Illustration : Un parc photovoltaïque à Latieule (Lozère) en lieu et place de 19 hectares de forêt.
Un article de Bruno Ladsous
La course au solaire est devenu un problème en France.
Parfois les contempteurs (à raison) de l’éolien sont portés à porter un regard plus indulgent sur le photovoltaïque. Il est vrai que celui-ci est moins invasif, tant par son rapport d’échelle (maximum 3 m de hauteur) que par ses nuisances sonores (inexistantes) ou visuelles (pas d’effet stroboscopique).
• une perte d’habitat de nidification et d’alimentation pour les oiseaux
• la disparition d’arbres utilisés par les chauves-souris pour se reproduire, hiberner ou chasser
• un appauvrissement de la flore ‒ tant en quantité qu’en diversité ‒ et des insectes pollinisateurs qui y sont associés,
• la mortalité de la petite faune qui s’y trouve lors des travaux, en particulier les reptiles et les amphibiens en phase terrestre
• la constitution de pièges pour les insectes polarotactiques
• parfois aussi des collisions avec les oiseaux et les chiroptères,
• des ruptures de continuités écologiques pour les mammifères, du fait des clôtures de protection.
Le CNPN formule alors 21 recommandations dont la première et d’urgence est de « mettre un terme à l’implantation de centrales photovoltaïques au sol dans les aires protégées et les espaces semi-naturels, naturels et forestiers »... Du bons sens.
Il esquisse ensuite un plan de développement organisé et rationnel du photovoltaïque en France qui pourrait respecter l'environnement et de la biodiversité. Spécifiquement sur l'agrivoltaïsme, il demande qu'on s'assure que « les projets ne se fassent pas au détriment d’une agriculture agro- écologique diversifiée ni au détriment de la biodiversité sauvage ».
Il recommande en tout état de cause qu’une priorité soit donnée au photovoltaïque en zones déjà artificialisées, en particulier sur les bâtiments et les parkings et près des zones densément peuplées afin de rapprocher zones de production et zones de consommation, et d'éviter ainsi la multiplication coûteuse des raccordements et renforcements de réseaux. Ici encore, rien que du bon sens, de nature à responsabiliser les habitants des villes en les amenant à produire une partie de l’énergie dont ils ont besoin.
Au plan " technique ", il propose que les installations au sol à venir soient soumises à la réglementation des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (ICPE) compte tenu de leurs impacts sur la nature, ainsi qu’à la législation sur la dérogation espèces protégées en raison de la modification significative des conditions d’habitats pour les espèces protégées qu'elles induisent.
On le voit bien, l'avenir du photovoltaïque ce sont :
- le solaire sur toiture :
Des projets, essentiellement privés, qui en France ont un potentiel supérieur à 100 GW :
- thermique pour l'eau chaude sanitaire et le chauffage
- électricité, idéalement en autoconsommation
- les sols déjà artificialisés :
Ils ont un potentiel de 49 GW selon l'ADEME dans son recensement de 2019 :
- les friches industrielles et commerciales : compte tenu des coûts élevés de leur dépollution, on peut raisonnablement considérer qu'elles peuvent être utilisées pour de la production solaire
- les délaissés routiers et ferroviaires : terres hyper-tassées, bétonnées ou bitumées, ici encore, on peut les utiliser pour de la production solaire.
- les ombrières de parkings : 4 GW selon l'ADEME
On observera que ces 100 + 49 + 4 : 153 GW sont très au-dessus de l'objectif affiché à Belfort le 10 février 2022 par le Président de la République : 100 GW en 2050.
La frénésie actuelle des opérateurs est donc totalement non proportionnée à la réalité des objectifs officiels.
Vous avez dit " décarboner " ?
Le solaire ne décarbone pas autant que ce que l'on croit généralement, sauf lorsqu'il se substitue à une source fossile telle qu'une chaudière à fuel ou même à gaz.
Ce pour trois raisons superbement décrites par Jean-Marc Jancovici (à écouter ici ):
- le Photovoltaïque est à 40-45 g eq. CO2 par KWh, à comparer au nucléaire 4 à 6 g, l'hydrauliques 10 g et même à l'éolien à 12-15 g.
- sous le vecteur électrique il est intermittent, et nécessite un complément qui, le plus souvent, est du gaz à 418 g. Sous le vecteur thermique par contre, la chaleur fabriquée peut être stockée.
- les panneaux sont désormais quasi-tous fabriqués en Chine, puis transportés par voie maritime, ce qui augmente considérablement leur empreinte carbone.
Ainsi, la marche forcée au solaire est une hérésie au plan environnemental et protection de la nature, et cela ne décarbone pas tant que cela notre pays.
Avec l’aggravation continue du réchauffement de notre planète, la succession des épisodes climatiques catastrophiques s’accélère et s’intensifie. Ils s’étendent, deviennent plus fréquents et plus intenses.
Un rapport de l’ONU datant de 2022 stipule que les inondations ont augmenté de 134 % dans le monde depuis 2000 (actualisé, ce ratio est sans doute plus élevé aujourd’hui). Avec 18 millions de Français concernés et 16 000 communes (une sur deux) potentiellement inondables, les inondations sont en France, le principal enjeu des dérèglements météorologiques. Sans même parler des submersions marines en zone côtière, les inondations représentent 56 % des indemnisations versées au titre des catastrophes naturelles, devant les sécheresses (37 %) et les incendies de forêt. Ce n’est pas sans raison si les Français perçoivent les inondations comme le risque naturel le plus préoccupant.
S’attaquer radicalement aux causes (d’origine humaine) de ces dérèglements serait la ligne d’actions à suivre la plus courageuse et la plus efficace. Hélas nous savons combien il est illusoire d’en attendre un résultat probant sans un consensus général des grandes puissances émettrices de gaz à effet de serre. Il faut croire que le diagnostic mondial n’est, à leurs yeux, pas encore assez effrayant pour que les COP sortent de leur spirale d’échecs. Impuissants à agir aux racines du mal, il ne reste plus qu’à nous adapter à notre échelle, nous replier dans notre cocon (que l’on pourrait tenter d’étendre au moins à l’Europe), afin de réduire les dégâts. Il existe déjà une batterie d’outils de maîtrise de l’urbanisme pour prendre en compte les risques (PPRi ou PPRNi). Mais comme on s’en doute, ils évitent les sujets sensibles ou politiques, tels l’urgence de changer nos comportements dans bien des domaines. Il faudrait arrêter de qualifier d’écologie punitive toute initiative allant vers plus de sobriété et de transformations radicales de nos modes de consommer et de produire. L’agriculture, la sylviculture, l’aménagement du territoire, l’énergie, les transports, sont les secteurs les plus concernés par ces changements.
La passivité des politiques et des décideurs devant les phénomènes d’inondations qui se multiplient est stupéfiante. Pourtant, ils le savent : la capacité des bassins-versants à retenir et infiltrer les eaux en surplus est en diminution constante. N’est-ce pas à cause de l’incroyable légèreté avec laquelle nous faisons usage de notre espace ? Chaque année, c’est au moins 25 000 ha d’Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (ENAF) qui disparaissent sous le bitume et le béton, pour étendre nos zones habitées (60% de la consommation totale de terres) et commerciales, ou pour construire de nouvelles infrastructures.
Heureusement, il y a la loi « Climat et résilience » et le dispositif « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN). Ce dernier se montre un rempart législatif efficace contre le mitage et la bitumisation inconsidérés des espaces naturels. Le ZAN prévoit de réduire de moitié l’artificialisation des sols d’ici 2030 puis d’atteindre la neutralité d’ici 2050. Mais un tel objectif le rend gênant. La volonté des élus n’est-elle pas d’accroître en permanence la population de leur commune ? Combien de maires et de présidents d’intercommunalités n’ont-ils pas tenté d’édulcorer les effets du ZAN dans les PLUi et les divers Schémas d’aménagement territorial ? Au sommet de l’Etat, Michel Barnier a promis des assouplissements du dispositif. Assouplir, c’est réduire l’efficacité ! Quant aux sénateurs, ils dénoncent dans le ZAN « une entrave au développement des territoires ». C’est « au mieux une impasse, au pire le ferment de nouvelles contestations », estime Jean-Baptiste Blanc, sénateur (Les Républicains, LR) du Vaucluse (Le Monde, 9 octobre 2024). Ainsi, usant de la même partition avec laquelle les pouvoirs publics ont donné satisfaction aux gros bras de l’agriculture productiviste au début de 2024, on s’apprête à faire profil bas devant l’érosion des ENAF, ce qui équivaut à brader la biodiversité, pourtant vitale et essentielle à notre bien-être.
Conserver un tel matelas de vivant et de foncier serait pourtant la première condition pour renforcer la résilience de nos territoires face aux agressions climatiques. La façon d’utiliser les dits espaces en étant la seconde. Nul besoin de sortir d’une grande école d’ingénieur pour comprendre que l’arrêt des extensions urbaines, la bonne santé des sols, un maillage dense de haies pour fragmenter les trop vastes champs agricoles, la polyculture, l’abandon des labours profonds, le passage à l’agrobiologie, la sanctuarisation des zones humides (éponges naturelles), le maintien, voire l’extension des forêts à caractère naturel gérées sans coupes rases, comptent parmi nos meilleures défenses contre les aléas climatiques et l’effondrement de la biodiversité. Renaturer les cours d’eau et leurs rives, sans négliger l’aide ponctuelle des castors, fait également partie de la solution. Les spécialistes de génie écologique ne font pas défaut dans notre pays. De même qu’il faut réduire drastiquement les projets de nouvelles grandes infrastructures (autoroutes, LGV, déviations…) au bénéfice de l’amélioration de l’existant, des mobilités douces (pistes cyclables, dessertes ferroviaires secondaires, fluvial…), et des énergies renouvelables dans les zones déjà artificialisées. Nous avons besoin d’un grand plan national de résilience intégrant et reliant entre-elles ces différentes pistes de mesures. Il est temps de reconstruire les écosystèmes naturels endommagés ou sacrifiés.
Mais nous devons faire plus. Qui ne voit les liens entre inondations et artificialisation des terres, entre artificialisation et croissance de la population ? Si A dépend de B et B de C, A dépend aussi de C. La France est en Europe l’un des rares pays à ne pas sentir le poids de sa démographie. Une sorte de dissonance cognitive collective porte à croire que nous ne sommes pas encore assez nombreux. A commencer par le Président qui considère qu’il faut réarmer démographiquement le pays. Pourtant, si la natalité baisse, la population ne cesse d’augmenter. Légèrement certes, mais la force d’inertie démographique ajoutée à l’immigration, font que la population s’accroît chaque année en moyenne de 0,3 %, soit 130 à 140 000 habitants supplémentaires. L’équivalent d’une ville comme Angers, ce qui est loin d’être négligeable.
Malgré cette hausse bien réelle de la population, ne se font entendre dans le débat que les voix de ceux et celles pour qui la baisse de la natalité est une véritable catastrophe sociale et économique : sur les retraites, l'armée, l’industrie… Et ils ont vite fait d’anticiper un désert français, une pénurie d’innovations, le manque de main d’œuvre, l’effondrement du système des retraites, etc., etc. Cette baisse de la natalité (partagée par quasiment tous les pays d’Europe occidentale), le démographe Hervé Le Bras ne l’attribue pas à l’éco anxiété ambiante mais essentiellement aux progrès éducatifs dont ont profité les femmes et à la réduction des disparités entre genres. Si on suppose les taux actuels de natalité, mortalité et bilan migratoire constants, l’INSEE prévoit que la population française continuera à la fois de vieillir et de s’accroître, jusqu’en 2044 ; puis, elle diminuera lentement, comme cela est déjà le cas en Italie et en Allemagne. Le scénario est plausible, mais non certain : nul ne sait ce qui peut advenir d’ici-là. L’instabilité de notre monde n’exclut ni les épidémies, la guerre, une forte hausse de l’immigration (clandestine ou pas, causée par l’explosion démographique ou les famines en Afrique subsaharienne), une catastrophe naturelle ou nucléaire, et j’en passe. A propos du nucléaire, en prévoyance d’un futur accident nucléaire qui pourrait rendre longtemps inhabitable une partie de notre territoire, nous serions fort aise d’avoir gardé suffisamment d’ENAF.
Bien rares sont les voix qui saluent l’opportunité de la baisse de la variable nataliste dans l’équation démographique, non seulement pour l’environnement (notamment la biodiversité), mais aussi pour l’économie et la société en général. Les effets positifs seraient d’ailleurs encore plus visibles si on parvenait, sinon à réduire, du moins à stabiliser notre nombre. Un objectif de sobriété démographique bien plus salubre et facile à atteindre qu’on ne croit. Les effets négatifs seraient quasi-inexistants. On est sortis du XIX° siècle ! La force d’un pays n’est plus corrélée à sa population. L’IA, les robots, les drones… ont fait passer de mode la chair à canon. Le capitalisme dispose à ses pieds d’un capital inemployé de plusieurs millions de chômeurs qu’il lui suffit de former. Quant aux retraites, H. Le Bras estime que leur régime n’est pas menacé par la baisse de la natalité (à court et moyen terme). Dans le long terme, bien entendu, il admet qu’il faudra réformer. Lui aussi voit dans la baisse de la natalité un atout économique : « la proportion d’actifs va augmenter, et les dépenses liées à l’éducation seront moins importantes ». Un point de vue conforté par une étude récente (Declining population and GDP growth, Th. Lianos, A. Pseidiris, N. Tsounis, 2023). 20 ans d’accroissement démographique avant la décroissance prévue par l’INSEE, ce n’est pas dramatique en soi, mais cela incite logiquement à pratiquer d’urgence la sobriété généralisée. Afin que les 3 millions d’humains supplémentaires attendus en France durant ce laps de temps ne surchargent pas la pression totale exercée sur les ressources naturelles (sols, eaux, forêts, milieu marin, minerais) et ne freinent pas la décarbonation.
Dans ces conditions, il est paradoxal de booster la croissance démographique de la France. C’est frontalement aller à l’encontre de la stratégie nécessaire pour faciliter notre adaptation au réchauffement climatique. Nous avons besoin de tout le contraire : une politique écodémographique visant à décroître ou (au pire) stabiliser notre nombre. Il faut en finir une fois pour toutes avec les politiques familiales à visée nataliste. Quant à la politique migratoire, son efficience gagne à ce qu’elle soit conçue et appliquée au sein de l’Europe, mais à condition que les institutions du continent aient pris la mesure de l’enjeu démographique, tant en Europe (surpopulation) qu’en Afrique subsaharienne voisine (surnatalité). Il est temps de nous désengluer de l’archaïsme véhiculé par les intellectuels cramponnés à leurs idéologies anthropocentristes et soi-disant progressistes. La sobriété démographique est la moins coûteuse de toutes les sobriétés et la plus facile à mettre en œuvre. Elle n’est pas anti-humaniste, au contraire : le vrai humanisme n’est-il pas de faire peu d’enfants bien éduqués pour minimiser l’empreinte écologique familiale et que chacun puisse s’épanouir au sein d’un environnement sauvegardé ? Le vrai progrès comme disait René Passet est « celui qui permet l’insertion durable des activités humaines dans le milieu qui les porte ». Rien d’autre là qu’une règle dérivée de l’évolution. Écoutons aussi le paléo-anthropologue Pascal Picq : « les espèces comme les civilisations vivent sur leur adaptations du passé, mais leur survie dépend de leur capacité à inventer les adaptations à un monde qu’elles ont contribué à modifier ». Vivre en plus petit nombre en est, dans ces conditions, l’une des plus indispensables.
L’INED vient de publier le document « Tous les pays du monde» (1) qui, sous la direction de Gilles Pison, fait le point tous les deux ans sur la population mondiale à la mi-année.
Selon les éléments présentés - des estimations pour l’essentiel, les données définitives n’étant évidemment pas encore disponibles - la Terre hébergeait 8,162 milliards d'habitants au 1er juillet 2024, chiffre en progression de 187 millions par rapport à 2022 (7,975 milliards) soit une croissance annuelle de 93,5 millions (2).
Malgré les multiples mises en garde des milieux économiques systématiquement inquiets de tout ralentissement, la croissance de la population mondiale reste toujours très forte, même si la tendance à la baisse de la fécondité se confirme : 2,2 enfants par femme au niveau mondial en 2024, contre 2,3 en 2022, 2,4 en 2019 et 2,5 en 2017 laissant espérer une stabilisation de nos effectifs plus précoce qu’on ne l’envisageait il y a encore quelques années. La stabilisation pourrait ainsi avoir lieu avant la fin du siècle. Certaines études prospectives (voir notamment celles de l’IHME et de la banque HSBC) la situent au milieu des années 2080 à un niveau d’environ 10,4 milliards.
A moyen terme cependant, la croissance va se poursuivre et la projection proposée par l’INED pour 2050 s’élève à 9,709 milliards soit encore un gain de plus de 1,5 milliard de personnes dans les 25 ans à venir ! C’est environ ce qu’a gagné l’humanité entre ses débuts et l’an 1900 ! L’écroulement redouté par certains n’est pas pour demain.
Parmi les éléments remarquables de cette dernière publication citons le fossé toujours très important entre l’Afrique et le reste du monde.
Même si en Afrique aussi la fécondité tend à diminuer : 4,0 enfants par femme en 2024 contre 4,2 en 2022, le niveau de fécondité y est encore presque le double de celui du reste de la planète et certaines situations sont très inquiétantes. Les records de croissance démographique et de fécondité se situent tous sur ce continent : + 3,7 % de croissance annuelle en République Centrafricaine soit un doublement en moins de 20 ans, une fécondité de 6,7 enfants par femme au Niger et de 6,0 au Tchad, en Somalie et en RDC (déjà très peuplée) ! Un niveau toujours très élevé au Nigéria : 5,1 enfants par femme pour 218 millions d’habitants.
L’Asie dans son ensemble (4,81 milliards d’habitants et 5,28 attendus en 2050) voit sa fécondité rester stable par rapport à 2022 avec 1,9 enfant par femme.
L’inde, si elle confirme sa première place devant la Chine avec 1,451 milliard d’habitants contre 1,419, aurait atteint le seuil de renouvellement des générations, la fécondité s’établissant désormais à 2,0 enfants par femme.
Quelques pays font toutefois exception dans ce mouvement vers la stabilité asiatique : l’Afghanistan avec 4,8 enfants par femme, le Pakistan 3,7, le Yemen : 4,5, l’Irak : 3,2.
A l’inverse, à l’extrême Est, Japon et Corée du Sud n’ont respectivement que 1,2 et 0,7 enfant par femme. Sur cette lancée, ces pays pourraient connaître une baisse significative de leur population. La Corée passerait de 99 millions d’habitants aujourd’hui à 45 en 2050 (une division par plus de deux !) et le Japon de 124 à 105. Rappelons toutefois qu’ils ont une densité déjà gigantesque : plus de 520 habitants par kilomètre carré pour la Corée du Sud. Le Japon conserve la meilleure espérance de vie à la naissance : 81 ans pour les hommes et 87 ans pour les femmes, ces valeurs étant respectivement de 71 et 76 ans pour le monde dans son ensemble.
Compte tenu de l’importance démographique du pays il faut noter le faible niveau de fécondité de la Chine qui serait descendu à 1,0 enfant par femme (1,2 en 2002). Si la tendance se poursuit la Chine passerait à 1,26 milliard d’habitants en 2050 (soit 159 millions d’habitants de moins qu’en 2024).
L’ensemble du continent américain est aussi sur la voie de la stabilisation, avec 1,6 enfant au Nord et 1,7 au Sud, l’Amérique centrale se situant à 2,0. Il s’agit vraiment d’une évolution intéressante compte tenu des inquiétudes que l’on avait dans les années 1970 où l’explosion sur le modèle africain était le scénario privilégié. Un pays comme le Chili serait même tombé à 1,1 enfant par femme.
L’Europe est le continent ayant le plus faible taux de fécondité 1,4 enfant par femme (1,5 en 2022), la France étant à 1,6. La population de notre pays (au sens de l’hexagone) est estimée à 66,5 millions d’habitants et devrait monter à 68 millions en 2050. Notons les faibles taux de fécondité de l’Espagne et de l’Italie (1,2 enfant par femme) et aussi, dans des circonstances particulières, de l’Ukraine (1,0).
(1) « Tous les pays du monde » dans la série Population & Sociétés (numéro 626 d’octobre 2024) par Gilles Pison et Svitlana Poniakina. Ce document est téléchargeable gratuitement ici sur le site de l’Ined
(2) Cette estimation semble un peu étrange. La croissance de la population mondiale étant en général estimée à + 80 millions par an ces dernières années. Peut-être faudrait-il, soit revoir à la baisse l’estimation 2024 soit revoir à la hausse celle de 2022 pour obtenir une croissance moindre et plus conforme aux données les plus courantes. Notons d’ailleurs que ces chiffres sont en contradiction avec une estimation de la croissance annuelle mondiale à 0,9% présentée dans ce même dossier de l’INED, taux croissance qui devrait conduire à une augmentation de 73,5 millions et non de 93,5 ! Les statistiques et projections publiées par l'ONU conduisent d'ailleurs à des estimations beaucoup plus proches de ce second chiffre, validant le fait que probablement des réestimations des chiffres antérieurs publiés par l'INED (même si elles proviennent in fine de l'ONU) n'ont pas été mentionnées.
Partons du constat que les événements majeurs pour l’avenir de l’humanité sont désormais le réchauffement climatique, causé par l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre (GES), d’une part, et l’effondrement de la biodiversité, consécutif à l’expansion géographique de l’espèce humaine, d’autre part.
Ces phénomènes sont établis et documentés par les études scientifiques, dont l’opinion dominante est qu’ils échappent progressivement à tout contrôle.
La logique économique du système s’est avérée plus forte que la volonté politique de le réformer
Les émissions de GES résultant de l’activité économique ne cessent d’augmenter à l’échelle de la planète, alors qu’il faudrait qu’elles diminuent fortement pour stabiliser la concentration de ces gaz dans l’atmosphère. Les températures vont donc continuer de progresser à due proportion – sans doute même de manière accélérée compte tenu de plusieurs points de bascule (tipping points) - pour atteindre des niveaux ayant une incidence sur la santé des populations concernées et sur la survie d’une partie d’entre elles.
Quant à l’effondrement de la biodiversité, déjà en partie réalisé, il est directement corrélé à l’accroissement du nombre des humains, à leur occupation de la totalité des territoires habitables et à la satisfaction de leurs besoins élémentaires, quel que soit par ailleurs leur niveau de richesse. Le déclin massif des populations animales est apparu au cours des années 1970, lorsque l’humanité a atteint puis dépassé le seuil des 4 milliards d’individus ; depuis il n’a fait qu’empirer. Aucune correction de cette tendance n’est envisageable sans une diminution quantitative de l’espèce humaine, qui occupe depuis des dizaines de milliers d’années le sommet de la chaîne de prédation. Rappelons qu’au sein de la classe des mammifères terrestres, l’homme et les animaux domestiques représentent aujourd’hui 96 % de la masse corporelle totale, la faune sauvage 4 %.
A cela s’ajoutent d’autres menaces directement ou indirectement liées à l’environnement comme la pénurie énergétique, consécutive à l’épuisement progressif des ressources pétrolières, ou la dégradation des sols, qui réduit la productivité des terres à l’hectare et met en péril l’alimentation des pays pauvres.
Bien sûr, aucune de ces perspectives n’a de caractère inéluctable. Divers évènements, comme celui d’un conflit mondial, peuvent en perturber le cours et précipiter l’humanité vers d’autres possibles, pas forcément meilleurs. Mais il est constant que les stratégies d’évitement du réchauffement climatique mises en œuvre depuis le sommet de Rio en 1992 ont été inopérantes, en tout cas incapables d’arrêter la poursuite d’un phénomène pourtant identifié, circonscrit et quantifié. Et ce malgré les progrès de la technologie, censée concilier croissance et environnement sur la base du concept de développement durable. La logique économique du système s’est avérée plus forte que la volonté politique de le réformer.
Anticiper les situations de stress et de pénurie pour mieux y résister le moment venu ou, comme le disait Kennedy, « réparer sa toiture lorsque le soleil brille »
C’est dans ce cadre contraint qu’il faut envisager l’avenir d’un point de vue écologique. Les scientifiques le répètent à l’envi, l’évitement d’un dérèglement majeur du climat n’a plus désormais de réelles chances d’être atteint. De surcroît, la recherche d’un tel évitement n’a de sens qu’à l’échelle mondiale. Un pays comme la France n’a pas la dimension suffisante pour y contribuer de manière significative. Aucun grand pays ne le fait, du reste… les hommes ne sont pas des colibris. Il est dès lors plus réaliste d’essayer de s’adapter par avance aux changements majeurs qui sont annoncés.
Pour autant, un tel choix n’est pas synonyme de facilité. Il s’agit, en effet, de renforcer dès maintenant les capacités de résilience des différents territoires afin de leur permettre d’affronter les conditions qui y prévaudront par la suite. Anticiper les situations de stress et de pénurie pour mieux y résister le moment venu ou, comme le disait Kennedy, « réparer sa toiture lorsque le soleil brille ».
Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché dans l’ordre interne, les politiques de relocalisation en assurent la régulation au niveau de l’Etat, là où s’exerce la souveraineté
Dans un monde en proie aux événements climatiques extrêmes, la résilience du système pris dans son ensemble comme dans chacune de ses parties doit être prioritairement recherchée dans l’instauration d’espaces économiques autonomes. Ceux-ci sont en effet moins vulnérables qu’un espace global intégré, à la fois parce que chaque territoire est autosuffisant en ressources et parce que les territoires dans leur ensemble se trouvent mutuellement protégés des réactions en chaîne en cas de défaillances survenues dans l’un d’entre eux.
Les politiques de relocalisation matérialisent un tel projet. De surcroît, à la différence des stratégies d’évitement, elles produisent l’essentiel de leurs effets dans les espaces où elles sont appliquées. Elles se heurtent toutefois à deux obstacles. Le premier est que dans un système mondialisé, soumis au principe de la libre concurrence, un Etat ne peut pas relocaliser la production de ses biens sans recourir au protectionnisme. Le second obstacle est qu’en privilégiant, contre le marché, leur production nationale, les gouvernements prennent le contrepied d’un des principes de base du libre-échangisme, formulé par Ricardo mais combattu par Malthus : la théorie des avantages comparatifs.
Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché dans l’ordre interne, les politiques de relocalisation en assurent la régulation au niveau de l’Etat, là où s’exerce la souveraineté, dans les échanges avec le reste du monde.
En ce qui concerne la France, une relocalisation effective devrait entraîner un redéploiement de l’activité depuis le secteur des services vers ceux de l’agriculture et de l’industrie, de manière à ce que soient produits sur le territoire national les biens considérés comme stratégiques. Un tel rééquilibrage n’est pas optionnel, il conditionne le rétablissement de notre souveraineté alimentaire et industrielle.
L’offre de services aussi serait réduite, y compris en matière de santé et de soins à la personne. L’espérance de vie devrait diminuer
Il ne faut pas sous-estimer, par ailleurs, l’impact d’une politique de relocalisation sur la consommation et le niveau de vie des ménages. Les pertes de productivité devraient être lourdes, du fait notamment de la différence entre le coût du travail en France et celui pratiqué dans les pays dont nous importons les produits : le salaire mensuel minimum est de 300 € en Chine, 165 € au Vietnam, 88 € au Bangladesh, 24 € en Ethiopie. Nous devrions payer le surcoût consécutif à ce différentiel, auquel s’ajoutera par ailleurs celui causé par le renchérissement de l’énergie.
Les biens aujourd’hui importés coûteraient donc plus cher, ils seraient moins accessibles. L’offre de services aussi serait réduite, fournie par des actifs moins nombreux, tant dans le secteur public que dans la sphère marchande, y compris en matière de santé et de soins à la personne. L’espérance de vie devrait diminuer.
Il s’agirait, en réalité, d’une décroissance d’adaptation : ni vraiment subie, parce qu’organisée pour éviter l’effondrement, ni vraiment voulue, parce que fondée sur une régression par rapport à l’actuel niveau de vie.
La décroissance n’est pas une idéologie, un changement de paradigme ou d’imaginaire porté par un homme nouveau, enfin devenu bon mais qui (heureusement) n’existe pas. C’est l’organisation raisonnée, pour assurer notre propre perpétuation, d’un ralentissement durable de la production et de la consommation.
L’ONU vient de publier ses dernières statistiques démographiques comprenant notamment des projections pour l’ensemble du 21e siècle.
Voici les principales données que nous pouvons retenir concernant les projections.
Evolution des projections de l’ONU à échéance 2050
(Données arrondies aux 100 millions les plus proches)
En 2009 : 9,1 milliards En 2015 : 9,7 milliards En 2022 : 9,7 milliards
En 2011 : 9,3 milliards En 2017 : 9,8 milliards En 2024 : 9,7 milliards
En 2013 : 9,6 milliards En 2019 : 9,7 milliards
Evolution des projections de l’ONU à échéance 2100
(Données arrondies aux 100 millions les plus proches).
En 2011 : 10,1 milliards En 2019 : 10,9 milliards
En 2013 : 10,9 milliards En 2022 : 10,4 milliards
En 2015 : 11,2 milliards En 2024 : 10,2 milliards
En 2017 : 11,2 milliards
Projections 2024 de l’ONU à échéance 2100
(Données en milliards, arrondies au million le plus proche pour la population au 1er juillet de chaque année).
En 2030 : 8,569 En 2055 : 9,846 En 2080 : 10,283
En 2035 : 8,885 En 2060 : 9,989 En 2085 : 10,288
En 2040 : 9,177 En 2065 : 10,102 En 2090 : 10,272
En 2045 : 9,440 En 2070 : 10,189 En 2095 : 10,235
En 2050 : 9,664 En 2075 : 10,250 En 2100 : 10,180
Rappelons que si les projections à 2050 sont relativement fiables (elles sont d’ailleurs assez stables autour de 9,7 milliards), donner des chiffres à quelques millions près pour la fin du siècle relève du pari, nous ne savons pas grand-chose de l’état du monde à cette échéance et donc pas grand-chose non plus de la fécondité et de l’évolution de l’espérance de vie dans les décennies qui nous en séparent. Les projections pour 2100 ont d’ailleurs varié de plus de 1 milliard entre 2011 (10,1 milliards) et 2015 (11,2 milliards) soit en 4 ans seulement, l’incertitude est manifestement de mise.
Depuis quelques semaines, ces projections donnent lieu dans les médias à nombre de commentaires laissant poindre la menace d’un effondrement, peut-être proche, de la démographie planétaire, en tout cas, d’un retournement des tendances qui, il y a quelques années encore, laissaient deviner une croissance qui se prolongerait plus longtemps et conduirait à des niveaux démographiques plus élevés.
Commentaires donc majoritairement très curieux au regard des propres chiffres de l’ONU, la population n’ayant jamais - et de loin - été aussi nombreuse (un point à ne pas oublier) et étant amenée à croître encore de plus de 2 milliards d’ici l’an 2100. L’Afrique passerait de 1,5 à 3,8 milliards de personnes, soit une augmentation de 2,3 milliards (les autres continents baissant donc très légèrement, l’Europe passant même de 745 à 592 millions. C’est évidemment sur ce dernier point que se focalisent les inquiétudes en Occident.
Ce qui justifie ces commentaires alarmistes aux yeux des partisans d’une population toujours plus nombreuse est la confirmation d’un certain ralentissement de la fécondité. Au niveau mondial, elle passerait de 2,25 enfants par femme aujourd’hui à 1,84 en 2100 soit en dessous du seuil de renouvellement des générations (avec de larges différences entre nations, même si celles-ci sont supposées s’atténuer avec le temps).
En effet, dans les pays à hauts revenus, la fécondité partant d’assez bas (1,47 en 2024) remonterait légèrement (jusqu’à 1,60 en 2100) et, à l’inverse, en Afrique, partant de très haut (4,02 en 2024) elle tomberait à 2,02 à la même échéance. Il ne s’agit toutefois que de conjectures manifestement influencées par le choix d’un modèle de convergence des sociétés qui, lui-même n’est qu’une hypothèse basée sur le pari d’une continuation des évolutions récemment constatées.
Cette baisse tendancielle de la fécondité conduit à une projection pour 2100 d’environ 10,2 milliards de terriens, un peu inférieure à la précédente (10,4 milliards étaient prévus en 2022) ainsi qu’à un léger avancement de l’année de stabilisation, désormais envisagée pour 2084 au niveau de 10,3 milliards.
En réalité cet infléchissement pour 2100 n’est pas nouveau, on le note déjà depuis 4 ou 5 ans dans les projections antérieures de l’ONU. Il avait aussi été souligné par différents organismes comme l’IHME et la banqueHSBC qui prévoyaient même des baisses encore plus brutales (analyses qui avaient cependant été fort contestées).
Plusieurs choses sont regrettables dans la majorité des analyses
- La non prise en compte du niveau atteint et l’absence de recul par rapport à ce qu’a été la démographie tout au long de l’histoire de l’humanité. Encore une fois nous étions 5 fois moins nombreux au début du 20e siècle et le taux de croissance y était 2,5 fois plus faible ! Or, certains nous demandent d’accélérer encore notre expansion démographique, il y a là une déconnexion complète d’avec les réalités.
- Une focalisation sur des aspects strictement économiques. Les inquiétudes portent notamment sur l’évolution du ratio actifs / inactifs, en oubliant que les jeunes restent désormais longtemps inactifs et que surtout ils sont les vieux de demain. Relancer la fécondité c’est donc s’engager dans une spirale infernale où l’équilibre n’est acquis qu’au prix d’un mouvement permanent de fuite en avant évidemment intenable dans un monde fini.
- Un oubli total des questions écologiques et en particulier de l’effondrement du vivant. 96 % de la masse des mammifères est aujourd’hui constituée d’humains ou de leurs animaux domestiques. Est-il urgent, sage, moral, ou simplement raisonnable d’éradiquer par notre nombre et donc notre omniprésence les 4 % d’animaux sauvages qui subsistent ?
Les crises que nous traversons touchent tant de domaines : climatique, écologique, sécuritaire, socio-économique, sanitaire, politique… qu’on pourrait se demander à juste titre si le mécanisme d’effondrement de la civilisation occidentale, entraînant dans son sillage l’économie capitaliste et ses réseaux mondialisés, n’est pas déclenché ! Toujours est-il que les voix de la sacro-sainte croissance paraissent de plus en plus discordantes. La publicité, manipulatrice et uniformisante, porte-drapeau de l’économie formelle ultra libérale, n’a jamais paru autant déconnectée des réalités, a contrario de notre conscience sans cesse plus aigüe des limites planétaires. Signaux d’alarme critiques que nos élus et décideurs, erreur de jugement ou peur de leur avenir politique, ne paraissent pas vouloir écouter ou reconnaître, ces crises pourraient bien se muer en terribles catastrophes, effaçant les effets salvateurs des multiples contre-projets politiques, sociaux, écologiques ou culturels dont la société civile, plus réactive, s’est fait l’écho.
Parmi les causes multiples qui ont déclenché la catastrophe écologique et annoncé l’ère de l’Anthropocène, perçue comme tabou ou victime de calcul politique, la démographie est rarement citée. Sont montrés du doigt en premier les inégalités sociales et le capitalisme mondial. Une majorité de politiques, écologistes compris, rejette l’idée de surpopulation pour la raison même que cette menace serait brandie par des comploteurs pour faire endosser aux peuples défavorisés, notamment africains, la responsabilité de la crise climatique. Disant cela, remarquons que le soupçon de xénophobie ou de racisme n’est plus très loin. Car en matière de démographie le débat échappe facilement à toute rationalité et se dissipe dans le vaste champ des passions. Aujourd’hui encore, les mêmes refusent d’admettre l’idée qu’un trop grand nombre d’humains puisse avoir un impact quelconque sur l’environnement. Un impact qui, selon eux, se limiterait à des émissions massives de gaz à effet de serre (GES) et dont la responsabilité reviendrait aux multinationales et aux pays riches.
Rappelons quelques fondamentaux :
1) sur le plan du dérèglement climatique, l’ « empreinte écologique » (conçue par l’ONG Global Footprint Network) permet de constater que la biocapacité planétaire se réduit d’année en année du seul fait de notre nombre (en Afrique, la biocapacité disponible par habitant a diminué des 2/3 entre 1961 et 2008 - source WWF, 2012). Plus nous sommes nombreux, moins nous avons d’ « hectares globaux » à notre disposition. Cela n’enlève rien au fait qu’une minorité de pays et une minorité de personnes très riches sont les plus gros consommateurs de ressources naturelles, les plus gros émetteurs de GES et les plus gros pollueurs. Mais si un seul Chinois a une empreinte écologique faible comparée à celle d’un Américain, la Chine prise dans son ensemble, avec son énorme population, est de loin le plus gros émetteur de GES de la planète. Le poids démographique a bien un impact délétère sur le climat.
2) l’environnement ne se résume pas qu’au climat, il englobe aussi la biodiversité. Vu sous cet angle, il est difficile d’admettre que l’Europe n’est pas (au moins localement) surpeuplée et que l’emballement démographique de l’Afrique subsaharienne puisse être sans conséquences, au prétexte que les populations pauvres ont peu d’impacts sur le climat ! L’augmentation rapide de la population subsaharienne cause aux écosystèmesnaturels et à la diversité biologique des préjudices considérables, auxquels s’ajoutent, bien entendu, les non moins désastreux dommages causés par les ambitions économiques concurrentes des puissances étrangères en Afrique.
Analysons, à titre d’exemple, le cas de la République Démocratique du Congo (RDC). Ce pays renferme 60% de la grande forêt humide d’Afrique centrale, partagée avec cinq autres pays riverains. Pareille superficie rend la RDC dépositaire de la moitié de toutes les forêts humides d’Afrique. Encore en majeure partie intacte (il est difficile d’employer le terme primaire quand on sait que cette forêt fut parcourue et habitée par des peuples autochtones durant des millénaires), elle est le deuxième plus grand massif forestier tropical de la planète, après l’Amazonie. Pourtant, le gouvernement congolais a cédé récemment (vente aux enchères) 11 millions d’ha de forêt sempervirente à l’exploration pétrolière et gazière (presque 4 fois la surface de la Belgique). Sans respect ni pour les aires protégées et leur biodiversité ni pour les peuples autochtones. Certains blocs incluent une partie de la plus vaste tourbière au monde (la Likouala-aux-Herbes que se partagent RDC et Congo Brazzaville), dans laquelle se trouve séquestrées d’astronomiques quantités de carbone. Et comme si cela ne suffisait pas, une superficie à peu près équivalente de forêt est concédée à des entreprises européennes et asiatiques dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles récoltent les bois précieux selon des modalités d’exploitation plus ou moins opaques. Au-delà de leurs impacts directs, l’ensemble de ces activités extractivistes ultra mécanisées trace un véritable quadrillage de pistes routières dans lesquelles, comme dans des voies d’eau, les braconniers et les colons agriculteurs s’engouffrent et métastasent les massifs forestiers. L’agriculture itinérante sur brûlis pratiquée à grande échelle (en liaison avec l’accroissement du nombre des bouches à nourrir) cause la destruction définitive de la forêt et les milieux de vie des peuples autochtones. La poussée démographique sur les bords de la cuvette congolaise a accru la demande en viande de gibier, au point de bouleverser les relations traditionnelles pygmées-agriculteurs et de vider d’immenses régions forestières de leur faune. Les coupes d’arbres informelles (et souvent clandestines), indépendantes des multinationales du bois mais non de l’avidité de villes en perpétuelle croissance, sont également une cause majeure de secondarisation, donc d’appauvrissement des milieux forestiers et de leur biodiversité. Un demi-million d’hectares de forêt disparaissent chaque année dans la seule RDC. A ce rythme, tous les grands singes de la forêt congolaise, les éléphants de forêt, et bien d’autres espèces ne vont pas tarder à se trouver en danger critique d’extinction.
La population de la RDC s’approche à grands pas des 100 millions, avec un taux de fécondité de 6,1 enfants par femme, ce qui veut dire un doublement d’habitants tous les 21 ans (plus de la moitié a moins de 15 ans). Aucune volonté politique ne se dégage pour l’heure pour combattre la menace démographique. Au rythme actuel, le pays sera en 2050 parmi les plus peuplés au monde avec 215 millions d’habitants (2ème d’Afrique derrière le Nigéria). Des pronostics sombres, hélas réalistes, envisagent à cette date la disparition d’environ la moitié de la forêt congolaise, ce qui correspond à un quart des forêts humides d’Afrique ! A elle seule, Kinshasa, 12 millions d’habitants, consomme d’énormes quantités de bois (surtout sous la forme de charbon, combustible principal des ménages) et de viande de gibier. Le même scénario se reproduit ailleurs autour des mégapoles de Lagos, Abidjan, Luanda, Dar-es-Salaam, Nairobi, etc. Quant aux terres cultivées, elles s’étendent de plus en plus au détriment des savanes et des forêts, initialement réputées pour leur exceptionnelle diversité animale. La destruction des habitats naturels et le braconnage cantonnent peu à peu la faune dans ses derniers refuges, parcs nationaux et réserves, que les gestionnaires essaient tant bien que mal de justifier et de protéger face aux pressions humaines périphériques.
Et comme si cela ne suffisait pas, le pernicieux phénomène d’accaparement de terres par des puissances étrangères et des multinationales, prend partout en Afrique des proportions inquiétantes (plus de 7 millions d’ha concédés en dix ans). Ces transactions foncières à grande échelle se font en violation des règles de transparence et des droits coutumiers de propriété. S’y rattache en partie le développement agro-industriel des cultures d’exportation qui, se faisant au détriment des petits paysans et des productions vivrières, aggrave l’insécurité alimentaire.
Un consensus commence enfin à se dégager pour reconnaître qu’un rythme trop soutenu d’augmentation de la population puisse freiner le développement et le progrès. La croissance démographique vertigineuse de l’Afrique subsaharienne, longtemps présentée comme une opportunité économique, ne l’est plus dans des pays « sans assez d’emplois de qualité pour occuper les actifs, où dominent le secteur informel et l’agriculture » (Dossier Le Monde : « L’Afrique débordée par sa démographie », 4 juin 2024). Or, cette situation se retrouve sur la quasi-totalité du continent noir.
On donne souvent raison à Marx et Engels et tort à Malthus. Au XXIème siècle et dans la première moitié du XXème il était facile de dénigrer Malthus et sa loi de la population, car les possibilités d'amélioration des rendements agricoles étaient élevées et les terres disponibles encore pléthoriques. Mais si l'on élargit le champ des ressources alimentaires à celui des ressources naturelles, il devient difficile de réfuter le néo-malthusianisme et l'utilité d'un contrôle des naissances, du moins dans les pays à fécondité élevée. L'économie capitaliste s'appuie sur un accroissement continu de la population : la production en quantité des biens (nourriture, logement, objets manufacturés) et services (distributions d'eau, d'énergie...) se nourrit de l'augmentation incessante des consommateurs. Et ladite économie doit créer en permanence des moyens de production nécessaires au travail de la main d'oeuvre supplémentaire que fournit la croissance démographique. Par cette double pression, "l'investissement démographique" est le moteur principal de la croissance capitaliste. Mais, on le constate chaque jour, cette doxa se heurte aux limites planétaire : espaces pour construire, pour cultiver, ressources minérales, besoins vitaux des autres espèces de la biosphère (si l'on fait preuve un tant soit peu de biocentrisme et d'altruisme interspécifique). D'autant qu'il n'est plus loin le temps où, par un retournement impitoyable de paradigme, le dogme de la rentabilité et du profit fera remplacer sans vergogne d'énorme masses de travailleurs humains par des machines pilotées par l'intelligence artificielle.
Sur le plan social, comment ne pas voir que surnatalité et surpopulation sont antinomiques du bien-être humain ? Quelle femme africaine accepte de bon cœur d’engendrer un enfant tous les deux ans dès son adolescence, de supporter le coût économique d’une famille nombreuse, qu’au moindre aléa elle verra sombrer dans la famine et la pauvreté ? Quelle jeune fille, avec des projets d’avenir, accepte de bon cœur de se voir retirer de l’école à 13 ans en vue d’être mariée ? Le vrai humanisme n’est-il pas de faire des enfants bien éduqués ? Comment les familles nombreuses et pauvres de l’Afrique subsaharienne pourraient-elles y parvenir ? Exemple bien connu de ces millions d’enfants, obligés pour survivre de fouiller à mains nues les immenses décharges urbaines, ou esclaves modernes, de travailler dans les mines pour l’industrie chinoise et le bien-être de l’Occident… Victimes innocentes sacrifiées sur l’autel du capitalisme vert.
L’humanisme ne peut plus se concevoir hors de la dimension naturelle du cosmos. L’anthropologie de la culture, écrit Philippe Descola (Par delà nature et culture, Gallimard 2005), se double d’une anthropologie de la nature. L’épanouissement de l’homme ne peut se réaliser au détriment des non-humains. Dans un tel paradigme, l’espace devient le facteur prépondérant et c’est en respectant la diversité des habitats naturels des autres espèces que l’homme est en mesure de tisser des liens de coopération avec la nature. Sans aller, comme chez de nombreux peuples dits primitifs, jusqu’à effacer la dichotomie entre nature et société ou ne pas voir les différences ontologiques entre humains d’une part, animaux et végétaux d’autre part, il faudra au moins reconnaître les droits de vivre à la « Terre-mère », la Pachamama des sociétés andines. Faute de nous concevoir, à l’exemple de ces peuples, comme les composants interdépendants d’un vaste ensemble indiscriminé de tous les êtres vivants, nous devons nous rapprocher du « Buen vivir » ou, au minimum, basculer vers des systèmes de gestion sage de nos relations avec les écosystèmes naturels. Dans cette perspective, lesprises de position démosceptiques (néologisme qui se comprend par rapport à la démographie et non la démocratie) dérogent de l’humanisme.
Peu avant la décroissance démographique globale prévue vers la fin de ce siècle, l’humanité aura peut-être atteint le seuil des 11 milliards d’individus sur terre (projections ONU). Il est vrai que la production alimentaire n’est plus un frein au développement démographique d’Homo sapiens. Machines superpuissantes, techniques génétiques, protections chimiques et physiques des cultures, et surtout ce formidable irrespect que nous avons des autres espèces qui partagent notre Terre, notamment en volant leur biotope, autorisent les agronomes (et même certains écologistes) à dire que la planète sera en mesure de nourrir un tel nombre. En supposant qu’ils aient raison sur le plan technique, quelle belle perspective offerte aux jeunes générations qu’une Terre dystopique transformée en immense champ agricole, suppléé par des océans aquacoles pour nourrir des centaines de mégapoles ! Comment l’humain pourrait-il rester humain dans un monde pareillement désenchanté, dénaturé, transformé en une machine exclusivement productive au service des besoins de son énorme population ? Si l’empathie ne nous quitte pas d’ici-là, nous continuerons de souhaiter que le monde entier puisse y vivre dignement, confortablement, et en sécurité. Sans nous faire d’illusion, on sait bien qu’un tel espoir s’il est légitime sera probablement déçu, car comment assurer une qualité de vie décente à une telle mégapopulation des années 2080 ? De nos jours, déjà, l’objectif est irréalisable, tous les clignotants sont au rouge ; qui pourrait imaginer, hors d’un scénario utopique, le retour vers la sobriété des plus gros consommateurs de ressources, l’aplanissement des inégalités et la redistribution des richesses, une décarbonation avancée, une gouvernance sinon mondiale, du moins internationalement coordonnée ? La résilience alimentaire s’affaiblit partout de plus en plus, et il suffirait qu’une nouvelle crise grave survienne, sanitaire, climatique, écologique ou sécuritaire, pour que la famine touche des centaines de millions de gens. Les nombreuses régions du monde surpeuplées, y compris à présent en Afrique, offrent de potentiels terreaux favorables à l’éclosion de nouvelles et dangereuses pandémies, dont la dernière en date (Covid-19) nous donne probablement qu’un fade avant-goût.
D’aventureux préjugés circulent, tel celui de considérer l’Afrique comme sous-peuplée en comparant sa situation démographique avec celle des pays du Nord ou d’Asie. Oui, la densité de l’Afrique subsaharienne (49 hab/km2) est en valeur absolue bien inférieure à celle de l’Europe (112), mais les conditions biophysiques des deux continents sont si différentes que toute comparaison est absurde. Les contraintes qui pèsent sur les terres cultivables africaines les rendent en général moins productives qu’en Europe et les surfaces inhabitables ou improductives (Sahara, sols latérisés…) couvrent des étendues immenses. La variable d’ajustement réside alors dans les superficies de forêts humides, forêts sèches, mangroves et savanes, dont on connait l’importance pour la biodiversité (faune exceptionnelle) et les services naturels («puits» de carbone) qu’ils rendent, d’abord à l’Afrique, ensuite à la planète entière. La solution consistant à les inclure dans les zones potentiellement aménageables aggraverait considérablement le réchauffement climatique et causerait un désastre écologique sans précédent, dont on a peine à imaginer, en Afrique rurale surtout, les terribles conséquences sur les conditions de vie de ses habitants. Remarquons aussi que la fertilité des sols forestiers est évanescente, que de vastes surfaces de savane infestées de glossines rendent l’élevage aléatoire, que d’autres sont rendues incultes par la présence de cuirasses latéritiques. En sus de son coût biologique et écologique, un tel scénario amènerait tôt ou tard à un gigantesque fiasco économique et des drames humains en cascade. L’autre solution, plus raisonnable, est d’arriver à stabiliser la population africaine en réduisant fortement ses taux de natalité. Certains Etats, tels le Nigéria et l’Egypte, subissent déjà à la fois surpopulation et surnatalité. Plusieurs voient se développer sans limites de confuses mégapoles avec leurs banlieues de bidonvilles, viviers d’insécurité et de mal-être. La majorité des pays subsahariens seront surpeuplés dès le milieu du siècle, tout au moins si l’on considère leur population en rapport avec la disponibilité des terres cultivables.
Comment l’homme pourrait-il vivre librement et sereinement sa condition humaine en continuant de se multiplier ? Car même si les projections de l’ONU montrent que la population mondiale se dirige vers le sommet démographique précédent avant de redescendre lentement, il n’en demeure pas moins que le continent africain risque de voir bientôt sa contribution augmenter jusqu’à 40 % du total. Avec 1,3 milliard d’habitants aujourd’hui, vraisemblablement 2, voire 2,5 milliards vers 2050 (rappelons qu’ils étaient 1 milliard en 2010 et 300 millions en 1961), la population africaine a plus que triplé en moins de cinquante ans.
Qu’aura l’Afrique à gagner d’un tel bilan ? Elle aura dilapidé la quasi-totalité de ses richesses naturelles, sa population s’entassera toujours plus en ville, elle aura perdu sa résilience agricole et son autonomie nutritionnelle. Une grande partie du continent sera mise à mal par la dégradation des sols et aura perdu l’essentiel de sa biodiversité, d’immenses étendues seront devenues invivables. Scénario catastrophe ?
La surnatalité enchaîne les peuples dans une spirale de pauvreté. D’après le professeur Emina de l’Université de Kinshasa, la population de la RDC a été multipliée par 7,5 depuis 1960, mais le revenu par habitant, lui, a été divisé par 2,5 (dossier Le Monde, ibid., 3). Dénoncer la surnatalité et la surpopulation n’est pas consubstantiel de la thèse du « grand remplacement », dont parle certain courant de l’extrême droite française quand il envisage l’ampleur de l’immigration en France et en Europe. Ou cet autre quand il propose la « remigration » comme un palliatif à ce problème (similaire à la « loi Rwanda » qu’a votée le gouvernement conservateur britannique pour expulser avec un « aller simple » nombre d’étrangers vers ce pays — dont il a acheté la complaisance — en se dissimulant le fait qu’il est déjà surpeuplé avec un taux de natalité élevé). Il n’y a aucune honte à se montrer inquiet face à cette dangereuse évolution démographique de l’espèce humaine. Le grand remplacement existe bien, mais pour décrire un tout autre phénomène : la confiscation par l’être humain de l’ensemble des niches écologiques à son profit exclusif. Un anthropocentrisme nuisible aux autres espèces du vivant que nous délogeons peu à peu, directement (consommation d’espaces) ou indirectement (pollutions, extractions…) de leur ancestrale place au sein de la biosphère. Oser parler de « mythe démographique » pour qualifier la menace du nombre, c’est dénigrer toute évolution vers le biocentrisme (ou l’écocentrisme) en confortant l’idée judéo-chrétienne de placer l’homme au centre de tout.
Mais notre inquiétude ne concerne pas la seule Afrique : en Europe, aucun pays n’envisage de donner un coup de frein à la croissance de sa population. Car en dépit de ses faibles taux de natalité, le «vieux» continent ne se dépeuple pas pour autant : l’immigration les compense largement. Or, cette immigration, perçue ici uniquement comme un flux quantitatif de personnes, est directement dépendante du rapide accroissement démographique du grand voisin africain (sans ignorer bien entendu les importants flux migratoires conjoncturels en provenance du Proche et du Moyen Orient). Voulue ou pas, elle ne peut que s’amplifier étant donné les conditions de vie de plus en plus défavorables que connaissent et vont connaître (si rien ne change) les populations d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Les destructions écologiques, les conflits internes, les guerres civiles, les fléaux sanitaires et les pertes d’autonomie alimentaire des pays subsahariens, où la production agricole par habitant ne cesse de diminuer, continuerons d’en être les conséquences majeures.
En France, et aussi ailleurs en Europe, nous baignons dans les contradictions. D’un côté, un discours officiel qui prône la sobriété et la transition écologique doté de lois telles que «Climat et résilience», «Zéro Artificialisation Nette» (ZAN), de l’autre un discours tout aussi officiel de «réarmement démographique» avec une politique nataliste qui se renforce (1) Comment pourrons-nous exiger de chacun plus de sobriété dans un pays dont on ne veut pas stabiliser la population, encore moins la laisser décroître ? Il n’est là question ni de dirigisme, d’autoritarisme ou d’anti-humanisme, mais de simple bon sens : la surpopulation touche de nombreux territoires d’Europe, surtout les plus urbanisés et le long des côtes. Or, la surpopulation n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, synonyme de bien-être ! L’espace (autour de soi) devient de plus en plus difficile à trouver dans les villes et les banlieues surpeuplées, développant la méfiance et la défiance. Aucun humain ne peut s’épanouir dans un espace artificiellement contracté. La surpopulation génère le déshumanisme. On pourra toujours objecter que les flux campagne-ville pourraient s’inverser à la suite d’une désaffection et d’un dégoût généralisé des zones urbaines, les Européens s’en retournant massivement vers les zones rurales à la recherche du double bien-être de l’autarcie économique et de l’espace comme substitut au désenchantement créé par la société industrielle. Mais les campagnes ne sont pas extensibles à l’infini. Pour peu qu’on veuille ralentir drastiquement, voire cesser, la fragmentation écologique et la consommation de terres, conserver le meilleur de notre patrimoine, créer un réseau efficace d’aires protégées, s’offrir le luxe de quelques territoires réensauvagés, avoir suffisamment de surfaces agricoles, quelles autres solutions que de limiter l’urbanisation à la périphérie des villes et les lotissements villageois ? Soyons prévoyants : les espaces naturels (peu habités) sont, outre leurs fonctions biologiques et écologiques, de potentielles réserves foncières qui pourrait trouver la légitimité de leur « non-aménagement » le jour où surviendrait une catastrophe (nucléaire ou autre) rendant inhabitable une partie du territoire. Alors quelle autre perspective que de limiter, stabiliser, voire diminuer notre nombre ?
On se ferme des portes de sortie en ne territorialisant pas l’économie et en ne misant pas résolument sur la sobriété. Il ne faut plus attendre pour développer une agriculture et une gestion forestière écologiques adaptées aux territoires, une gestion rationnelle et équitable de l’eau, des sources d’énergie locales, des circuits commerciaux courts, des mobilités vertueuses, une meilleure efficacité des recyclages… Faute d’être rentable pour le secteur privé, il n’y a que les fonds publics pour financer la transition écologique. Dans ces conditions et pour ne pas trop peser sur les plus pauvres, il devient nécessaire de taxer plus lourdement les profits du capital et des entreprise privées.
Mais revenons à l’Afrique. Trop peu de pays de ce continent paraissent réaliser le danger. Pourtant, il existe des leviers efficaces pour limiter la surnatalité subsaharienne et les surdensités d’occupation qu’elle génère localement. La volonté politique des dirigeants africains est un préalable indispensable, hélas elle fait encore défaut. N’en déplaise aux démosceptiques, ce n’est pas du néocolonialisme, mais au contraire faire preuve d’humanisme que d’aider l’Afrique, sans ingérence aucune, à adopter des normes familiales réduites, rehausser l’âge légal du mariage, décourager la polygamie, développer l’éducation (les besoins sont considérables : il manque actuellement 15 millions d’enseignants à l’Afrique !), l’autonomisation des femmes, les services socio-médicaux (dont le planning familial et la contraception qui ont prouvé leur efficacité). L’optimisme béat de certains démographes est sidérant ! Ils voient l’Afrique comme solidaire du grand mouvement mondial de transition démographique, alors qu’aujourd’hui encore 8 femmes sur 10 (contre 3 sur 10 dans le reste du monde) n’ont pas accès à la contraception et que presque tous les pays situés au sud du Sahara continuent de battre des records de natalité. Plus près des réalités, le démographe H. Leridon (INED), lui, a calculé qu’en agissant tout de suite, l’Afrique pourrait s’éviter 1,2 milliards d’habitants en 2100. Elle n’en compterait alorsque 3,3 milliards, au lieu des 4,5 projetés et cette effrayante perspective d’accaparer 40% de la population de la Terre. L’économie représente l’équivalent de la population de quatre Nigeria, de centaines de milliers d’hectares de terres et de forêts économisés, et probablement de grandes quantités d’émissions de GES évitées. Car les émissions polluantes de l’Afrique ont été sous-estimées par le GIEC à l’horizon 2030, comme une étude du CNRS vient de le montrer récemment : « elles pourraient atteindre 20 % des émissions globales anthropiques des polluants gazeux et particulaires ». D’une part, on oublie souvent de prendre en compte dans les calculs les pertes de carbone dues à la déforestation (feux de brousse, brûlis des défrichements, sols à nu), de l’autre que le bilan carbone des grands massifs forestiers africains, de plus en plus fragmentés et fragilisés par le réchauffement climatique, se dégrade d’année en année ; comme en Amazonie, ils risquent de basculer vers plus d’émission que de captage de CO2. La baisse de la croissance démographique subsaharienne aurait donc bien à terme, en sus de la biodiversité, un réel effet positif sur le climat.
En Afrique, championne de l’économie informelle, une décroissance du modèle productiviste est possible. C’est-à-dire le refus de continuer à sacrifier ses précieuses ressources naturelles pour le plus grand profit de multinationales de l’agro-industrie et de l’extraction minière, ou de projets politiques démesurés (tel les Nouvelles Routes de la Soie de la Chine). Avec pareille économie vernaculaire et solidaire, injustement stigmatisée par les caciques de l’économie classique, les Africains ont déjà en main les clés de ce nouvel « imaginaire » que vante tant le penseur de la décroissance Serge Latouche, en s’opposant de front à l’idéologie de la croissance et du développement capitaliste ultra-libéral (Décoloniser l’imaginaire, éd. Libre & Solidaire, 2023). En visant un développement pluriel, social et autonome, l’économie informelle est une forme déguisée d’altermondialisme et une matrice d’initiatives individuelles et collectives qu’il faudrait encourager, que l’Europe devrait encourager, quitte à en proposer des améliorations, pourvu qu’elle ne cherche pas à l’occidentaliser. Véritable moteur de sécurité alimentaire et de libération des femmes, l’économie informelle, qui d’ailleurs est plus une forme de société qu’une économie, repose dans le domaine agricole sur la production vivrière des peuples paysans autochtones.
Dans les débuts du capitalisme, l’industrialisation et les progrès des techniques et de l’agriculture ont véritablement permis l’amélioration du niveau de vie des classes populaires, ouvriers et paysans. Pour cette raison, la critique de la croissance économique est perçue comme « un déni d’humanité à l’égard des peuples du Sud » (Geneviève Azam, Le monde qui émerge, éd. LLL, 2017). Mais au fil du temps, les marges de productivité se sont érodées avec des sols qui s’épuisent, une industrie extractiviste de plus en plus coûteuse et dommageable sur le plan environnemental, des emplois qui se précarisent, etc. Le capitalisme, soutenu par la financiarisation, n’en faiblit pas pour autant, il génère les crises, puis s’en nourrit. Sur la base des travaux de plusieurs chercheurs du Tiers-Monde, s’est construit un « après-développement » qui se détourne de l’occidentalisation capitaliste du monde. Il doit être compris comme un modèle d’auto-limitation et de modération (déjà présent dans les sociétés traditionnelles) et d’intégration à l’environnement naturel.
Reconnaître la «myopie démographique» n’implique nullement une dérive vers les contrôles démographiques, un épouvantail qu’aiment bien agiter ceux-là mêmes qui s’opposent à toute régulation de population pour signifier le caractère répressif et privatif d’une telle politique, comme les partisans du productivisme intensif brandissent l’épouvantail de l’écologie punitive ! Non, il s’agit seulement de sortir du dogme nataliste de s’adapter à la baisse de fécondité en Europe, Asie et Amérique, tout en soutenant en Afrique les efforts de démographie raisonnée. La politique maoïste de l’enfant unique, le malthusianisme, ont laissé des traces profondes dans les esprits ! Le néologisme « écodémographie » (voir : La sagesse de l’éléphante, éd. Libre & Solidaire, 2023) est sans doute plus approprié. Au-delà de l’éthique (empathie et humanisme), les démosceptiques ne semblent pas percevoir à son juste niveau de risque, le pari qu’il y a à faire des enfants condamnés à vivre dans un monde instable, ravagé par des calamités incessantes qu’auront provoquées le réchauffement climatique, les effondrements biologiques en chaîne, l’insécurité alimentaire, les conflits, guerres et tensions perpétuelles (voir à ce sujet : « Population and food systems : what does the future hold ? » De S. Becker et J. Fanzo, John Hopkins Univ., 2023). D’autant que la proportion grandissante des zones inhabitables (élévation du niveau des mers, zones surchauffées, polluées…) va aggraver les problèmes d’occupation ailleurs, y rompant l’équilibre « population-ressources » et que la surdensité démographique des pandémonium du futur pourrait bien faire vivre un cauchemar à nos descendants.
Comment éviter l’artificialisation continue des sols, comment mettre en oeuvre efficacement la loi ZAN en France, sans stabilisation démographique préalable ? Comment empêcher l’étalement urbain et les pollutions concomitantes ? Les démosceptiques ignorent-ils que le logement est responsable à 60% du grignotage des ENAF (espaces naturels, agricoles et forestiers) ? Ignorent-ils que la France perd chaque année 60 à 80 000 ha de terres (l’équivalent d’un département par décennie !) ? On sait que les méthodes vertueuses, telle que l’agro-écologie, qui prônent des agricultures à taille humaine diversifiées et territorialisées, ont des rendements moindre que l’agriculture et l’élevage intensifs. Comment les généraliser sans envisager au préalable une politique écodémographique ? De façon générale, comment prélever moins de ressources naturelles sans réguler notre nombre ? La sobriété perd son sens si à une situation donnée de saturation démographique on greffe une politique de croissance de la population (natalité et/ou immigration). Nous devrions plutôt accorder davantage d’espace à la préservation des reliquats de nature et de moyens à la restauration (ou reconstruction) des écosystèmes dégradés. La proportion actuelle des aires protégées est, du moins en France, largement insuffisante. Suite à une gestion inappropriée des forêts (qui couvrent 1/3 du territoire national) par de nombreuses coupes rases et des enrésinements massifs, leur résilience s’effrite. Forêts naturelles, zones humides, cours d’eau sauvages, zones de montagne, pelouses sèches, landes, prairies naturelles, littoraux, étendues marines… font partie des principaux milieux à sauvegarder. Il faut parallèlement augmenter de façon drastique la proportion des terres cultivées en agrobiologie. Tous ces efforts vont de pair avec la construction d’une société plus frugale et plus autonome, dans laquelle la nécessaire redéfinition des besoins et la sortie programmée du capitalisme rendent réaliste l’objectif de stabilisation, voire de décroissance de la population (2).
Telles l’huile et l’eau, démographie et écologie ne sont pas miscibles. Il serait tout à l’honneur des écologistes politiques de revoir leur position en matière de démographie. Ils briseraient un tabou et décoïnceraient un débat qu’ils ont pour le moment refusé d’élargir malgré les conseils de leurs prestigieux mentors (Dumont, Cousteau, Levi-Strauss…). En révélant où est le vrai humanisme et en se rapprochant de l’écologie efficace, comme en reconnaissant la pertinence des signaux d’alarme envoyés il y a déjà un demi-siècle par le Club de Rome (rapport Meadows, 1972), parmi lesquels la menace d’une population mondiale bien au-dessus de la capacité de charge de la planète, ils ne courraient aucun risque de s’enliser sur les terres de l’extrême droite tout en renforçant leur crédibilité.
(1) Plusieurs démographes, dont Hervé Le Bras (Faut-il vraiment s’inquiéter de la baisse de la fécondité en France ? Polytechnique insights, juillet 2024) jugent inefficaces les politiques natalistes.
(2) La croissance verte basée sur le développement des énergies renouvelables consomme des quantités d’énergie et d’espaces phénoménales. Elle est malheureusement inéluctable si la population humaine continue d’augmenter, la somme des besoins sapant tout bon scénario de sobriété.
Un article de Didier Paillard et Gaëlle Leloup paru dans La Recherche (avril-juin 2023)
Depuis la découverte des glaciations au XIXe siècle se pose la question d’un éventuel retour de ces périodes froides. Si la cause des alternances glaciaire-interglaciaire était alors débattue, le caractère périodique de ces changements passés était en revanche bien établi. Aujourd’hui encore, le « retour inéluctable des glaciations » est une opinion largement répandue. Pourtant, des scientifiques soulignent que l’effet de serre dû aux émissions anthropiques de CO2 aura vraisemblablement pour conséquence d’empêcher ce phénomène.
Si l’on en sait aujourd’hui davantage sur les mécanismes du climat et des glaciations, il y a peu d’études sur la question des glaciations futures ou de la fin de l’ère Quaternaire commencée il y a 2,58 millions d’années et encore en cours.
Les rapports du GIEC se focalisent avant tout sur le XXIe siècle, et l’habitabilité de notre planète dans les siècles ou millénaires à venir n’a pas fait l’objet d’études poussées. Les seuls acteurs sociétaux intéressés par ces recherches sont aujourd’hui les agences de gestion des déchets nucléaires (en France l’ANDRA), qui doivent discuter de la sureté à très long terme – le million d’années – des sites potentiels d’enfouissement. Par ricochet, elles doivent donc discuter du climat futur et du principal déchet industriel de notre époque : le dioxyde de carbone (CO2).
Depuis toujours le climat de la Terre est influencé par les gaz à effet de serre mais aussi par le forçage astronomique. Les glaciations de l’hémisphère nord à l’ère Quaternaire sont rythmées notamment par les variations de l’obliquité (l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport au plan de l’orbite, aujourd’hui 23,4°). Ces premières glaciations produites entre 3 et 1 millions d’années, survenaient tous les 41 000 ans. Toutefois, au cours du dernier million d’années, on constate que la périodicité était de 100 000 ans. Ceci s’explique lorsque l’on introduit la notion de seuil et d’hystérésis (*) pour la dynamique des calottes : elles basculent d’un état (déglaciation) vers l’autre (glaciation) seulement lorsque le forçage astronomique franchit un seuil critique ; et réciproquement dans l’autre sens (1) Par exemple, il y a 420 000 ans, la période interglaciaire a persisté près de 30 000 ans au lieu des 10 000 habituels, car les variations astronomiques étaient trop faible pour faire basculer le système. C’est encore le cas aujourd’hui et l’interglaciaire actuel devrait naturellement persister pendant 50 000 ans à condition que le cycle du carbone ne soit pas perturbé.
Or, dès 1901 le météorologue suédois Nils Ekholm (1848-1923) avait compris que le CO2 injecté par les humains dans l’atmosphère pourrait empêcher le retour à une ère glaciaire (2) Partant alors des niveaux anthropiques actuels de CO2, combien de temps faudrait-il pour revenir à des « niveaux naturels » de CO2 atmosphérique ? Et cela sera-t-il même possible d’y revenir ?
D'énormes progrès ont été faits sur l’étude du cycle du carbone à l’échelle du siècle, mais son fonctionnement à plus long terme reste mal connu. La théorie dominante fait l’hypothèse d’un retour à cet état naturel grâce à l’érosion des roches silicatées qui constituent la majeure partie de la croûte terrestre : s’il fait plus chaud et humide, l’érosion augmente et consomme du carbone atmosphérique « acide » (CO2) pour le transformer en carbone basique (HCO3-), ce qui permet de diminuer l’acidité des océans et, au final, de précipiter du carbonate de calcium (CaCO3). Il s’agit probablement, d’ailleurs, du principal thermostat de la planète permettant de garder de l’eau liquide sur Terre depuis plus de quatre milliards d’années. Mais les flux sont très faibles, et le retour à l’équilibre ancien par ce mécanisme seul nécessiterait des centaines de milliers d’années.
Va-t-on sortir du Quaternaire ?
En outre, cette idée est avant tout théorique et ne prend pas en compte l’influence du cycle organique du carbone : En effet, une part non négligeable du carbone enfoui ou exhumé l’est sous forme organique (c’est-à-dire des molécules variées issues de la décomposition d’organismes qui peuvent à long terme devenir du pétrole, charbon ou gaz) avec une dynamique sans doute bien plus complexe qu’un simple retour à l’équilibre à travers une réaction chimique acido-basique. Ainsi, les données paléo-océanographiques montrent avant tout d’importants changement dans le rapport isotopique du carbone des carbonates (13C/12C), ce qui est le cycle de modifications majeures dans le cycle organique du carbone (3). Ces variations sont elles aussi rythmées par l’astronomie, avec un cycle de 400 000 ans correspondant aux variations de l’excentricité de l’orbite terrestre. Toutefois, le signal est dominé par des cycles de plus grande amplitude avec une pseudo-périodicité de l’ordre de 8 à 9 millions d’années, pour des raisons aujourd’hui mal comprises.
Une nouvelle hypothèse consiste à introduire de nouveau la notion de seuil et d’hystérésis, mais cette fois dans le cycle du carbone planétaire pour expliquer ces grandes oscillations. En effet, si le cycle du carbone possède plusieurs modes de fonctionnement privilégiés, les variations astronomiques peuvent occasionnellement le faire basculer d’un mode à l’autre à très basse fréquence, ce qui permettrait de mieux rendre compte de ces variations dans le passé (4) Pour le futur, cela suggère qu’il ne sera pas aisé de revenir à l’état initial si la perturbation dépasse un certain seuil.
Ces éléments nous indiquent que le retour éventuel des glaciations n’est pas pour demain : dans 50 000 ans s’il n’y avait pas de perturbation anthropique ; dans plusieurs centaines de milliers d’années si l’on fait l’hypothèse d’un écart temporaire au Quaternaire avec un « retour à la normale » reposant sur l’érosion des silicates ; dans bien plus longtemps encore s’il existe des phénomènes de seuil et d’hystérésis dans le cycle du carbone terrestre ; seuils que nous sommes peut-être en train de franchir ; et peut-être jamais dans la mesure où la fonte totale des calottes groenlandaise et antarctique nous ferait clairement sortir du cadre Quaternaire dans lequel l’humanité s’est jusqu’à présent développée.
(*) Dans un phénomène d’hystérésis, la réponse d’un système à une variation de paramètre physique ne dépend pas uniquement de l’amplitude de cette variation mais aussi d’un effet de « mémoire » du système qui retarde la réponse.
Article paru dans la revue la Recherche numéro 573 (avril-juin 2023), p.58 dans le cadre d’un dossier sur les paléoclimats. Merci à La Recherche de nous avoir donné son autorisation de publication. Cet article était illustré d’une photo des calottes groenlandaises en Arctique. Il est par ailleurs également disponible sur le site de La Recherche via ce lien.
Auteurs : Didier Paillard, climatologue à Paris Saclay, spécialiste de la modélisation des climats anciens et Gaëlle Leloup, climatologue à Paris Saclay, doctorante réalisant une thèse sur la modélisation des climats.
De nombreuses tribunes signées de mouvements écologistes et décroissants mettent en cause nos sociétés : leur soif inextinguible de biens inutiles, leur désir de « toujours plus », l’urbanisation tentaculaire et l’artificialisation totale du monde vers lesquelles elles nous font aveuglément courir.
Souvent ces tribunes sont agrémentées d’un dessin en deux parties.
L’une, généralement en noir et blanc et par temps maussade, représente ce monde honni avec ses HLM géants, ses hypermarchés, ses usines crachant leur poison et des autoroutes surchargées occupant ce qui reste du territoire, ne laissant plus la moindre place à la nature.
L’autre nous présente un paysage bucolique, coloré de vert où paissent quelques animaux heureux. Une ou deux petites masures, entourées de jardins en lisière de forêt, marquent une présence humaine modeste et respectueuse, en harmonie avec le monde. Le message est évident.
On remarquera que le second monde est cent fois moins peuplé que le premier comme si la claire conscience du poids du nombre avait guidé la main du dessinateur. Mais la tribune elle-même n’y fait généralement pas allusion, se contentant de ressasser à longueur de lignes les dégâts du consumérisme.
Il y a là chez les décroissants une étrange dissociation : la partie inconsciente du cerveau qui guide la main se trouve censurée par la partie consciente qui refuse d’exprimer par les mots la même pensée.
Le récit de la Genèse met en scène le repos de Dieu le septième jour, achevant ainsi le processus de Création par un acte de contemplation tranquille. Ce geste d’apparence anecdotique, respecté par toutes les religions du Livre, est la clé de sortie de la crise écologique.
Je l’ai compris voici un demi-siècle lorsqu’on me demanda de faire l’exégèse du rapport du Club de Rome devant un parterre de chefs d’entreprise. Une croissance illimitée est impossible dans un monde limité. Aucun des participants ne contesta cette évidence. Mais je retins de cette rencontre l’angoisse existentielle des participants : leur enlever la croissance revenait à leur enlever le sens de leur existence.
Tous les individus, quel que soit leur statut social, ont besoin d’avoir un but qui structure leur vie. Les entreprises, quelle que soit leur taille, rêvent de croissance externe en se démultipliant : pourquoi donc le pâtissier, le vendeur de rhum et l’épicier bio de mon secteur ont-ils créé des commerces satellites ? Pourquoi les habitants de mon village, propriétaires de leur maison, déposent-ils régulièrement des projets d’agrandissement (garage, terrasse, piscine…) ? Pourquoi un maire s’agite-t-il pour faire croître la population de son village ? La croissance, synonyme d’aller de l’avant, de progresser, de quitter le passé pour faire naître le futur, est le fruit d’un sentiment consubstantiel de l’essence humaine.
Construire suppose souvent de déconstruire un bout de la fine pellicule qui recouvre la Terre et qui forme la vie.
Ce réflexe a permis à l’Humanité d’évoluer, lentement, et d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Pendant des millénaires, la très grande majorité des individus étaient attachés à assurer leur survie, notamment en cultivant la terre. Ils y dépensaient toute leur énergie et cela suffisait à donner un sens à leur existence. Le petit nombre de privilégiés libérés de ces efforts se dépensait à la chasse et à la guerre, ce qui explique notamment les velléités expansionnistes de tous les empires dirigés par des autocrates qui s’ennuient dans leur palais.
Progressivement, à partir de la fin du XVIIIe siècle, le nombre de personnes libérées de l’angoisse du lendemain et du labeur de la terre augmenta… alimentant ainsi l’agitation constructiviste de la fourmilière humaine. L’artificialisation des sols donne une mesure de ce phénomène.
De ce point de vue, la loi « zéro artificialisation nette » de 2023 est une ambition inédite et surprenante. Peut-on contrarier par une loi un réflexe inscrit dans les gènes ? J’applaudis la démarche, mais je doute de sa faisabilité quand elle prétend s’opposer aux effets sans s’attaquer au moteur du phénomène. La fin de la croissance de l’artificialisation est, il est vrai, fixée à 2050 : tant d’eau va encore couler sous les ponts. A peine votée, la loi du 22 août 2021 a suscité des protestations chez une partie des élus locaux, de sorte que le Sénat s’est attaché à en amoindrir la portée par une nouvelle loi (20 juillet 2023).
Si chaque humain consacrait le septième de son existence à contempler ce qui l’entoure, la crise écologique rapetisserait d’autant…. et sans doute davantage. Car, la beauté du Monde inspire le respect et oblige à adapter ses comportements. Mais, nous n’en prenons pas le chemin. Le repos du dimanche est remis en cause dans de nombreux secteurs de l’activité. Le portable détourne le regard et l’enferme dans le virtuel : une génération ne sait plus voir le réel qui l’entoure, sa nature, ses formes et ses couleurs.
L’exotique lointain alimente les fantasmes de beaucoup de nos concitoyens : l’avion leur permet un saut de quelques milliers de kilomètres alors que la plupart n’a jamais exploré le territoire proche. Pouvons-nous dépasser cet atavisme humain à faire, construire, croître ? Quel sens trouver dans la non croissance ? Tous les arguments d’essence économique ou politique ne sont que des prétextes, au mieux des facteurs secondaires. L’évolution à envisager est culturelle, spirituelle peut-être. Le combat écologiste est aussi de cette nature.
Bien que la Terre n’ait jamais été aussi peuplée et aussi artificialisée, bien que ses autres habitants - les animaux, mais aussi les plantes, les forêts, les prairies et tout ce qui fait l’élégance de notre monde - n’aient jamais été relégués à des territoires aussi réduits, la peur de la dépopulation vient désormais côtoyer l’angoisse écologique. A en croire certains l’humanité serait presque en voie de disparition. La Chine tremble, l’Europe a peur et les autorités françaises appellent virilement au «réarmement démographique» ! Dans ce contexte, l’INED vient de publier un numéro de ses cahiers Population & Sociétés intitulé : «Baisse massive de la fécondité en 20 ans».
Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ? Sur quoi s’appuient-elles ? Que peut-on y répondre ?
Pourquoi ces inquiétudes et leur succès médiatique ?
La peur de la dépopulation repose sur la constatation de la baisse de la fécondité (le nombre d’enfants par femme) et même de la baisse de la natalité (le nombre de naissances) aussi bien dans une majorité de pays développés que, désormais, dans certains pays en voie de développement. Elle renvoie également à d’autres éléments, parfois irrationnels, liés au rapport que nous entretenons avec notre reproduction et notre descendance.
Les chiffres qui inquiètent
Quoiqu’en croissance permanente, l’humanité a franchi en matière démographique plusieurs maxima. Elle se trouve désormais de l’autre côté de ces pics et ces franchissements qui, par nature, impliquent une redescente, sont seuls retenus pour alimenter les peurs. Voici les principaux arguments chiffrés mis en avant.
Le maximum de la fécondité est largement passé
Le nombre d’enfants par femme au niveau mondial était de 5 dans les années 1950 - 1965 (plus même, en des époques antérieures, mais la très forte mortalité infantile en anéantissait les effets démographiques). Il s’établit désormais entre 2,2 et 2,3. Il a donc non seulement été divisé par plus de 2 en 70 ans, mais le seuil de renouvellement des générations (gage à terme d’une stabilité des effectifs) étant un peu supérieur à 2 enfants par femme (a), nous avons fait la majorité du chemin allant vers l’arrêt de la croissance démographique (b).
Un grand nombre de pays ou de régions du monde sont maintenant sous ce seuil de renouvellement et pas des moindres, notamment l’Europe, la Chine, le Japon… L’ensemble de l’Amérique, même au Sud, n’en est pas loin non plus. Ces tendances semblent établies.
Le maximum du taux de croissance.
Il a été atteint au cours de la décennie 1960 - 1970 où la croissance démographique annuelle oscillait entre 2 et 2,1 %. Depuis, ce taux n’a cessé de baisser, il est aujourd’hui de 1 % et, là aussi, la tendance semble durable. La stabilisation serait en vue au cours de la seconde moitié du 21ème siècle, une situation inédite depuis les temps modernes qui justifie - selon certains - la fin de toute inquiétude liée à l’explosion démographique.
Le maximum de croissance absolue.
L’humanité gagnait environ 90 millions de personnes (solde des naissances moins les décès) autour de l’année 1990. Aujourd’hui, cette croissance s’établit à 80 millions (+ 1 % donc). La baisse est réelle, même si elle reste mesurée et s’il ne s’agit bien que de la baisse de la croissance et non des effectifs.
Le rétrécissement de la base de la pyramide des âges
Dans les pays développés la pyramide des âges marque un très net rétrécissement à sa base, signe d’un vieillissement de la population qui menace les systèmes de retraite. La proportion d’actifs par rapport aux retraités étant inéluctablement amenée à se réduire dès aujourd’hui et dans les décennies à venir.
Que répondre ?
Des données juste mais…
Si ces données sont incontestables, elles alimentent à tort un vent de panique. Elles sont en effet loin de refléter la totalité de la réalité démographique du monde et d’autres éléments doivent être rappelés qui viennent non seulement amoindrir mais rendre déplacées ces inquiétudes.
Tout d’abord notons que ces multiples approches ne reflètent qu’un même phénomène : le ralentissement de la fécondité, celui-ci implique tous les autres. Voir la question sous différentes faces peut être intéressant pour l’analyse de ses conséquences mais ne saurait conduire à la multiplicité des causalités, source d’inquiétudes supplémentaires.
En second lieu soulignons ce qui s’impose face à toutes ces données : la Terre n’a jamais été aussi peuplée et cela constitue le problème écologique majeur qui conduit à l’effondrement de tous les équilibres de la biosphère. Aujourd’hui, la masse des mammifères sur la planète est constituée dans son immense majorité (96 % environ) soit des hommes soit de leur cheptel domestique. Les mammifères sauvages ont quasiment déjà disparu ! Outre la consommation d’espace (principal facteur de l’effondrement de la biodiversité), la pollution et la consommation de ressources sont des fonctions directes de la démographie malgré les inégalités encore fortes.
Rappelons quelques ordres de grandeurs :
Nous sommes désormais 1 000 fois plus nombreux qu’aux débuts du néolithique, 40 fois plus nombreux qu’à l’époque de Jésus Christ, 5 fois plus nombreux qu’à l’orée du 20ème siècle. Or ces jalons sont tout récents à l’échelle de l’histoire de notre espèce : nous vivons bien une explosion.
Si notre taux de croissance est en diminution, celui-ci reste beaucoup plus important qu’il ne l’a été tout au long du passé même proche. Ainsi en 1900, non seulement nous étions 5 fois moins nombreux mais notre taux de croissance annuel n’était que de 0,4 % soit 2,5 fois moins qu’aujourd’hui. La croissance absolue se situait donc entre 6 et 7 millions par an, elle est 12 fois plus importante en 2024 ! Sommes-nous au bord de l’extinction ? Sans doute moins que tout le reste du vivant.
Enfin les perspectives de stabilité, voire de décroissance qui effrayent tant certains s’appuient sur l’hypothèse d’une continuité de la baisse de la fécondité. Ce n’est qu’une hypothèse que rien ne permet de garantir et l’on a déjà vu (Maghreb, Europe de l’Est) des remontées plus ou moins durables de cet indice. Affirmer que la démographie mondiale sera stabilisée au cours de la seconde moitié du 21ème siècle reste un pari.
L’économie
Sur le plan économique, d’aucuns s’alarment des problèmes sociétaux et notamment de l’évolution du ratio actifs / inactifs pesant sur l’équilibre des systèmes de retraites et sur les dépenses médicales inévitablement en augmentation dans une population plus âgée.
Face à cette inéluctable évolution des charges, la solution consistant à augmenter les naissances constitue une véritable fuite en avant, les jeunes d’aujourd’hui sont les vieux de demain et les économistes n’arrêteront pas le cours du temps. Nous ne ferions en cela que repousser le problème à plus tard et sur une plus vaste échelle encore. Les difficultés d’équilibre des retraites aujourd’hui viennent d’ailleurs précisément d’une forte natalité il y a 70 ou 80 ans. On l’oublie souvent.
Rappelons aussi que, même à court terme, les jeunes constituent souvent jusqu’à leurs 25 ans, une population inactive source de dépenses pour la société. Difficile d’arguer de l’augmentation de leur nombre pour régler les problèmes budgétaires. L’explosion des budgets d’éducation le confirme. Les dépenses intérieures d’éducation (DIE) sont passées d’environ 90 milliards d’euros en 1980 à plus de 160 milliards aujourd’hui (à prix constants, référence 2021).
Un autre aspect des choses
A ces inquiétudes d’ordre économique s’ajoutent aussi des éléments irrationnels qu’expriment les termes récurrents : déclin, chute, hiver démographique, renoncement, dégradation effondrement… Tous négatifs ! Comme si la baisse de la natalité devait être vécue comme une tragédie, comme si un gouffre s’ouvrait sous nos pieds. On retrouve les antiennes qu’on croyait disparues depuis des siècles. « Un nombre élevé d’enfants est la mesure de la force vitale d’une nation.» Le terme « réarmement démographique » récemment employé par le président de la République n’est pas anodin. Sans la force vitale, on entend que le dépérissement et la mort ne sont pas loin. On tend ainsi à confondre le destin d’un pays, de l’humanité avec notre destin personnel : faire un enfant, « se reproduire », consciemment ou inconsciemment c’est continuer la vie, donc contourner, dénier notre propre condition de mortel. C’est un lumineux sentiment d’éternité. On glisse ainsi de la peur de la mort, inhérente à chaque humain conscient, à la peur de la disparition d’un peuple voire à celle de la fin de l’humanité. La nécessité de la perpétuation de l’espèce, considérée comme besoin, continue visiblement à être bien ancrée et elle surgit là et maintenant, en tant que panique collective.
L’habitude aussi : tous les humains d’aujourd’hui ont vécu dans un monde chaque année plus peuplé, la perspective d’un retournement de tendance, même très éloigné est déstabilisante. La question ne concerne pas la seule démographie, une éventuelle décroissance économique est perçue comme une anormalité et suscite la même appréhension. Nous redoutons le changement de paradigme.
Les inquiétudes sur la baisse future de nos effectifs sont largement injustifiées, elle n’est pas pour demain. Mais surtout, elle constitue au contraire une condition sine qua non du maintien des équilibres écologiques de la planète et donc de notre propre survie.
Soulignons pour tous les natalistes qui prétendent donner au plus grand nombre d’humains la possibilité de vivre sur la Terre que la plus sûre et la meilleure des solutions pour y parvenir est de laisser cette dernière habitable. La surpopulation actuelle et celle annoncée pour la fin du siècle ne le permettront pas.
(a) Le seuil de renouvellement n’est pas strictement égal à 2 ou 2,1 enfants par femme comme on le lit souvent. Il varie d’un pays à l’autre. Si la mortalité infantile est importante le seuil est naturellement plus élevé, une partie des jeunes n’atteignant pas eux-mêmes l’âge de la reproduction. De même, les déséquilibres du ratio hommes / femmes jouent sur le niveau de ce seuil.
(b) Il existe un décalage d’un peu plus d’une génération entre l’atteinte du seuil de renouvellement et la stabilisation effective de la population, cela est lié à la relative jeunesse de la population mondiale (âge médian 30,5 ans). Même si les gens font peu d’enfants chacun, le nombre de personnes en âge de procréer est tel que les naissances restent nombreuses et repoussent ainsi la stabilisation, l’augmentation de la durée moyenne de vie, hors même la baisse de la mortalité infantile, agit aussi en ce sens.
:
Site consacré à l'écologie et à la construction d'une société durable, respectueuse de l'environnement
Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal.
Contact : economiedurable@laposte.net