du Ministre de l’intérieur.

Par rapport à la mise en place dans plusieurs pays asiatiques et européens concernant l’utilisation des données personnelles des smartphones pour « tracer » les personnes contaminées par le Covid-19, le 26 mars, sur France 2, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner balayait l’hypothèse en ces termes: «Ça n’est pas notre souhait… Je crois que ce n’est pas la culture française.» Toujours sur France 2, dix jours plus tard, Le même Christophe Castaner, assure désormais que le pistage «sera retenu et soutenu par l’ensemble des Français» à condition de respecter les libertés individuelles et de lutter contre le virus…

Ce « traçage » serait-il utilisé sur la base du volontariat, comme l’avait assuré le premier ministre ? Là encore, on est dans le flou, car le discours n’est pas clair. «Je ne peux pas vous dire», a évacué le ministre de l’intérieur Castaner lundi matin sur France info, précisant que le gouvernement était en lien sur cette question avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés de France (CNIL).

Avec des déclarations contradictoires, cela pose incontestablement la question des libertés individuelles et secoue la majorité parlementaire.

Il y a des partisans du « traçage »

Dans le Figaro du 8 Avril, «En ce moment, c'est la phase de confinement où tout le monde reste chez soi, a rappelé en préambule Mounir Mahjoubi. » Là on réfléchit à l'après, dès le début du «déconfinement», donc, le député LREM est favorable à la mise en place du «contact tracing». Selon lui «Le seul objectif du traçage est de sauver des gens. Quand des patients seront testés positifs, cela leur permettra d'identifier les gens qu'ils ont croisés dans les 15 derniers jours. C'est ce qu'on appelle le contact tracing.» Mounir Mahjoubi a insisté sur le fait que «plusieurs entreprises, dont certaines en France, sont déjà en train de travailler sur ce système.» Autrement dit, pour le Député et ancien ministre Mounir Mahjoubi, afin de « sauver des vies » cet argument fort louable va servir pour passer à un palier supérieur dans l’usage dévoyé des « intelligences artificielles » au service d’une déclinaison liberticide inévitable, malgré toutes les précautions prises...

Mais il y a aussi des opposants

«Je refuse qu’on puisse restreindre la liberté d’un individu en fonction de son état de santé », considère Guillaume Chiche, député LREM des Deux-Sèvres, qui prend l’exemple des personnes séropositives. « Même si cela s’applique sur la base du volontariat, la pression morale sera telle que ça deviendra demain une règle de technologie. On ne sort pas d’une crise sanitaire pour entrer dans une crise de défiance des libertés individuelles.»

«Je serai extrêmement réservé sur ce sujet », prévient Roland Lescure, président LREM de la commission des affaires économiques, quand. Le patron de LREM, Stanislas Guerini, se dit de son côté «allant et ouvert». «Je suis favorable à ce qu’on se donne tous les outils pour pouvoir vaincre le virus, y compris les outils de traçabilité de façon encadrée et bornée dans le temps», a-t-il fait savoir, lors d’une conférence de presse virtuelle.

Le député Pierre Person, numéro deux de LREM s’insurgeait et ne déclarait-il pas, lors d’un bureau exécutif, «Venir limiter la plus fondamentale des libertés, c’est indirectement affaiblir toutes les autres » ?

En règle générale, les députés qui se situent à l’aile gauche de LREM expriment déjà leur franche hostilité et ne peuvent imaginer Emmanuel Macron, qui s’est jusqu’ici posé en champion des démocraties libérales, s’engager sur ce terrain glissant.

Est-ce que nous voulons vivre dans une société où l’État sait en permanence qui fait quoi et se trouve où ?

Avec la nouvelle révolution des « intelligences artificielles », nous sommes entrés, à partir de la fin des années 2000, dans ce que les experts du forum économique mondial de Davos dénomment 4ème révolution industrielle. Aujourd’hui, par nos téléphones portables et les réseaux sociaux d’internet on sait déjà presque tout de nous et cela ne va pas cesser, mais empirer et à bien des égards de rappeler un jour « 1984 » de Georges Orwell.

Comme l’a indiqué Didier Barthès dans un article très réaliste sur le blog Economie Durable intitulé «Coronavirus, le plus court chemin de 2020 à 1984» où il déclare notamment : « L’urgence s’est refermée comme un piège implacable sur la plus évidente et la plus simple des libertés, celle d’aller et venir sans en rendre compte, en tout anonymat. Sous le poids d’une priorité supérieure, ce socle de nos démocraties a volé en éclat en deux jours seulement, du matin d’un dimanche où l’on nous demandait d’aller voter au matin du mardi où mettre le nez dehors devenait un délit ». Et de rajouter  un peu plus loin: «Demain sans doute, sauf à envisager un effondrement général des sociétés, de nouvelles technologies rendront la surveillance toujours plus facile et les manquements toujours plus aisés à repérer et sanctionner.   ». Ou encore : « L’hypothèse qu’un jour chaque humain se voit implanter une puce déclinant son identité et moult renseignements n’est plus interdite, certains y adhèrent. Tous les déplacements pourront alors être surveillés, et enregistrés à jamais. Il ne sera même pas nécessaire de l’imposer, il suffira simplement de rendre impossible la vie à ceux qui n’en seront pas munis, comme il est difficile désormais de vivre sans internet, sans carte bancaire, sans portable ». 

Attention : l’engrenage liberticide dans lequel nous ne cessons de mettre chaque jour un peu plus le doigt ne peut que nous absorber totalement en générant une dictature par le numérique

Si la nouvelle révolution numérique offre des avantages incontestables pour la réduction des mobilités domicile-travail, mais aussi pour d’autres actes de la vie quotidienne, y compris pour la santé, tout en s’accompagnant d’inconvénients, elle peut aussi être dévoyée progressivement vers des rivages liberticides, notamment, via certains usages, dont le « traçage » individuel. Il sera d’autant mieux accepté par la population, qu’il sera justifié au nom d’un impératif majeur que sont la santé et la vie de nos concitoyens, mais aussi par d’autres arguments.

Si actuellement le climat et la gravité de la situation écologique est passé au second plan des préoccupations mondiales, dont la question démographique qui cependant ne le fût guère et si la pollution de l’air a clairement décru dans toutes les agglomérations, certains n’hésitent pas à affirmer que la crise sanitaire que nous vivons serait un rappel de la « nature », troublée par notre mode de vie désastreux.

S’il est vrai que notre mode de vie et une croissance démographique explosive sont responsables d’une situation écologique et climatique désastreuse, l’argument de punition de la nature par le Covid-19 est-il valable et ne risque-t-il pas de cacher autre chose ?

Punis par dame « nature », nous devrions expier, expier toujours, fut-il au prix des libertés essentielles. Sans compter que certains n’hésitent pas à raccorder ce qui est en train de se passer dans le monde à cause du Covid-19 avec les théories des collapsologues, ce qui a de quoi surprendre, car le lien entre ces deux phénomènes n’est pas très réaliste. Au nom de cette punition par « dame nature », cela peut même en ces circonstances contribuer à couvrir des mesures gouvernementales parmi les plus liberticides au nom d’un bien qui punit le mal par des sanctions méritées, afin de réparer le mal que l’homme lui a fait… Ainsi les restrictions des libertés pour la bonne cause !

Incohérences et calcul politicien pour mieux imposer des mesures impossibles à annuler ultérieurement ?

Pendant que l’on ratisse les plages ou les espaces verts des communes à la recherche de la vieille dame promenant son chien, avec l’aide de drones,  on sait que dans les banlieues chaudes tout réel contrôle est devenu impossible,  il parait illusoire d’espérer une distance d’un mètre entre chaque individu. Deux poids deux mesures, on a l’habitude…

Peut-on imaginer que des responsables politiques s’accommoderaient aussi d’une certaine forme de « lâcheté », vis à vis de ces quartiers chauds et d’une population délinquante  dans un but purement politicien ? Par exemple, pourquoi n’inciteraient-ils pas les fabricants de matériel numérique, pour que dans ces banlieues, par d’habiles opérations de marketing, ils encouragent la consommation de ces produits qui ficellent les libertés ? De la surenchère à qui possédera le Smartphone et la console de jeu « dernier cri », de même pour l’ordinateur, cela faisant boule de neige... Ainsi, à leur manière, les voyous de ces quartiers qui empoisonnent la vie des habitants vont, grâce à divers trafics, dont la drogue, et les finances qui vont avec, s’offrir du matériel « dernier cri » et devenir involontairement les auxiliaires du gouvernement, grâce au piège des dernières technologies numériques.

Dans ces banlieues, les responsables politiques n’hésitant pas à évoquer, après celui du Covid-19, l’argument de la lutte contre la délinquance, afin de permettre et justifier un « traçage » progressivement liberticide. Ces mesures, après celles du Coronavirus seraient acceptées béatement par la population, et jamais annulées.

Ailleurs, pour les plus modestes, au nom de la solidarité nationale, dès lors que le « traçage » devient une obligation, l’État n’hésitera pas à mettre directement « la main à la poche » pour doter, gratuitement ou à très faible coût, ces populations en smartphones, voire d’ordinateurs portables. Une forme d’investissement électoral !

Autre exemple d’une ordonnance qui, profitant du Covid-19, restreint des libertés en déréglementant des dispositions qui les protègent

En application de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie du Coronavirus, 25 ordonnances ont été prises par le Conseil des ministres.

La 6ème ordonnance, n° 2020-320 du 25 mars 2020, a été confirmée au JORF n° 0074 du 26 Mars 2020, texte 45, et  selon cette ordonnance,  quatre procédures administratives préalables en vue de l'implantation ou de la modification d'une installation de communications électroniques sont ainsi aménagées :


- suspension de l’obligation de transmission d’un dossier d’information au maire ou au président d’intercommunalité en vue de l’exploitation ou de la modification d’une installation radioélectrique.

- possibilité pour l'exploitant d'une station radioélectrique de prendre une décision d'implantation sans accord préalable de l'agence nationale des fréquences.
- réduction du délai d’instruction des demandes de permissions de voirie.
- dispense d’autorisation d’urbanisme pour les constructions, installations et aménagements nécessaires à la continuité des réseaux et services de communications électroniques ayant un caractère temporaire. » Ainsi, le gouvernement profite de la pandémie pour déréglementer la téléphonie mobile au risque de l'accroissement des problèmes sanitaires qui y sont liés
(lire ici la suite).

Pour conclure

Plutôt que de culpabiliser et sanctionner, dans ces moments très difficiles, il serait plus efficace de saisir ce qui est vraiment en train de se passer dans notre pays, à savoir un soupçon généralisé sur la sincérité de la parole publique d’une part et un rejet de l’uniformisation annoncée par des règles conduisant à une dérive liberticide, sous couvert de la gravité évidente du Covid-19 d’autre part. Ces dispositions sont très éloignées de nos traditions et de notre philosophie. On peut être par ailleurs confondus devant la propension d’hommes politiques supposés démocrates célébrant les mérites de la coercition généralisée. 

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28 mars 2020 6 28 /03 /mars /2020 11:04

La démocratie sera-t-elle la prochaine victime du coronavirus ?

La vitesse à laquelle la liberté de circuler a été mise à mal, la large acceptation du fait par l’opinion, l’éventualité de mesures plus fortes encore et notamment la mise en place d’un suivi des déplacements via la géolocalisation des portables, conduisent à poser la question.

L’urgence s’est refermée comme un piège implacable sur la plus évidente et la plus simple des libertés, celle d’aller et venir sans en rendre compte, en tout anonymat. Sous le poids d’une priorité supérieure, ce socle de nos démocraties a volé en éclat en deux jours seulement, du matin d’un dimanche où l’on nous demandait d’aller voter au matin du mardi où mettre le nez dehors devenait un délit.

Ce qui aurait été impensable si peu auparavant est devenu réalité sous la poussée d’une injonction supérieure: sauver des vies. Qui pourrait être contre ?  Dans ce contexte, la critique du confinement et de la surveillance est devenue inaudible, on peut le comprendre et ce d’autant plus que lorsque ce confinement sera levé et l’épidémie jugulée, qui pourra décemment regretter ces quelques semaines de liberté réduite et condamner ces contraintes provisoires ?  Tout cela nous apparaitra comme un bien petit mal au regard de l’enjeu.

Oui mais… dans quel engrenage mettons-nous chaque jour un peu plus le doigt ?

Demain sans doute, sauf à envisager un effondrement général des sociétés, de nouvelles technologies rendront la surveillance toujours plus facile et les manquements toujours plus aisés à repérer et sanctionner.

Internet et nos téléphones déjà savent presque tout de nous, la vie privée est morte, le droit à l’oubli une mascarade. Tout de notre vie peut être su, du plus anodin au plus intime.

L’hypothèse qu’un jour chaque humain se voie implanter une puce déclinant son identité et moult renseignements n’est plus interdite, certains y adhèrent. Tous les déplacements pourront alors être surveillés, et enregistrés à jamais. Il ne sera même pas nécessaire de l’imposer, il suffira simplement de rendre impossible la vie à ceux qui n’en seront pas munis, comme il est difficile désormais de vivre sans internet, sans carte bancaire, sans portable. 

Chacune de ces mesures liberticides pourra être précisément justifiée, aujourd’hui, la lutte contre le coronavirus, demain la sécurité face à la délinquance, les coupables pourront être confondus, les innocents rapidement être mis hors de cause, les crimes ainsi largement évités. Des personnes égarées ou blessées pourront être retrouvées et secourues… qui pourrait être contre ?

S’il s’appuie sur la technologie, le combat pour une surveillance généralisée sera néanmoins véritablement gagné du fait de son acceptation par la population. Aujourd’hui, le visage de la très grande majorité de la population chinoise est enregistré dans des bases de données associées à des logiciels de reconnaissance faciale. Partout dans le monde ce procédé se généralise. Quand toute une génération n’aura connu que cet état de fait, il apparaîtra comme normal et les mises en gardes de quelques vieillards passéistes pèseront bien peu.

Pourtant, nous aurons été prévenus, le 20ème siècle a foisonné d’œuvres de science-fiction du Meilleur des mondes d’Huxley  à 1984 d’Orwell ou  aux Monades urbaines de Silverberg, décrivant très précisément ce qui est en train de se passer : une société de surveillance, une injonction à penser comme il faut (ou tout simplement, à ne pas penser), une liberté de circulation mise en cause, le tout rendu acceptable par un certain confort de vie et parfois par une large liberté sexuelle. A coups d’arguments ponctuels, à coups de renoncements successifs et de facilités supposées progressistes, les hommes auront perdu la liberté, pire, ils l’auront vendue !

Attention, non seulement toutes les dictatures seront possibles, mais l’homme sera réduit à l’état de robot. Attention aussi, chaque petit pas en ce sens nous paraîtra justifié et là est le piège, le mécanisme est impitoyable.

A tous ceux d'ailleurs qui auraient des doutes quant à la réalité de cette marche vers 1984, voici une émission ou l'on apprend comment le gouvernement utilise les "nudges" pour manipuler l'opinion.

Sur ce thème, voir également cet article : La surveillance, germe de la dictature.

Didier Barthès

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24 juillet 2019 3 24 /07 /juillet /2019 10:04

Depuis quelques temps, la jeune Greta Thunberg s’impose  comme l’héroïne de l’écologie, la conscience nécessaire qui viendrait réveiller une société qui tarde à prendre la mesure  du problème (et à  prendre des mesures tout court par la même occasion).

S’exprimant fin 2018 à la COP 24 de Katowice, puis début 2019 au forum de Davos, elle vient d’être invitée à l’Assemblée Nationale française.

Entrant ainsi dans l’arène médiatique  Greta Thunberg déchaine les passions. Adulée par certains, elle est cruellement vilipendée par d’autres et parfois soupçonnée d’être le jouet de quelque complot. Voilà que la société se divise en pro et anti Greta !

Curieux débat où l’on semble incapable de distinguer la personne, son rôle et son message.

Que dit Greta Thunberg ? Que le problème (climatique pour l’essentiel de son propos) est très grave, que nous n’en prenons pas la mesure et que nous prenons une terrible responsabilité face aux générations futures.

A-t-elle raison ? Oui (même si la question climatique tend hélas à éclipser la question de l’écroulement de la biodiversité et sa cause démographique sous-jacente sans doute encore plus préoccupantes) A-t-elle raison de le dire et de le marteler ? Oui ! Devrions-nous l’écouter ? Oui !

Subsiste-t-il alors quelques réserves à son action ?  Oui aussi, mais sans doute pas contre elle. Que certains  en viennent à évoquer sa vie privée ou sa santé relève vraiment de l’odieux et du condamnable.

Pour autant, cela n’exclut pas quelques remarques sur notre société. Car sur le fond cette jeune fille dit-elle quelque chose que nous ne sachions déjà ? Non, elle ne fait que médiatiser un problème bien connu. L’intérêt du débat porte plutôt sur la façon dont notre société réagit.

Certains la transforment en maître à penser, le symbole d’une jeunesse plus courageuse, plus intelligente et plus lucide que la génération précédente qui, elle, fermerait les yeux et les oreilles avec bêtise et lâcheté.

On peut comprendre que cette opposition naïve entre les générations puisse agacer, elle est bien sûr ridicule, le problème ne se pose pas en ces termes. Tout comme peut agacer la façon dont certains politiques la soutiennent très médiatiquement pour se sculpter à bon compte une image favorable. Ils s’affichent du bon côté.

Cette polarisation infantile entre les pro et anti Greta, révèle plus sur notre société et son souci d’image qu’elle ne nous apprend comment régler les problèmes.

Greta Thunberg a raison, bravo à elle mais la façon dont certains l’utilisent (je ne dis pas la manipulent, comme le font à mon sens injustement quelques-uns de ses détracteurs) à leur profit, la façon dont notre société a besoin d’idoles, n’augure peut-être pas favorablement de nos chances de succès.

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21 mai 2019 2 21 /05 /mai /2019 14:24

Un article d’Hervé Juvin 

Préalablement publié dans la revue  Eléments,

Les oiseaux des champs ne sèment ni ne moissonnent; ils ont disparu. Le berger ne conduit plus son troupeau vers la sécurité de la bergerie; il le laisse dans les pâturages clôturés,  en espérant que le loup n’y est pas et les exploitants de vergers louent des ruches pour s’assurer la fertilisation de leurs pommiers, poiriers et autres pruniers. Les abeilles sont mortes.

Quoi de plus éloigné en apparence de la géopolitique ? Rien de plus proche en réalité. Car la sixième extinction des êtres vivants sur la Terre en annonce une septième, celle de l’espèce humaine. Et la crise écologique qui s’annonce marque à la fois l’achèvement du projet prométhéen de la modernité – en finir avec la nature dans l’homme comme dans le monde – et tout aussi bien la disparition de l’homme comme personne humaine. Que perdent leur sens les unes après les autres toutes les grandes métaphores auxquelles les religions ont puisé, auxquelles les régimes politiques ont dû leurs expressions les plus saisissantes – du berger avec son troupeau au renard dans le poulailler - est une autre forme de sortie de la religion et de l’effondrement du politique qui devrait d’avantage retenir l’attention. De quelle religion, de quelle politique relèvent les enfants qui, appelés à dessiner un poisson dessinent un carré surgelé ?

Rien de littéraire dans les enjeux de la nature. Maîtrise de la démographie et des migrations, course aux ressources naturelles, gestion des nouvelles raretés et rétablissement de conditions sanitaires favorables à la vie humaine, autant de chantiers qui appellent la science des systèmes complexes comme science dominante du futur avant l’économie, avant le numérique, avant l’intelligence artificielle car ces sciences considèrent les modalités de la vie alors que l’écologie est la science de la vie elle-même.

L’hypocrisie américaine

Le problème est que l’écologie politique trahit la science écologique. Au cœur du débat mondial qui vient trois paradoxes de l’écologie sont à l’œuvre et vont éclater non sans dommages :

- L’éloge de la mobilité signifie l’affranchissement de droit de l’individu des conditions naturelles, géographiques climatiques, de son établissement donc soit l’artificialisation de son environnement, soit la concentration de la population humaine dans les zones les plus favorables donc la destruction des écosystèmes en bonne voie sous la pression démographique des nouveaux nomades. L’œuvre écologique, immense, est le fait de l’adaptation contrainte des populations humaines à leur milieu ; prisonniers de la géographie, du climat, de la nature, les hommes ont constitué le trésor qui s’appelle culture et civilisation pour revendiquer ces contraintes en en faisant le moyen de leur liberté et de leur singularité. L’air conditionné comme l’avion low coast, épargnent et cette contrainte et cette liberté; que vont-elles faire des cultures et des civilisations ?

- L’évaporation de préoccupations locales, définies, circonscrites, dans les grandes théories planétaires, au détriment de l’autorité de l’État et de la tenue des frontières fait fureur. Les ONG et les fondations en sont les premiers acteurs qui n’hésitent pas à traîner un État devant les tribunaux pour n’avoir pas satisfait leurs oukases fondés sur la supériorité du droit sur la politique - en fait, sur le totalitarisme du droit. La réalité est que seul un État en pleine possession de son territoire et en pleine autorité sur tous les acteurs présents sur ce territoire, entreprises privées comme ONG et collectivités territoriales comme investisseurs est capable d’imposer les contraintes nécessaires au salut.

- L’appropriation des sujets écologiques par des ONG qui vivent des dons des grandes entreprises ou des certifications ou des prestations qu’elles leur vendent, est un détournement de fonds ou un abus de confiance. Nul ne mord la main qui le nourrit. L’hypocrisie américaine est muette sur le plus éclatant des conflits d’intérêt, celui qui veut que les agences de notation soient payées par les sociétés dont elles notent la dette, ou les pollutions, et que les ONG qui revendiquent le monopole du Bien et la conversion des indigènes émanent de quelques-uns des plus grands criminels parmi ceux qui ont ruiné les États, volé des milliards d’impôts dus et non payés, organisé le pillages des données personnelles de millions de naïfs qui croyaient aux services gratuits du Net. Et devinez pourquoi les ONG sont si agressives contre les États qui veulent gérer leur territoire, et si discrètes à l’égard des sociétés américaines qui exploitent ces mêmes territoires, si virulentes contre les nations qui affirment leur insoumission au globalisme, si complices avec les géants du Net dont le modèle économique est la surveillance universelle des populations !

L’impuissance éprouvée à faire face à l’effondrement des systèmes vivants pose, la question la plus politique qui soit, celle des conditions de l’action collective. Elle dénonce l’aberration de l’individu des Droits de l’Homme qui enrôle l’État à son service pour affaiblir toujours plus l’unité nationale, détruire les institutions unificatrices et paralyser les demandes d’identité commune. Elle signale la soumission à la technique comme l’effet direct de la sortie de toute limite et de l’incapacité politique croissante à fixer les règles de la vie collective. Et elle appelle un nouvel âge des institutions internationales. Toute ont été bâties sur la promesse d’une croissance illimitée comme moyen de paix. Elles ont bien rempli leur mission, pour qui considère que l’écart des niveaux de vie a provoqué l’éclatement pacifique de l’Union Soviétique et suscité la sortie de la pauvreté de centaines de millions d’asiatiques Mais la promesse est intenable. La quête à tout prix de la croissance, condition du maintien au pouvoir de nombreux régimes, devient promesse de course aux ressources rares, de recolonisation, à la fin de guerre de tous contre tous. Rien de moins qu’un nouveau système international est en jeu. Il est regrettable que l’obsession des droits individuels rende l’immense majorité des militants écologistes de bonne foi insensibles aux conditions collectives de l’action pour l’environnement. Elles s’appellent autorité de l’État, unité nationale, diversité collective, liberté politique. Elles remontent loin dans notre mémoire politique. C’est pour nous conduire plus loin dans un avenir choisi.

_________________________________________________________

Cet article d’Hervé Juvin a été préalablement publié dans la revue Éléments, numéro 177, p.15,  rubrique : carnet géopolitique. Tous nos remerciements à Éléments pour nous en avoir autorisé la reprise sur ce site.

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22 avril 2019 1 22 /04 /avril /2019 21:00

Ceci n’est pas un appel à la violence ; il s’agit seulement de poser la question du rapport entre le recours possible à la violence et un mouvement dont le fondement et l’objectif sont de défendre les actuelles conditions de vie sur notre planète à l’ère de l’anthropocène, ou au moins d’en limiter au maximum l’évolution négative générée par la société urbano-industrielle et ses choix de développement.

Car cette question est d’abord l’histoire d’un échec.

Dès le début des années 70 du siècle dernier, il y a presque 50 ans, les écologistes alertent les populations et les gouvernants de la nécessité d’agir en réorientant amplement nos sociétés, leurs démographies et leurs modes de vie sous peine d’une catastrophe écologique majeure à moyen terme. Et que voit-on, que constate-t-on si ce n’est que la société urbano-industrielle n’a depuis qu’amplifié sa prédation sur les ressources de la planète, générant toujours plus d’impacts délétères, de pollutions, de déchets et de dégâts ? Avec une augmentation de la consommation sans précédent dans l’histoire dans les pays riches. Avec aussi une population mondiale dont le nombre a quasi doublé et qui a vu des centaines de millions d’habitants sortir de la pauvreté pour approcher des standards de vie très consommateurs de ressources des occidentaux. Bien sûr, quelques efforts ont été faits et les aberrations les plus criantes ont parfois été amoindries, sous le couvert plus que médiatisé du développement durable et de l’économie circulaire. Mais le résultat est tout de même que les choses s’aggravent sur un plan écologique, contredisant de plein fouet les déclarations émises années après années lors de différents sommets mondiaux proclamant l’urgence d’agir et ne débouchant que sur un presque-rien dérisoire.

Face à cette incapacité à modifier une trajectoire suicidaire à terme, face à cette «étrange défaite» (1) de nos systèmes politiques incapables de négocier sérieusement un virage écolo, aujourd’hui l’inquiétude monte. Et le besoin d’agir est ressenti comme une obligation par nombre de concitoyens. Après les pétitions, après les simples manifestations, apparaît désormais un mouvement de désobéissance qui séduit de plus en plus les Français. Après l’annonce de la naissance d’Extinction Rébellion France dans l’Hexagone en mars et quelques actions coups de poing en avril, les activistes écologistes n’hésitent plus, par exemple, à entrer à l’intérieur du siège de Total à la Défense, où ils ont déployé un portrait d’Emmanuel Macron volé il y a quelques semaines dans une mairie.

Ce n’est pas la première fois que des écologistes lancent des actions ne respectant pas la légalité, du démontage d’un Mac Do à Millau avec José Bové à la pénétration dans des centrales nucléaires pour alerter sur leurs faibles dispositifs de sécurité. Mais il s’agissait de petits cercles de militants. Le mouvement de désobéissance qui s’amorce semble avoir une toute autre ampleur et se revendique comme un mouvement de désobéissance civile de masse. Comme le dit un militant d’Extinction Rebellion (2) : «nous prônons la désobéissance civile pour perturber la vie des gens, créer l’effet de surprise pour les faire réagir. Il faut éveiller les gens, leur dire la vérité, il nous reste une dizaine d’années pour changer nos modes de vies. Il y a urgence à changer de modèle».

Si ces écologistes mettent en avant  et proclament haut et fort leur choix de la non-violence, il est toutefois à noter qu’ils s’affranchissent d’ores et déjà du respect de la légalité : manifestations non déclarées, intrusion dans des espaces privés, vols symboliques. Or qu’ils le veuillent ou non, s’affranchir des règles communes, c’est déjà une forme de violence pour une collectivité régie par le droit. Et c’est là qu’il semble utile de s’interroger : l’urgence dont ils se réclament associée à l’importance reconnue par de hautes instances scientifiques du respect des équilibres écologiques ne justifie-t-elle pas de braver quelques règles et de s’autoriser une certaine violence pour faire bouger nos sociétés ? Leur combat n’est-il pas légitime et l’inaction coupable ? Et si ce combat-là est légitime, alors qu’est-ce qu’une entorse aux règles communes sinon le meilleur moyen de nous sauver ? Un péché bien véniel face aux catastrophes potentielles … mais qui dira alors quelles sont limites au non-respect des règles, à la violence utile pour infléchir un destin commun ? Après tout, crever les pneus d’un 4 x 4 qui contribue à la pollution aux particules fines et participe à la mort de milliers de personnes n’est-il pas aussi un moyen d’alerter ? De même occuper ou endommager un aéroport pour bloquer des milliers de personnes qui voyagent en polluant et sans même vraiment payer de taxes sur le kérosène ? Alors, jusqu’où la violence ira-t-elle ? Et surtout ne risque-t-elle pas d’ajouter à terme une nouvelle couche d’incertitude à des sociétés fragilisées par la crise écologique qui s’avance, et d’être ainsi contre-productive ?

En tous cas, la violence écologique qui pointe, même petite, même légère, est bien le prix à payer d’une inaction répétée pendant un demi-siècle ; si cette incapacité à agir se poursuit, alors on peut prédire sans trop de risques qu’avec la légitimité qui la caractérise, la violence écologique a de beaux jours devant elle.

Mais cette lecture historique qui mène de l’inaction écologique de nos sociétés à un activisme jouant avec la légalité n’est pas la seule à pouvoir être conduite. Il est aussi possible d’y voir un débordement des États qui ont seuls le monopole de la violence légitime dans nos sociétés démocratiques. Le réchauffement climatique, l’acidification des océans, la pollution aux particules fines qui se moque des frontières, les atteintes à la biodiversité sont des phénomènes d’ordre mondial affectant toute la planète et ne relevant pas seulement d’un État (3). Le monopole de la violence légitime confiné à l’intérieur de chaque état ne semble pas forcément très efficient en ce domaine : dans les désordres qu’annonce la crise écologique qui vient, on pourrait alors s’interroger sur la naissance d’un monopole d’un autre type de la violence légitime dont tenteraient de s’approprier des ONG internationales écolos (4), comblant ainsi un manque que les institutions internationales actuelles et autres COP n’ont pas su remplir.

_________________________________________________________________________________

1 : Comment ne pas faire référence à l’ouvrage de Marc Bloch écrit suite à l’effondrement français en 1940, L’étrange défaite, Paris, Société des Éditions Franc-Tireur, 1946

2 : Cité in «Extinction Rebellion France»: des militants écologistes ont investi la Défense, par Mathilde Golla et Yohan Blavignat, le Figaro, 19/04/19

3 : Toutefois, si les effets impactent la planète dans sa globalité, certains défendent que le cadre de l’action doit surtout se situer au niveau des États. Sur ce thème, cf. Hervé Juvin « les trois paradoxes de l’écologie » in Éléments n°177, 2019, p. 15. Pour Hervé Juvin, « la réalité est que seul un État en pleine possession de son territoire et en pleine autorité sur tous les acteurs présents sur ce territoire, entreprises privées comme ONG et collectivités territoriales comme investisseurs, est capable d’imposer les contraintes nécessaires au salut. » En tout état de cause il est clair qu’une réflexion sur ‘le nouvel État écologique’, ses fonctions, son rapport à la démocratie, et ses articulations avec l’ordre international comme avec les collectivités au plus près des territoires qui le composent, est à conduire.

4 : Il est à noter que bien des ONG écolos sont internationales et pensent leurs actions dans un cadre mondial : Les Amis de la Terre, Greenpeace, Extinction Rebellion.

 

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14 janvier 2019 1 14 /01 /janvier /2019 20:24

Il y a quelque chose de sympathique dans cette pétition. Dans le titre d’abord, qui met la question écologique à sa juste place, la première. Et puis, cette façon de prendre l’État français au piège de ses propres discours et engagements internationaux pour le contraindre à agir enfin sérieusement en faveur de l’écologie a un côté arroseur/arrosé qui ne peut que plaire au pays de Guignol ; et qui rappelle, comme un écho formidable, la façon dont des dissidents comme Léonide Pliouchtch, Andreï Sakharov, ou Václav Havel, Jan Patocka et les signataires de la charte 77 (1) se sont battus avec le totalitarisme soviétique, en s’arque-boutant sur le droit et les engagements pris par leurs pays pour faire aboutir leur combat pour le respect des droits de l’homme : ce fut sans doute l’affaire - gagnée - de la seconde partie du XXème siècle.

Après le départ de Nicolas Hulot du gouvernement, le besoin de prendre à bras le corps la problématique écologique semble se cristalliser et prendre enfin l’ampleur attendue : quelque chose se passe, allant bien au-delà de la complaisance sympathique qui a accompagné le mouvement écologique depuis la candidature de René Dumont en 1974. Quelque chose se passe donc, et les 2 millions de signatures recueillis en quelques jours seulement au bas de la pétition « L’Affaire du Siècle » y participent et en témoignent à la fois.

D’où vient alors comme une réticence à la lecture de cette pétition ? Une gêne d’abord face à l’affirmation péremptoire que « le prix de nos factures énergétiques explose », alors que nous payons nos carburants fossiles grosso modo au même prix qu’en 1960 (2). Et que le prix de l’électricité facturée aux ménages reste dans les clous de l’indice des prix à la consommation depuis  1960 (3). Bien sûr, les temps ont changé depuis les années 60 : nos voitures d'aujourd’hui consomment moins et nos maisons sont mieux isolées thermiquement, ce qui jouerait plutôt à la baisse ; mais a contrario la distance domicile-travail s’est allongée, nous avons pris l’habitude pour nombre d’entre nous de vacances plus fréquentes et plus lointaines, et nos logements sont plus grands. En somme s’il est difficile de dire que nous dépensons des montants à l’identique pour nos factures énergétiques, il est complètement erroné d’évoquer une quelconque explosion de ces mêmes factures. Alors pourquoi cette fake new ? Faut-il y voir une incompétence des pétitionnaires, bien incompréhensible de la part d’écologistes pour qui la question énergétique est essentielle et placés à la tête d’associations puissantes (4) qui pèsent sur les débats publics depuis plusieurs années ? Faut-il y voir alors une tentation de céder à l’esprit du temps et à ses facilités démagogiques et racoleuses ? En tous cas, rien de rassurant au sujet d’une démarche présentée comme capitale pour la survie de nos sociétés et argumentée si légèrement.

Et le trouble s’accroît à la lecture des obligations d’agir énoncées.

Ainsi l’État devrait « nous fournir des alternatives en matière de transport ». Si l’on peut imaginer que la puissance publique améliore les transports en commun dans les zones d’habitat dense, que peut-il sérieusement faire pour proposer des alternatives non polluantes pour tous les habitants des zones rurales et périphériques ? Que proposer à un retraité âgé d’une petite ville devant se rendre à un centre hospitalier distant de 60 km à 11h 00 du matin ? Du covoiturage avec plusieurs véhicules ? Prendre 2 ou 3 lignes de cars et de bus ? Là où ce retraité peut effectuer en voiture particulière le déplacement confortablement et en 1h 20 environ, il lui faudra prévoir entre 2 et 3 heures, avec en plus le stress de rater une correspondance au moindre dysfonctionnement et de perdre alors le rendez-vous médical qu’il attend depuis plusieurs mois. N’en déplaise à certains, la France n’est pas la Suisse avec son espace structuré en vallées permettant  à un réseau ferré d’être efficient. Et le raisonnement peut être tenu pour beaucoup de travailleurs et d’habitants hors des grandes villes, dont les contraintes supposeraient un réseau d’une telle densité et d’une telle fréquence qu’il en devient matériellement impossible. La voiture électrique à pas cher alors ? Mais c’est oublier que celle-ci pollue aussi dans son cycle de vie comme avec ses pneus, et en supposant de plus résolue la question de l’énergie.  A moins d’inventer rapidement le tapis volant, il est illusoire aujourd’hui de défendre l’idée d’une mobilité propre similaire à celle que nous connaissons. Ce qui est demandé dans la pétition à l’État est une mission impossible.

Autre demande : l’État « doit investir dans la rénovation des logements ». Mais est-il réaliste et politiquement acceptable de demander à l’État de s’impliquer en investissant dans la rénovation thermique des logements, hormis le logement social ? En France, et cela fait partie de notre pacte social et politique, ce sont les particuliers qui se logent, en construisant, en achetant ou en louant leur habitation sur le marché. Ce serait donc normalement aux particuliers qu’il incomberait d’investir dans la rénovation des logements, et non à l’État. La difficulté aujourd’hui est que cet investissement n’est pas rentable, le prix de l’énergie économisée (note de la claviste : bien qu’il ait explosé selon les pétitionnaires, mais alors pas du tout assez !) ne permettant pas d’amortir l’investissement à consentir dans des délais raisonnables. D’où cet appel à l’État, considéré comme une bonne fée permettant de disposer des logements thermiquement rénovés sans en payer le coût, c.-à-d. sans faire grossir la part du budget des français dans le logement. Et comment l’État pourrait-il faire ces investissements ? « Les investissements nécessaires pour remédier à la catastrophe devraient être financés majoritairement par les plus aisés » nous propose cette pétition (5). Le problème est que la fiscalité est déjà lourde dans notre pays pour les classes aisés et que le surcroît de recettes fiscales qu’on pourrait en attendre ne permettrait certainement pas de financer le dixième des investissements nécessaires. Faut-il y voir alors une nouvelle tentation de cette pétition de céder à l’esprit du temps et à ses facilités démagogiques ?

Il est aussi proposé que l’État « doit instaurer l’accès de tous à une alimentation suffisante, saine et de qualité ». Difficile ici de ne pas être d’accord et on peut comprendre qu’il s’agit de généraliser une alimentation bio, donc une agriculture biologique qui permettrait aussi de revitaliser nos campagnes par les meilleurs revenus qu’elle génère et les emplois supplémentaires qu’elle nécessite par rapport à l’agriculture industrielle et chimique aujourd’hui massivement majoritaire. Mais il faut préciser, et la pétition s’en garde bien, que cette alimentation bio a un coût, et que les français, sauf les plus pauvres qu’il faudrait aider, devraient, si elle était adoptée, accepter de consacrer une part de leur budget nettement supérieur aux 12 % actuels, sans doute autour de 18-20 %, sans compter un temps plus important à prévoir pour préparer leur repas.

Résumons-nous. Cette pétition en s’en remettant à l’État pour traiter ‘l’Affaire du Siècle’  laisse croire à la majorité d’entre nous – soit « les classes moyennes et les plus démunis » pour citer la pétition (6) - qu’il serait possible, sans trop changer ni nos budgets ni nos habitudes, de continuer à vivre une mobilité forte, de disposer de logements économes en énergie et de manger sainement, tout en étant à l’abri de l’impact des changements climatiques devenus inéluctables (7) ; et il suffirait pour cela que l’État, acculé juridiquement à respecter des engagements pris « sans aucunement l'intention de tenir parole » pour reprendre l’expression d’Alexandre Calinescu évoquant les dirigeants communistes des années 70, ou sans en mesurer tout l’impact, fasse tout simplement son travail. Disons-le tout net, ce n’est pas comme ça que ‘l’Affaire du Siècle’ pourra se réaliser.

Si on devait écrire l’écologie pour les nuls, trois points sont à mettre en avant pour opérer une réelle transition écologique. D’abord, un budget des ménages français majoritairement consacré à la nourriture et au logement. Ensuite et corollairement, bien moins d’achats en matière d’habillement, de communication et d’amusement. Enfin, une mobilité limitée supposant de travailler le plus près possible de chez soi et de consommer le plus possible de produits locaux, ce qui signifie aussi se passer de produits incorporant une main d’œuvre payée à bas coût à l’autre bout du monde pour augmenter notre pouvoir d’achat ; sans compter l’abandon des vacances pas chères à 2 ou 3 heures d’avion. Voilà pour les moins et beaucoup d’écologistes n’osent pas les dire. Mais surtout il y a des plus. Vivre dans un logement sain, aménagé avec des matériaux biosourcés est un vrai confort. Manger bio, avec plus de légumes et bien moins de viande, et retrouver la saveur oubliée des aliments après avoir pris le temps de les cuisiner a du sens. Consommer local en gardant un lien avec les producteurs de nos objets quotidiens contribue à développer une qualité de vie que nous avons peu à peu oubliée. Sans compter qu’un mode de vie plus sain dans un environnement bien moins pollué aurait des répercussions positives sur l’état de santé de chacun. Et qu’un mode de production intégrant des contraintes écologiques fortes devrait amener à intégrer plus de travail humain dans la réalisation de nos objets et services, supposant une baisse de productivité selon nos critères économiques actuels mais laissant entrevoir la diminution du chômage tant recherchée depuis 40 ans. Certains qualifient cette démarche globale de ‘sobriété heureuse’, même si ici nous préférons parler de "vita povera", pour insister sur les efforts à accomplir par nous tous qui se sont accoutumés à des degrés divers à la facilité d’un monde construit sur le pillage de la planète.

L’État n’a pas de baguette magique et il est illusoire et dangereux de croire et de faire croire que les changements à opérer pourraient se faire sans la remise en question décrite en quelques mots plus haut, juste en attendant que l’État résolve, au moyen d’une puissance qu’il n’a jamais eue, les difficultés de la transition écologique. Par contre la politique et l’État ont un rôle majeur à jouer dans le pilotage de ce changement civilisationnel. C’est à l’État et à ses politiques qu’il revient après débats, études, discussions, votes, de proclamer que le changement est inéluctable et nécessaire et qu’il convient que chacun d’entre nous, en fonction de ses moyens, s’attende à y prendre sa part en acceptant un véritable bouleversement des habitudes prises depuis un demi-siècle. C’est à l’État qu’il revient d’interdire les produits nocifs pour l’homme et la biodiversité dans des délais très courts en imposant le recours à l’agriculture biologique ; et ceci n’est pas une utopie, l'Etat du Sikkim (Himalaya) est devenu la première région où l'agriculture est exclusivement biologique (8). C’est à l’État qu’il revient d’énoncer des normes pour un habitat économe en énergie à partir de matériaux biosourcés et de faciliter (par un taux de tva hyper-réduit par exemple) les travaux à engager, qui seront financés in fine par un coût du logement accru. L’État ne peut pas tout, et il revient aux classes supérieures et moyennes de modifier radicalement leurs structures de dépenses pour y faire face ; mais l’État-Providence est là et doit le rester pour accompagner les moins aisés d’entre nous, comme il le fait aujourd’hui avec le logement social, et comme il devra le faire pour permettre à ceux qui n’en ont pas les possibilités d’accepter l’impact des nouvelles normes écologiques. C’est à l’État aussi qu’il revient d’abandonner la politique de grands travaux souvent qualifiés d’inutiles ou de démesurés : combien d’économies à réaliser en arrêtant les nouveaux aéroports, les grands stades, les liaisons ferroviaires ou autoroutières encore prévues ? C’est encore à l’État qu’il revient, par une politique douanière à imaginer en lien avec les institutions européennes (éventuellement basée sur une taxation de la distance parcourue par les productions lointaines), de décourager l’importation d’objets réalisables sur nos territoires régionaux, français ou européens. C’est enfin à l’État de mettre un terme à sa politique nataliste afin qu’une correspondance durable s’établisse entre notre nombre et les ressources de notre territoire. La liste est longue et déborde le sujet du présent article. Bref l’État doit définir un cadre et accompagner ses citoyens avec une vraie empathie pour conduire ce changement, qui est un vrai saut dans l’inconnu, mais bien moins dangereux que la continuation de ce que nous faisons actuellement et qui nous mène dans un mur.

Voilà ce que nous pourrions demander à l’État pour que l’Affaire du Siècle soit l’Affaire de Tous.

_________________________________________________________

1 : Comme le dit Alexandre Calinescu in Le figaro du 24/01/2017, « les signataires de la Charte 77 demandaient une chose, en apparence, très simple: le respect des principes de la Conférence d'Helsinki. Mais, évidemment, les leaders communistes n'avaient aucunement l'intention de tenir parole, tout comme ils se moquaient des droits inscrits dans la constitution de leurs propres pays. La Charte demandait donc (dans l'esprit d'Helsinki) la liberté d'expression, la liberté de circulation des idées, la possibilité pour chaque citoyen de formuler des opinions politiques indépendantes et de prendre des positions critiques à l'égard des problèmes sociaux, la liberté des cultes, la liberté d'association et de manifestation. »

2 : Le prix du litre d’essence en euros constants était de 1,46 euros en 1960, il est à quelques centimes près au même prix aujourd’hui (Source : Annuaire Statistique de la France). Voir aussi l’article très documenté de Jean-Baptiste Noé « Evolution du prix de l’essence (1960-2008) » publié le 24/01/2011 in Contrepoints.

3 : Avec pour être précis un décrochage du prix de l’électricité par rapport à l’évolution de l’indice des prix à la consommation à partir de 1985, et un rattrapage depuis 2010. Sur ce point, voir l’observatoire de l’électricité (note de conjoncture, les prix de l’électricité en France).

4 : Il s’agit précisément de 4 associations : Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France. Les 3 dernières sont des associations anciennes et reconnues comme interlocuteurs par les pouvoirs publics.

5 : On retrouve cette idée dans la proposition de Dominique Bourg de recréer un ISF dédié aux investissements écologiques. Dominique Bourg : « Ce que je propose c'est un ISF vert » in l'invité du grand entretien de Nicolas Demorand à 8h20 le 23/11/2018.

6 : « Alors que les investissements nécessaires pour remédier à la catastrophe devraient être financés majoritairement par les plus aisés, les classes moyennes et les plus démunis y contribuent aujourd’hui de manière indifférenciée » in L’affaire du Siècle § 3.

7 : Il est écrit dans la pétition que l’État « doit aussi mettre en place les dispositifs indispensables à l'adaptation de nos territoires et à la protection de nos côtes ». Faut-il en déduire que les pétitionnaires demande que face à la montée inévitable du niveau de la mer qui va remettre en question une partie de nos villes et de nos infrastructures littorales, l’État doive construire sans cesse des remblais et des enrochements pour que nous ne soyons pas impactés par les conséquences du dérèglement climatique de l’anthropocène ? Alors que bien des écologistes militent pour laisser la mer agir en soulignant que ce combat est perdu d’avance, que le remède est souvent pire que le mal et que la seule chose à faire est d’organiser un repli progressif. Encore une fois se dessine, derrière cet appel à l’État, un rapport fantasmé à une toute-puissance qui n’existe pas.

8 : A noter que la transition pour une agriculture 100 % bio a été décidée au Sikkim en 2003 et a été effective en 2018. Et de nombreux autres Etats (Mizoram, Arunachal Pradesh et le Kerala) se sont engagés à devenir entièrement bio à leur tour dans les prochaines années. Pour en savoir plus, notamment sur les difficultés rencontrées et en grande partie surmontées voir cet article, « La région du Sikkim achève sa conversion au tout biologique ».

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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 19:44

Par Gilles Lacan, magistrat honoraire

 

Le référendum d’initiative partagée, introduit dans notre Constitution par la révision du 23 juillet 2008, prévoit qu’une proposition de loi cosignée par le cinquième des membres du Parlement, soit 185 députés ou sénateurs, peut être soumise au référendum si elle recueille le soutien d’un dixième des citoyens inscrits sur les listes électorales, soit un peu plus de 4,5 millions d’électeurs.

Cette proposition de loi doit porter sur l’organisation des pouvoirs publics, des réformes en matière économique, sociale ou environnementale, ou encore la ratification d’un traité. Un tel dispositif ne permet donc ni une révision de la Constitution, ni la révocation d’un élu.  Enfin, dans le cas où la proposition de loi a recueilli les soutiens citoyens nécessaires, elle est dans un premier temps transmise au Parlement et c’est seulement si elle n’a pas été examinée dans un délai de six mois par les deux assemblées qu’elle est soumise au référendum.

Entrées en vigueur le 1er janvier 2015, ces dispositions constitutionnelles n’ont jamais été appliquées.

Aujourd’hui, le mouvement des Gilets Jaunes, par la voix de ses porte-paroles, réclame un référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui sur plusieurs points importants différerait du référendum d’initiative partagée : le nombre des soutiens citoyens requis pour le provoquer serait ramené à 700 00 électeurs, il pourrait porter sur la révision de la Constitution ou la révocation des élus, enfin le Parlement n’interviendrait à aucun stade de son processus.

Ce dernier aspect du projet est contraire à l’esprit de nos institutions. Loin d’opposer représentation par les élus et expression référendaire, la Constitution veille à les associer, qu’il s’agisse des dispositions relatives à la souveraineté nationale (article 3) ou de celles relatives à l’organisation des référendums (articles 11 et 89). L’intervention directe du peuple dans le processus législatif ne signifie pas, du moins chez les fondateurs de la Ve République, l’exclusion des élus.

Certes, l’exigence de la signature initiale par un cinquième des parlementaires de la proposition de loi référendaire limite l’espace politique de ses auteurs potentiels. Mais ce nombre est normalement atteint par le principal parti d’opposition : il l’était par le PS de 2002 à 2012, il l’est par l’UMP/LR depuis 2012. Ainsi, la capacité de l’opposition à déterminer le contenu d’une pré-campagne référendaire, c’est-à-dire à se battre sur le terrain politique de son choix et à l’imposer au gouvernement, est rendue possible par la révision du 23 juillet 2008. Ce n’est pas là son moindre mérite. La cosignature de la proposition de loi par 185 parlementaires est aussi une garantie de la qualité du texte.

De la même manière, la possibilité de révoquer des élus est une mauvaise idée. L’irrévocabilité des élus, conforme à la tradition républicaine, est la contrepartie logique tant de la durée limitée de leur mandat, que du caractère non impératif de celui-ci. Au demeurant, cette revendication dans les circonstances présentes vise clairement le président Macron : est-il légitime que 700 000 électeurs remettent en cause l’élection d’un homme ayant rassemblé sur son nom près de 21 millions de suffrages ? Avant lui les présidents Sarkozy et Hollande avaient été élus avec près de 19 millions et plus de 18 millions de voix. La démocratie, c’est d’abord le respect de la majorité.

La Constitution, parce qu’elle est la loi fondamentale de la République, ne peut être modifiée que d’une main tremblante, pour reprendre l’expression de Montesquieu. L’article 89 exige que tout projet de révision, avant d’être soumis au référendum ou au vote à la majorité qualifiée du Congrès, ait été adopté en termes identiques par chacune des deux assemblées. Il s’agit là d’une disposition essentielle qui garantit le caractère bicamériste de notre système parlementaire et qui, en même temps, interdit à une majorité de passage de modifier à son profit les règles du jeu.

Les projets de RIC qui circulent actuellement substitueraient à cette double majorité de l’Assemblée nationale et du Sénat une simple initiative citoyenne de quelques centaines de milliers d’électeurs. Quand bien même cette initiative devrait en réunir plusieurs millions, le compte n’y serait pas. L’accord préalable des deux chambres du Parlement garantit la stabilité et la pérennité de nos institutions, sans empêcher leur adaptation aux changements ni leur évolution lorsque cela s’avère nécessaire. La Constitution a déjà été modifiée vingt-quatre fois, c’est déjà beaucoup en soixante ans. Il n’y a pas lieu d’élargir les conditions de la procédure de révision.

En revanche, les initiateurs du RIC critiquent à juste titre le nombre des soutiens requis pour déclencher le référendum d’initiative partagée. Obtenir l’adhésion formelle de quelque 4,5 millions d’électeurs, même en l’espace de neuf mois, délai prévu par la loi organique, semble hors de portée d’un parti politique, en tout cas suffisamment aléatoire pour dissuader celui-ci de tenter l’entreprise.

Il faudrait ramener ce seuil de un dixième à un vingtième du corps électoral, soit environ 2 250 000 électeurs, chiffre déjà très élevé mais qui avait été presque atteint, quoique de manière informelle, par la CGT et plusieurs autres syndicats et associations, lors d’une votation citoyenne sur la privatisation de la poste, organisée du 28 septembre au 3 octobre 2009. Sans logistique administrative autre que celle de municipalités de gauche, ils avaient alors rassemblé plus de 2 120 000 votants en un peu moins d’une semaine.

Enfin, sur un dernier point, le référendum d’initiative partagée mériterait d’être réformé, concernant la phase conclusive du processus. L’article 11 de la Constitution dispose en effet qu’après validation par le Conseil constitutionnel du soutien du dixième au moins des électeurs inscrits, « si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique [six mois], le président de la République la soumet au référendum ».

Cette disposition permet à une majorité parlementaire opposée à la proposition de loi d’éviter qu’elle soit soumise au référendum en se bornant à l’examiner dans le délai fixé, quitte à en modifier le contenu par voie d’amendements, voire à l’enterrer par un vote de rejet. Elle prive d’une grande partie de sa portée l’instauration du référendum d’initiative partagée.

Pour donner toute son effectivité à la réforme de 2008, il suffirait de remplacer le terme « examinée » par le terme « adoptée » dans le corps de l’article 11. Le Parlement aurait alors le choix, soit d’adopter purement et simplement la proposition de loi portée par une large partie de l’électorat, et d’éviter de la sorte la tenue d’un référendum, soit de s’y refuser, ce qui obligerait le président de la République à organiser ce référendum. Le peuple aurait ainsi le dernier mot.

Plusieurs responsables politiques s’effraient à l’idée du RIC ou de l’assouplissement des conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative partagée, craignant de voir consulter le peuple sur des sujets comme les traités européens, l’immigration, le rétablissement de l’ISF ou la suppression du Sénat. Mais, d’une part, le peuple est la source ultime de légitimité dans la démocratie : ses représentants n’ont de pouvoir que par délégation, le mandataire ne peut avoir plus de pouvoir que le mandant. D’autre part, le RIC ou le référendum d’initiative partagée ne doivent pas porter sur la Constitution : ainsi, la question de la suppression du Sénat ne pourrait pas être soumise à cette procédure, pas plus du reste que celle du rétablissement de la peine de mort, son abolition étant désormais inscrite dans la Constitution.    

Entre technocratie et populisme, la République doit affirmer son autorité. D’autant qu’entre ces deux maux, le plus grand péril aujourd’hui n’est pas forcément celui qu’on croit.

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