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2 septembre 2018 7 02 /09 /septembre /2018 10:04

Un article d'Antoine Waechter

Le développement de l’éolien terrestre repose sur une escroquerie intellectuelle et politique

Après avoir colonisé les champs de betteraves et de céréales de la Picardie et de la Champagne, les aérogénérateurs investissent dorénavant les reliefs boisés de la basse montagne, dénaturant les plus beaux territoires de France et dégradant l’environnement de dizaines de milliers de personnes.

L’énergie éolienne a, semble-t-il, la sympathie d’une petite majorité de nos concitoyens, mais suscite des dizaines de procès devant la juridiction administrative. Cette réalité contrastée oppose ceux qui ne connaissent que les photographies de pales blanches sur un fond de ciel bleu à ceux qui vivent la proximité de ces monstres technologiques. L’adhésion repose sur une double escroquerie intellectuelle et politique : l’éolien serait nécessaire pour se passer du nucléaire et pour limiter les gaz à effet de serre, plus largement l’avenir appartiendrait aux énergies renouvelables.

Au niveau actuel de consommation énergétique, le renouvelable est parfaitement incapable de remplacer les énergies à haute densité comme le pétrole et l’atome. Il serait nécessaire d’abîmer tous les cours d’eau, de piller la forêt et de couvrir la France de panneaux solaires et de mâts géants pour atteindre cet objectif. Le cœur de la transition énergétique ne peut raisonnablement être qu’une réduction radicale de la consommation : tous les connaisseurs en conviennent. L’escroquerie politique est de taire cette vérité. L’investissement dans les nouvelles technologies de production d’électricité en veillant à ne rien changer à nos modes de vie et à notre organisation socio-économique consiste à poursuivre le modèle de développement à l’œuvre depuis près de deux siècles. C’est plus confortable politiquement… et nous achemine vers l’impasse en toute bonne conscience.

L’éolien n’est pas une alternative au nucléaire. La loi de transition énergétique a inscrit dans le marbre le niveau de production actuelle. L’EPR de Flamanville, qui aura coûté plus de 10 milliards d’euros, est annoncé pour une durée de vie d’au moins 60 ans. Un Etat qui a décidé de sortir du nucléaire n’équipe pas le pays en centrales pour le prochain demi-siècle. La réduction promise de la part de l’atome n’est qu’une illusion d’optique : l’accroissement de la consommation d’électricité, voulu par la loi (notamment par une électrification du parc automobile), conduit mécaniquement à diminuer la part relative sans avoir à modifier la trajectoire du modèle.

Enfin, l’éolien n’a pas sa place dans un mix énergétique dominé par le nucléaire. Une énergie aléatoire suppose des relais rapidement mis en œuvre, comme des centrales hydroélectriques ou des centrales thermiques. L’hydroélectricité étant à peu près totalement mobilisée, le développement des centrales au gaz est le corolaire obligé de l’éolien. En d’autres termes, le développement de l’éolien exige le développement conjoint de centrales mobilisant des énergies fossiles et ne constitue pas, en soi, une réponse à la dérive climatique. L’Allemagne, qui est en voie de fermer toutes ses centrales nucléaires, est aujourd’hui l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre de l’Union européenne.

 

Des milliers de personnes en souffrance

La multiplication des parcs éoliens massacre les paysages de France et provoque la souffrance de milliers de personnes. La course aux autorisations d’implanter conduit à coloniser des territoires sans vent comme l’Est du pays, hier considérés comme inaptes aux éoliennes. Pour atteindre la rentabilité, les développeurs installent dorénavant des engins de 200 mètres de haut (pâles + mât), soit 4 à 6 fois plus que les objets déjà existants comme les clochers, les flèches de cathédrale, les pylônes de lignes très haute tension…

De grands voiliers, comme les rapaces, sont tués par les pales, tandis les poumons des chauves-souris éclatent sous l’effet de la dépression d’air créés par leur mouvement. Chaque éolienne vide un espace d’environ 1,8 hectare de tout vertébré (oiseaux et mammifères notamment), soit 9 hectares par parc de 5 machines, ce qui est sans incidence majeure dans un champ de maïs, mais très impactant au-dessus d’une forêt.

L’Académie de médecine a recensé tous les troubles suscités par la proximité d’un aérogénérateur, dans un rapport très complet publié en juillet 2017 : création de conditions favorables aux crises d’épilepsie, effet stroboscopique lié à l’ombre portée des pâles sur les maisons, malaises liées aux ultrasons produits par les vibrations des mâts, nuisances sonores. Le bruit du puissant brassage d’air (la prévision des zones de nuisances est complexe) fatigue le système nerveux par sa permanence comme la goutte d’eau qui tombe des heures durant. La nuit noire étoilée est rompue par les flashs rouges qui signalent les mâts aux avions : impossible de retrouver le charme d’un dîner en plein-air par une nuit douce d’été lorsque ces éclairs lumineux vous rappellent en permanence la présence de cette zone industrielle dédiée au vent.

 

Le scandale de l’Etat complice

Le scandale tient au fait que l’Etat a livré le pays aux spéculateurs du vent. Vous devez déposer un permis de construire pour édifier une maisonnette de 20 m² de surface habitable et d’une hauteur de 2,5 mètres. L’installation d’un aérogénérateur de 200 mètres de haut assis sur un bloc de béton de 75 tonnes et 200 m² de surface est exonérée de permis de construire ! L’implantation n’est soumise à aucune planification : les zones de développement éolien, déjà peu démocratiques dans leur élaboration, ont été supprimées en 2015. La décision du Sénat d’imposer une distance minimale de 1000 mètres entre une éolienne et une habitation a été annulée par le Gouvernement Vals. La Bavière vient d’instaurer une distance égale à 10 fois la hauteur de la machine, soit 2000 mètres pour une hauteur de 200 mètres ; l’Académie de médecine avait recommandé 1500 mètres voici quelques années déjà.

L’Etat ne cesse de faire évoluer les règles pour satisfaire le lobby des spéculateurs du vent. Dernier cadeau annoncé : le secrétaire d’Etat auprès de Nicola Hulot veut rendre plus difficile les recours contentieux des associations (même logique que François Hollande qui, pour protéger la promotion immobilière, a, par les ordonnances de février 2014, rendu plus difficile le recours des citoyens). L’éolien ne fait pas bon ménage avec la démocratie. Les projets d’aérogénérateurs ne font jamais l’objet d’un référendum local et se développe le plus souvent dans la plus grande discrétion pour ne pas alerter les défenseurs du paysage et du cadre de vie. Ainsi, loin de défendre la population, l’Etat fait le jeu des spéculateurs internationaux du vent contre l’intérêt des Français.

 

L’énergie entre les mains du capitalisme international

L’installation d’un parc éolien se joue en deux temps. Dans un premier temps, un développeur d’éoliennes contacte les maires situés près d’une ligne électrique et lui vante les bénéfices financiers à attendre d’une implantation. En cas d’accord, il monte le dossier, fait faire les études (souvent affligeantes en ce qui concerne le paysage, l’impact sur la santé publique et sur la faune), contribue à l’enquête publique, défend le projet devant le tribunal administratif. Coût de l’opération : environ 1 million d’euros.

L’autorisation obtenue est mis en vente sur le marché mondial. Elle est acquise le plus souvent par des fonds de pension américains, britanniques, canadiens… par des pétroliers…, pour une somme de l’ordre de 15 millions d’euros pour un parc de 5 aérogénérateurs. L’acheteur dépensera encore quelques millions d’euros pour l’acquisition des machines et leur montage. Il vendra sa production à EDF qui est tenu de la racheter à un prix supérieur au prix de marché de l’électricité pendant une durée contractuelle de 10 ans. La différence est payée par la taxe dite contribution au service public de l’électricité (CSPE) que paient dorénavant tous les consommateurs d’énergie. Cette taxe vient encore d’augmenter.

Tous les acteurs gagnent, sauf le consommateur français. Le développement de l’éolien industriel est d’abord une affaire de gros sous : la principale motivation n’est pas de produire des kW.h mais des euros dans un cadre sans risque puisque garanti par l’Etat.

L’une des conséquences de ce développement est de placer l’appareil de production énergétique d’origine éolienne entre les mains de capitaux étrangers : les consommateurs français sont ainsi appelés à contribuer aux retraites des Américains et des Britanniques.

 

Pour une transition énergétique intelligente

Il ne s’agit pas de mener une guerre idéologique contre les aérogénérateurs industriels, mais d’exiger que l’Etat reprennent la main sur le développement de l’éolien en localisant les zones d’implantation et en précisant des modalités qui préservent les paysages, la population et la démocratie. Une transition énergétique intelligente suppose le courage de fixer comme objectif central la réduction de la consommation d’énergie, quelle qu’en soit la source, et de définir une stratégie au service de cet objectif : interdiction du chauffage électrique, limitation des éclairages nocturnes, réduction des déplacements imposés en voiture par une interdiction de construire des zones d’activités près des échangeurs routiers et de grandes surfaces commerciales en périphérie de ville, isolation des bâtiments, interdiction de construire des bâtiments énergivores….

A chaque région, un mix énergétique conforme à son tempérament. Les aérogénérateurs n’ont pas leur place dans les espaces naturels, les montagnes et les forêts, ni dans le champ de visibilité de nos monuments.

L’Etat protège-t-il les intérêts de grands groupes financiers ou la santé et le cadre de vie des Français ? Très clairement, les décisions prises au cours des dix dernières années profitent à la finance internationale au détriment des gens.

 

Signalons (septembre 2019) la parution du livre d'Antoine Waechter Le scandale éolien aux éditions Baudelaire.

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12 juillet 2018 4 12 /07 /juillet /2018 12:24

80 km/h sur nos routes secondaires à 2 voies, la mesure fait grogner. Elle est pourtant assez typique du fonctionnement de notre société. Une mesure venue d’en haut, sans vraiment de concertation, notamment avec les territoires les plus impactés. Une mesure générale, simpliste aussi, qui ne prend pas en compte les belles départementales à 2 voies, bien larges, permettant une bonne visibilité et in fine peu accidentogènes.

Peut-être aurait-on pu faire le détail et s’appliquer à calculer la contrainte au mieux, tronçon par tronçon, au plus près du terrain et en tenant de l’accidentalité de ladite route ? Car rouler à 80 maxi sur une bonne route est une contrainte forte pour le conducteur  d’une voiture d’aujourd’hui. Et c’est aussi une contrainte qui va peser essentiellement sur tous ceux qui vivent dans des villages et petites villes et doivent parcourir 30, 40 et parfois même 50 km pour aller à leur travail quotidien. En contrepartie, en principe une route plus sûre avec une distance de freinage réduite de 13 m.

Les résultats parleront d’ici 2 ans, mais en attendant la mesure passe mal : c’est qu’elle cristallise le mal-être de la France périphérique bien décrit par Christophe Guilly, cette France qui a le sentiment d’être, non pas l’oubliée, mais la victime collatérale des choix de développement fait par la nouvelle équipe dirigeante autour du Président  Macron. Pour beaucoup, c’est encore cette France périphérique qui va faire principalement les frais de la limitation à 80 km/h.

Il y aurait pourtant eu une possibilité de montrer que les nouvelles limitations étaient l’affaire de tous. Elle consistait dans le même temps à faire passer la limitation de 130 à 120 km/h sur nos autoroutes. Déjà sûres, le but n’aurait pas été d’améliorer la sécurité mais de faire baisser la pollution générée par nos voitures : le gain quant à la consommation de carburant et aux rejets de polluants se situe autour de 10 %. Et aussi de diminuer la dépense, entre 0,6 et 1 litre de carburant au 100 km. Sans compter que nos nouvelles connaissances en matière d’écoulement des fluides nous ont permis de comprendre que plafonner la vitesse permet d’augmenter le débit des véhicules, comme cela se pratique déjà sur l’autoroute du sud en deçà de Lyon.

Cet argumentaire écologique est d’ailleurs aussi valable, dans une moindre mesure (l’impact du différentiel de 10 km/h s’élève en même temps que la vitesse s’accroît) pour le passage aux 80 km/h. Il n’y a pas été recouru, sans doute car cela aurait amené à poser la question de la limitation relative à la vitesse autorisée la plus élevée, question déjà posée à l’époque du Grenelle de l’environnement.

Quand on a un ministre de l’écologie qui s’appelle Nicolas Hulot, qu’attend-on pour limiter par la vitesse la pollution automobile sur l’ensemble de nos routes, quitte à impacter aussi la France des grandes agglomérations qui aiment partir en week-end par l’autoroute ?

 

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12 juin 2018 2 12 /06 /juin /2018 10:44

gaspillage alimentaire - 1,3 milliard de tonnes - faible coût de l'alimentation - étude de la FAO -  morale contre rationalité économique - initiatives locales

 

Parmi toutes les tentatives pour assurer l’alimentation de bientôt 8 milliards d’humains tout en préservant la nature, s’attaquer au gaspillage semble l’idée la plus évidente et la première des mesures à mettre en œuvre. Est-ce si simple ?

Le gaspillage alimentaire est important. En 2014, le Monde relayait cette étude de la FAO selon laquelle un tiers de la production mondiale soit 1,3 milliard de tonnes de produits alimentaires (180 kg par personne) seraient ainsi perdues chaque année ! Pertes réparties presque également entre la sphère de la production et ses annexes (stockage, manutention) et l'ensemble transformation-distribution-consommation.

La question est difficile. D'une part, toutes les pertes ne sont pas précisément répertoriées d’autre part, l’ensemble peut être évalué en masse, en valeur ou en fonction de l’impact écologique (dont l’estimation elle-même comprend une part d’arbitraire). Un kilogramme de viande représente une perte plus  significative qu’un kilogramme de matière végétale. On peut également distinguer les pertes sur la production (agriculture) des pertes sur les prélèvements (pêche). Toutes ces approches sont source de nombreuses confusions.

Une seconde difficulté résulte d’une sous-estimation du facteur économique au profit d’une indignation morale : « Quoi, jeter quand les gens meurent de faim ! » Nous percevons le gaspillage comme le résultat d’une négligence, d’un manque de soin qu’une meilleure organisation et qu’un peu de bonne volonté devraient suffire à résoudre. Hélas, s’il en était ainsi la question serait réglée depuis longtemps. Le gaspillage résulte au contraire d’une logique économique que l’on peut parfaitement détailler tout au long de la chaîne du producteur jusqu’au consommateur.

La cause principale du gaspillage est désormais le très faible prix de la nourriture industrielle. Une partie des aliments est jetée parce que le coût de leur bonne conservation serait très supérieur à leur  propre valeur, rendant économiquement contreproductif tout effort en la matière.
Ce raisonnement s’applique aussi bien aux producteurs qu’aux distributeurs et aux consommateurs (dans les pays  les plus développés nous consacrons une part toujours plus faible de nos revenus à notre alimentation).

Economiquement, et parfois même écologiquement parlant, on peut estimer qu’il est préférable de jeter de temps à autre quelques yaourts pris en excès plutôt que d’utiliser son véhicule plus fréquemment pour ajuster au mieux ses achats à sa consommation. C’est là un comportement tout à fait rationnel. De même, le distributeur peut estimer qu’il a économiquement plus à perdre à se trouver en rupture de stock, manquant ainsi des ventes et mécontentant ses clients, qu’à devoir de temps à autre jeter une fraction du rayon des produits périssables.

Bien sûr, des commandes par plus petites quantités permettraient un meilleur ajustement et des gâchis plus limités. Elles sont malheureusement excessivement coûteuses du point de vue administratif et logistique. Elles nécessiteraient notamment plus de transport et de manutentions, deux constituants déterminants du coût des produits. Le fractionnement des commandes ne ferait qu’augmenter les coûts et les impacts écologiques. Même si cela peut choquer, le niveau actuel de gaspillage est donc un compromis économiquement rationnel et nécessaire entre ces coûts et l’intérêt à préserver.

Il s’agit là d’une conséquence de l’industrialisation de l’agriculture qui a fait s’effondrer les coûts de production et donc la valeur des aliments rendant leur conservation non rentable. Paradoxalement, c’est le même mécanisme qui a permis de produire plus et de nourrir toujours plus d'hommes, qui nous conduit à jeter aujourd’hui une partie importante de cette même production. Nous sommes là au cœur du fonctionnement économique de nos sociétés.

Le retour à une économie plus locale, voire familiale permettra peut-être de le réduire mais il s’accompagnera également d’un retour à des conditions antérieures où la nourriture était plus chère et où le coût de l’alimentation représentait une fraction plus importante des revenus des ménages. Plus la nourriture sera précieuse et de qualité, plus les efforts pour la préserver s’avéreront profitables, mais nous devons être conscients de ce que cela signifie en terme de prix des aliments et donc en terme d’accès pour les plus pauvres.

Enfin, le gaspillage nous semble d’autant plus intolérable que l’on place face à face les quantités jetées dans les pays les plus riches et les manques ou même les famines dans les nations les plus pauvres (quoiqu’il existe également des pertes importantes dans les pays moins développés notamment au stade du stockage).  Hélas, il y a peu de transferts possibles de l’un à l’autre, jeter moins ici ne conduira guère à disposer de plus ailleurs, les frais de transport et de manutention des produits périssables l’interdisent largement.

Par contre localement, il existe déjà d’intéressantes initiatives soit pour demander aux consommateurs de donner aux plus démunis à la sortie des supermarchés, soit pour demander aux magasins de ne pas jeter les produits arrivant en date limite de consommation (on sait qu’ils sont en réalité souvent consommables quelques jours de plus) mais de les donner aux associations d’aide aux plus pauvres. Ces initiatives participent à une solution partielle mais réaliste au problème. Le risque de constitution durable de populations systématiquement receveuses et d’autres systématiquement donneuses pose d’autres problèmes pour l’équilibre de la société, mais c’est là une question qui sort du strict débat sur le gaspillage.  

 

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16 mai 2018 3 16 /05 /mai /2018 14:44

Par Denis Garnier (Président de Démographie Responsable )

Tous les ans, grâce aux travaux du Global Footprint Network, les médias alertent l’opinion publique lors du Jour du dépassement. Ce dernier indique la date où l’humanité a déjà consommé autant de ressources renouvelables que la planète peut générer en une année. En 2017, ce jour est tombé le 2 août (1).  Etant donné que cela se produit tous les ans un peu plus tôt, la portée pédagogique de cet événement est indéniable.

Cette année le WWF a décidé de communiquer sur le « Jour du dépassement français » et dans le rapport fourni à cette occasion par l’organisation écologiste, on peut lire la chose suivante : « Si le monde entier émettait autant de carbone par ses activités, consommait autant de terres, utilisait autant de terrains bâtis que les Français, le Jour du dépassement planétaire (…) tomberait en 2018 le 5 mai »… ce qui est parfaitement exact (2).

Cependant dans l’éditorial de Pascal Canfin (Directeur général du WWF France), on peut entre autres lire la chose suivante : « Depuis le 5 mai, la France est donc en déficit écologique ». Or notre pays a une capacité de production de ressources renouvelables par individu supérieure à celle de la planète (plus précisément notre biocapacité individuelle est de 2,9 hectares alors celle de la planète de 1,7). Il s’en suit que nous ne serons en déficit réel que vers la fin du mois de juillet (3). Malheureusement un certain nombre de médias ont utilisé cette dernière phrase pour titrer leur article. Citons Libération « Cette année, la France débute sa dette écologique le samedi 5 mai », L’Obs « Dès samedi, la France vivra écologiquement à crédit » ou encore L’Express « La France à crédit écologique dès samedi »… ce qui n’est donc pas exact. Parmi les seuls médias qui ont réussi à éviter l'écueil, on peut citer Le Monde dont le titre de l'article était « La France creuse sa dette écologique » et dont l'auteur Pierre Le Hir avait d'ailleurs pressenti le piège puisqu'on pouvait lire ceci : « Certes, l'empreinte écologique de la France est moindre, si on la rapporte à la biocapacité du territoire national ». Il est clair qu'il ne s’agit là que d’une erreur d'interprétation, mais celle-ci a malheureusement pour effet d’entacher en partie le travail d’une organisation qui œuvre par ailleurs de façon fort utile.

https://www.demographie-responsable.org/images/Echancier_Jour_dpassement.png

De surcroît, la méthode de calcul choisie amène également à certaines aberrations. Par exemple, une des infographies du dossier cité plus haut, donne (en page 4) la date de ce fameux jour du dépassement pour un certain nombre pays et on voit par exemple apparaître le cas du Canada. Si ce jour a été aussi popularisé outre-Atlantique, espérons qu'il n’a pas été écrit la chose suivante : "Le Canada en déficit écologique dès le 17 mars", c’est-à-dire encore plus tôt que nous, car vu son immensité et sa faible population, ce pays produit plus de renouvelable qu'il n’en consomme en une année (16,2 ha > 8,8 ha). Il est donc un de ceux qui, par exemple, recyclent une partie du CO2 émis par les pays les plus pollueurs. Cette constatation n’a cependant pas pour but de vouloir minimiser l’empreinte individuelle excessive de nos amis canadiens et les efforts nécessaires pour la faire baisser. Maintenant, à l’autre bout du diagramme présenté ci-dessus, figure le cas de Maroc qui fait quasiment office de "meilleur élève" et qui pourtant a une empreinte égale au double de sa propre biocapacité (1,7 ha > 0,8 ha) !

Au-delà de ces imperfections, on regrettera le fait que dans ce dossier d’une trentaine de pages qui traite aussi de la planète dans son ensemble, le terme de "démographie" n’apparaisse pas une seule fois. Or, il aurait parfaitement eu sa place en page 11, où l’on peut lire ceci : « Le rendement accru de l’agriculture des dernières décennies, ayant ainsi conduit à une légère augmentation de la biocapacité mondiale, n’aura pas permis d’absorber le choc induit par l’explosion de l’empreinte écologique mondiale », car si choc il y a bien eu, il eut été intéressant d’expliquer qu’il a été uniquement dû à l’explosion de la population mondiale (qui a plus que doublée depuis 1960) et non à celle de la consommation individuelle qui est restée relativement stable depuis 1970 (ce que l’on voit très bien sur le graphique de l’évolution de l’empreinte individuelle présenté en dessous). Quant à la biocapacité mondiale, sa faible augmentation ne doit pas nous étonner, car elle provient du fait que nous vivons sur une planète aux dimensions et aux ressources renouvelables finies. On rappellera à cette occasion qu’il est impossible de croître indéfiniment dans un monde fini.

https://www.demographie-responsable.org/images/Evolution_Empreinte_Biocapacit_individuelle_mondiale.PNG

Même déception lorsque sont présentées les courbes du Brésil et de l'Indonésie où le commentaire parle de « biocapacité mise à mal par déforestation importée », ce qui n’est pas entièrement faux mais n’est absolument pas la cause principale puisque ces pays ont essentiellement vu leur population tripler sur ce dernier demi-siècle.

https://www.demographie-responsable.org/images/Brsil_Indonsie.PNG

Enfin, au terme du dossier, il est question de la « neutralité carbone » vers laquelle notre pays est censé se diriger pour le milieu de ce siècle, ce qui est évidemment un excellent objectif. Si nous y arrivons à cette date ou un peu après, à effectif constant et du fait entre autres de notre relativement faible densité de population (118 hab/km²), notre pays devrait encore disposer d’une biocapacité individuelle de 2,9 hectares. Ceci nous permettra de conserver un niveau de vie écologiquement compatible et tout-à-fait confortable. Par contre, des pays ayant une densité de population extrême comme le Bangladesh (1.100 hab/km²) ou l’Egypte (plus de 2.000 hab/km² hors déserts), et qui en conséquence ne disposent déjà plus respectivement que d’une biocapacité individuelle de 0,4 et 0,5 ha, eh bien ces pays n’auront pas cette chance et ce d’autant plus que leur population est encore amenée à fortement augmenter.

La démographie est une composante incontournable de l’écologie et ça n’est donc pas en la mettant sous le tapis qu’on résoudra les immenses défis environnementaux et sociaux qui attendent l’humanité.
__________________________________________________________________(1)   Rapport Biocapacité Planète (1,7 ha) / Empreinte Planète (2,9 ha), fois 365
(2)   Rapport Biocapacité Planète (1,7 ha) / Empreinte France (5,1 ha), fois 365
(3)   Rapport Biocapacité France (2,9 ha)  / Empreinte France (5,1 ha), fois 365

Les illustrations proviennent du rapport du WWF cité plus haut

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19 avril 2018 4 19 /04 /avril /2018 12:44

mégalopoles - transports urbains - qualité de l’air - pollution - grève des cheminots - trafic automobile augmenté - bouchons - surpollution - droit de grève - droit à un environnement sain - conflit de droits

 

Le droit de grève est un droit fondamental, inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel fait référence la Constitution de 1958. C’est cependant un droit encadré, particulièrement dans certains domaines comme le contrôle aérien, l’audiovisuel public, le secteur nucléaire, les hôpitaux ou dans les transports depuis l’adoption en 2008 de la loi sur le service minimum. C’est bien sûr la question de la sécurité qui a amené la plupart de ces restrictions : évidentes en matière de contrôle de la navigation aérienne ou de fonctionnement des centrales nucléaires ; évidentes encore dans les hôpitaux où il est difficile d’imaginer d’abandonner des patients, elle se comprend aussi en matière de diffusion de l’information dans l’audiovisuel public :  pourrait-on imaginer une grève des radios en même temps qu’une mise en cause violente de l’ordre public mettant en cause l’état de droit ?

Mais l’écologie dans tout ça ? Pourquoi faudrait-il que la problématique écolo,  historiquement plutôt portée politiquement par des gens venus de la gauche, s’oppose à un libre usage du droit de grève dont la reconnaissance a été le résultat d’un combat majeur porté lui aussi depuis le XIXème siècle par la gauche dans notre pays ? C’est tout le paradoxe de ce nouveau conflit entre des droits, l’un déjà ancien et symboliquement reconnu à la Libération, et l’autre autour de l’écologie qui peine à se faire reconnaître dans notre ordre constitutionnel.

Car que voit-on en ce mois d’avril 18 où un conflit d’importance anime les cheminots opposés à la réforme de la SNCF ? Des usagers embêtés dans tout le pays bien sûr, mais aussi une Île de France paralysée par des centaines de kilomètres de bouchons dans Paris et tout autour. Cette paralysie du trafic routier a un effet élevé en matière de pollution et donc de qualité de l’air respiré par les franciliens. Même si en dehors des périodes de grève la qualité de l’air n’est déjà pas satisfaisante et provoque chaque année des centaines de morts, il ne paraît pas raisonnable que l’usage d’un droit puisse encore aggraver une situation déjà difficilement supportable. A ce titre, et parce que tout habitant a le droit de ne pas s’empoisonner en respirant, il paraît nécessaire d’assurer, afin d’éviter une sur-pollution, le bon fonctionnement permanent du système de transport en commun dans une conurbation de plus de 10 millions d’habitants, quitte à limiter nettement ou remettre en cause le droit de grève des salariés du secteur des transports en commun.

Mais est-ce l’écologie, et par là le droit à un environnement sain, qui s’oppose au droit de grève ? Ou ne serait-ce pas plutôt le gigantisme de la Région Parisienne, une région écrasée par sa propre masse, qui oblige à penser ce nouveau conflit de droits ? A l’heure du Grand Paris qui prévoit des milliards d’investissements pour faciliter les mobilités dans une agglomération toujours plus peuplée, avouons que la question se pose. Mais si le gigantisme de cette conurbation est la cause de cette nouvelle limite au droit de grève, peut-être peut-on aussi se rappeler que longtemps pour les écolos un de leur concept préféré (*) fut small is beautifull.

_________________________________________________________

(*) « Small is beautifull » est un concept forgé par  Leopold Kohr et popularisé en 1973 par le livre de  Ernst Friedrich Schumacher intitulé « Small Is Beautiful: A Study Of Economics As If People Mattered » ; ce recueil d'essais de l'économiste britannique a été édité en français par Contretemps / Le Seuil sous le titre «Small Is Beautiful - une société à la mesure de l'homme » Pour plus d’information sur Leopold Kohr, voir aussi ce texte d’Ivan Illich.

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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 18:44

Par Michel Garenne

La question de la limitation des naissances, indispensable pour conserver les équilibres écologiques, est sujette à débats depuis l’essor de la philosophie des Lumières (XVIIIème siècle) et les écrits de Thomas Malthus (1766-1834). Cette réflexion est une réponse à l’explosion de la population humaine depuis 1750, due aux innovations médicales, aux progrès techniques et au développement économique, qui a bouleversé tous les équilibres écologiques précédents. De nombreux ouvrages ont traité de ces questions. Cette note remet au goût du jour les principaux arguments avancés en faveur de la maîtrise de la fécondité, la fameuse ''transition démographique'' qui doit, à terme, permettre de rétablir les équilibres démographiques et écologiques au niveau mondial, suite aux déséquilibres créés par l’extraordinaire baisse de la mortalité qui perdure depuis deux ou trois siècles.

1) Droits de la femme et du couple (niveau individuel)

Hormis les femmes stériles, cas qui reste rare (2 % des femmes), pratiquement toutes les femmes ont besoin à un moment ou un autre de leur vie génésique de contrôler leur fécondité : pour éviter une naissance avant le premier mariage, pour éviter une naissance au cours des périodes hors mariage (veuvage, divorce, séparation), pour éviter une naissance lors de périodes difficiles (problèmes de santé, difficultés économiques, situations sociologiques ou psychologiques pénibles, etc.), pour espacer les naissances, et enfin pour limiter le nombre de naissances lorsqu’il excède le nombre désiré ou les capacités de la famille. Les femmes et les hommes souhaitent aussi profiter pleinement de leur sexualité sans craindre une grossesse non-désirée.

En conséquence, femmes et hommes ont droit à une information précise sur le sujet et à un accès sans restriction aux diverses méthodes de contraception et de contrôle des naissances. Et lorsque les couples ont accès à cette connaissance et à ces méthodes, l’expérience montre qu’ils les utilisent à bon escient, et que, à terme, ils adoptent une solution qui conduit à une stabilisation de la population, la norme étant la famille de deux enfants (avec de nombreuses variantes). Cette évolution s’est produite dans les pays européens au XIXème siècle, et dans la majorité des pays du Tiers Monde depuis 1950, à l’exception de certains pays africains encore en retard dans le processus en 2018.

2) Équilibres écologiques (niveau collectif)

De nombreux équilibres écologiques dépendent de la taille de la population du fait du caractère limité de tous les environnements physiques nécessaires à la vie sur terre (eau, air, terre habitable, terre arable, etc.), et des nombreuses interactions entre environnement physique et espèces végétales et animales.

 

- Équilibre population humaine / ressources hydriques : la première limitation à la vie sur terre (animale ou végétale) est l’eau douce. Lorsque la population explose, l’accès à l’eau devient un enjeu majeur, une source de conflits et de violence, et dans les cas extrêmes de disparition des populations (Sahara, Mésopotamie). Certes des innovations récentes, telles que le dessalage de l’eau de mer ou le recyclage des eaux usées, pourraient permettre d’alléger cette contrainte, mais là encore avec des limites physiques importantes et des coûts financiers considérables.

 

- Équilibres population humaine / terres arables : la seconde limitation est celle des terres arables, qui déterminent la production agricole (agriculture, élevage) et donc la nourriture (c’est l’argument central de Malthus). Notons que l’extension de l’agriculture s’est faite au détriment de la faune sauvage, que pratiquement toutes les terres arables sont déjà cultivées, et que plus les zones urbaines et industrielles s’étendent, plus les terres arables se réduisent. Jusqu’ici l’augmentation du ratio d’habitants par surface de terre arable a été compensée par l’augmentation des rendements agricoles, mais ceux-ci ont aussi leurs limites, ainsi que de nombreuses externalités négatives (appauvrissement des sols, pollution des sols, transformations des environnements nécessaires à certaines espèces sauvages, etc.).

 

- Équilibres populations humaines et populations animales : cet équilibre est en général bénéfique aux deux espèces. Lorsque les populations humaines sont trop denses, les populations animales disparaissent : d’abord les grands prédateurs (loups, ours, lions, etc.), puis les mammifères sauvages, et à terme de nombreuses autres espèces (insectes, oiseaux). En Afrique, cet équilibre avait été très bien préservé depuis quelques 100.000 ans que les êtres humains (homo sapiens) occupent le continent, mais il disparaît très rapidement depuis un siècle du fait de la pression démographique, et devrait être en grande partie détruit au cours du 21ème siècle si les tendances actuelles continuent. Notons que maintenant la présence de la faune sauvage est à nouveau considérée comme souhaitable, après avoir été honnie pendant des siècles en Europe.

- Équilibres populations humaines et environnement végétal : de nombreux environnements occupés par la flore, en particulier les forêts, sont fondamentaux pour la production d’oxygène et l’absorption du gaz carbonique, un des principaux gaz à effet de serre. De même les zones humides (marais, mangroves) sont nécessaires à de nombreuses espèces animales (oiseaux, batraciens, insectes, etc.).

 

- Populations humaines et émissions de gaz à effet de serre : de nombreuses activités humaines produisent des gaz à effet de serre, qui causent un réchauffement climatique susceptible de menacer la survie de nombreuses espèces et même de causer une augmentation du niveau des mers. Ces émissions proviennent des productions industrielles, de la production d’énergie (chauffage, électricité), des transports (air, route), etc. Toutes sont fonction de la taille de la population et du niveau de développement économique. Elles pourraient avoir pour conséquence la fonte du permafrost, qui produirait de gigantesques émissions de méthane, autre puissant gaz à effet de serre, ce qui renforcerait le phénomène.

 

- Populations humaines et pollutions : les divers progrès techniques qui ont révolutionné l’agriculture et la production de biens et services ont souvent des conséquences négatives : pollutions diverses, poisons de toute nature, qui peuvent affecter de nombreuses espèces animales (oiseaux, abeilles, insectes), et végétales, y compris l’espèce humaine. Ces pollutions sont d’autant plus importantes que la taille de la population humaine est grande et que le progrès technique est avancé (nucléaire, produits chimiques, insecticides, etc.). Certaines de ces pollutions, comme les perturbateurs endocriniens, affectent même directement le métabolisme du corps humain.

 

- Populations humaines et épuisement des ressources fossiles : l’augmentation de la population ainsi que la mise au point de nouvelles techniques d’exploitation conduisent à l’épuisement des ressources fossiles (non renouvelables): eaux fossiles en zone aride, hydrocarbures, métaux rares, etc.

 

- Populations humaines et surexploitation des ressources renouvelables : la surpopulation conduit aussi à la surexploitation de certaines ressources renouvelables, comme la surpêche dans les océans. Une synthèse récente de travaux scientifiques du monde entier a mis en évidences les énormes changements qui se sont produit entre 1960 et 2015, période au cours de laquelle la population mondiale est passée de 3,0 à 7,3 milliards d’habitants : augmentation considérable de la température du globe et de la concentration en dioxyde de carbone (CO2) ; apparition de zones mortes dans les océans et de gigantesques poubelles de plastique ; baisse de la quantité d’eaux fraîches disponibles, baisse des prises de poissons de mer, réduction drastique des forêts et de la biodiversité, et disparition de nombreuses espèces de vertébrés.

3) Conséquences sociales et épidémiologiques

La forte croissance démographique a toujours pour conséquence la surpopulation en terme de densité relative, par rapport à la surface habitable ou à la surface arable. En plus des conséquences sur l’environnement physique et sur les populations animales et végétales, les conséquences sont aussi sociales. Les sociétés en surpopulation deviennent agressives, et provoquent des conflits (pour l’eau, la terre, les ressources naturelles), voire des guerres et même des génocides (comme celui des amérindiens). Ces situations induisent aussi des migrations de détresse, aux nombreuses conséquences négatives.

Les fortes densités de population, les migrations et déplacements rapides (avion), et les contacts plus fréquents avec les populations animales favorisent aussi la diffusion de maladies infectieuses transmissibles (autrefois la peste, le choléra, la variole, la rougeole, la coqueluche, etc. maintenant la grippe, diverses formes d’entéro-pathogènes) et l’apparition de maladies émergentes (VIH/sida, Ebola, grippe aviaire, etc.). De plus, les transports rapides peuvent favoriser l’apparition d’espèces invasives qui peuvent détruire des équilibres écologiques antérieurs.

4) Interactions économiques

Rappelons au préalable qu’aucune société, aucun pays, n’a connu de développement économique important au cours des deux siècles précédents sans contrôler sa fécondité et la croissance de sa population. Et les seuls pays qui ne l’ont pas fait sont restés particulièrement en retard dans le processus du développement, essentiellement des pays africains.

Cependant, les relations entre économie et démographie sont plus complexes que celles qui lient population et environnement.

- Croissance économique vs croissance démographique : la première relation est simple : si le taux de croissance économique est « a » et le taux de croissance démographique est « b », le taux de croissance du revenu par tête est « r = a - b », et donc plus « b » est faible, plus « r » sera élevé.

- Pression de la population et salaires : lorsque la croissance démographique est forte, la main d’œuvre est abondante, et donc le taux de salaire est faible ; si au contraire la croissance démographique est faible (voire négative) on a l’effet inverse, c’est-à-dire une baisse de la demande d’emplois et une augmentation des salaires. On a observé ce phénomène au XIVème siècle en Europe suite à la baisse de population causée par la peste noire, et dans une certaine mesure on l’observe actuellement dans certains pays à croissance démographique négative (Japon).

- Pression de la population et coût de la vie : lorsque la population est importante, certains coûts incompressibles augmentent, en particulier le prix de la terre agricole, le prix des terrains à bâtir, le coût du logement, etc., grevant ainsi les budgets des ménages.

- Croissance démographique, emploi et promotion professionnelle : lorsque la population augmente vite, la pyramide des âges a une forte pente, ce qui limite les possibilités de première embauche, et par la suite de promotion professionnelle (trop de jeunes, pas assez d’emplois, pas assez de place au sommet de la hiérarchie).

Mais les économistes opposent souvent des contre-arguments, basés sur des observations ponctuelles ou plus générales :

- Les dynamiques démographiques peuvent avoir des effets positifs sur les dynamiques économiques, notamment en stimulant l’innovation, en incitant à adopter des techniques plus efficaces, en obligeant à améliorer la gestion, etc. Mais il faut tout de même remarquer que les nations qui ont le plus innové ces 50 dernières années sont celles qui ont le mieux contrôlé leur fécondité (Japon), alors que celles qui ne l’ont pas fait ont très peu innové (pays africains).

- Du point de vue des classes possédantes, des banquiers et des investisseurs, la croissance démographique permet d’abaisser le coût de la main d’œuvre, et donc d’augmenter le taux de profit et de stimuler les investissements. Dans ce cas, l’abondance de main d’œuvre peut même être vue comme une opportunité pour faire des profits (comme dans les pays asiatiques dans les années 1960 ou dans certains pays africains actuellement).

- Une forte croissance démographique, en changeant la structure par âge, peut avoir des effets favorables sur certains paramètres, comme par exemple sur les systèmes de retraite (plus de cotisants, moins de bénéficiaires). Ce défaut peut cependant être facilement corrigé en changeant l’âge à la retraite.

5) Dépenses publiques

Pour ce qui concerne le budget de l’Etat et les dépenses publiques, là encore les relations avec la croissance démographique sont complexes. De plus, il ne faut pas oublier que ces dépenses sont assurées par les impôts et taxes, et donc par la population elle-même. Plus la structure par âge est favorable à l’activité économique (plus d’adultes actifs, moins d’enfants et de personnes âgées) moins les charges pesant sur les travailleurs sont importantes, ce qu’on appelle souvent le ‘dividende démographique’.

En fait :

- Une forte croissance démographique oblige à une augmentation des dépenses publiques (investissements et fonctionnement) concernant les enfants : maternités, crèches, écoles, dispensaires, dépenses de santé. Cependant, une partie de ces dépenses est assurée par les familles.

Par contre :

- Une faible croissance démographique exige à terme plus de dépenses pour les personnes âgées (hôpitaux, maisons de retraite, dépenses de santé). Mais, à la différence des enfants, les personnes âgées ont des ressources financières propres (retraite, patrimoine, etc.).

Conclusions

En bref, la très grande majorité des arguments présentés ci-dessus vont dans le sens de la limitation des naissances : elle est au bénéfice de tous, espèce humaine comme espèces animales et végétales. Les rares contre-arguments économiques pèsent un poids bien faible en comparaison. Ainsi donc, toutes les politiques publiques et les efforts privés qui vont dans le sens de la maîtrise de la fécondité auront des conséquences positives sur les équilibres population et environnement, ainsi que sur les dimensions sociales et psychologiques: bonheur, prospérité, paix et sécurité. En corollaire, l’absence ou la faiblesse actuelle des politiques de planification des naissances dans certains pays africains, apparaît comme particulièrement irresponsable, car ignorant les nombreuses conséquences à long terme.

 

Michel GarenneDémographe

Institut de Recherche pour le Développement

Fondation FERDI ; Institut Pasteur ; Université du Witwatersrand 

Mise à jour le 31/03/2018

Ce texte a été préalablement publié sur le site de l'association Démographie Responsable.

_________________________________________________________________________________ 

Pour en savoir plus :

Ehrlich P. (1968). The Population Bomb. New York: Ballantine Books.

Ehrlich PR, Ehrlich AH. (2009). The Population Bomb Revisited. The Electronic Journal of Sustainable Development; 1(3).

Malthus TR. (1807). An Essay on the Principle of Population, or a View of Its Past and Present Effects on Human Happiness, with An Enquiry into Our Prospects Respecting the Future Removal or Mitigation of the Evils Which It Occasions. (Fourth edition), London: J. Johnson.

Union of Concerned Scientists. (1993). World Scientists’ Warning to Humanity. Cambridge, MA: Union of Concerned Scientists.

National Academy of Sciences USA. (1993). A Joint Statement by Fifty-eight of the World’s Scientific Academies. Population Summit of the World’s Scientific Academies. New Delhi, India: National Academy Press.

15,364 scientists signatories from 184 countries. (2017). World Scientists’ Warning to Humanity : A Second Notice. Bioscience

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30 mars 2018 5 30 /03 /mars /2018 14:04

Par Gilles Lacan

 

L’écologie peine en France à disposer d’une représentation politique. Ce n’est pas le succès des partis traditionnels qui l’empêche de s’imposer mais plutôt l’idée largement répandue selon laquelle les questions liées à l’environnement ne constituent pas un critère majeur de choix politique.

Le principal parti écologiste, les Verts, devenu EELV, partage lui-même cette vision restrictive. Il se positionne de manière récurrente comme un parti de gauche et a obtenu son meilleur résultat en 2009, lors des élections européennes, en axant sa campagne sur une problématique plus européiste qu’écologiste. Ayant renoncé à faire de la défense de l’environnement le déterminant en dernière instance de leur projet, les Verts qualifient d’environnementalistes ceux qui continuent à le faire.

D’autres facteurs contribuent au manque de visibilité politique de l’écologie : le jacobinisme, d’abord, qui tend à occulter tout ce qui n’a pas un caractère national, au détriment pour celle-ci des nombreuses expériences menées sur le terrain, mais aussi le scrutin majoritaire, qui incite les petites formations à conclure des alliances inégalitaires avec les partis traditionnels.

Certes, la prise de conscience des idées écologistes progresse dans l’opinion. Mais il serait illusoire d’en déduire que « l’histoire nous donnera raison ». La pensée politique n’est pas indexée sur l’état physique de la planète : les dérèglements environnementaux et démographiques qui s’accumulent n’assigneront pas nécessairement à l’écologie le rôle de référence incontournable. Il est plus raisonnable de penser que les problèmes liés à la survie matérielle, à la sécurité physique ou aux conflits identitaires vont prendre le dessus.

En réalité, même s’il s’agit d’une conclusion contre-intuitive, difficile à admettre, le temps travaille contre nous. Cela ne veut pas dire qu’il faille baisser les bras, mais cela impose de repenser notre agenda aussi bien que les formes de notre intervention en fonction de cette contrainte.

S’agissant du réchauffement climatique, par exemple, les stratégies d’adaptation à la hausse des températures et à ses effets, devenus inéluctables, doivent occuper une place de plus en plus grande à côté de celles ayant pour objet d’en retarder l’échéance et d’en limiter l’ampleur.

Plus généralement, il est sans intérêt de bâtir le projet d’une société qui n’existe pas encore dans un monde qui n’existe déjà plus, de se réfugier dans l’utopie du « buen vivir » ou de sa déclinaison française du « vivre ensemble », pour remplacer l’utopie communiste qui a fait faillite au siècle dernier. Il est plus utile de préparer notre pays à l’épuisement des ressources naturelles, à la pénurie énergétique et aux grandes migrations climatiques, dans un contexte politique qui ne devrait pas se caractériser par un surcroît de convivialité.

Quant au rôle spécifique des formations politiques se réclamant de l’écologie ou de la décroissance, il doit être lui aussi reconsidéré : le schéma traditionnel d’une montée en puissance dans l’électorat pour aboutir, avec ou sans alliés, à une représentation majoritaire dans les institutions de l’Etat est à la fois irréaliste et anachronique, hérité d’une vision du XXème siècle de l’action politique.

L’écologie en France aujourd’hui, ce sont les ONG, grosses fédérations rassemblant des centaines de milliers de personnes aussi bien que lanceurs d’alerte ou associations thématiques, les collectivités locales, des plus grandes aux plus petites, la plupart rattachées au réseau des Villes et Territoires en Transition, et aussi tous ces intellectuels, écrivains, artistes, membres de la communauté scientifique, qui nous éclairent et parfois même nous montrent le chemin. L’un d’entre eux n’a-t-il pas déclaré l’an dernier que « la décélération, la déconnexion et la décroissance, surtout démographique, » étaient « les impératifs de notre temps » ?

Ce sont là les bases mêmes du programme de l'écologie politique, dans une période où le ralentissement est devenu la condition de la résilience.

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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 15:04

Par Claude Courty

Dans son numéro du 3 mars 2018 « Le Point » invite ses lecteurs à méditer les propos recueillis par Thomas Mahler auprès de l'historien de l’université de Stanford, Walter Scheidel, selon qui « seules les guerres et les catastrophes ont fait baisser les inégalités dans l'histoire. ». Il est fréquent de lire ou entendre “qu’une bonne guerre réglerait le problème”, mais il est pour le moins surprenant qu’un avis aussi sommaire puisse être partagé par un historien.

Quels que soient sa portée et son bilan mortuaire, quelle guerre ou épidémie a-t-elle jamais réduit la population humaine dans une mesure suffisante pour influencer les inégalités sociales ? Tout au plus ont-elles pu générer passagèrement un ordre de portée limitée, fondé sur de nouveaux critères de différenciation entre leurs survivants, une nouvelle hiérarchie ayant pu alors se manifester. Mais comme après toute révolution – qui n’est qu’un moyen de changer l’ordre établi par la force –, aussitôt qu’ont pris fin les événements ayant pu la perturber, la structure de la société humaine reprend inéluctablement son caractère pyramidal. Ces événements passés ; une fois que les membres de la société ont retrouvé le plein exercice de leurs fonctions premières qui sont de consommer et de produire, consommation et production connaissent un nouvel essor et l’enrichissement collectif reprend son cours, après qu’il ait été interrompu par une situation dans laquelle les destructions, tant humaines que matérielles, ont pu dépasser leur production. La population poursuit quant à elle sa croissance et la pyramide sociale son inexorable développement, par lequel son sommet s’éloigne toujours plus de sa base, en accroissant leur écart et les inégalités sociales que cet écart exprime.

S’il est vrai que certaines guerres et épidémies ont pu et pourront encore entraîner des réductions sensibles de l’effectif de la société, il suffit de se souvenir que la population humaine mondiale a incessamment augmentée depuis que l’homme existe – en dépit de son caractère belliqueux et de combats incessants, toujours plus meurtriers – et que cette augmentation est actuellement de 280 000 individus chaque jour, soit près de 100 millions par an, ce qui suffit pour résorber en bien peu de temps les pertes en vies humaines les plus sévères, quelles qu’en soient les causes. Sans compter qu’une épidémie ou un feu nucléaire capables d’éclaircir les rangs de l’humanité au point d'en faciliter la “régénération”, rendraient probablement notre planète impropre à la vie humaine.

Richesse et pauvreté sont des données relatives, et vouloir traiter d’inégalités au moyen d’indices fondés sur des écarts de revenus individuels (tel le coefficient de Gini), comme le font la plupart des experts, à l’instar des Piketty et Oxfam, revient aux pires amalgames, mêlant allègrement rémunération du travail et du capital, patrimoine et revenu, à des époques et en des lieux où ces notions peuvent aller jusqu’à être ou avoir été sans le moindre rapport avec l'idée que nous nous en faisons de nos jours. Qu’ont de comparable, sinon dans leur relativité, la richesse comme la pauvreté de populations différentes à des siècles, voire à des millénaires, de distance, ou des actuels pays les plus pauvres par rapport aux plus avancés ? Qui peut prétendre que la notion de revenu ait le moindre sens pour les deux milliards d’êtres humains disposant quotidiennement, aujourd'hui, de moins de deux dollars pour survivre ?

Cet article a été préalablement publié sur le site Abominable Pyramide sociale

 

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2 mars 2018 5 02 /03 /mars /2018 17:04

Par Anne-Marie Teysseire

Parmi les commentaires anti-malthusiens, il est une réaction récurrente qui étonne toujours par sa violence. Elle se présente sous deux formes, la première directe et épidermique « Vous voulez réduire la population mondiale ? Commencez donc par vous suicider ! » et se rencontre très souvent  dans les salons, sur les forums... La seconde plus subtilement agressive : « Surpopulation ? Alors on commence par (éliminer) qui ? » a été employée par des politiques ou des scientifiques comme Y. Jadot  ou J-L. Etienne par exemple...

L'idée de réduction nécessaire de notre natalité est donc ici associée à un fantasme de mort violente, de meurtre (comme aux plus beaux jours de la lutte contre la contraception et l'avortement), et ce n'est pas étonnant qu'il soit concomitant de celui d'un complot des élites pour une élimination massive des terriens, complot attribué à Bill Gates ou à un quelconque Nouvel Ordre Mondial.             .

Pourquoi ce thème réveille-t-il de telles terreurs, pourquoi semble-t-il attaquer à ce point  la légitimité de l'existence de nos interlocuteurs, pour qu'ils nous agressent aussi violemment ? Il est vrai que la seconde forme emprunte à la facile tactique de la condamnation à priori des questionneurs, comme D. Barthès l'a indiqué  très justement  dans un article et que le sujet de la natalité est sensible, intime...  Cependant tout cela  me semble s'apparenter aussi à une réaction désespérée de déni.

On peut en effet penser que l'humain a perdu au fil des siècles beaucoup d'illusions sur sa toute puissance : Dieu (quoique depuis deux décennies…) et les espérances du Grand Soir l'ont quitté, la «découverte» de l'Inconscient lui a ôté la certitude de  maîtriser son destin et enfin sa planète ne s'avère plus infinie ni sa corne d'abondance éternelle.

Pour refuser la régulation de sa descendance, dernier espace de liberté, de toute puissance imaginaire - et dernier espoir de se multiplier à l'infini pour éviter de se confronter individuellement à sa misérable finitude - il cherche des échappatoires: retournement des jumelles pour ne voir que des initiatives locales, transhumanisme, colonisation de Mars... voire certitude que la catastrophe qui arrivera à coup sûr, l'épargnera lui et les siens, lui permettant ainsi de retrouver l'infini de la planète, de ses ressources et la possibilité  de se reproduire à nouveau sans frein (cf. les mouvements survivalistes et collapsologues).

Notre Ubris (ou Hybris)  semble avoir trouvé un dernier refuge dans ce déni de la surpopulation. D'où peut-être ces réactions agressives et irrationnelles face à une réalité effrayante...

Avec cette ultime illusion perdue, le roi est vraiment nu et l’homme bien seul face à la mort. La sienne et celle, toujours possible de son espèce.

Anne-Marie Teysseire est militante de l'association Démographie Responsable

Cet article a été préalablement publié sur le site Biosphère

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18 janvier 2018 4 18 /01 /janvier /2018 09:44

 

Au lendemain de l’abandon du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, toute la planète écolo se réjouit de la victoire, tandis que la sphère  politique se divise, selon son appartenance, entre les laudateurs du réalisme et les pourfendeurs du recul.

Cet abandon est une bonne chose, il répond à plusieurs nécessités.

- Protéger l’environnement et notamment la zone de bocage qui était censée l’être. On se demande d’ailleurs quel est le sens du concept de classement en zone protégée (*) si dans les faits, tout nouveau projet peut conduire à sa remise en cause par le simple passage d’une barrière administrative supplémentaire.

- Assurer la paix sociale. Les oppositions de la population étaient telles que la construction de l’aéroport aurait conduit à des heurts, peut-être à des blessés, en tout cas à des rancunes tenaces. Le spectre de la mort de Rémi Fraisse n’est pas pour rien dans la décision.

- Enfin une troisième raison, de l’ordre de la logique, sautait aux yeux de tous ceux qui se projettent dans le long terme. Un aéroport est un investissement lourd dont la rentabilité ne se conçoit que dans le cadre d’un usage sur très longue période, plusieurs décennies au moins, sinon un siècle  (la récente « invention » de l’aviation à l’échelle de l’histoire ne nous offre pas plus de recul). Or, l’usage même de cet investissement repose entièrement sur la libre disponibilité en pétrole, libre disponibilité fortement menacée à des échéances beaucoup plus courtes (20, 30 ans…) que celles qui assureraient la rentabilité du projet.  Nous étions là dans l’absurde. Un aéroport sans avion !

Un regret toutefois dans cette décision, que justement, le Premier Ministre, Edouard Philippe, ne l’ait pas motivée par des raisons écologiques. On aurait tant aimé entendre que la protection de l’environnement était aujourd’hui la priorité, que ce n’était pas seulement le risque de  conflits et moins encore l’existence d’une alternative par l’aménagement de l’actuel aéroport Nantes Atlantique qui justifiait cet abandon mais bien la volonté de protéger la nature. Dans le long terme, la Terre aura besoin des arbres plus que des avions, ce discours-là n’est pas encore tenable par un responsable politique de premier plan, souhaitons qu’il soit audible par la population.

Espérons également que dans un souci de fortifier son autorité et sa popularité auprès  d’une partie de son électorat, le gouvernement ne se montre pas plus intransigeant sur d’autres projets moins médiatisés au  niveau national. Le cas de la réalisation de l’Autoroute A45 entre Lyon et Saint-Etienne est emblématique, cette infrastructure menace également de très grandes surfaces naturelles ainsi que  la tranquillité de toutes les zones riveraines.  Là aussi, un monde couvert d’autoroutes et sans pétrole donnerait une belle image du ridicule. Pensons également à toutes les rocades, à tous les aménagements, à toutes les artificialisations du territoire que nous croyons nécessaires quand elles ne sont que des éléments d’une logique croissanciste que le simple bon sens sait pourtant condamnée.

_________________________________________________________

(*) Les surfaces de  bocage de Notre Dame des Landes étaient considérées comme une Zone Naturelle d'Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique.

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